« ...pour
ne pas déchaîner la guerre civile à l'intérieur d'une ville
assiégée par une armée étrangère, on laissa en fonction le même
gouvernement ». (…) « Dans
la conception des philosophes, l'État est « la réalisation de
l'Idée » ou le règne de Dieu sur terre traduit en langage
philosophique, le domaine où la vérité et la justice éternelles
se réalisent ou doivent se réaliser. De là cette vénération
superstitieuse de l'État et de tout ce qui y touche, vénération
qui s'installe d'autant plus facilement qu'on est, depuis le berceau,
habitué à s'imaginer que toutes les affaires et tous les intérêts
communs de la société entière ne sauraient être réglés que
comme ils ont été réglés jusqu'ici, c'est-à-dire par l'État et
ses autorités dûment établies. Et l'on croit déjà avoir fait un
pas d'une hardiesse prodigieuse, quand on s'est affranchi de la foi
en la monarchie héréditaire et qu'on jure par la république
démocratique. Mais, en réalité, l'État n'est rien d'autre qu'un
appareil pour opprimer une classe par un autre, et cela, tout autant
dans la république démocratique que dans la monarchie; le moins
qu'on puisse en dire, c'est qu'il est un mal dont hérite le
prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et
dont, tout comme la Commune, il ne pourra s'empêcher de rogner
aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu'à ce
qu'une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et
libres soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de
l'État. Le
philistin social-démocrate a été récemment saisi d'une terreur
salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat.
Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a
l'air ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du
prolétariat ».
Engels
(Londres, pour le 20e anniversaire de la Commune de Paris. 18 mars
1891).
UNE
DICTATURE PAS SI ARBITRAIRE...
Macron
affublé de l'auguste barbe de notre cher Friedrich Engels ! Je
vois déjà mes lecteurs marxistes puristes ou trotskiens dégénérés
faire la grimace de mépris. Je m'en fiche. Les gauchistes, le clan à
Mélenchon ne cessent de tirer à boulets rouges sur le gouvernement,
blabla et simple surenchère ! Ils auraient peut-être fait
pire, comme le petit con Zemmour qui ne cesse de clamer dans sa
chaîne sur mesure que cela ne servait à rien de confiner. On aurait
voulu les y voir à la place... Certes le gouvernement bourgeois dans
la place a lambiné et déconné comme nous l'avons tous souligné
plus ou moins. Le plus important, et qu'ignorent ces contestataires,
est que la dictature mise en place « pour notre santé »,
pendant deux mois, avec contrôle des sorties, fortes amendes, n'a
ému que les petits bourgeois du barreau et les amis des indigestes
indigènes aussi légalistes qu'ils sont racistes. On menace déjà
de traîner en justice des ministres qui se sont démenés, parfois
en pure perte, parfois en mentant crânement, parfois en en faisant
trop dans la pédagogie ou la démagogie, alors que ce ne sont pas
ces hommes et ces femmes qui peuvent être visés comme boucs
émissaires d'une si longue et si ancienne impéritie des Etats
bourgeois, mais le capital qui devrait être traîné en justice,
pardon exécuté non par des avocaillons mais par les masses de
prolétaires dans la lutte « pour la domination de classe ».
L'immense
majorité des « citoyens » est restée disciplinée et
« compréhensive ». Cela a été dur, mal vécu, parfois
pas si mal que ça, et le sacrifice (relatif) n'en valait-il pas la
chandelle ? Certes on a eu le sentiment de vivre le moyen âge.
Certes nos gouvernants n'ont pas trouvé mieux que d'aller piocher
dans les leçons de la pandémie dite grippe espagnole, « la
grande tueuse »1,
en 1918 : quarantaine, confinement, masques (avec notre lourde
insistance). Certes on a fini par être lassé par tous ces toubibs
de « plateau télévisé » qui vinrent plastronner pour
ne rien dire, au lieu d'être au boulot.
Je
me fiche donc de tous ces clowns qui veulent « porter
plainte », comme si une plainte pouvait faire revivre les morts
ou redonner espoir en un autre monde. Non, je me tourne vers ces
millions de « citoyens » et au milieu de tant de ces
ouvriers « invisibles » à qui l'on a seriné depuis si
longtemps que la démocratie bourgeoise était une chose précieuse,
qu'elle était garante des « libertés individuelles »,
au point qu'un ardent défenseur du peuple, le petit député de
droite Eric Ciotti a assuré qu'elle était « bafouée »
par les mesures d'urgence !
