« Pour
saisir la liaison intime entre la faim qui torture les couches les
plus travailleuses de la société et l'accumulation capitaliste,
avec son corollaire, la surconsommation grossière ou raffinée des
riches, il faut connaître les lois économiques ».
Marx,
Le Capital.
« Article
5. Manger à la même table qu’un prêtre exclut ; on
s’excommunie par là de la société honnête. Le prêtre est notre
tchandala1
- il faut le mettre en quarantaine, l’affamer, le bannir dans les
pires déserts ».
Nietzsche
(L'Antéchrist)
« Toutes
les cinq secondes un enfant meurt de faim dans le monde actuel
assassiné par l'ordre cannibale capitaliste ».
Jean
Ziegler
Le
mode de domination idéologique des humains est quasi le même par
delà les siècles : la culpabilisation par les dominants face à
un dieu imaginaire au-dessus des hommes. Les végans ne sont qu'une
variété de curés en charge de diffuser une nouvelle morale
alimentaire « niveleuse » (pour ne pas dire
égalitariste), avec ce degré de perversion que savent si bien
manier les pervers : « Comment se fait-il que des
personnes par ailleurs intelligentes, progressistes et sensibles aux
injustices, se crispent lorsque l'on évoque la souffrance dissimulée
dans les rillettes ou le foie gras », pérore un de ces
sectateurs. Le même vient nous raconter, dans l'espoir de nous
culpabiliser totalement, que notre régime alimentaire est
responsable du réchauffement de la planète2,
cette nouvelle grande excuse des partisans du capitalisme écologique.
Sans
que l'on puisse en dater exactement les débuts, cette mode à bobos,
le véganisme (terme anglais a été
inventé en 1944, à partir du mot vegetarian (VEG-etari-AN)
prétend s'imposer non seulement comme un régime alimentaire, mais
surtout plus largement que le végétalisme qui se limitait à un
régime alimentaire, comme un nouveau paradigme faisant fi des
classes sociales. Ce mouvement, qui a toutes les allures de “secte”
fait des émules du genre pontifiant arrogant à la petit journaliste
Aymeric Caron3,
y compris chez les adolescents (dont certains sont bien maigres et
pâles), sans qu’une réflexion soit menée sur ses soubassements
et ses conséquences, ni sur l'indice de priorité politique de cette
question. La polémique entre végans et anti-végans est très
violente, presqu'autant qu'un mal d'estomac, presqu'autant que les
anciennes bagarres entre gauche et droite bourgeoises ; les
résidus des gauches gouvernementales et des sectes trotskiennes
posent déjà au véganisme anti-capitaliste, de Mélenchon à
Hamon ; être végan désormais une nouvelle façon d'être « de
gauche » insoumise? La lutte véganiste est très
procédurière sur le plan juridique et enrichit les avocats4.
Elle secoue les politiciens professionnels. Un
projet de loi contre les parents qui imposeront le régime végan à
leurs enfants pourrait leur faire encourir jusqu'à deux ans de
prison. Au cours des derniers mois, l'Italie a connu quatre cas
d'enfants
devant être hospitalisés pour malnutrition et ceux-ci suivaient un
régime vegan5.
Pour cette députée
centre-droit qui propose cette loi, le régime vegan "entraîne
des déficiences en zinc, fer, vitamine D, vitamine B12 et oméga-3".
On
trouve aussi un débat récurrent dans le milieu végane: une
relation amoureuse entre un(e) omnivore et un(e) végane est-elle
possible?
« Je
suis une personne engagée et mon engagement est palpable dans tous
les aspects de ma vie
quotidienne. Je ne demande pas à mon conjoint
qu'il soit lui aussi proactif dans le véganisme, mais il doit faire
preuve de tolérance envers mes convictions. Un mec qui râlerait
parce que je demande au chef de rayon peinture chez Leroy Merlin si
les poils du pinceau sont synthétiques ou proviennent d'animaux? Un
mec qui ferait les gros yeux quand je questionne le serveur au resto
sur la composition de la vinaigrette ou des pâtes? On ne pourrait
pas faire longue route tous les deux.
D'un
point de vue pratique, être végane et vivre avec un omnivore peut
vite devenir problématique ».
Une
recette conservatrice et réformiste pour un monde capitaliste
meilleur, écolo-compatible ou une simple resucée de l'idéologie
marginale hippie avec l'esprit d'entrepreneur en plus ? Et
qui écarte le fond du problème, la marche à l'abîme du
capitalisme : « La
démographie sera assurément l’un des enjeux majeurs de notre
siècle. Alors qu’un milliard d’êtres humains souffrent déjà
de malnutrition, la population mondiale ne cesse de croître, pour
atteindre sept milliards à la fin octobre, et plus de neuf milliards
d’ici 2050. Dans le même temps, l’agriculture, qui ne parvient
plus à nourrir toutes ces bouches, pollue toujours plus la planète,
en dégradant les sols, les nappes phréatiques, la biodiversité et
en rejetant 20 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales6.
Manger
de la viande serait-il devenu un péché ?
Je
dois avouer ne pas être insensible à cette propagande insidieuse,
pas totalement dénuée de conscience (morale s'entend) ; je ne
mange plus de poulet vu son traitement en batterie et je n'ai jamais
été un fana de la viande. Comme les couches aisées je me suis
rabattu sans état d'âme sur le poisson. Paradoxe: l'ennemi pour le
végan moyen, c'est la prodigieuse diversité des aliments résultant
de l'industrialisation de l'agriculture et des techniques de
conservation au cours du siècle passé: depuis la stérilisation
mise au point au XIXe siècle par un Français, Nicolas Appert – un
procédé qui, pour la première fois dans l'histoire, assurait une
sécurité alimentaire quasi totale – jusqu'à la pasteurisation,
la congélation, le sous-vide, etc. Sans préjuger du type d'animal
qui est congelé...
Avec
l'industrialisation et la rapide expansion des importations, un
nouveau rapport s'est établi entre les humains et la nourriture;
laquelle leur est de plus en plus fréquemment offerte sous la forme
d'un prêt à consommer tel que, dans la plupart des foyers, l'acte
de dégeler et de réchauffer un mets dans une cage à ondes
d'invention récente a remplacé l'art antique de cuisiner sur un
poêle. Comme la machine à laver, le four à micro ondes a permis de
privilégier le parcours en métro pour aller au travail au détriment
du temps de préparation des repas. Le soja même réchauffé lui
aussi ne conférera jamais autant de calories que la viande, et la
productivité des travailleurs des pays développé s'effondrerait
rapidos à mon sens s'ils devenaient végans intégraux.
