"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

samedi 9 mai 2020

L'après pandémie : REGARDEZ LE GOUVERNEMENT MACRON. C'était la dictature du prolétariat !





« ...pour ne pas déchaîner la guerre civile à l'intérieur d'une ville assiégée par une armée étrangère, on laissa en fonction le même gouvernement ». (…) « Dans la conception des philosophes, l'État est « la réalisation de l'Idée » ou le règne de Dieu sur terre traduit en langage philosophique, le domaine où la vérité et la justice éternelles se réalisent ou doivent se réaliser. De là cette vénération superstitieuse de l'État et de tout ce qui y touche, vénération qui s'installe d'autant plus facilement qu'on est, depuis le berceau, habitué à s'imaginer que toutes les affaires et tous les intérêts communs de la société entière ne sauraient être réglés que comme ils ont été réglés jusqu'ici, c'est-à-dire par l'État et ses autorités dûment établies. Et l'on croit déjà avoir fait un pas d'une hardiesse prodigieuse, quand on s'est affranchi de la foi en la monarchie héréditaire et qu'on jure par la république démocratique. Mais, en réalité, l'État n'est rien d'autre qu'un appareil pour opprimer une classe par un autre, et cela, tout autant dans la république démocratique que dans la monarchie; le moins qu'on puisse en dire, c'est qu'il est un mal dont hérite le prolétariat vainqueur dans la lutte pour la domination de classe et dont, tout comme la Commune, il ne pourra s'empêcher de rogner aussitôt au maximum les côtés les plus nuisibles, jusqu'à ce qu'une génération grandie dans des conditions sociales nouvelles et libres soit en état de se défaire de tout ce bric-à-brac de l'État. Le philistin social-démocrate a été récemment saisi d'une terreur salutaire en entendant prononcer le mot de dictature du prolétariat. Eh bien, messieurs, voulez-vous savoir de quoi cette dictature a l'air  ? Regardez la Commune de Paris. C'était la dictature du prolétariat ».

Engels (Londres, pour le 20e anniversaire de la Commune de Paris. 18 mars 1891).


UNE DICTATURE PAS SI ARBITRAIRE...

Macron affublé de l'auguste barbe de notre cher Friedrich Engels ! Je vois déjà mes lecteurs marxistes puristes ou trotskiens dégénérés faire la grimace de mépris. Je m'en fiche. Les gauchistes, le clan à Mélenchon ne cessent de tirer à boulets rouges sur le gouvernement, blabla et simple surenchère ! Ils auraient peut-être fait pire, comme le petit con Zemmour qui ne cesse de clamer dans sa chaîne sur mesure que cela ne servait à rien de confiner. On aurait voulu les y voir à la place... Certes le gouvernement bourgeois dans la place a lambiné et déconné comme nous l'avons tous souligné plus ou moins. Le plus important, et qu'ignorent ces contestataires, est que la dictature mise en place « pour notre santé », pendant deux mois, avec contrôle des sorties, fortes amendes, n'a ému que les petits bourgeois du barreau et les amis des indigestes indigènes aussi légalistes qu'ils sont racistes. On menace déjà de traîner en justice des ministres qui se sont démenés, parfois en pure perte, parfois en mentant crânement, parfois en en faisant trop dans la pédagogie ou la démagogie, alors que ce ne sont pas ces hommes et ces femmes qui peuvent être visés comme boucs émissaires d'une si longue et si ancienne impéritie des Etats bourgeois, mais le capital qui devrait être traîné en justice, pardon exécuté non par des avocaillons mais par les masses de prolétaires dans la lutte « pour la domination de classe ».
L'immense majorité des « citoyens » est restée disciplinée et « compréhensive ». Cela a été dur, mal vécu, parfois pas si mal que ça, et le sacrifice (relatif) n'en valait-il pas la chandelle ? Certes on a eu le sentiment de vivre le moyen âge. Certes nos gouvernants n'ont pas trouvé mieux que d'aller piocher dans les leçons de la pandémie dite grippe espagnole, « la grande tueuse »1, en 1918 : quarantaine, confinement, masques (avec notre lourde insistance). Certes on a fini par être lassé par tous ces toubibs de « plateau télévisé » qui vinrent plastronner pour ne rien dire, au lieu d'être au boulot.
Je me fiche donc de tous ces clowns qui veulent « porter plainte », comme si une plainte pouvait faire revivre les morts ou redonner espoir en un autre monde. Non, je me tourne vers ces millions de « citoyens » et au milieu de tant de ces ouvriers « invisibles » à qui l'on a seriné depuis si longtemps que la démocratie bourgeoise était une chose précieuse, qu'elle était garante des « libertés individuelles », au point qu'un ardent défenseur du peuple, le petit député de droite Eric Ciotti a assuré qu'elle était « bafouée » par les mesures d'urgence !
Eh bien cher tous, pendant deux mois, vous avez fait l'expérience d'une « dictature d'Etat » ! Oh pas terrible cette dictature. On ne fusilla point. On n'interna point pour désaccords politiques. Il n'y eût ni goulags ni Auschwitz. Ni guerre mondiale, comme l'attendent impatiemment nos maximalistes en chambre, celle qui sert de bouton déclencheur à la révolution internationale. A l'école on vous avait enseigné les horreurs de la « dictature bolchevique ». Pour le cas où vous auriez été distraits en classe, journalistes et historiens officiels se sont chargés, et se chargent de vous alourdir la mémoire depuis cent ans : les révolutions ne mènent qu'à des dictatures sanglantes, guillotines, fusillades et chambres de torture... La pire de toute étant bien sûr la « dictature du prolétariat ».