Eh
bien cher tous, pendant deux mois, vous avez fait l'expérience d'une
« dictature d'Etat » ! Oh pas terrible cette
dictature. On ne fusilla point. On n'interna point pour désaccords
politiques. Il n'y eût ni goulags ni Auschwitz. Ni guerre mondiale,
comme l'attendent impatiemment nos maximalistes en chambre, celle
qui sert de bouton déclencheur à la révolution internationale. A
l'école on vous avait enseigné les horreurs de la « dictature
bolchevique ». Pour le cas où vous auriez été distraits en
classe, journalistes et historiens officiels se sont chargés, et se
chargent de vous alourdir la mémoire depuis cent ans : les révolutions ne
mènent qu'à des dictatures sanglantes, guillotines, fusillades et
chambres de torture... La pire de toute étant bien sûr la
« dictature du prolétariat ».
Voilà
que toutes ces âneries dont on vous a bourré le crâne
s'évanouissent sous la conduite de Wladimir Illitch Macron ! Et
quel manipulateur ce dictateur, il a sans arrêt décidé
arbitrairement tout seul ; les journalistes ont même soupçonné
qu'il y avait plus qu'un papier à cigarette entre lui et son premier
commis. Il a manoeuvré pour sa propre gloire en se servant de notre
santé et de nos peurs. Si on laisse à part le lapsus sur la
distanciation sociale, faute ministérielle, reconnaissons-lui en
revanche une action « collectiviste » en nivelant tous
selon le principe de précaution. N'est-on pas baigné dans une
société particulièrement « individualiste » qui se
branle au prétexte de la « liberté individuelle » ?
Par hasard, je suis tombé sur un rapport présenté au Sénat en
2011par le Docteur Didier Raoult, mégalo marseillais certes, plein
de bon sens, et de prévision :
« Par
ailleurs, les maladies contagieuses contredisent l’évolution
individualiste spectaculaire de notre société ces dernières
années. En effet, la gestion des maladies infectieuses peut amener à
remettre en cause la liberté individuelle. C’est le cas de
l’isolement nécessaire pour éviter la contamination lorsque les
patients sont contagieux, c’est le cas de la déclaration
obligatoire des maladies et c’est le cas de la vaccination
obligatoire dans le cadre des maladies contagieuses (…) Ce peut
être aussi la justification de l’obligation de soins pour d’autres
maladies contagieuses. Les hommes constituant une espèce unique, le
comportement individuel des humains peut avoir une conséquence sur
la santé de l’ensemble de la population. C’est ainsi que l’on
a pu identifier un étudiant guinéen qui a importé le choléra en
Afrique noire à partir d’URSS et qui a causé secondairement des
millions de morts. Ainsi donc, la liberté individuelle de chacun et
les choix personnels peuvent contredire les besoins de la société
d’une manière très tangible »2.
Un
penseur communiste aurait pu faire le même type de réflexion sans
que personne ne le dénonce comme barbare stalinien ou salaud
hitlérien. Foin d'un quelconque complexe dans la critique de la
démocratie. A partir de la fin du XVIIIe siècle, la jeune
République américaine, par exemple, ne cesse de s'agrandir vers
l'Ouest évinçant les populations autochtones de leurs terres. En
plus de cette
campagne de colonisation, les Indiens d'Amérique
subissent depuis le XVIe siècle les effets meurtriers d'un choc
épidémiologique inédit. Cette catastrophe s’explique avant tout
par des épidémies
venues de l’« Ancien Monde ».
Les autochtones n’étaient pas immunisés contre les infections
virales et bactériennes graves venues d’Eurasie et d’Afrique
introduites par les colons européens :
variole, grippe, typhus, choléra, peste, oreillons, rougeole ou
encore rubéole. Au sud des États-Unis actuels par exemple, on
estime que la dépopulation a pu être de l'ordre de 80% dès le XVIe
siècle. En
1500,
il y avait peut-être
7 millions d’autochtones
en
Amérique du Nord. Il s’agit, cela dit, d’une estimation, qui
fait débat parmi les spécialistes. A
la fin du XIXe siècle,
les Amérindiens n’étaient plus que 375
000.