Dans
la mythologie biblique, Noé est le premier homme que Dieu autorise à
manger de la viande : «
Tout ce qui se meut et qui a vie vous servira de nourriture : je vous
donne tout cela comme l'herbe verte. »
Mais à une condition : «
Vous ne mangerez point de chair avec son âme, avec son sang »
(Genèse, IX, 3-4)7.
Je ne pensais pas que le très ancien discours protecteur des animaux
d'une Brigitte Bardot, aurait une telle postérité, jusqu'à
remettre en cause peu ou prou nos modes de consommation de la
nourriture, et je pense aussi à nous robustes marxistes
consommateurs sans état d'âme depuis plus d'un siècle de
nourriture carnée et cramée lors de tant de congrès ou réunions
merguez-poulet.
Aucun congrès du
mouvement ouvrier ne mentionne la cause animale tout en regrettant
sans cesse que les travailleurs soient traités en effet comme des
animaux. Dans La
situation des classes laborieuses en Angleterre
publié en 1845, Engels évoque la malbouffe du prolétariat et
revient sur un phénomène bien connu à Londres concernant la
qualité du pain où on allait jusqu’à mélanger la farine avec du
plâtre pour réduire les coûts de production. Engels et Marx
évoquent ce phénomène en le liant à la théorie de la valeur,
colonne vertébrale de la pensée marxiste. Parce que le capital
cherche à diminuer la valeur de la force de travail, il lui faut
agir pour faire baisser la valeur des produits nécessaires à la
vie, à la reproduction sociale8.
Nos
processus digestifs actuels sont le fruit d'une adaptation sociétale
aux produits de la nature s'étalant sur 50 000 ans! Nos ancêtres de
la préhistoire étaient des chasseurs-cueilleurs et ils ont
vraisemblablement eux aussi vécu avec modes de consommation diverse
de la nourriture, selon les saisons et les climats, et ingurgités
les aliments sous deux formes: crus ou cuits. Bien qu'on ne soit pas
bien informé sur le déroulement de l'évolution de la consommation
de viandes, il semble qu'à un moment de l'histoire lointaine les
hommes aient mis fin par eux-mêmes à l'anthropophagie, et qu'au
cannibalisme (gibier humain) ait succédé l'aire carnivore encore
contemporaine qui choque tant nos bobos végans.
CONSOMMATION
DIFFERENCIEE DES CLASSES SOCIALES
Sortons
le lapin du terrier. Ce n'est pas tant le type de consommation et de
cuisine qui importe, car le combat des végans n'est pas politique au
fond, voire infra-politique9,
mais, malgré l’essor de la consommation de masse et les ilots de
consommateurs végans, que les différences sociales n’ont pas
disparu en matière d’alimentation. Elles ont évolué, se sont
déplacées et parfois inversées. La faim a toujours été d'abord
le lot des classes dominées qui ne sont jamais demandé s'il fallait
consommer ou pas de la viande animale. On note par après que la
consommation de poisson reste plus fréquente dans les foyers plus
aisés, quand celle de viande, jadis réservée aux catégories
favorisées, est désormais plus importante dans le bas de l’échelle
sociale. Dans l'Egypte antique comme au Moyen âge la viande était
plus chère, et donc plus prestigieuse, réservée aux vizirs puis
aux nobliaux en Europe ; le gibier ne se trouvait que sur les
tables des seigneurs, le manant se contentait de féculents.
Avec
leur reprise islamophile de la notion d'interdit alimentaire, nos
bobos végans frappent en dessous de l'estomac comme si nous pouvions
prendre chacun, individuellement, la décision de changer
radicalement la façon de se nourrir, voire de déserter les
supermarchés pour accorder le temps des weekend à aller acheter
directement chez le producteur à la campagne (idéologie bobio
« équitable » sur le mode partage mais toujours modèle
de marchandisation capitaliste). La question de l’interdit
alimentaire est bien plus complexe. Faudrait-il par exemple l’adapter
immédiatement ? Qui peut vraiment en décider ?10
Manger des escargots, des serpents, des sauterelles, des rats, est-ce
qu'on demande la permission en cas de disette et à qui?
Personne ne le sait tant qu’une fatwa n’en a pas explicitement
décourage ou encouragé la consommation. Peut-on boire l'eau de la
cuve de réserve si, sur un bateau de pêche, un facétieux y a versé
deux litres de vin, et que l’équipage est encore loin du port
d'attache ? L'interdit alimentaire est de type totalitaire et du
domaine de la superstition ésotérique, commun au nazisme et à
l'islamisme, il ne relève pas du tout de la décision individuelle
mais des frontières mises par les dominants pour aliéner notre
liberté. A chaque époque, le mode d'alimentation a été orienté
et contrôlé par les Etats, sans oublier l'organisation de la famine
par les dictateurs (Hitler pour les juifs et la plupart des
prisonniers, Staline pour les ukrainiens, etc .). Les rois de
France avaient imposé des boulangeries dans tous les quartiers de
Paris pour éviter les émeutes de la faim.
Un
tournant important se situe à la fin de l'Antiquité, c'est le
passage de l'alimentation gréco-romaine, à base de céréales, à
une alimentation nordique11,
à base de viande, qui s'est probablement déroulé sur une longue
durée sans que les sociétés en aient la maîtrise. Nous sommes
devenus de plus en plus carnivores12.
Il se peut d'ailleurs que le christianisme ait favorisé ce
changement d'attitude, en même temps qu'il unifiait les peuples :
à son apogée on pouvait tous manger à la même table ! Le
capitalisme moderne a fait le reste. En
1933 aux Etats-Unis. le ministère de la santé avait préparé une
campagne qui s’adressait aux plus pauvres, et se résumait ainsi:
ne mangez pas de fruits et de légumes, parce qu’ils ne contiennent
que de l’eau et de la cellulose non digeste. Vous dépensez donc de
l’argent pour rien. Achetez plutôt des bas morceaux en boucherie,
parce qu’ils contiennent davantage de gras, et donc plus
d’énergie ».
Les
Grecs et les Romains considéraient la viande comme un aliment
d'exception: il fallait tuer pour se la procurer, ce qui exigeait le
pardon des dieux. L'histoire de l'alimentation est un révélateur
impitoyable de l'histoire des sociétés de classes. On voit bien que
certains aliments sont, par exemple, des facteurs d'inégalité
sociale. La différence la plus marquante, c'est le pain: noir pour
le peuple; blanc pour les élites. A Florence, dès le XV ème
siècle, les citadins refusent le pain noir. C'est aussi le cas pour
le vin: les aristocrates choisissent le vin blanc ou le vin clairet -
vin rouge clair - alors que les paysans boivent du «noir», d'un
rouge très foncé. Au Moyen Age, les paysans mangeaient des racines
(carottes, navets, raves, etc.), les seigneurs, jamais. La viande,
également, manifeste une différence sociale: les gens du peuple
consommaient surtout du boeuf en ville et du porc à la campagne -
viandes «grossières», selon les représentations de l'époque. Les
seigneurs, eux, choisissaient des volailles et ne craignaient par de
servir, au cours de leurs festins, cormorans, paons, cygnes, grues,
hérons... 13
Malgré
l’essor de la consommation de masse, les différences sociales
n’ont pas disparu en matière d’alimentation. Elles ont évolué,
se sont déplacées et parfois inversées: ainsi, alors que la
consommation de poisson reste plus fréquente dans les foyers plus
aisés, celle de viande, jadis réservée aux catégories favorisées,
est désormais plus importante dans le bas de l’échelle sociale.