Voilà que toutes ces âneries dont on vous a bourré le crâne s'évanouissent sous la conduite de Wladimir Illitch Macron ! Et quel manipulateur ce dictateur, il a sans arrêt décidé arbitrairement tout seul ; les journalistes ont même soupçonné qu'il y avait plus qu'un papier à cigarette entre lui et son premier commis. Il a manoeuvré pour sa propre gloire en se servant de notre santé et de nos peurs. Si on laisse à part le lapsus sur la distanciation sociale, faute ministérielle, reconnaissons-lui en revanche une action « collectiviste » en nivelant tous selon le principe de précaution. N'est-on pas baigné dans une société particulièrement « individualiste » qui se branle au prétexte de la « liberté individuelle » ? Par hasard, je suis tombé sur un rapport présenté au Sénat en 2011par le Docteur Didier Raoult, mégalo marseillais certes, plein de bon sens, et de prévision :

« Par ailleurs, les maladies contagieuses contredisent l’évolution individualiste spectaculaire de notre société ces dernières années. En effet, la gestion des maladies infectieuses peut amener à remettre en cause la liberté individuelle. C’est le cas de l’isolement nécessaire pour éviter la contamination lorsque les patients sont contagieux, c’est le cas de la déclaration obligatoire des maladies et c’est le cas de la vaccination obligatoire dans le cadre des maladies contagieuses (…) Ce peut être aussi la justification de l’obligation de soins pour d’autres maladies contagieuses. Les hommes constituant une espèce unique, le comportement individuel des humains peut avoir une conséquence sur la santé de l’ensemble de la population. C’est ainsi que l’on a pu identifier un étudiant guinéen qui a importé le choléra en Afrique noire à partir d’URSS et qui a causé secondairement des millions de morts. Ainsi donc, la liberté individuelle de chacun et les choix personnels peuvent contredire les besoins de la société d’une manière très tangible »2.

Un penseur communiste aurait pu faire le même type de réflexion sans que personne ne le dénonce comme barbare stalinien ou salaud hitlérien. Foin d'un quelconque complexe dans la critique de la démocratie. A partir de la fin du XVIIIe siècle, la jeune République américaine, par exemple, ne cesse de s'agrandir vers l'Ouest évinçant les populations autochtones de leurs terres. En plus de cette
campagne de colonisation, les Indiens d'Amérique subissent depuis le XVIe siècle les effets meurtriers d'un choc épidémiologique inédit. Cette catastrophe s’explique avant tout par des épidémies venues de l’« Ancien Monde ». Les autochtones n’étaient pas immunisés contre les infections virales et bactériennes graves venues d’Eurasie et d’Afrique introduites par les colons européens : variole, grippe, typhus, choléra, peste, oreillons, rougeole ou encore rubéole. Au sud des États-Unis actuels par exemple, on estime que la dépopulation a pu être de l'ordre de 80% dès le XVIe siècle. En 1500, il y avait peut-être 7 millions d’autochtones en Amérique du Nord. Il s’agit, cela dit, d’une estimation, qui fait débat parmi les spécialistes. A la fin du XIXe siècle, les Amérindiens n’étaient plus que 375 000.