Je
rappelle cet aspect de la démocratie « conquérante »
non pour en nier la nécessité historique, passagère, ni pour
ergoter que dans la vie il n'y a pas que la révolution ou la guerre,
ou l'inverse, mais parce que les périodes de dictature dans
l'histoire de l'humanité n'ont pas toutes signifié les horreurs
qu'on leur attribue au nom justement de cette fichtre de «liberté
individuelle », ambiguë et perverse si la communauté humaine
en vient à être en danger. Il faut un « Etat fort »
dans les circonstances dramatiques, et vous serez bien obligés de
reconnaître que la plupart de nos Etats modernes, dans les
dramatiques circonstances actuelles ont été obligés de se
« bolcheviser », de jouer aux fortiches, même un peu trop sur le plan de la morale.
Ils
ont tous pris pour exemple les leçons « prophylactiques »
d'une période dont nous, minorité maximaliste, ne tirons pas les
mêmes leçons politiques, quoique on nous taxe de ringardise. Aidons-nous de cette excellente auteure
Laura Spinney, répondant à une interview, mais n'allez pas croire
que l'histoire se répète :
« Entre
mars 1918 et juillet 1921, la grippe espagnole s’est déployée en
trois vagues: une première, modérée, qui ressemblait à une grippe
saisonnière, une deuxième très virulente où ont eu lieu la
plupart des décès, de mi-septembre à mi décembre 1918, et une
troisième vague moins virulente. La plupart des morts ont eu lieu en
trois mois. À l’époque il existait déjà une forme de
mondialisation, même si elle était beaucoup plus lente. La guerre a
été un des facteurs déterminants de la gravité de la pandémie.
En effet il y avait beaucoup de déplacements: les militaires qui
rentraient chez eux, mais aussi les déplacés, les réfugiés qui
étaient nombreux. Les scènes de liesse de l’Armistice et de la
démobilisation ont accéléré la diffusion du virus. Les systèmes
immunitaires étaient fragilisés par les privations. Certains
scientifiques estiment que les conditions de la guerre ont
puissamment contribué à la virulence du virus. Normalement, une
nouvelle souche de grippe modère sa virulence avec le temps, car le
virus n’a pas intérêt à tuer l’hôte qui l’héberge. Ainsi,
les grippes saisonnières que nous connaissons ont commencé par des
grippes pandémiques qui se sont «calmées». Mais la grippe
espagnole a rencontré des circonstances exceptionnelles: dans les
tranchées du Nord de la France, des hommes coincés dans des
tranchées, affaiblis, aux poumons parfois compromis par les gaz.
Tout cela a contribué à ce que le virus garde une exceptionnelle
virulence pendant longtemps ».
Question
du journaliste : Comment ont réagi les gouvernements à
l’époque? Ont-ils été efficaces?
« D’abord,
les pays belligérants ont essayé de cacher l’épidémie pour ne
pas nuire au moral des populations. C’est d’ailleurs pour cela
qu’on l’a appelée «grippe espagnole», alors qu’on ne sait
pas
d’où elle est venue: l’Espagne étant neutre pendant le
conflit, il n’y avait pas de censure, et la presse espagnole en a
parlé la première. Puis les gouvernements ont été obligés
d’agir. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont alors mis en
place exactement les mêmes mesures qu’aujourd’hui pour le
coronavirus: des mesures de distanciation sociale, les seules
efficaces en dépit du vaccin. Quarantaine, isolation, masques,
lavage de main: c’était exactement les mêmes recommandations il y
a 100 ans! Avec les mêmes débats. Par exemple, dans un grand
journal parisien, on interrogeait un expert de l’institut Pasteur
sur l’utilité de désinfecter les espaces publics parisiens, et il
répondait que cela était inefficace. Puis
les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est
intéressant, c’est qu’ils ont alors mis en Nous avons les mêmes
réactions que nos aïeux face à une pathologie inconnue.
Autre
question : Quelles conséquences sociales a eu la
grippe espagnole?
Les
conséquences économiques de la grippe espagnole sont incalculables,
d’autant qu’elles se mêlent étroitement à celles de la guerre.
Elle a probablement ralenti le progrès des sociétés touchées
pendant plusieurs années, sinon des décennies. L’épidémie a eu
parfois des conséquences inattendues. Nous avons une mémoire très
occidentale de cette grippe, mais c’est dans les pays du Tiers
Monde qu’elle a le plus tué: 18 millions rien qu’en Inde où
elle a très certainement préparé les esprits à l’indépendance.