Les achats de produits porteurs de signes de qualité, comme les
produits biologiques, équitables (sic!) ou AOC, sont assez nettement
corrélés au niveau de revenu, de même que le recours au restaurant
(les enseignes telles que le Mc Do ne peuvent décemment pas postuler
au titre de restaurant) ; la malbouffe est si visible en
banlieue, comme l'obésité aux Etats Unis (40% de la population).
L'expansion idéologique du véganisme est d'ailleurs limitée par
les contraintes économiques et l'absence de choix des catégories
inférieures.
L'alimentation
est l'élément constitutif d’une culture au même titre que la
langue ou les croyances ; elle est un support de l’identité
des groupes sociaux. Les pratiques alimentaires permettent en effet à
un groupe d’affirmer sa différence par rapport aux autres, et
ainsi de se souder et de se pérenniser. Au début du XXe siècle, le
sociologue Maurice Halbwachs, dans ses travaux sur la classe
ouvrière, mettait en évidence, en s’appuyant sur des enquêtes,
les liens entre classes sociales et niveaux de consommation de
produits alimentaires tels la viande, le pain, le beurre ou les
légumes. Plusieurs
facteurs sont à l’origine de la diversification de la consommation
alimentaire et de la hausse de la qualité des produits, au premier
rang desquels viennent l’amélioration du niveau de vie, sensible
depuis le milieu du XIXe siècle, les progrès des techniques
agricoles et la révolution des transports14.
L’essor
de la consommation de masse, à l’œuvre depuis la Seconde Guerre
mondiale, se serait traduit par une relative uniformisation des
habitudes alimentaires. De façon finalement éphémère, l’essor
de la grande distribution, l’industrialisation de la production et
les moyens de transport modernes, qui ont permis d’acheminer les
produits des pays les plus lointains à moindre frais, ont été
autant de facteurs qui ont permis une «démocratisation» de la
plupart des produits alimentaires auparavant réservés à une élite
(café, épices, fruits exotiques, viande rouge, glaces, etc), mais
le véganisme peut par contre servir à contre courant au retour du
produit « national », « bien de chez nous »
et au rejet des tomates espagnoles sans saveur et cueillies par des
migrants affamés... Désormais c'est à une diversification des
modes de consommation, religieuses, éthiques, végétarienne, etc.
que l'on assiste. En gros, on ne peut plus manger à la même table.
On ne sait même plus s'il est sain ou moral de manger, d'autant
qu'il faut manger vite sous le règne de la pizza et du sandwich tout
compris15.
La gestion des cantines scolaires est devenue une horreur.
Contrairement
aux petits bourgeois végans et hors réalité, l'Etat ne plaisante
pas lui sur la question de l'alimentation. Il faut lire l'analyse du
Centre d'études et de prospective d'octobre 2013 pour le vérifier :
- les différences sociales n'ont pas disparu en matière d'alimentation ;
- l'alimentation est un support de l'identité des groupes sociaux ;
- la première différence sociale en matière d'alimentation est financière, plus les ménages sont pauvres, plus la part de leur budget consacrée à l'alimentation est élevée ;
- certains produits sont de véritables marqueurs sociaux ;
- vin et viande : inversion des marqueurs sociaux ;
- les cadres, professions intermédiaires sont sur-représentés parmi les végétariens ;
- les boissons sucrées (sirops, sodas) sont privilégiées par les personnes de faible revenu ;
- les ouvriers consomment beaucoup plus de sandwichs, de pizzas/quiches et de viennoiseries ;
- pour les catégories modestes, l'important est d'offrir une abondance d'aliments nourrissants pour conjurer « la peur de manquer » ;
- le végétarisme reste l'apanage des catégories supérieures ;
- les conduites alimentaires, malgré les tendances à l'uniformisation ou à la « moyennisation » de la consommation, restent, d'après les différentes enquêtes disponibles, conditionnées par l'appartenance à une catégorie sociale ou à un niveau de revenu.
Surconsommation
mondiale et toujours la famine...
“Ventre
affamé n’a point d’oreilles“.
De
tout temps, le prix du pain a été l’élément déclencheur des
grands bouleversements. La faim
dans les révolutions du passé c'est
l'équivalent d'un pic de la crise économique.
L’Égypte
est quant à elle contrainte depuis des années à consacrer jusqu’à
7% de son PIB pour
adoucir le prix des produits de première
nécessité allant même comme en 2008 jusqu'à faire distribuer du pain par l'armée. Du pain et la liberté
réclamaient les émeutiers français de 1789. La faim rend les
échines moins souples et contribue à rendre insupportables les
injustices. La crise alimentaire s’ajoute aux crises économiques
et environnementales. En
1788, les récoltes sont catastrophiques. La France ne produit plus
assez pour nourrir tout le monde. Cette situation entraîne une
hausse des prix – pas seulement du pain, base de l’alimentation
des masses populaires, mais aussi de la viande et du vin. Les gens
les plus démunis sont évidemment les premiers à faire les frais de
cette terrible situation…Que les pauvres meurent de faim, c’est
malheureusement une situation assez banale depuis des siècles, dans
le Royaume de France comme ailleurs. Ça se solde en général par
une révolte des gens d’en bas, qui se font massacrer par l’armée
contrôlée par les gens d’en haut. Même la fameuse révolution
prolétarienne du début du XX ème siècle est concernée d'emblée
par la question de la nourriture. En pleine grève générale le 25
février 1917, avec des slogans très politiques : « A bas
la guerre », « A bas l'autocratie », un authentique
combattant bolchevique comme Alexandre Chliapnikov pense que cela
n'ira pas plus loin qu'une simple émeute de la faim et qu'il ne
s'agit pas d'une révolution en marche. Il se trompe, ce n'est pas en
effet une simple émeute de la faim et c'est le refus de tout
compromis de la part du tsar qui transforme le mouvement en
révolution. Ce n'est pas une révolution de pauvres, comme l'a été
d'une certaine façon la révolution française.