Je rappelle cet aspect de la démocratie « conquérante » non pour en nier la nécessité historique, passagère, ni pour ergoter que dans la vie il n'y a pas que la révolution ou la guerre, ou l'inverse, mais parce que les périodes de dictature dans l'histoire de l'humanité n'ont pas toutes signifié les horreurs qu'on leur attribue au nom justement de cette fichtre de «liberté individuelle », ambiguë et perverse si la communauté humaine en vient à être en danger. Il faut un « Etat fort » dans les circonstances dramatiques, et vous serez bien obligés de reconnaître que la plupart de nos Etats modernes, dans les dramatiques circonstances actuelles ont été obligés de se « bolcheviser », de jouer aux fortiches, même un peu trop sur le plan de la morale.

Ils ont tous pris pour exemple les leçons « prophylactiques » d'une période dont nous, minorité maximaliste, ne tirons pas les mêmes leçons politiques, quoique on nous taxe de ringardise. Aidons-nous de cette excellente auteure Laura Spinney, répondant à une interview, mais n'allez pas croire que l'histoire se répète :

« Entre mars 1918 et juillet 1921, la grippe espagnole s’est déployée en trois vagues: une première, modérée, qui ressemblait à une grippe saisonnière, une deuxième très virulente où ont eu lieu la plupart des décès, de mi-septembre à mi décembre 1918, et une troisième vague moins virulente. La plupart des morts ont eu lieu en trois mois. À l’époque il existait déjà une forme de mondialisation, même si elle était beaucoup plus lente. La guerre a été un des facteurs déterminants de la gravité de la pandémie. En effet il y avait beaucoup de déplacements: les militaires qui rentraient chez eux, mais aussi les déplacés, les réfugiés qui étaient nombreux. Les scènes de liesse de l’Armistice et de la démobilisation ont accéléré la diffusion du virus. Les systèmes immunitaires étaient fragilisés par les privations. Certains scientifiques estiment que les conditions de la guerre ont puissamment contribué à la virulence du virus. Normalement, une nouvelle souche de grippe modère sa virulence avec le temps, car le virus n’a pas intérêt à tuer l’hôte qui l’héberge. Ainsi, les grippes saisonnières que nous connaissons ont commencé par des grippes pandémiques qui se sont «calmées». Mais la grippe espagnole a rencontré des circonstances exceptionnelles: dans les tranchées du Nord de la France, des hommes coincés dans des tranchées, affaiblis, aux poumons parfois compromis par les gaz. Tout cela a contribué à ce que le virus garde une exceptionnelle virulence pendant longtemps ».

Question du journaliste : Comment ont réagi les gouvernements à l’époque? Ont-ils été efficaces?

« D’abord, les pays belligérants ont essayé de cacher l’épidémie pour ne pas nuire au moral des populations. C’est d’ailleurs pour cela qu’on l’a appelée «grippe espagnole», alors qu’on ne sait pas
d’où elle est venue: l’Espagne étant neutre pendant le conflit, il n’y avait pas de censure, et la presse espagnole en a parlé la première. Puis les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont alors mis en place exactement les mêmes mesures qu’aujourd’hui pour le coronavirus: des mesures de distanciation sociale, les seules efficaces en dépit du vaccin. Quarantaine, isolation, masques, lavage de main: c’était exactement les mêmes recommandations il y a 100 ans! Avec les mêmes débats. Par exemple, dans un grand journal parisien, on interrogeait un expert de l’institut Pasteur sur l’utilité de désinfecter les espaces publics parisiens, et il répondait que cela était inefficace. Puis les gouvernements ont été obligés d’agir. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ont alors mis en Nous avons les mêmes réactions que nos aïeux face à une pathologie inconnue.

Autre question : Quelles conséquences sociales a eu la grippe espagnole?