La grippe a eu également ce qu’on appelle un «effet moisson»: en
éliminant les individus les plus faibles, elle a laissé une
population plus réduite mais plus saine. Les survivants avaient un
système immunitaire plus solide. La capacité biologique de
reproduction humaine s’était améliorée et plus d’enfants
venaient au monde» l’espérance de vie, notamment masculine, s’est
allongé. Nos systèmes de santé actuels sont largement les produits
de la pandémie de 1918:
c’est à ce moment qu’on s’est rendu compte de la nécessité
d’une médecine socialisée, pour répondre à des épidémies qui
ne peuvent être traités de façon individuelle. Cela a profondément
stimulé la virologie et l’épidémiologie qui étaient alors des
sciences embryonnaires, et contribué à la fondation des premières
agences globales de santé, mais aussi à des outils de surveillance.
La pandémie actuelle de coronavirus nous montre que nos systèmes de
santé sont probablement sous financés pour le vieillissement actuel
de la population. Elle nous amènera forcément à les faire
évoluer ».
Faut-il
se résigner à l’apparition régulière de pandémies?
« Il
y a des pandémies régulièrement. Trois pour le XXe siècle: la
grippe espagnole (50-100 millions), la grippe asiatique en 1957 (2
millions de morts), la grippe de Hong-kong en 1968 (4 millions de
morts). Effectivement très souvent des nouvelles souches de grippe
apparaissent, mais on peut en principe prévenir le passage de
l’animal à l’homme, par exemple en régulant les marchés
d’animaux vivants (wet
markets)
, là d’où est très probablement parti le coronavirus. On a fermé
ces marchés d’animaux vivants après la crise du Sras en 2002 mais
ça n’a pas fonctionné et crée des marchés noirs, car trop de
personnes en dépendaient. Mais ces marchés ne sont qu’une partie
infime du problème: il va falloir repenser tout notre système
d’alimentation, car c’est notamment là le berceau de ces
nouvelles infections de plus en plus fréquentes ».
Monsieur
le maximaliste, vous ne cherchez pas tout de même à défendre
l'ignoble dictature de cet assassin de Lénine ? Et à nous
inventer un livre noir de l'épidémie ?
Voilà
qu'il s'adresse à moi !? Mais bien sûr que si. D'autant plus
que la révolution est directement touchée par l'afflux massifs de
soldats, contaminés, de retour du front et des immenses déplacement
de populations à l'est de l'Europe. La pandémie dite espagnole a
causé plus de morts que les deux guerres mondiales réunies. Elle a
des conséquences de tout ordre à son terme, et je ne listerai pas
toutes les situations cocasses ou immorales qui ont surgi, frénésie
sexuelle à Rio de Janeiro, mais aussi rituels religieux archaïques
à Odessa. Mais ce qui m'intéresse depuis plusieurs articles c'est
de savoir et de comprendre comment « l'Etat des ouvriers et
paysans » de monsieur Lénine, a réagi. Et je vais vous
l'expliquer grâce à cet auteure sinon rien pour vous renseigner dans mes archives ni sur
le web ni dans les collections privées maximalistes. Suivons la
description de Laura Spinney :
« La
première vague de grippe espagnole qui frappa la Russie en mai 1918
fut à peine remarquée dans l'ensemble du pays, sauf à Odessa, où
le docteur Vyacheslav Stefansky enregistra 119 cas à l'hôpital de
la vieille ville. Ce qui surprend, ce n'est pas que la vague soit
passée inaperçue partout ailleurs, mais plutôt que les habitants
d'Odessa l'aient remarquée ».
En
effet, la Russie entière était plus préoccupée et intéressée
par la révolution en cours. Reprenons la description de l'auteure :
« Les
Odessites, connus en Russie pour leur humour persifleur, aimaient à
comparer leur ville à une prostituée qui couche avec un client et
se réveille avec un autre. Au cours de la seule année 1918, la
ville passa des bolcheviques aux Allemands et aux Autrichiens,
suivant les termes du traité de Brest-Litovsk, puis aux
nationalistes ukrainiens et, enfin, aux Français et à leurs alliés
russes blancs. Odessa ne subit pas les violences, connues sous le nom
de Terreur rouge, qui déchirèrent les villes du nord – bien que
la ville n'ait pas complètement échappé aux assassinats, à la
torture et à la répression fomentés par la police secrète
bolchevique, la Tchéka. Elle vécut en revanche l'effondrement de
l'infrastructure administrative nécessaire à l'organisation de la
vie quotidienne, ce qui entraîna des pénuries de nourriture et de
combustible, et créa un vide sécuritaire dont les barons de la
pègre locale s'empressèrent de tirer profit ».