Ersatz de
l'idéologie bourgeoise écologique qui se soucie plus de l'estomac
bio du bobo parisien que de la famine dans le monde16,
le véganisme n'est qu'une reprise du discours anti-Lumières et pour
partie une reprise des lois de la défense de la nature selon le
nazisme (cf. Luc Ferry a en partie raison sur cet aspect) :
protection des animaux ; Hitler était végétarien. Ce n'est
pas l'aspect le moins paradoxal du nazisme qui concevait tout naturel
de gazer les humains juifs mais de ne pas toucher
aux biches. En
1934 Hitler fait imprimer des cartes postales où on le voit nourrir
des biches dans la forêt, avec cette touchante légende : « Le
Führer, ami des animaux ». Pourtant, ni la chasse, ni la
pêche, ni les abattoirs, ni la consommation de chair animale n'ont
été abolis ou combattus en Allemagne nazie. Au contraire, toutes
ces pratiques, faisant des animaux de stricts objets, ont été
encouragées et les « caïds » du nazisme s'adonnèrent à
la chasse sportive ainsi qu'à la vivisection sur des animaux :
en fait, tous les universitaires nazis travaillant dans le domaine de
la recherche en pharmacie ou en biologie, et des médecins SS,
s'adonnèrent sans complexe à ces pratiques, avant, pendant et après
la période du IIIe Reich.
Richard
Darré (taré) un des principaux fabricants de l'idéologie du sang
et du sol n’était pas un écologiste ni un végan, mais un
agronome raciste pour qui « le sol n’est […] qu’un terme
dans l’équation de l’économie rurale » . Le culte de
retour à la campagne est commun aux nazis et aux végans. Pour Darré
seule importait la lutte contre la désertification des campagnes, la
préservation de l’identité paysanne de l’Allemagne et la
production pour la race. On retrouve cette même exaltation du retour
à la campagne (saine et non polluée) par nos intellos bobos
parisiens, dont la ville doit redevenir la Brocéliande du bassin
parisien si la princesse Hidalgo ne perd pas son trône.
On
peut étudier la paysannerie comme idéologie et le rôle du mythe
agraire dans la société actuelle pour comprendre les
transformations et les contradictions dans l’idéologie dominante
via l'écologie et le véganisme. La bipolarité du paysan —
symbole à la fois de l’arriération individualiste et du bedeau
gardien des valeurs morales, etc. La résurgence contemporaine du
mythe de la nature (polluée, violée, dénaturée), telle qu’il
apparaissait dans l’idéologie hippie, ou dans l’idéologie des
« communautés », est révélatrice, elle aussi de la
stagnation et du retour en arrière par défaut de l'ordre
capitaliste qui ne peut même plus proposer de changer de société
mais de restaurer l'état de nature avec une industrie écologique
totalement hypocrite.
LES
HIPPIES VEGANS A LA RECHERCHE DU PARADIS PERDU
De
la misère en milieu hippie :
« Tout
comme le retraité qui se consacre à des passe-temps parce qu’il
s’ennuie, le hippie essaie de supprimer son malaise en s’occupant
à quelque activité. Il rejette les formes de travail et de loisirs
de ses parents, mais il les reproduit dans les faits. Il travaille
dans des boulots “qui ont un sens” pour des “entreprises hip”
où les travailleurs constituent une “famille”, ou bien il fait
de l’agriculture de subsistance ou du travail temporaire.
S’imaginant en artisan primitif, il cultive ce rôle et idéalise
le métier artisanal. L’idéologie qu’il attache à son
occupation pseudo-primitive ou pseudo-féodale dissimule son
caractère petit-bourgeois. Ses centres d’intérêts, tels que la
nourriture biologique, engendrent des entreprises florissantes. Mais
les propriétaires hippies ne se voient pas comme des hommes
d’affaires ordinaires, parce qu’ils “croient à leur produit”.
Des bonnes vibrations tout le long du chemin de la banque »17.
«Il
y a un genre particulier de contre-culture qui est californien. La
France a clairement eu une contre-culture, avec Mai 68, mais il y a
une différence fondamentale: J’ai toujours pensé à la
contre-culture française comme étant politique, les gens marchaient
dans la rue, comprenaient que la politique et les partis politiques
étaient très importants…
En
Californie la contre-culture s’est scindée en deux branches. L’une
était politique, et ressemblait beaucoup à ce qui se passait à
Paris, et c’est ce qu’on appelait la "new left"
["nouvelle gauche"], mais l’autre branche, celle qui a
vraiment influencé le monde des ordinateurs, s’est éloignée de
la politique, a refusé la politique, en disant que la politique est
le problème et pas la solution. Et que nous devons au contraire nous
tourner vers le marché, vers les technologies de petite taille, et
construire ce qu’ils appelaient à l’époque des communautés de
conscience, c’est à dire dans lesquelles il n’y avait pas de
règles, pas de bureaucratie, pas de politique mais seulement un état
d’esprit partagé...
avantage.»
L'entrepreneur
a remplacé l'artiste comme modèle pour la jeunesse. Dans
Révolte consommée. Le mythe de la
contre-culture, une somme critique
trop peu lue et traduite en français en 2006 par les éditions
Naïve, les essayistes canadiens Joseph Heath et Andrew Potter se
sont attachés à faire tomber quelques-unes des colonnes de sable
idéologiques sur lesquelles repose la société de consommation
depuis un demi-siècle. A les lire, on comprend que la récupération
par le capitalisme de mouvements anticonsommation apparus dans
l'Occident hédoniste et marchand à la fin des années 60, loin
d'entraver son inexorable conquête du monde, lui avait permis
d'accomplir ses plus grands bonds en avant. Le vieux système
industriel avait besoin d'habits neufs : ce fut le rebelle chic, une
panoplie de plaisirs sans limites et de jouissances sans entraves
éclos sous le soleil de Berkeley. Lorsqu'on a vu les baby-boomers,
qui rêvaient de changer la vie, lorgner vers la Californie, on a pu
bien savoir, avec certitude, que les idées libertaires nées dans
des cerveaux embrumés par les drogues avaient servi de cheval de
Troie au nouvel ordre libéral. De brillante manière et de façon
précise et développée, Joseph Heath et Andrew Potter ont ainsi
défendu et illustré certaines hypothèses proposées par
l'excellent Christopher Lasch (1932-1994) dans la
Culture du narcissisme, dès 1979. «
L 'idéologie hippie et l'idéologie yuppie ne sont qu'une seule et
même chose, ont-ils tranché avec
fermeté. Il n'y a jamais eu
contradiction entre les idées contre-culturelles qui ont nourri la
rébellion des années 60 et les fondements du capitalisme. » Il
suffit de penser aux chaussures Nike qu'arborent fièrement les «
sauvageons » qui donnent des coups de pied dans les vitrines des
boutiques de luxe des mégalopoles où une mondialisation heureuse
s'invente en temps réel : ce sont souvent les mêmes que celles des
patrons de la Silicon Valley érigés en symboles d'un bonheur enfin
accompli par la connexion universelle...
