REPONSE
DE MON AMIE HILDEGARDE A L'ARTICLE PRECEDENT
« Ben...
je n'ai pas tout compris.. probablement trop de raccourcis pour une
ignorante de l'histoire bolchevique. Et pourtant je me la suis farcie
deux ans en seconde et première au lycée...il ne m'en reste rien...
Je ne comprends pas en quoi la terreur rouge est excusable. En quoi
le gouvernement de Lénine a protégé la population de la grippe?
Qu'est ce que c'est que ses "camps de concentration" dont
tu parles ? Des sanatorium? Le rôle de SVERDLOV auprès de Lénine?
S'il n'était pas mort cela aurait changé quoi?
En
France les mesures sanitaires ont été acceptées par la population
parce que annoncées, expliquées rationalisées avant que d'être
imposées . Elles se sont appliquées à tous, sans qu'il y ait
domination d'une classe populaire sur l'autre. Je ne crois pas que la
dictature du prolétariat fasse la même chose. Ce n'est pas pour
rien qu'il y a eu déportation exécution et rééducation des
réfractaires...
Je
ne crois pas qu'on aurait accepté cette réduction de liberté
pendant très longtemps. De plus en plus de monde bravait le
confinement. la nécessité de lever ces interdictions de déplacement
ont des raisons économiques, mais aussi sociologiques. Je ne
comprends pas ta conclusion :
« Pendant
la pandémie la hiérarchie doctorale a continué avec ses abus et
son arrogance, mais elle était doublée dans l'ensemble par ces
messieurs les directeurs issus de l'école de Rennes qui ont appris à
exiger la rentabilité, qui la demandent encore et toujours alors que
la pandémie n'est pas finie. La médecine en France était déjà au
bord de l'explosion à la veille du fléau mondial. Au lieu d'aller
faire les clowns à journalistes sur les plateaux TV, les médecins
en général ne sont plus prêts à se laisser faire. Mais s'ils
n'étaient que la seule ou dernière corporation à rejoindre une
lutte plus générale, inévitable et indispensable ? ».
Il
y a longtemps que la hiérarchie doctorale, comme tu dis, n'avait
plus droit de parole dans la gestion de l'hôpital. C'est parce que
les médecins ont à nouveau été écoutés pendant la crise
sanitaire, et qu'on leur a donné les moyens qu'ils demandaient, que
la gestion a pu se faire au fil du rasoir et que comme disent mes
collègues médecins "le système a tenu".
Les
médecins ne sont pas de bons gestionnaires, ce n'est pas leur
compétence, mais ils savent ce dont ils ont besoin pour remplir leur
mission. C'est la bonne coordination entre les administrations
hospitalières et les médecins qui a fonctionné dans la crise. Elle
avait disparu, les médecins n'ayant souvent eu qu'un rôle
consultatif dans la gestion des hôpitaux, des ARS, et aucun dans le
budget de la santé. On souhaiterait que ce binôme
médecin/administration continue en bonne coopération dans l'avenir.
La politique de santé publique doit être menée par des politiques,
mais dans l'intérêt des populations pas dans un souci d'économie.
« Au
lieu d'aller faire les clowns à journalistes sur les plateaux TV,
les médecins en général ne sont plus prêts à se laisser faire ».
Tu
reprends une réflexion que je t'avais faite. Quand je critique le
fait que les médecins soient sur tous es plateaux télé, c'est
parce qu'ils ont contribué à la cacophonie sur les choix
thérapeutiques et de prévention. Quand les représentants des
médecins généralistes, des médecins hospitaliers, des infirmiers
sont venus dénoncer la politique de santé depuis les années 2000,
la pénurie de moyens, là je ne critique pas. Ils sont dans leur
rôle de représentants professionnels. Ce sont les interventions de
scientifiques qui se contredisent que je critique. Souhaitons
effectivement que l'après COVID ne redevienne pas la même société
productiviste, « rentabiliste », et qu'il y ait un
changement dans l'intérêt collectif.
Voilà
t'as vu ...j'ai tout lu, facilement. Quand tu ne mets pas trop de
sous entendus, d'insultes, d’affirmations abruptes, c'est
tellement plus agréable à lire.
Doctoresse
Hildegarde de Bingen
MA
REPONSE POLIE ET GRACIEUSE
Ce
n'est pas la première fois que Hildegarde intervient pour me
répondre sur ce blog. Elle le fait toujours avec pertinence et
hauteur de vue. Elle m'a surtout donné envie de répondre non pas
sur le traitement de la pandémie et mes comparaisons avec
l'expérience bolchevique, mais sur la question de l'insulte en
politique. Brièvement je tiens à répondre à quelques premiers
points tout de même, après je m'appesantirai grossièrement sur mes
insultes .