Quelles
étaient les estimations macabres pour l'ensemble du pays, aurait
questionné le croque-mort Salomon ? « Pour la Russie,
l'estimation de 450.000 morts correspond à environ 0,2 % de la
population de l'époque. Si elle était correcte, cela signifierait
que le taux de mortalité subi par le pays à cause de la grippe
serait le plus bas de toute l'Europe, ce qui paraît étonnant dans
un pays en proie à la guerre civile et où toutes les
infrastructures de la vie quotidienne s'étaient effondrées. Le cas
d'Odessa suggère, en réalité, que cette estimation n'était pas
correcte et que le vrai chiffre pourrait être beaucoup plus élevé.
Nous savons que les Odessites étaient souvent touchés par plus
d'une infection en même temps et que les possibilités d'erreur de
diagnostic étaient élevées (…) certains avaient été
simultanément infectés par la typhoïde, la dysenterie, la
tuberculose et d'autres maladies graves ».
Venez-en
aux faits, la dictature bolchevique, elle a fait quoi ?
Tout
doux ! J'y viens. Elle a fait la même chose que la dictature de
Wladimir Macron. Suivons encore la belle Laura :
« Avec
l'arrivée de l'hiver, les quelques zemstvos – ces conseils
provinciaux d'avant la révolution – encore actifs avaient essayé
d'agir en montant des hôpitaux temporaires. « Mais qu'est-ce
que cinquante ou soixante lits quand chaque maison a au moins un
malade qui devrait être isolé, écrivit Léderrey, une goutte dans
l'océan ». En définitive, si l'on applique à l'ensemble du
pays le taux de mortalité de 1,2 % vu plus haut, on aboutit à un
total de 2,7 millions de Russes décédés de grippe espagnole ».
Et
voilà que, oh surprise, n'en déplaise aux accusateurs acharnés
anti-blocheviques, c'est la dictature en Russie qui montre l'exemple
au reste du monde (et en passant par-dessus des annotations
subjectives et ineptes de l'auteure) :
« La
Russie fut donc le premier pays à mettre en œuvre en 1920 un
système de santé centralisé et entièrement gratuit. Il n'était
pas universel car il ne couvrait pas la population rurale, finalement
intégrée en 1969, mais il représentait quand même un énorme pas
en avant. Initiateur de cette avancée majeure, Lénine était
conscient du fait que la réussite de la révolution s'était faite
au prix d'un quasi-anéantissement des classes laborieuses, à cause
de la famine, des épidémies et de la guerre civile. Sous le nouveau
régime, les médecins craignaient les persécutions – les
bolcheviques n'appréciaient guère les intellectuels -, mais Lénine
les détrompa en les impliquant à chaque niveau de la nouvelle
administration sanitaire, mettant dès le départ l'accent sur la
prévention des épidémies et des famines.
La
vision soviétique officielle du médecin du futur fut clairement
explicitée par le gouvernement en 1924, lorsque ce dernier engagea
les écoles de médecine à former les praticiens, entre autres, « à
la capacité d'étudier les conditions sociales et professionnelles
qui favorisent l'émergence de la maladie, non seulement pour la
soigner, mais aussi pour propose des moyens de préventions ».
Lénine avait compris que la médecine devait non seulement être
faite de biologie et d'expérimentation, mais aussi inclure de la
sociologie. C'est d'ailleurs à cette époque là que l'épidémiologie
– la pierre angulaire de la santé publique, qui étudie les causes
et les effets de la maladie – fut enfin reconnue comme une science
à part entière ».
Les
termes de « camps de concentration », qui avaient été
inventés par les anglais lors de la guerre anlo-boer, étaient
conçus en Russie comme refuges humanitaires, mais ils furent envahis
de malades : « La question des prisonniers de guerre
allemands qui étaient encore en Russie se posait également :
devait-on autoriser le retour de ces hommes, dont certains pouvaient
être des agitateurs bolcheviques ? La Britannique Eglantyne
Jebb, fondatrice de Save the children, s'imposa dans le débat en
plaidant en faveur de l'inclusion de tous, y compris des
bolcheviques. Cependant le bureau anti-épidémie n'était pas le
seul à se voir détourné pour des motifs politiques ou perçus
comme tels. La Fondation Rockefeller fût soupçonnée de pratiques
néo-colonialistes déguisées en philanthropie. Selon la Fondation,
sa mission était d'amener les lumières du mode de vie américain
« aux races déprimées et négligées », et elle
maintint en effet des relations étroites avec les hommes d'affaires
et les missionnaires dans les pays où elle dispensait ces lumières
(par la suite, sa réputation sera encore ternie par son implication
dans les programmes eugénistes des nazis) ».