Par
la libéralisation capitaliste, les populations des pays en
développement ont tendance à occidentaliser leur alimentation, avec
à la clé des taux d’obésité et de diabète dont l’augmentation
n’a d’égale que la croissance de leur PIB. Le Mexique et l’Inde
sont deux cas probants. Les économies de consommation s’emballent,
les gouvernements balaient sous le tapis les enjeux de santé
publique. Aujourd’hui, le discours dominant, c’est celui sur
l’obésité. L’obésité est devenue le signe que quelque chose
ne tourne plus rond dans la société de consommation. Le miracle
s'est engraissé !
En
1980, 7 % des Mexicains étaient obèses. L’année dernière,
ils étaient 20,3 % à l’être, ce qui n’est plus très loin
du taux de prévalence canadien (26,7 %). Le diabète est devenu
la principale cause de mortalité au Mexique, coûtant la vie à
80 000 personnes par année, selon l’Organisation mondiale de
la santé. Entendu que ces problèmes de santé ne peuvent être
réduits à une seule cause. Il n’empêche que la transformation du
marché de consommation induite par le libre-échange a joué un rôle
important.
Walmart,
Coke, Pepsi, Domino’s, Burger King, McDonald’s… Ils sont les
armées américaines de la malbouffe et du commerce alimentaire de
détail, partis à la conquête du monde en développement, avec un
intérêt particulièrement ciblé pour la Chine et l’Inde, vu
l’expansion de leurs classes moyennes qui font saliver.
En
Inde, les taux d’obésité et de diabète de type 2 en ce pays de
1,3 milliard d’habitants ont également bondi de façon
inquiétante depuis l’ouverture économique amorcée en 1990. Le
problème a pris de l’ampleur avec la croissance fulgurante des
années 2000, donnant lieu à un boom de l’économie de
consommation à l’occidentale et des ventes de produits
préemballés, de pizzas et de boissons sucrées. Avec ceci de
particulier — facteur aggravant — que les Indiens, pour des
raisons génétiques mal élucidées, sont plus susceptibles de
souffrir du diabète qu’ailleurs dans le monde.
En
Afrique comme ailleurs, les pratiques culinaires et alimentaires ont
une histoire. Loin d'être figés par la "coutume" ou les
habitudes du foyer, le choix des produits, les recettes, les tours de
main, les savoirs et les savoir-faire de la cuisinière connaissent
des évolutions lentes ou accélérées. Ce sont parfois les produits
qui se substituent les uns aux autres, les noms qui gardent trace de
pratiques abandonnées, des métissages culinaires qui s'opèrent,
des techniques ou des recettes qui circulent d'une région à
l'autre, des préparations dont la signification sociale se
transforme, des patrimoines qui s'élaborent en fonction d'enjeux
nouveaux. Bref, la "cuisine", quoique souvent confinée aux
cuisines domestiques, n'est pas hors du temps. Elle reflète au
contraire le dynamisme des sociétés18.
Jean-Pierre
Poulain, héritier d’un certain courant Spécialiste de
l’alimentation, à laquelle il a consacré une vie de pratique et
de recherche entre Toulon et Kuala Lumpur, a publié un Dictionnaire
des cultures alimentaires . Selon lui les cultures alimentaires
sont en mutation permanente :
«Il
y a 50 ans, on conçoit encore l’alimentation comme allant de
soi. Un repas, c’est une entrée, un plat et un dessert; tout
l’hiver, on mange de la soupe; c’est comme ça, ça ne se discute
pas, et ça se transmet de génération en génération. Récemment,
différents facteurs ont contribué à extraire l’alimentation de
cet état d’allant de soi: l’argument santé, le bien-être
animal, les enjeux culturels, le respect de la différence, etc.
Sur l’alimentation convergent des éléments qui traduisent les
mutations des sociétés contemporaines. On peut l’étudier comme
lieu de ces mutations. On ferait alors une sociologie par
l’alimentation. Mais l’alimentation est aussi un élément qui
fonde la société. Et qui la transforme.»19
Totalement
individualisés, les
comportements alimentaires sont tels qu’ils posent d’importantes
problématiques de santé publique. Obésité, diabète, cholestérol,
maladies cardio-vasculaires … Les chaînes de restauration rapide
tournent à plein régime, les produits à réchauffer au micro-onde,
bourrés de sucre et souvent de sel, connaissent un succès populaire
indéniable et les comportements addictifs et à risque explosent. Et
ce n'est pas l'abandon de la viande qui pourrait corriger les dérives
de la malbouffe capitaliste.
DE
LA GRANDE BOUFFE CAPITALISTE A L'ASCETISME BOBO VEGAN
Marco
Ferreri a
souvent été comparé au cinéaste espagnol Luis
Buñuel pour
son goût à explorer les vices et le peu de vertu de la bourgeoisie
de l'époque en y insufflant une grande part d'ironie.
Son
film La Grande Bouffe
est un film de moraliste, tragico-burlesque, farce grandiose et
funèbre, qui fit scandale à l'époque de sa sortie. Dans un article
intitulé « La
Grande Bouffe
- le ventre, la merde, la mort », un Vincent Teixera
commentait:
« La satire de Ferreri, qui se plaît à heurter la morale bourgeoise en dépeignant ses vices, est une charge féroce contre la société de consommation, le gaspillage, l’égoïsme, la chair humaine en perdition, le pouvoir, le commerce. Dénonciation d’une société où une classe sociale, qui ne mange pas pour vivre, mais vit pour manger, une société préoccupée de sa seule jouissance (le sexe et la gueule), égoïste et indifférente au monde extérieur. Charge métaphorique contre la mort et pourriture de cette société, qui se double aussi d’une dimension à la fois physique et métaphysique, sur les thèmes de la bouffe, la mort, la merde, mais aussi l’enfermement, la perte des idéaux, l’ennui, l’angoisse, la solitude. »
Le
critique Pascal Bonitzer considérait que le film est une charge
contre la bourgeoisie capitaliste : « la
petite-bourgeoisie intellectuelle se rassure ainsi — en désignant
métaphoriquement la mort et la pourriture de la bourgeoisie à
partir d'un point d'excès impossible — sur sa propre pérennité
transhistorique ». Transhistorique, en effet c'est à
dire hors de l'histoire – nos véganos ignorent l'histoire de
l'alimentation - « transistorique » ce terme va comme un
gant à ces bobos mégalos. Ils se sont déjà dissous dans la
société de consommation finissante qui n'attendait qu'eux pour
pourrir un peu plus. Il leur manque deux choses, une case dans la
cervelle et la vitamine B12.