Sur
la Terreur rouge, je ne peux te reprocher d'avoir été conditionnée
par l'éducation bourgeoise que nous avons tous connue au lycée. Je
précise en revanche, comme je le fais depuis 50 ans, que l'on ne
comprend rien à la terreur rouge si on la sort de son contexte pour
affirmer que jacobins et bolcheviques étaient méchants. Dans les
deux cas, en 1793 comme en 1918, les armées étrangères coalisées
attaquent aux frontière de la révolution, il faut d'abord se
défendre contre ceux qui poignardent dans le dos, avec les excès
que l'on sait.
Le
gouvernement de Lénine a opéré à des mesures de prophylaxie pour
protéger la population, peut-être aussi lentement que le
gouvernement Macron, mais je n'ai pas plus de détails historiques
pour t'en fiche plein la vue, puisque révolutionnaires amateurs ou
professionnels n'en savent rien non plus et ne se sont toujours
focalisés que sur la guerre.
Les
camps de concentration avaient été inventés par les Anglais, et
les premiers camps en Russie ont servi de lieux d'hébergement. Je
comprends que l'anti-léninisme primaire qu'on t'a enseigné au lycée
serve encore de vade-mecum pour rendre les bolcheviques responsables
des goulags, ce qui selon moi équivaut à la comparaison entre camps
de camping et camps de la mort. De même tu traites avec légèreté
la mort de Sverdlov, comme s'il s'agissait par exemple de la mort de
tel ministre interchangeable. Or, de mon point de vue, ce qui importe
dans cette anecdote, c'est qu'elle confirme premièrement que
Sverdlov n'était pas pour rien bras droit de Lénine, un homme très
compétent dans ses fonctions désintéressées, mais du même coup
qu'il n'y avait pas plus de dictateur Lénine ou Robespierre, que ces
« grands hommes » ont été entourés de personnes au
moins aussi importants qu'eux dans un travail collectif.
Concernant
la mise en route du confinement, tu penses détruire ma comparaison
avec le « pouvoir des soviets » (maquillé par un Lénine
chef d'Etat) en établissant que les mesures prises de confiner toute
la population française « auraient été acceptées par
l'ensemble de la population parce que annoncées, expliquées
rationalisées avant que d'être imposées ». Je ne partage pas
du tout ton appréciation ou plutôt ton oubli du déroulé des
événements. L'Etat macronien a pris ses décisions (quoique
tardives et erratiques) tout seul, puis il s'est livré sans
discontinuer à des leçons de morale, et des explications pas du
tout rationnelles, voire affolantes. A mon sens, finalement, pour le
confinement il n'a pas eu tort d'imposer des règles strictes, même
pas assez souvent, face à une population notoirement bordélique et
individualiste. Pas besoin de demander l'avis des généraux gilets
jaunes déchus1,
des bonzes syndicaux fouteurs de merde ni des petits rigolos qui
entourent Mélenchon ou même des députés godillots de la macronie.
Et c'est bien une classe pas du tout populaire qui a imposé des
mesures invivables dans les quartiers paupérisés. Lorsque tu
ajoutes : « Je ne crois pas que la dictature du
prolétariat fasse la même chose. Ce n'est pas pour rien qu'il y a
eu déportation exécution et rééducation des réfractaires... »,
tu confirmes que le bourrage de crâne au lycée reste
malheureusement indélébile. Non seulement je pense que la première
forme (certes bâtarde et partitocrate) de la dictature
« prolétarienne » en Russie a fait en gros le même
boulot sanitaire, mais qu'il faut se garder de ce genre de raccourci
qui mélange les débuts de la gestion révolutionnaire avec les
affres de la contre-révolution stalinienne2.
La
phrase qui suit, revenant au confinement français, m'a fait
sourire : « Je ne crois pas qu'on aurait accepté cette
réduction de liberté pendant très longtemps ». Si je ne
savais pas ton indépendance d'esprit, plutôt de gauche, je me
serais exclamé « tiens la petite bourge repointe son nez ! » ;
j'ai pensé aux pinaillages des petits députés curés de droite et
aux bobos de Libération et Médiapart ; scandale on a porté
atteinte à notre liberté « démocratique » d'aller et
venir ! J'ai immédiatement pensé à l'apostrophe d'Engels :
« Ce
n'est que dans la bourgeoisie « radicale» qu'on trouve encore des
proudhoniens ».