Enfin
concluons cette rapide évocation de la situation en Russie, où on
ne peut nier qu'en plus de l'insubordination des prolétaires russes
et allemands, la pandémie grippale contribua à l'arrêt de la
boucherie mondiale, car les virus sont, je le répète, des vieilles
taupes :
« En
dehors du processus de paix, la grippe eut un impact sur d'autres
événements politique majeurs. En mars 1919, Iakov Sverdlov,
président du Comité exécutif central panrusse, mourut de la grippe
en une semaine. Homme de petite taille, à l'allure autoritaire et à
la voix grave, souvent revêtu de cuir de la tête aux pieds, il
était devenu le bras droit de Lénine après l'attentat qui avait
sérieusement blessé ce dernier en août 1918. Trotski a raconté
que Lénine l'appela au commissariat à la Guerre pour lui annoncer
la mort de Sverdlov : « il est mort, mort, mort ».
Pendant un moment nous fûmes paralysés, le combiné à la main,
chacun écoutant le silence de l'autre au bout du fil. Nous
raccrochâmes, il n'y avait rien d'autre à dire ». Sverdlov
fut enterré sur la place Rouge lors des premières obsèques d'Etat
des bolcheviques. Ses remplaçants allaient se succéder, ne faisant
que passer, tous dépourvus de sa formidable énergie, inadaptés
face à la tâche qui les attendait jusqu'à ce que Staline reprenne
le flambeau en 1922 ».
Dans
ce livre, publié il y a deux ans, l'auteure semblait bien faire
appel à la dictature contre l'individualisme qui est un microbe sans
doute pire que les autres et qui va si bien au mode de vie et de
consommation capitaliste sans tête :
« Lors
des prochaines grippes pandémiques, les autorités de santé devront
introduire des mesures de confinement comme la quarantaine, la
fermeture des écoles et l'interdiction des réunions de masse, dans
l'intérêt de toute la collectivité. Mais comment faire pour que
chacun s'y plie ? Comment persuader les gens de se faire
vacciner tous les ans, puisque l'impunité grégaire est aujourd'hui
la meilleure protection disponible contre la grippe de type
pandémique ? ».
Quoiqu'il
en soit notre camarade national Macron aura été un temps un bon
néo-léniniste, comme dictateur d'Etat sanitaire. Hélas il y avait
une faille dans sa théorie qui confirme qu'il reste un traître pour
le monde hospitalier. A la suite de tant d'autres « réinventeurs »
de l'hôpital voué à être « une entreprise comme les
autres », il écrivait dans son « que faire ? » :
« Là aussi nous avons besoin d'une révolution. Elle passera
par la valorisation prioritaire de
l'acte de prévention. Cela veut
dire qu'il faut confier à d'autres qu'aux médecins les tâches
administratives et inventer de nouveaux métiers pour qu'ils puissent
déléguer des missions » (Révolution p.145).
Pendant
la pandémie la hiérarchie doctorale a continué avec ses abus et
son arrogance, mais elle était doublée dans l'ensemble par ces
messieurs les directeurs issus de l'école de Rennes qui ont appris à
exiger la rentabilité, qui la demandent encore et toujours alors que
la pandémie n'est pas finie. La médecine en France était déjà au
bord de l'explosion à la veille du fléau mondial. Au lieu d'aller
faire les clowns à journalistes sur les plateaux TV, les médecins
en général ne sont plus prêts à se laisser faire. Mais s'ils
n'étaient que la seule ou dernière corporation à rejoindre une
lutte plus générale, inévitable et indispensable ?
Ce
sera alors un état des lieux ou un renversement de l'Etat ?
NOTES
1Je
vous dis aussi dans cette note tout le bien que je pense du livre de Laura
Spinney « La grande tueuse », l'histoire de la grippe
espagnole, ed Albin Michel, 2018.
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