Quant
à toi, mon camarade lecteur, tu accepteras quand même au soir de
l'insurrection, de partager une pizza au chorizo avec moi ?
NOTES
1Ou
Chândâla, Nietzsche aimait à en référer à la culture indoue ;
un Tchandala en Inde est littéralement un « mangeur de
chien » ; dans
le langage courant, le terme peut désigner un bandit, un violeur,
un criminel, un boucher, un mangeur de chair animale (spécialement
bovine, faut-il rappeler que les vaches y sont sacrées ?),
tout individu dangereux, « démoniaque » selon les
brahmanes . Que
mangeait donc Nietzsche lui-même? Il dénonçait «l'alimentation
de l'homme moderne ... [qui] s'entend à digérer bien des choses,
et même presque tout – c'est là qu'il place toute son ambition.»
Il dénonçait surtout l'alimentation de son propre peuple: «les
viandes trop bouillies, les légumes rendus gras et farineux; les
entremets qui dégénèrent en pesants presse-papiers!» Il était
aussi violemment contre la bière à quoi il attribuait toutes les
«lourdeurs de civilisation». Mais il est également sévère pour
le végétarien qu'il considère comme «un être qui aurait besoin
d'un régime fortifiant. [...] La règle que fournit l'expérience
en ce domaine est la suivante: les natures intellectuellement
productives et animées d'une vie affective intense ont besoin de
viande. [...] Lorsque l'on est mûr pour le régime végétarien, on
l'est également pour la macédoine socialiste». « Macédoine
socialiste »... Nietzsche était évidemment anti-socialiste.
La correspondance de Nietzsche prouve qu'il adorait la nourriture
carnée, saucisses et charcuteries. C'est à lui qu'il faut
appliquer sa pensée sur le besoin qu'ont de viandes les êtres
créateurs et passionnés !
2Pour
donner plus de poids à ses délires, voici sa définition :
« Le véganisme n'est pas un régime alimentaire. C'est un
mouvement social qui mérite d'être mieux connu. C'est un mouvement
de résistance à l'oppression dont sont victimes les animaux que
nous exploitons pour leur viande, leur lait ou leur fourrure. »
3Lancé
dans l'arène médiatique par Ruquier, Caron se prend pour le
Fouquier Tinville de la bourgeoisie végan :
il a soutenu la proposition de loi du député UDI Yves Jégo en
faveur de la mise en place d'une alternative végétarienne
obligatoire dans les cantines scolaires. En 2016, il publie
Antispéciste :
réconcilier l'humain, l'animal, la nature.
En juillet 2018, alors que plusieurs boucheries et boutiques liées
à la consommation de produits animaux sont vandalisées par des
militants anti-spécistes en France, il estime « ne pas
s'étonner », et attribue le recours à cette violence à la
nécessité pour les militants de faire entendre leur cause :
« Si ces militants se retrouvent obligés d’avoir recours à
ces moyens, c’est tout simplement car les voies démocratiques ne
servent pas en France. » Un ton très radical gauchiste avec
un déguisement de sa tête de macaque en agitateur néo-stalinien
chevelu et barbu (voir ses premières photos au début de sa
carrière de journaliste, l'image vraie du bouffon végan :
cheveu court de cadre moyen, cravate et complet veston, l'habit
bourgeois est resté mais caché sous les poils, comme les bourgeois
espagnols qui au plus fort de la guerre civile en 1936 avaient
revêtu le bleu de chauffe).
4 Dans
la judiciarisation de l’alimentation, il y a deux dimensions. La
première, c’est le recours plus fréquent aux tribunaux en cas de
litige. Les Etats-Unis sont très en avance pour cela, avec
l’ouverture des premiers procès collectifs contre l’industrie
agroalimentaire. Le second volet, c’est la montée de tout un
arsenal juridique, des certifications, qui ont une fonction
préventive dans les litiges. Ils ont remplacé les codes d’honneur
et les interactions sociales.»
5On
voit là encore les affinités avec les comportements marginalistes
hippies. Je me souviens d'un ancien militant de RI, venu de LO, qui
avait décidé de ne pas apprendre à lire à sa fille, pour qu'elle
soit protégée du capitalisme. Les mêmes marginaux d'aujourd'hui,
qui nous traitent de beaufs parce qu'on les renvoie à leur
arriération, ne veulent plus faire d'enfants, ni prendre l'avion...
pour préserver la terre !
6http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/10/14/comment-nourrir-9-milliards-detres-humains-sans-detruire-la-planete/
7https://www.lhistoire.fr/les-chrétiens-et-la-viande
. Différence
entre les codes juifs et musulmans : les produits de la mer,
huîtres, coquillages, langoustes, poulpes, poissons divers, y
compris les plus exotiques. Ils sont interdits dans le judaïsme,
autorisés par le Coran, qui les baptise du nom de « gibier de la
mer » : les fidèles peuvent les manger autant qu’ils veulent,
sans même les faire passer par le processus de mise en conformité
prôné par la mosquée. Ils peuvent les préparer comme ils le
souhaitent, et même les manger crus.En revanche, comme pour les
juifs, le sang est impropre à la consommation : « Dans ce qui m’a
été révélé, je ne trouve rien d’illicite pour qui se nourrit
d’une nourriture, à moins que ce soit une bête morte, ou un sang
répandu, ou de la viande de porc, car elle est souillure, ou ce qui
a été consacré à un autre qu’à Allah » (Coran, VI, 146).
Enfin, une bête qui n’est pas immolée selon les règles
prescrites par la tradition est considérée comme non halal,
donc non consommable.
8Les
marxistes se sont toujours plaints que les ouvriers soient mal
nourris. Cf. Le Capital de Marx : « Parmi
les travailleurs agricoles, l'alimentation la plus mauvaise était
celle des travailleurs de l'Angleterre, la partie la plus riche du
Royaume Uni. Chez les ouvriers de la campagne, l'insuffisance
de nourriture, en général, frappait principalement les femmes et
les enfants, car « il faut que l'homme mange pour faire sa besogne
». Une pénurie bien plus grande encore exerçait ses ravages au
milieu de certaines catégories de travailleurs des villes soumises
à l'enquête. « Ils sont si misérablement nourris que les cas de
privations cruelles et ruineuses pour la santé doivent être
nécessairement nombreux . » Abstinence du capitaliste que tout
cela ! Il s'abstient, en effet, de fournir à ses esclaves
simplement de quoi végéter ».
(livre premier 7e section).
9Le
retour des interdits religieux en matière alimentaire est lui
réellement politique. Il a pour but de dissoudre la référence aux
classes sociales et à une communauté d'intérêts et de mode de
vie de la classe dangereuse, la classe ouvrière.