Le
petit bourgeois a en horreur la discipline, quelle qu'elle soit, et
c'est ce qui a signé en particulier la perte des vestes jaunes.
J'ajoute que c'est surtout le prolétariat qui a été discipliné en
France et ailleurs, pas seulement parce qu'il a compris les exigences
« non démocratiques » du confinement mais parce qu'il a
payé de sa peau la continuité de l'alimentation des villes et du
transport des produits de première nécessité ; c'est pourquoi
au demeurant les applaudissements au personnel soignant étaient
ridicules, car étaient oubliées les autres couches du prolétariat
aussi exposées, et même les flics qui ne sont pas tous des salauds.
Dans le confinement russe en 1918, je ne pense pas qu'il y ait eu des
déportations pour refus de respecter les règles d'hygiène...
Enfin
je ne comprends pas pourquoi tu dis ne pas comprendre ma conclusion,
alors que dans l'ensemble, dans nos discussions nous avons été
d'accord et que je suivais entièrement ton opinion de
« spécialiste » et ton autorité dans ta discipline. Ce
que je veux dire, c'est que j'espère que la plupart des toubibs
auront pris des leçons de modestie, d'autant qu'ils ont été
traités comme de vulgaires pioupious. Mais en les appelant in fine à
rejoindre le combat du prolétariat, je dis j'affirme, je proclame
qu'il n'y a pas de spécialiste en politique, qu'un avis politique ne
dépend pas de ton grade dans la société ni de mon absence de
grade ; j'ose même dire que si, au gouvernement Macron, il y
avait eu deux ou trois femmes de ménage et trois ouvriers du
bâtiment, nombre de décisions imbéciles des sachants auraient été
empêchées.
Crois
bien en mes sentiments les meilleurs. Toutefois ta dernière remarque
sur une certaine « propension » de ma part à insulter
mes contradicteurs m'a plus interrogé que vexé. Me permettras-tu
d'y revenir dans l'annexe suivante ?
L'insulte
en politique : manque d'éducation ou arme
de dissuasion du faible au fort ?
« Quand
l’adversaire fait une affirmation, nous devons chercher à savoir
si elle n’est pas d’une certaine façon, et ne serait-ce qu’en
apparence, en contradiction avec quelque chose qu’il a dit ou admis
auparavant, ou avec les principes d’une école ou d’une secte
dont il a fait l’éloge, ou avec les actes des adeptes de cette
secte, qu’ils soient sincères ou non, ou avec ses propres faits et
gestes. Si par exemple il prend parti en faveur du suicide, il faut
s’écrier aussitôt : « Pourquoi ne te pends-tu pas ? »
Ou bien s’il affirme par exemple que Berlin est une ville
désagréable, on s’écrie aussitôt : « Pourquoi ne
prends-tu pas la première diligence ? » »
Schopenhauer
« En
venir à » insulter signifie généralement « perdre ses
moyens », réagir impulsivement, et présente indéniablement
un aspect « réflexe de défense » ; quand pour moi
il ne s'agit que d'un résumé d'un pensée antagoniste. Précisons
tout de suite un terme usité à contre sens généralement dans le
milieu maximaliste tout autant que chez les gauchistes, le terme :
ad
hominem. Désolé
je recopie :
« La
locution
latine
argumentum
ad hominem
sert à désigner un argument de rhétorique
qui consiste à confondre un adversaire en lui opposant ses propres
paroles ou ses propres actes. Cette locution latine ne doit pas être
confondue avec une attaque ad
personam
ou un argumentum
ad personam
qui est fréquemment considéré comme une manœuvre déloyale visant
à discréditer son adversaire sans lui répondre sur le fond. Une
réplique ad
personam
s'oppose donc, en attaquant la personne, à une argumentation ad
rem
qui s'attacherait aux faits ».
La polémique inter-individuelle est toujours traumatisante et prend
souvent des tournures pénibles pour les deux interlocuteurs s'ils
cherchent par tous les moyens à convaincre l'un par l'autre.
En
général les attaques ad hominem sont donc vicieuses, et typiques
d'ailleurs du pervers narcissique moyen (« je vais te faire
manger ta propre merde », « merde à celui que me lira »,
injonction contradictoire du PN « tu n'as pas le droit de
m'insulter mais moi si ». A ce niveau il n'y a pas de combat
d'égal à égal, et cela peut même se terminer par la violence
physique.