Les conséquences économiques de la grippe espagnole sont incalculables, d’autant qu’elles se mêlent étroitement à celles de la guerre. Elle a probablement ralenti le progrès des sociétés touchées pendant plusieurs années, sinon des décennies. L’épidémie a eu parfois des conséquences inattendues. Nous avons une mémoire très occidentale de cette grippe, mais c’est dans les pays du Tiers Monde qu’elle a le plus tué: 18 millions rien qu’en Inde où elle a très certainement préparé les esprits à l’indépendance. La grippe a eu également ce qu’on appelle un «effet moisson»: en éliminant les individus les plus faibles, elle a laissé une population plus réduite mais plus saine. Les survivants avaient un système immunitaire plus solide. La capacité biologique de reproduction humaine s’était améliorée et plus d’enfants venaient au monde» l’espérance de vie, notamment masculine, s’est allongé. Nos systèmes de santé actuels sont largement les produits de la pandémie de 1918: c’est à ce moment qu’on s’est rendu compte de la nécessité d’une médecine socialisée, pour répondre à des épidémies qui ne peuvent être traités de façon individuelle. Cela a profondément stimulé la virologie et l’épidémiologie qui étaient alors des sciences embryonnaires, et contribué à la fondation des premières agences globales de santé, mais aussi à des outils de surveillance. La pandémie actuelle de coronavirus nous montre que nos systèmes de santé sont probablement sous financés pour le vieillissement actuel de la population. Elle nous amènera forcément à les faire évoluer ».

Faut-il se résigner à l’apparition régulière de pandémies?

« Il y a des pandémies régulièrement. Trois pour le XXe siècle: la grippe espagnole (50-100 millions), la grippe asiatique en 1957 (2 millions de morts), la grippe de Hong-kong en 1968 (4 millions de morts). Effectivement très souvent des nouvelles souches de grippe apparaissent, mais on peut en principe prévenir le passage de l’animal à l’homme, par exemple en régulant les marchés d’animaux vivants (wet markets) , là d’où est très probablement parti le coronavirus. On a fermé ces marchés d’animaux vivants après la crise du Sras en 2002 mais ça n’a pas fonctionné et crée des marchés noirs, car trop de personnes en dépendaient. Mais ces marchés ne sont qu’une partie infime du problème: il va falloir repenser tout notre système d’alimentation, car c’est notamment là le berceau de ces nouvelles infections de plus en plus fréquentes ».


Monsieur le maximaliste, vous ne cherchez pas tout de même à défendre l'ignoble dictature de cet assassin de Lénine ? Et à nous inventer un livre noir de l'épidémie ?

Voilà qu'il s'adresse à moi !? Mais bien sûr que si. D'autant plus que la révolution est directement touchée par l'afflux massifs de soldats, contaminés, de retour du front et des immenses déplacement de populations à l'est de l'Europe. La pandémie dite espagnole a causé plus de morts que les deux guerres mondiales réunies. Elle a des conséquences de tout ordre à son terme, et je ne listerai pas toutes les situations cocasses ou immorales qui ont surgi, frénésie sexuelle à Rio de Janeiro, mais aussi rituels religieux archaïques à Odessa. Mais ce qui m'intéresse depuis plusieurs articles c'est de savoir et de comprendre comment « l'Etat des ouvriers et paysans » de monsieur Lénine, a réagi. Et je vais vous l'expliquer grâce à cet auteure sinon rien pour vous renseigner dans mes archives ni sur le web ni dans les collections privées maximalistes. Suivons la description de Laura Spinney :

« La première vague de grippe espagnole qui frappa la Russie en mai 1918 fut à peine remarquée dans l'ensemble du pays, sauf à Odessa, où le docteur Vyacheslav Stefansky enregistra 119 cas à l'hôpital de la vieille ville. Ce qui surprend, ce n'est pas que la vague soit passée inaperçue partout ailleurs, mais plutôt que les habitants d'Odessa l'aient remarquée ».
En effet, la Russie entière était plus préoccupée et intéressée par la révolution en cours. Reprenons la description de l'auteure :
« Les Odessites, connus en Russie pour leur humour persifleur, aimaient à comparer leur ville à une prostituée qui couche avec un client et se réveille avec un autre. Au cours de la seule année 1918, la ville passa des bolcheviques aux Allemands et aux Autrichiens, suivant les termes du traité de Brest-Litovsk, puis aux nationalistes ukrainiens et, enfin, aux Français et à leurs alliés russes blancs. Odessa ne subit pas les violences, connues sous le nom de Terreur rouge, qui déchirèrent les villes du nord – bien que la ville n'ait pas complètement échappé aux assassinats, à la torture et à la répression fomentés par la police secrète bolchevique, la Tchéka. Elle vécut en revanche l'effondrement de l'infrastructure administrative nécessaire à l'organisation de la vie quotidienne, ce qui entraîna des pénuries de nourriture et de combustible, et créa un vide sécuritaire dont les barons de la pègre locale s'empressèrent de tirer profit ».
Quelles étaient les estimations macabres pour l'ensemble du pays, aurait questionné le croque-mort Salomon ? « Pour la Russie, l'estimation de 450.000 morts correspond à environ 0,2 % de la population de l'époque. Si elle était correcte, cela signifierait que le taux de mortalité subi par le pays à cause de la grippe serait le plus bas de toute l'Europe, ce qui paraît étonnant dans un pays en proie à la guerre civile et où toutes les infrastructures de la vie quotidienne s'étaient effondrées. Le cas d'Odessa suggère, en réalité, que cette estimation n'était pas correcte et que le vrai chiffre pourrait être beaucoup plus élevé. Nous savons que les Odessites étaient souvent touchés par plus d'une infection en même temps et que les possibilités d'erreur de diagnostic étaient élevées (…) certains avaient été simultanément infectés par la typhoïde, la dysenterie, la tuberculose et d'autres maladies graves ».