10«Ce
qui caractérise ces cinquante dernières années, c’est
l’accroissement de la part de l’individu dans la décision
alimentaire, au détriment du collectif. Il y a 50 ans, un
gamin qui est au lycée, à midi, s’assoit à une table et mange
ce que quelqu’un d’autre a décidé à sa place. Le même gamin,
aujourd’hui, se retrouve avec son plateau devant un self-service,
et se gratte la tête en se demandant s’il va manger les carottes
râpées ou le taboulé, le couscous ou le steak-frites, le gâteau
de semoule ou la salade de fruits. Le soir, il rentre chez lui, sa
mère est au régime, elle a prévu de manger séparément. Elle lui
demande: «Tu veux manger quoi?» Encore une fois, il doit décider,
mais avec des contraintes, on lui dira qu’il ne peut quand même
pas manger uniquement ceci, ou trop de cela.
11C'est
probablement immémorial et fondé, l'importance de la viande est
vitale pour les régions polaires. Le
mot Eskimo signifie « qui mange la viande crue ». La mode carnée
est probablement descendue au sud via les Vikings...
12Les
petits rigolos vegans sont incapables d'une démarche scientifique,
ils sont moralistes ! Par contre on peut agréer à
l'explication d'une scientifique (pro Darwin) : « L'hypothèse
d'une acquisition collective de l'aliment carné peut être défendue
par cette inadaptation même du primate bipède à la chasse : il ne
peut ni courir (vite), ni bondir, ni saisir et égorger, puisqu'il a
perdu les crocs très développés que présentaient encore les
grands anthropoïdes mâles. Et si le galet aménagé, voire le
biface plus élaboré qui lui succède dans le temps, peuvent lui
permettre, comme arme de jet, d'attaquer quelques bêtes peu
farouches, ce n'est certainement pas eux qui remplaceront vélocité,
flair, crocs et griffes. Il faut, à la présence d'ossements
animaux dans les sites archéologiques anciens, trouver une autre
explication que la qualité des armes naturelles ou artificielles.
La coordination des efforts des chasseurs en est une bien plus
satisfaisante (relais pour courser le gibier, déploiement des
chasseurs pour forcer les proies vers des pièges naturels ou
artificiels, etc.). Or cette collectivisation du processus
alimentaire est un fait nouveau ». Lire les développements
passionnants de Catherine
Perlés Université de Paris-X. Les origines de la cuisine 1979
https://www.persee.fr/doc/comm_0588-8018_1979_num_31_1_1465
14Jean-Louis
FLANDRIN et Massimo MONTANARI (dir.), Histoire
de l’alimentation,
Paris, Fayard, 1996.Jean-Robert PITTE, Gastronomie
française.Histoire et géographie d’une passion,
Paris, Fayard, 1991.
15cf.
l'interview d'Attali : L'un
des points forts de votre livre est cette thèse pour le moins
subversive que vous y défendez, selon laquelle le pire ennemi du
repas, c'est le capitalisme. Expliquez-nous.
Manger
est, en effet, un acte subversif pour le capitalisme. Car lorsque
vous mangez, c'est du temps que vous passez à ne pas faire autre
chose, vous ne produisez pas. Donc il faut à tout prix réduire le
temps et l'argent consacré au repas. Ce sera la révolution
américaine du milieu du XIXe siècle, qui donnera le coup
d'envoi à l'industrialisation de l'alimentation. Celle-ci va se
propager et déterminer encore aujourd'hui le rapport des hommes à
la nourriture.Elle est d'autant plus étonnante que les nombreux
migrants venus d'Europe ont choisi les Etats-Unis pour l'abondance
qu'ils espèrent y trouver. Or on leur fait vite comprendre qu'ils
doivent y renoncer ».
16https://www.contrepoints.org/2018/07/22/320799-notre-monde-moderne-egoiste-laisse-les-gens-mourir-de-faim-vraiment
795
millions de personnes souffrent de la faim dans le monde, alors
qu’on gaspille la moitié de la production alimentaire mondiale.
18Cuisine
et Société en Afrique. Histoire, saveurs, savoir-faire
19« A
l’heure actuelle, si vous avez des facteurs de risque, et moi pas,
et que nous sommes à table ensemble, nous devons individualiser les
menus. Le jour où l’on saura désinscrire les facteurs de risque,
chacun prendra les pilules qui lui correspondent, et l’on pourra à
nouveau manger tous ensemble la même chose à table.» Dictionnaire
des cultures alimentaires, sous la dir. de Jean-Pierre Poulain,
Presses universitaires de France, 2012, 1536 p.
annexe
Malbouffe
et capitalisme (interview de Jacques Attali, parce qu'elle est
bonne)20
Jacques
Attali :
Toutes nos constructions sociales sont nées de la nourriture. A
mesure que l'homme progresse dans son évolution, son alimentation
change et s'améliore. On passe de la cueillette à la chasse, puis
de la chasse à la culture. Les outils comme les armes se
complexifient. L'alimentation devient carnivore. De ce fait, la
population humaine s'accroît.
Cette
démographie galopante implique que les hommes ne peuvent plus
se contenter de ce que la nature leur offre pour se nourrir. Ils
doivent s'organiser. On passe du nomadisme à la sédentarisation. Il
y a 7.000 ans, les hommes commencent à s'installer autour des
plaines fertiles. C'est alors qu'apparaît la nécessité de
structurer nos sociétés.
C'est
aussi à cette époque que le repas devient central dans nos modes de
vie.
Oui,
le repas sédentaire, pris en commun, devient très vite le lieu
essentiel de l'organisation sociale. Dans les traces écrites que
nous avons retrouvées en provenance des différentes civilisations
humaines aux alentours de - 7.000, les festins ou banquets prennent
forme : il y a le repas des dieux, les repas entre les divinités
et les hommes, les repas entre les monarques. Ces derniers, les repas
politiques, prennent naissance environ 3.000 ans avant notre ère. La
nourriture n'y est plus qu'un support de l'essentiel qui est
ailleurs : il s'agit là de former un consensus entre les
élites, d'organiser les pouvoirs. Et l'on observe que l'obsession
permanente, c'est de donner à manger au peuple.
Et
quand on n'y parvient plus, comme ce sera le cas en France en 1789,
arrive la révolution.
En
permanence, partout, le manque de nourriture est la cause principale
des soulèvements. L'empire chinois s'est effondré à plusieurs
reprises sur l'impossibilité de donner à manger au peuple, l'empire
égyptien aussi et la Révolution française, en effet, est provoquée
et exacerbée par des erreurs de gestion publique en matière
d'approvisionnement et des situations climatiques terribles qui se
succèdent pour aboutir, en juin 1789, à une envolée des prix
du blé, lesquels atteignent à cette date leur plus haut au cours du
siècle. C'est alors que les paysans français s'allient aux
bourgeois contre les dignitaires du régime, ce qui provoquera à
terme la chute de la monarchie dans notre pays.