Pour
ce qui me concerne je te réponds immédiatement. C'est vrai on
trouve dans mes articles des qualificatifs injurieux, et, j'en
conviens à la relecture que cela affaiblit l'argumentation. Pour la
bienséance les insultes doivent toujours rester orales. Si elles
apparaissent à l'écrit, elles n'affaiblissent pas seulement
celui-ci mais sont justiciables. Lorsque je titre « Deux
salopes à la mairie de Paris : Hidalgo et Pulvar », je
reconnais que cela peut choquer les féministes professionnelles et
faire saliver leurs avocats. Il faut dire qu'on se trouve sur un
blog, cette merveilleuse invention du Big brother US qui laisse
croire à la majorité des gens qu'on peut dire ce qu'on veut et même
de ne pas risquer de tomber sous le coup de la loi pour « injures
publiques ». Ce qui pourra m'arriver. Un blog n'est ni un
journal ni un parti, c'est un journal intime ouvert au public, donc
pas intime, et peut se classer d'ordinaire plutôt dans la catégorie "billet d'humeur". Certains l'utilise avec précaution ou distanciation
sociale (sic), d'autres s'imaginent gouverner l'univers et étendre
leur petite réflexion au vaste monde. C'est un instrument de
solitaire. J'ai souvent pensé : si je tenais ce blog avec un
autre type, il me corrigerait : arrêtes tes conneries !
T'as pas besoin d'être grossier ! (c'est un conseil amical dont
je tiens compte parfois de ta part... mais ça me reprend parce que
je ne suis pas officiel de quoiq que ce soit, ni délégué de quoi
que ce fût, parce que je ne vais pas m'abaisser à expliquer à mes
ennemis...). L'insulte est en fait un raccourci dans la polémique,
un STOP ! On n'est pas du même lit, pas de la même famille, va
te faire foutre ou refoutre !
Je
n'ai jamais eu et je n'aurai jamais pour habitude de traiter les
femmes de putes ou de salopes (sauf celles qui m'ont laissé tomber).
Dans le cas de Audrey Pulvar, j'ai ruminé une vieille haine à son
encontre lorsqu'elle faisait la maline à ses débuts carriéristes
sur le plateau de « On n'est pas couché », et qui
pouvait tout se permettre puisqu'elle est femme et noire. Cette
journaliste bourgeoise a humilié toute la soirée (en compagnie de
l'anar de service Onfray) le gentil Philippe Poutou : « tu
n'as aucun diplôme !». Je n'ai aucune argumentation polie à
fournir à ce mépris bourgeois « puant », qui a été
d'ailleurs l'étincelle du mouvement des gilets jaunes. Ce mépris
des politiciens, sachants et journalistes pour le « petit
peuple » sans diplôme qualifie le régime démocratique
dominant : une merde. Désolé je suis encore impoli.
A
quoi sert donc l'insulte ? Est-elle donc aussi injustifiable que
les canons de la bienséance le claironnent ?
Les
historiens corrompus ont pour habitude de disqualifier les
théoriciens révolutionnaires, révolutionnaires forcément parce
qu'ils heurtent la pensée dominante, lui « manquent de
respect » et que, en les attaquant vicieusement et
volontairement ad hominem on vise à leur faire « perdre leur
calme ». Et ils le perdent leur calme, naturellement. Prenons
nos vedettes Marx, Engels, Lénine, Trotski, etc. Leur combat
politique et social ne se déroulait pas dans un collège de bonnes
sœurs ou sous la direction de monseigneur Dupanloup. On va y venir,
mais avant je vous recopie un article d'un auteur féru de la
question en histoire :
« Un
petit détour par l'histoire politique permet de constater que
l'insulte est une pratique courante qui ne date pas d'hier. Les Grecs
de l'Antiquité n'hésitaient pas à piétiner la tombe d'un ennemi
en signe de mépris ultime. Sénateurs et intellectuels romains
s'insultaient avec délice et férocité, surtout lorsque cela
touchait à la vie privée de l'adversaire. Au Moyen Âge, l'injure
est une des expressions de la violence la plus fréquente, pouvant
mener à des rixes parfois mortelles. On se souviendra également de
Napoléon assénant à Talleyrand: « Vous
êtes de la merde dans un bas de soie!
» ou encore de Victor Hugo avec son célèbre "Napoléon le
petit" à l'adresse de Louis Napoléon Bonaparte. Au début du
XXe siècle, les insultes ont souvent des relents antisémites,
sexistes ou, plus tard, anticommunistes. Actuellement, on se traite
de raciste ou d'antisémite; ce sont donc les termes eux-mêmes qui
sont devenus des insultes ». Voire... islamophobe, ce
concept à curé gauchiste.
On
va voir que l'insulte en politique empêche le dialogue de rester
pépère, et n'est pas toujours un réflexe outrancier, voire
l'incapacité à se contrôler. Elle peut avoir des vertus
émancipatrices, voire subversives (tester les limites). Par sa
soudaineté elle peut dénouer magiquement une situation en impasse,
ou accélérer la violence.
Elle
est, clairement depuis 1968, un
symptôme de la désacralisation de la politique sous toutes ses
formes, une manière de se foutre « en résumé » de tous
les longs discours. Prenons
par contre parmi de nombreuses allusions
perfides, depuis tant de décennies, des anti-marxistes, faites
généralement par écrivaillons et historiens de gouvernement, cet
exemple de mauvaise ou grossière réputation faite à Marx :
« « Quand
il est face à des penseurs divergents, Karl abat son poing sur la
table, il agonit ses contradicteurs d’insultes
et va jusqu’à leur promettre le
peloton d’exécution. Ces menaces peuvent même déboucher sur des
bagarres physiques, en général déclenchées par l’hyperagressif
Engels ».
L'imagerie
est peu probante pourtant. On imagine mal les deux potes Marx et
Engels, deux des principaux penseurs du XIX ème siècle, en blousons
de cuir faisant le coup de poing dans la taverne du coin. C'est vrai
Marx utilise souvent des noms d'oiseaux. Il traite l'imposteur Karl
Vogt de « gros
plein de soupe ». Mais c'est dans son blog
de l'époque ! Ses lettres où il s'est senti si seul face aux
disqualifications perverses de l'aventurier Herr Vogt et obligé de
porter ses calomnies devant les tribunaux bourgeois. A l'époque
« gros plein de soupe » peut bien signifier « gros
nanti », les bourgeois exhibent leur bedaine comme Daumier les
a si bien caricaturés3.
Aujourd'hui ils suivent les conseils de Décathlon.
En
général dans ses principaux écrits, Marx n'est nullement grossier,
sa plume est incisive, il s'attaque aux institutions et aux puissants
avec les images polémiques de l'époque, où l'animal est la
principale source d'inspiration ; ce qui sera moins drôle lors
de l'épopée stalinienne. Les politiques bourgeois d'hier et
d'aujourd'hui ne se gênent pas non plus pour dis-qualifier leurs
adversaires avec des bons ou mauvais mot4.
Il faut humilier et détruire l'adversaire avec des images animales,
le combat politique entre les classes n'est pas un dîner de gala
comme le dit un chinois bien connu5.
Les qualificatifs honteux les plus fréquents, injurieux et
scatophiles viennent de l'extrême droite, qui s'y connaît en
mauvaises odeurs. L'assimilation a de la merde visa en particulier
Zola, traîné dans la boue pour son soutien au « juif »
Dreyfus et « cacaricaturé » ; mode que perpétue la
racaille de banlieue dans les réseaux « asociaux ».
Au-delà
du jugement moral, de la pédagogie sourcilleuse sur la bienséance,
l'insulte des révolutionnaires, elle, MARQUE UNE LIMITE DE CLASSE ;
je ne parle ici que des vrais révolutionnaires sur les positions de
classe « classiques » (m'écrire si vous ne le savez pas,
je vous les détaillerai)6.
Elle ne vise pas le corps mais la fonction. Lorsque Lénine dénonce
les « social-traîtres » est-ce vraiment une insulte, un
outrage à la personne ou une constatation politique ?7
L'injure, sur le fond, délimite non seulement un individu d'un
autre, mais un groupe d'un autre, une classe d'une autre ;
paradoxalement elle dépasse l'individu qui en fait une affaire
personnelle. L'exaspération est mauvaise conseillère, on a affaire
à quelque chose qui ne dépend pas du rationnel mais du sentiment,
d'une conscience blessée, de la vision d'un gouffre entre
conceptions ou projets. L'insulte est attribuée au peuple misérable
des faubourgs, c'est l'arme des sans éducation, des sales pauvres et
des voleurs, quand les comportements arrogants des puissants ou leur
moue de mépris sont des insultes plus graves encore à la dignité
humaine8.
Mais à la différence de la moue de mépris l'insulte est
judiciarisée.
L'insulte
est immémoriale, mais lorsqu'elle prédomine dans la sphère
publique elle est signe de chaos ou de grave moment dans l'histoire
du monde. Quand elle ne vise pas simplement à ternir une réputation
mais à éliminer au sens de tuer. Ce fut le cas lors des procès
historiques à Moscou en 1936 et 1938, qui relèvent du procès en
sorcellerie, une gigantesque chasse à l'homme avec un ridicule
langage animalier modernisé : chiens enrages, rats visqueux,
vipères lubriques, etc.
L'insulte
au service de la vérité
C'est
dans le domaine juridique que l'on va trouver la vérité de
l'insulte et finalement sa légitimité selon le bon mot de
Beaumarchais : « Sans la liberté de blâmer il n'est
point d'éloge flatteur » (en une de chaque édition du
Figaro). Lisons donc ce spécialiste juridique :
« La
notion de vérité semble au cœur des raisonnements des magistrats
lorsque la distinction entre injure, outrage et diffamation entre en
scène, dans la mesure où tout l’argumentaire repose sur
l’accomplissement ou non d’un fait précis, prouvable. Mais dans
le cas d’un discours qui par essence se veut choquant, qui attaque
ce qu’il proclame être injuste (sot, honteux, etc.) et vise à
faire rire un groupe de pairs porteur d’attentes allant dans le
même sens idéologique, la question de la valeur pragmatique des
énoncés prend une dimension particulière. Un portrait qui dénonce,
que ce soit par le rire ou la rage, se place d’emblée dans un
rapport aux faits subjectif – c’est même cette subjectivité
affirmée et exacerbée qui en justifie l’existence lorsqu’il
s’agit de la production d’un auteur en faisant profession.
L’attendu de sa fonction est précisément la morsure de la satire,
le vitriol du billet d’humeur, le coup de fouet du texte engagé.
Car l’auteur en question, s’il s’exprime en son nom – et
c’est bien sûr sa notoriété dans cette fonction particulière
qui lui amènera le public – s’inscrit aussi dans une histoire
idéologique, où les discours circulent selon des normes
intrinsèques et dont chaque locuteur reprenant ce flambeau ne sera
qu’un relais : histoire de genres rhétoriques (discours
polémique), histoire de pensées politiques, voire histoire de la
discipline (chanson « à textes », journal satirique,
presse d’opinion). La liberté d’expression étant fondamentale
dans les sociétés occidentales, se pose alors la question de savoir
comment évaluer l’humour vexatoire »9.
Citons
par contre le juriste Pierre Rainville en 2011 qui répond fort bien
à la question précédente :
« Les
paroles de dérision font, en revanche, l’objet d’attentions bien
moins soutenues de la part du juriste. Le droit et le rire
entretiennent des rapports distants et malaisés. La sévérité de
l’un s’accommode mal de la désinvolture de l’autre. Le droit
s’éprend de discipline, tandis que l’humour pratique
l’indiscipline. Le droit vit en mésintelligence avec l’univers
du farceur ».
N’oublions
jamais, ajoute cet auteur, que ces délits ont tout d’abord été
codifiés par le pouvoir religieux, où ils étaient associés dès
l’Ancien Testament à l’insulte à la divinité, le blasphème.
Insulter la créature revient en somme à insulter son créateur,
selon toute une palette de modalités qui se situent à différents
niveaux dans l’échelle morale soupesant la gravité des actes.
D’où l’omniprésence dans les codes pénaux de ces délits, par
ailleurs considérés comme des péchés dans les croyances
religieuses. A partir de là, distinguer les nuances entre les
différents actes de langage est important, si l’on a à l’esprit
qu’actions et essence de l’individu sont deux axes permettant le
jugement de valeur moral, les unes donnant accès à l’autre.
Ainsi, dans Justinien, trouve-t-on l’articulation des deux
dimensions :
« Injure »
se dit de ce qui est fait sans droit : car tout ce qui est fait
sans droit est dit fait injurieusement. Tel est le mot pris en
général ; mais spécialement on appelle injure une insulte.
Quelquefois par la dénomination d’injure, on signifie un dommage
occasionné par une faute, comme on a coutume de le faire dans la loi
Aquilia. Quelquefois une iniquité est dite injure, comme lorsque
quelqu’un a rendu un jugement inique ou injuste ; ce jugement
est dit injure, parce qu’il manque de justice et de droit, comme
non-juria, non-droit. Insulte vient de l’idée de mépris".
(Digeste
de Justinien,
47, X, 1. Ulpien)
On
voit clairement que, dans un cadre juridique honnête, la liberté
d’expression l’emporte sur la défense de la réputation. Dans le
cas du discours satirique, par exemple, cette bonne foi se met en
scène par le degré d’indignation exprimé, dont les traces sont
patentes jusque dans la ponctuation des textes (points d’exclamation,
de suspension) – ou en tous cas elle est représentée par un élan
sincère de rage contre un transgresseur. La colère du polémiste se
pare de sa (bonne) foi, qui transforme le courroux en fureur épique,
dont le dénigrement constitue l’une des armes. Dénoncer
est alors une mission, non une occupation, car il faut que la vérité
soit révélée au monde, à grand renfort de figures de style.
Le polémiste dérange, et c’est bien là son but affiché (ainsi,
par exemple, Siné, dans Charlie
Hebdo,
« semait sa zone » - nom de son billet d’humeur
hebdomadaire, toujours en vigueur actuellement dans Siné
Mensuel)10.
Je
vais conclure ma lettre intime à toi seule, Hildegarde, par le
procès intenté au groupe de rock « rock-ska » en 2002,
pour injures envers l'armée, avec sa jaquette de disques utilisant
une photo représentant deux gendarmes, au bord d’une route, à
côté d’un véhicule de service, dont la sérigraphie
« gendarmerie » avait été transformée en
« glandarmerie » : « Il
est incontestable que l’emploi du mot « CONDKOI »
associé à la représentation de deux gendarmes et la création du
terme « glandarmerie » sur le véhicule de ceux-ci avec
la connotation péjorative du mot glander constitue bien l’infraction
d’outrage à personne dépositaire de l’autorité publique tel
que visé dans la citation ».
Le
groupe a été condamné mais quelle pub !Ainsi, avec l’affaire
Condkoï, la large publicité autour du procès a abouti à la
divulgation de l’histoire et de l’image incriminée dans un
périmètre bien plus vaste que celui de la rencontre ponctuelle avec
une affiche, lui donnant une notoriété mais aussi une force
tactique : la provocation ne pouvant exister que si elle est
dénoncée comme choquante par son objet, encore faut-il que l’état
de choc clamé soit suffisamment partagé par le groupe non
transgressif pour qu’elle fonctionne pleinement. Dès que la
communauté partage le rire du polémiste, la cible semble
d’elle-même justifier le dénigrement par son incapacité au recul
et à l’autodérision.
La
rhétorique virulente et moqueuse prend donc des risques, dans une
dynamique du maître et de l’esclave, en laissant le soin aux
autres parties de finir la construction d’un acte pour lequel elle
produit des indices en nombre mais qu’elle abandonne ensuite au
jugement du groupe, lui confiant dans un juste retour (conforme à la
dialectique oppression / pouvoir dans laquelle elle se situe
axiomatiquement) la tâche de l’évaluation du rapport aux limites.
Comme les chevaliers médiévaux, les injuriés ne veulent pas que
leur renommée, leur nom propre soient associés à des « qualités ».
Si l’injure blesse alors que la diffamation salit.
Pour
finir, soyons magnanime, gendarmes et policiers « n'ont pas
glandé » tout au long de notre (premier et pas dernier)
confinement, comme d'habitude.
NOTES
1 J'en
profite ici pour dénoncer un des petits rigolos de l'insurrection
en gilets jaunes, comme pour me moquer de tous les vieux retraités
trotskiens ou assimilés qui s'attendent à un grand soir
post-pandémie, ou aussi ces anars jacobins qui ne voient que le
salut dans la pendaison de Macron Ier. Le machin « Valeurs »,
un des vecteurs de l'extrême droite qui a les honneurs de kadaza
nous apprend il y a deux jours qu'un certain Pierre Chalençon, que
j'ai dénoncé à l'époque comme louche gilet jaune, annonçait que
le 11 mai, l'Elysée serait pris d'assaut par des escouades toutes
prêtes depuis Lyon, Marseille, Strasbourg, etc., saluant
« l'extraordinaire Dr Raoult », un des charlots de la
médecine spectacle. Je me suis demandé comme Boris Cyrulnic si on
ne risquait pas d'avoir à subir des apprentis dictateurs surfant
sur le déconfinement. Je ne me suis pas attardé sur cette
hypothèse de clowns voulant se rejouer le 6 février 1934, la
population et le prolétariat en France auront d'autres soucis pour
« récupérer » et se préparer à des combats longs et
réfléchis. C'est ce que des fractions petites bourgeoises bcbg ont
compris, elles organisent des assocs pour réfléchir à un
programme « vert » pour sauver le capitalisme (je vous
en reparlerai) ; je regrette simplement
que le milieu maximaliste ne s'y mette pas déjà non plus du point
de vue « de classe » et pas des mièvreries écolos.
Quant à ce petit con de Chalençon, l'entrefilet concernant son
appel à attaquer l'Elysée lundi a miraculeusement disparu.
Chalençon
se prend pour le général Boulanger qui aurait pris des leçons
d'orthographe chez Eric Drouet. Je pense que la police a bien fait
son boulot en faisant retirer cet appel débile aux zozos de
« Valeurs », ces grands poteaux à Zemmour.
2En
vérité, la véritable dictature de prolétariat reste encore du
domaine de l'avenir. Je n'ai évidemment jamais été d'accord avec
Engels lorsqu'il affirme : « regarder la Commune de
Paris, c'était la dictature du prolétariat », un comité
erratique de petits bourgeois oui mais certainement pas la dictature
d'un prolétariat encore chétif et en plus dans une seule ville.
Quant à l'expérience en Russie, l'amalgame vient des
expérimentateurs bolcheviques eux-mêmes, ils croient être encore
les représentants du prolétariat mais en étant dans l'Etat !
Ce que leurs admirateurs trotskiens et bordiguiens ont appelé
« Etat communiste ». Cette plaisanterie fût toujours
combattue par Marx, Engels plus clairement encore et même le Lénine
d'avant la révolution. Les bolcheviques se sont fait bouffer par
l'Etat, un point c'est tout. Si vous ne comprenez pas cela vous
n'avait rien compris à l'échec de la révolution en Russie. C'est
ce que je dis aux derniers Mohicans bordiguiens avec qui je suis
encore en contact. Il faut reconnaître au CCI la gloire d'avoir mis
cela en évidence. Sinon, en effet, vous pouvez toujours ridiculiser
toute autre révolution à venir parce qu'il y aura toujours un
parti pour prendre le pouvoir à la place du prolétariat, et
toujours un Etat qui assurera la dictature contre le prolétariat !
Pour la joie des salauds Furet, Volkoginov, Berthier, et les divers
collabos des livres noirs... des menteurs professionnels.
3On
ne peut hélas qu'être d'accord avec cette réflexion d'une grosse
femme sur le web : « Je
pense que les gros sont les derniers qu’on peut encore insulter en
toute impunité,
témoigne-t-elle. Si
on insulte un Juif, un Noir, un Arabe, il peut potentiellement y
avoir des poursuites. Les gros, sans problème ». Et les
« maigres comme un clou » aussi.
http://passerelle-production.u-bourgogne.fr/web/atip_insulte/insulteurs/insulteurs_synthese2.htm.
Ne parlons pas des insultes
staliniennes aussi variées et animalières concernant « les
punaises hiltéro-trotskystes », et ce pauvre Sartre
ambassadeur du stalinisme avec son aphorisme : «
« Un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je
n’en sortirai plus jamais », qui, une fois sorti de ce
goulag idéologique se fait traîter à son tour
de « vipère lubrique ». Le chien restant un animal
familier, le serpent c'est moins sûr.
7Lénine
a qualifié un jour Trotski, dans leur jeunesse polémique de « fils
de chien ». C'était pas gentil et un peu familier et pas très
fleur bleue, la polémique dans la SD ne se déroulait pas souvent
en gants blancs comme dans l'université bourgeoise. C'est plus
grave quand, devenu chef d'Etat, il traite les grévistes de
« moustiques jaunes ».
8
Il est frappant de constater à quel point le processus de
généralisation de la haine en Chambre au XIX ème siècle repose
alors sur la perméabilité aux discours tenus à l’extérieur du
Palais-Bourbon. La presse joue ici pleinement son rôle de
médiation : elle relaie « l’insulte en images (des)
ventrus de Daumier », propose le matériau à partir duquel
Victor Hugo façonnera la figure de « Napoléon le Petit ».
Noms
d'oiseaux... L'insulte en politique de la restauration à nos jours
de
Thomas Bouchet. Ed Stock.
Insulte,
injure et diffamation : de la linguistique au code pénal ?
10Je
remercie encore post mortem Siné de m'avoir donné l'autorisation
d'utiliser son célèbre dessin de 1968 pour illustrer la page de
couverture de mon livre sur « l'aristocratie syndicale ».
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