Venez-en aux faits, la dictature bolchevique, elle a fait quoi ?

Tout doux ! J'y viens. Elle a fait la même chose que la dictature de Wladimir Macron. Suivons encore la belle Laura :
« Avec l'arrivée de l'hiver, les quelques zemstvos – ces conseils provinciaux d'avant la révolution – encore actifs avaient essayé d'agir en montant des hôpitaux temporaires. « Mais qu'est-ce que cinquante ou soixante lits quand chaque maison a au moins un malade qui devrait être isolé, écrivit Léderrey, une goutte dans l'océan ». En définitive, si l'on applique à l'ensemble du pays le taux de mortalité de 1,2 % vu plus haut, on aboutit à un total de 2,7 millions de Russes décédés de grippe espagnole ».
Et voilà que, oh surprise, n'en déplaise aux accusateurs acharnés anti-blocheviques, c'est la dictature en Russie qui montre l'exemple au reste du monde (et en passant par-dessus des annotations subjectives et ineptes de l'auteure) :
« La Russie fut donc le premier pays à mettre en œuvre en 1920 un système de santé centralisé et entièrement gratuit. Il n'était pas universel car il ne couvrait pas la population rurale, finalement intégrée en 1969, mais il représentait quand même un énorme pas en avant. Initiateur de cette avancée majeure, Lénine était conscient du fait que la réussite de la révolution s'était faite au prix d'un quasi-anéantissement des classes laborieuses, à cause de la famine, des épidémies et de la guerre civile. Sous le nouveau régime, les médecins craignaient les persécutions – les bolcheviques n'appréciaient guère les intellectuels -, mais Lénine les détrompa en les impliquant à chaque niveau de la nouvelle administration sanitaire, mettant dès le départ l'accent sur la prévention des épidémies et des famines.
La vision soviétique officielle du médecin du futur fut clairement explicitée par le gouvernement en 1924, lorsque ce dernier engagea les écoles de médecine à former les praticiens, entre autres, « à la capacité d'étudier les conditions sociales et professionnelles qui favorisent l'émergence de la maladie, non seulement pour la soigner, mais aussi pour propose des moyens de préventions ». Lénine avait compris que la médecine devait non seulement être faite de biologie et d'expérimentation, mais aussi inclure de la sociologie. C'est d'ailleurs à cette époque là que l'épidémiologie – la pierre angulaire de la santé publique, qui étudie les causes et les effets de la maladie – fut enfin reconnue comme une science à part entière ».
Les termes de « camps de concentration », qui avaient été inventés par les anglais lors de la guerre anlo-boer, étaient conçus en Russie comme refuges humanitaires, mais ils furent envahis de malades : « La question des prisonniers de guerre allemands qui étaient encore en Russie se posait également : devait-on autoriser le retour de ces hommes, dont certains pouvaient être des agitateurs bolcheviques ? La Britannique Eglantyne Jebb, fondatrice de Save the children, s'imposa dans le débat en plaidant en faveur de l'inclusion de tous, y compris des bolcheviques. Cependant le bureau anti-épidémie n'était pas le seul à se voir détourné pour des motifs politiques ou perçus comme tels. La Fondation Rockefeller fût soupçonnée de pratiques néo-colonialistes déguisées en philanthropie. Selon la Fondation, sa mission était d'amener les lumières du mode de vie américain « aux races déprimées et négligées », et elle maintint en effet des relations étroites avec les hommes d'affaires et les missionnaires dans les pays où elle dispensait ces lumières (par la suite, sa réputation sera encore ternie par son implication dans les programmes eugénistes des nazis) ».

Enfin concluons cette rapide évocation de la situation en Russie, où on ne peut nier qu'en plus de l'insubordination des prolétaires russes et allemands, la pandémie grippale contribua à l'arrêt de la boucherie mondiale, car les virus sont, je le répète, des vieilles taupes :

« En dehors du processus de paix, la grippe eut un impact sur d'autres événements politique majeurs. En mars 1919, Iakov Sverdlov, président du Comité exécutif central panrusse, mourut de la grippe en une semaine. Homme de petite taille, à l'allure autoritaire et à la voix grave, souvent revêtu de cuir de la tête aux pieds, il était devenu le bras droit de Lénine après l'attentat qui avait sérieusement blessé ce dernier en août 1918. Trotski a raconté que Lénine l'appela au commissariat à la Guerre pour lui annoncer la mort de Sverdlov : « il est mort, mort, mort ». Pendant un moment nous fûmes paralysés, le combiné à la main, chacun écoutant le silence de l'autre au bout du fil. Nous raccrochâmes, il n'y avait rien d'autre à dire ». Sverdlov fut enterré sur la place Rouge lors des premières obsèques d'Etat des bolcheviques. Ses remplaçants allaient se succéder, ne faisant que passer, tous dépourvus de sa formidable énergie, inadaptés face à la tâche qui les attendait jusqu'à ce que Staline reprenne le flambeau en 1922 ».

Dans ce livre, publié il y a deux ans, l'auteure semblait bien faire appel à la dictature contre l'individualisme qui est un microbe sans doute pire que les autres et qui va si bien au mode de vie et de consommation capitaliste sans tête :
« Lors des prochaines grippes pandémiques, les autorités de santé devront introduire des mesures de confinement comme la quarantaine, la fermeture des écoles et l'interdiction des réunions de masse, dans l'intérêt de toute la collectivité. Mais comment faire pour que chacun s'y plie ? Comment persuader les gens de se faire vacciner tous les ans, puisque l'impunité grégaire est aujourd'hui la meilleure protection disponible contre la grippe de type pandémique ? ».

Quoiqu'il en soit notre camarade national Macron aura été un temps un bon néo-léniniste, comme dictateur d'Etat sanitaire. Hélas il y avait une faille dans sa théorie qui confirme qu'il reste un traître pour le monde hospitalier. A la suite de tant d'autres « réinventeurs » de l'hôpital voué à être « une entreprise comme les autres », il écrivait dans son « que faire ? » : « Là aussi nous avons besoin d'une révolution. Elle passera par la valorisation prioritaire de
l'acte de prévention. Cela veut dire qu'il faut confier à d'autres qu'aux médecins les tâches administratives et inventer de nouveaux métiers pour qu'ils puissent déléguer des missions » (Révolution p.145).
Pendant la pandémie la hiérarchie doctorale a continué avec ses abus et son arrogance, mais elle était doublée dans l'ensemble par ces messieurs les directeurs issus de l'école de Rennes qui ont appris à exiger la rentabilité, qui la demandent encore et toujours alors que la pandémie n'est pas finie. La médecine en France était déjà au bord de l'explosion à la veille du fléau mondial. Au lieu d'aller faire les clowns à journalistes sur les plateaux TV, les médecins en général ne sont plus prêts à se laisser faire. Mais s'ils n'étaient que la seule ou dernière corporation à rejoindre une lutte plus générale, inévitable et indispensable ?

Ce sera alors un état des lieux ou un renversement de l'Etat ?



NOTES

1Je vous dis aussi dans cette note tout le bien que je pense du livre de Laura Spinney « La grande tueuse », l'histoire de la grippe espagnole, ed Albin Michel, 2018.
2 Rapport de Mission Pr. Didier Raoult http://blogs.senat.fr/maladies-emergentes/files/Rapport-Raoult-Bioterrorisme.pdf 29 juillet 2010. A côté d'une intéressante analyse de la réalité du bioterrorisme, très pointue chez les américains (ce qui ne les a pas empêché d'être complètement débordés par le convid-19, ll a,comme vous pouvez le lire, à peu près tout prévu de la situation actuelle, mais avec toujours cette arrogance de mégalomaniaque qui ridiculise ponctuellement son discours, avec des phrases comme ci comme çà : « Oui, mais la base de la sagesse est la plus grande manifestation de l'orgueil ». « Je reconnais mes erreurs très volontiers, mais ce n'est pas du tout une manifestation de modestie ».

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