L'un
des points forts de votre livre est cette thèse pour le moins
subversive que vous y défendez, selon laquelle le pire ennemi du
repas, c'est le capitalisme. Expliquez-nous.
Manger
est, en effet, un acte subversif pour le capitalisme. Car lorsque
vous mangez, c'est du temps que vous passez à ne pas faire autre
chose, vous ne produisez pas. Donc il faut à tout prix réduire le
temps et l'argent consacré au repas. Ce sera la révolution
américaine du milieu du XIXe siècle, qui donnera le coup
d'envoi à l'industrialisation de l'alimentation. Celle-ci va se
propager et déterminer encore aujourd'hui le rapport des hommes à
la nourriture.
Elle
est d'autant plus étonnante que les nombreux migrants venus d'Europe
ont choisi les Etats-Unis pour l'abondance qu'ils espèrent y
trouver. Or on leur fait vite comprendre qu'ils doivent y renoncer.
C'est
l'alliance entre Will Keith Kellogg et Henry John Heinz qui va
déterminer ce qui est devenu l'alimentation contemporaine.
M. Kellog, qui est proche des évangélistes, dit : « C'est
péché de trouver du plaisir à manger. »
M. Heinz lui répond : « Mettez
une petite sauce sur la nourriture pour en masquer le mauvais
goût. »
Or
tout découle de cette alliance. On va consacrer de moins en moins
d'argent à se nourrir, ce qui va ouvrir la voie à d'autres
consommations. La conséquence, c'est la destruction du temps passé
au repas. Presque partout dans le monde sa durée a été
considérablement réduite. Elle est de moins d'une heure désormais
en moyenne dans le monde. Le capitalisme américain va se
développer sur le dénigrement de toutes les dimensions du repas. On
mange vite, souvent au travail, de moins en moins en famille et cet
état de fait structure des sociétés où l'on devient de plus en
plus solitaire.
Vous
affirmez que le XXe siècle a été le pire de tous sur le plan
de l'alimentation. Pourquoi ?
La
catastrophe est double. Il y a d'abord, on vient de le voir, la
quasi-disparition du repas. Il y a ensuite la nature de ce que l'on
mange. Pour les classes les plus pauvres, le problème reste hélas
quasi inchangé, il réside dans la difficulté même à trouver de
quoi se nourrir. Pour les classes moyennes ou supérieures, c'est la
nature des produits consommés qui change.
Cela
commence comme une douce symphonie. Au milieu du XIXe siècle,
sous l'impulsion des armées, notamment celles de Napoléon, on
généralise la nourriture portable. Le café, le chocolat le lait et
plus tard le corned-beef. Au XXe siècle, c'est l'invention du
fast-food qui explose aux Etats-Unis. Le modèle américain
devient planétaire. Le sucre de maïs, désastreux pour la santé,
se généralise dans les aliments, dans les sodas.
L'artificialisation chimique s'installe pour atteindre aujourd'hui
son paroxysme. Notez que ce sont toujours des chimistes qui inventent
les sodas. Et que étymologiquement, le mot « soda »
vient de « soude ». Si l'on s'en souvenait, on en boirait
peut-être moins.
Mais
n'est-ce pas cette industrialisation qui met désormais à l'abri des
famines une grande partie de l'humanité ?
C'est
tout à fait vrai, on le constate dans le monde indien ou en Chine,
mais à quel prix ? Avec quels chèques tirés sur l'avenir ?
On a, certes, créé les conditions provisoires d'une absence de
famine mais à l'aide d'un modèle qui n'est pas généralisable ni
durable à terme à cause de la consommation d'eau ou de
l'utilisation massive d'engrais qu'il impose.
Dans
ce contexte, comment nourrir les 10 milliards d'êtres humains
qui devraient peupler la planète en 2050 ?
Il
existe deux voies possibles. Une voie vraisemblable et une autre
souhaitable. Le vraisemblable est que l'on va trouver progressivement
des substituts, sous forme de viande artificielle, d'algues,
d'insectes - 2 milliards d'êtres humains en mangent déjà
régulièrement -, ce qui va globalement nous conduire à devenir de
plus en plus végétariens. Ce serait du reste un retour aux sources.
Je rappelle que, dans la Bible, Adam et Eve sont végétariens. On ne
commence à manger de la viande qu'à partir de Noé.
On
peut aussi imaginer un scénario plus souhaitable, celui de la
désindustrialisation de l'alimentation. C'est notamment ce que
préconise la FAO (Organisation
des Nations unies pour l'alimentation, NDLR).
Celle-ci imagine un modèle idéal qui permettrait de nourrir
10 milliards de personnes exclusivement en bio. Mais cela
suppose des transformations gigantesques de l'agriculture, du régime
de la propriété des sols, de la formation des paysans. Cela
implique aussi des réglementations très strictes imposées aux
géants de l'agroalimentaire. En matière de composition des
produits, d'emballage. Pour les consommateurs, cela suppose de se
fournir à proximité de chez soi avec des ingrédients de saison.
Tout
ceci est évidemment possible en théorie, beaucoup plus difficile à
réaliser dans la pratique. Ce sont des mutations structurantes de
l'organisation sociale. S'il y a un jour une vraie révolution
politique majeure, c'est dans l'agriculture et l'alimentation qui en
seront à l'origine.
Nous
parlions au début de cet entretien du rôle de la nourriture dans la
constitution des empires. Peut-elle, à l'inverse, précipiter leur
disparition ou à tout le moins leur affaiblissement ?
J'en
suis persuadé. Et quand je dis cela, je pense évidemment aux
Etats-Unis. Regardez ce qui s'y passe, notamment dans le domaine de
l'obésité qui détruit littéralement leur population sans que les
pouvoirs publics, prisonniers de lobbys puissants soient en mesure
d'enrayer ce fléau. Aujourd'hui, rappelons-le, l'espérance
de vie recule dans ce pays
, en partie à cause de la façon dont ses habitants se nourrissent.
Rappelons que l'empire romain a été détruit en partie par des
erreurs de gestion en matière d'alimentation.
Si
l'on veut construire à terme une gastronomie durable, respectueuse
de l'environnement, il faut en passer par un capitalisme maîtrisé.
Et de ce point de vue, la technologie peut nous aider. Bientôt
les
frigos seront connectés
. Et le maître du frigo sera la compagnie d'assurances, qui aura eu
accès à vos données. Vous saurez alors vers quel sort vous attend
selon la façon dont vous vous nourrissez. Or rien de tel que la peur
de la mort pour nous faire accepter l'inacceptable, en l'espèce, un
changement profond de nos comportements alimentaires.
Propos
recueillis par Nicolas Barré et Daniel Fortin
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire