"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

dimanche 29 septembre 2024

Révolution politique ou révolution sociale ?

Alexandra Kollontaï médaillée par Staline

par Lucien Laugier

(extrait de TEMPUS FUGIT de Fançois Langlet 2002)


 Le critère de Pannekoek, dans son jugement sur la révolution russe est en accord avec les définitions de Marx, quoiqu'en pense le PCI ! La révolution bourgeoise est politique parce qu'elle réalise, par une transformation violente de l'Etat le triomphe d'un mode de production déjà existant et développé au sein de la vieille société. C'est une révolution parce que l'Etat précédent incarnait, pour toutes les classes autres que les classes défendues par cet Etat, une forme historique de contrainte dont elles ne pouvaient s’émanciper que par un acte de violence révolutionnaire. La révolution prolétarienne est au contraire sociale parce que, selon Marx,, la "libération des forces productives" ne fait qu'un avec l'avènement d’un nouveau mode de production. Si cette définition de la révolution sociale diffère de la conception anarchiste en ce qu'elle affirme la nécessité transitoire d'un élément de contrainte - l'Etat prolétarien – ce n’est que pour autant que la résistance opposée par les anciennes classes survit à leur éviction du pouvoir[1]. C’est seulement par une extension abusive, et dont il faut rechercher l'origine dans l'histoire même du mouvement communiste, que cette justification du nouvel Etat de la période transitoire entre capitalisme et socialisme a été étendue d'une façon dogmatique, aux difficultés rencontrées par la révolution d’Octobre[2].


Il serait banal de dire que les limites de la politique intérieure des bolcheviks, enfermée dans une perspective de développement du capital, avec l'effet en retour des moyens les plus divers pour y plier toutes les couches de la population, se manifestèrent de façon également déterminantes en ce qui concerne leur politique extérieure, c’est-à-dire la stratégie d'Etat qui s’exprimait, dans la IIIe Internationale, par l'influence de la section russe. Nous ne pouvons ici trancher la difficile question du moment où, sans attendre la déclaration cynique de Staline. La priorité de l'Etat bolchevique devint irrésistible dans l’I.C.. Il suffit de rappeler que le tournant stalinien n'en a été que l'officialisation sanglante mais tardive.

 Ceci permet de donner tout leur poids aux arguments de Pannekoek à l’appui de sa thèse : la révolution russe, bourgeoise parce que politique et non sociale. On a déjà vu que ce que le PCI a conservé de la position de Bordiga résiste peu à l’analyse des faits. La thèse favorite du PCI explique "l'impatience manœuvrière" des bolcheviks sur le plan international par la situation intenable que créait pour eux la gestion d'une économie arriérée et menacée par l’intervention impérialiste. Cette thèse rend peut-être compte de façon globale du développement historique du  phénomène de la contre-révolution. Elle n'explique pas le fait qu'aucun des cerveaux les plus prestigieux de l'opposition trotskyste n’ait amorcé la moindre critique semblable à celle de la Gauche italienne, même après le triomphe définitif du stalinisme. Or il est impensable qu'un homme comme Trotsky n'ait pas suivi de près et vu les résultats désastreux de la tactique de l’I.C.: celle-ci, en renforçant objectivement le monopole social-démocrate sur la classe ouvrière d'occident, non seulement rendait impossible la condition internationale du dépassement, par les bolcheviks, des conditions russes, mais créait, au sein de l'Internationale même la force intéressée à exalter comme "socialisme" la contingence des "réalisations russes" et par là même la voie du "socialisme en un seul pays".

 Quand une telle contradiction devient le fait de dizaines de milliers de révolutionnaires, il s'agit bien d'un phénomène objectif historique, qu’on ne peut expliquer par des seules fautes de jugement. C’est donc à ce niveau-là que Pannekoek s’efforce de la déchiffrer, sans escapade subjective du type « erreur d'appréciation ». L’intérêt que présente aujourd'hui encore sa méthode c’est qu'elle s'attache à ne pas rompre, dans sa représentation du phénomène dénommé "bolchevisme", le caractère déterministe de sa genèse et de son action. Pannekoek a adopté un moment la thèse de « l’incompréhension » par les bolcheviks des "conditions occidentales" (Not Pan 89), mais il l'a bien vite abandonnée. Dès le 3e congrès était visible, à travers le différent entre Lénine et l’I.C. d'une part, la gauche allemande de l’autre qu'il s’agissait de deux conceptions opposées des rapports entre la théorie révolutionnaire et la réalité historique et sociale, et non pas de deux visions différentes de cette réalité. Imputer aux bolcheviks "l'incompréhension" de celle-ci tout en soutenant qu'ils ont "intégralement restauré le marxisme" c'est admettre que, dialecticiens rigoureux en deçà de leurs frontières, ils auraient brutalement cessé de l'être au-delà!

 A ce point du débat c’est la méthode qui aboutit à de telles contradictions qui devient objet de critique. On peut affirmer l'unité doctrinale du bolchevisme mais à la condition de comprendre que cette unité repose sur une théorie de la séparation. Plekhanov et Lénine furent en effet les disciples les plus conséquents d’une expression historique du marxisme dont la caractéristique centrale était la propension à scinder la représentation du mouvement historique social réel, à séparer tactique et principes,, économie et politique, parti et classe. On ne peut dresser la critique correcte d’une telle expression historique en consacrant ses propres faiblesses comme critères infaillibles. La règle vaut autant pour la IIIe Internationale que pour la Seconde. Aujourd'hui. alors que toute préoccupation apologétique à l'égard du bolchevisme est pour le moins dépourvue de sens, prétendre le "sauver" en dissociant ses "bons principes de leur "mauvaise" application, ce ne peut être que perpétuer l'erreur théorique fondamentale de la Seconde Internationale, qu'il était censé avoir redressé, mais qu'en réalité il a agrandie aux dimensions des problèmes posés par la première affirmation massive du prolétariat dans l'histoire.

 La thèse de « l’incompréhension » bolchevique n’est que la projection mécanique de la chronologie de la contre-révolution : l’échec du prolétariat européen se conjuguant avec la situation désastreuse de l'économie russe au sortir de la guerre civile aurait bousculé la perspective trop optimiste du début, imposé diverses concessions internes rejetant encore davantage dans le futur les premières mesures socialistes en Russie ; ensuite, après la défaite définitive en Allemagne 1923, la IIIe Internationale investie par le centrisme auquel Moscou aurait imprudemment ouvert les portes, serait devenu l’instrument docile de la contre-révolution stalinienne. Ce schéma n'explique aucunement, répétons-le, pourquoi les bolcheviks ont théorisé comme ligne de principe et "acquis" devant être observé par toute l'Internationale, la riposte discutable aux conditions qu'ils ont dû subir[3].

 La méthode de Pannekoek, qui s’attache à analyser le bolchevisme dans sa totalité   historique, est bien plus satisfaisante que cette vision simplifiée. Elle permet notamment de comprendre que les véritables causes des « erreurs » de l'I.C. résident, non pas dans l'échec du bolchevisme, en ce qu’il ne pouvait procéder à une transformation socialiste de l’économie russe, mais dans sa réussite : la conduite à terme de la révolution d'octobre. Ce ne furent pas, en fin de compte, les répercussions internationales des concessions économiques rendues inévitables en Russie par le piétinement de la révolution européenne, qui eurent raison des démarches critiques contre "l'opportunisme" de la IIIe Internationale ; ce fut l'énorme puissance morale que la section russe de l’I.C. tirait de son rôle directeur dans la victoire d’Octobre et dont Lénine et Trotsky assenaient inlassablement l'évocation à leurs adversaires en tant qu'argument irréfutable et devant clore toute discussion. De cette façon fut étouffé, submergé, calomnié pour plus d’un demi-siècle l’effort critique qui tentait, avec Pannekoek, Gorter, Korsch et Lukacs, de dresser le bilan de cette vaste sclérose historique de l’arme théorique laissée par Marx et qu'opéra tout le mouvement socialiste mondial. En tant que réaction spécifique contre le produit politique de cette sclérose, le bolchevisme fut en fin de compte le facteur qui lui insuffla l'oxygène d’une révolution victorieuse !

 Sur les raisons du succès de cette révolution, il est inutile de revenir ; Lénine les a fort bien résumées : "ce n'était qu'un jeu d'enfants de prendre le pouvoir en Russie!". Mais il faut souligner que la thèse de "l’involution russe" par défaut du "relais" de la révolution européenne ne donne qu'une idée très incomplète du drame de la IIIe Internationale. Elle ignore totalement la confusion introduite dans le mouvement communiste mondial par le double caractère des conditions de la révolution russe ; conditions qui n'étaient favorables à l'irruption du prolétariat sur la scène historique dans ce pays que pour autant qu'elles étaient défavorables à sa constitution en classe dominante. En érigeant cette dernière impossibilité en principe d'organisation historiquement valable pour le prolétariat mondial, le bolchevisme a légué à celui-ci un "marxisme" où n'est retenu de la théorie de Marx que ce qui a trait au moyen politique de réussir les taches de là révolution bourgeoise là où la bourgeoisie comme classe en est incapable C’est en ce sens que Pannekoek définit la révolution russe comme une révolution bourgeoise et non prolétarienne, politique et non sociale. Le bolchevisme en est le facteur et le produit : il a minutieusement expérimenté et développé la contingence de certains aspects de la théorie de Marx mais au détriment de l’essentiel.


Pannekoek analyse cette "contingence" au travers de la critique du cerveau le plus prestigieux du bolchevisme : Lénine. Cette critique remonte jusqu’aux sources philosophiques du marxisme et ses rapports avec l'évolution de la science bourgeoise. C’est un sujet tellement vaste et compact que nous ne pouvons que renvoyer à l'ouvrage même[4]. Nous y reviendrons au paragraphe suivant, mais seulement en ce qui concerne le jugement définitif du PCI sur Pannekoek et qui permet de mesurer ce que ce jugement doit lui-même à la doctrine bolchevique dont Pannekoek disait sévèrement que, dans les conditions historiques où elle avait germé, elle ne pouvait que "puiser ses principes philosophiques dans le matérialisme bourgeois et sa théorie de la lutte de classe dans l’évolutionnisme prolétarien".

 Il est normal que Pannekoek en soit venu à cette conclusion en conduisant son analyse à l’aide, d’une part de l’acquis marxiste dans l’acceptation de l’époque, d’autre part en fonction de l’expérience vécue dans le mouvement allemand ; deux éléments qui concourent à maintenir l'opposition entre révolution politique et révolution sociale dans les termes où nous l’avons énoncé plus haut. La critique de la pratique bolchevique respecte donc un certain domaine formel, celui de l'éviction des masses de la gestion de la société soviétique et du dépérissement rapide de l'organe-soviet. Nous reviendrons sur cette limitation dans laquelle le PCI ne veut reconnaître que le retour à un "vague" démocratisme. Nous voudrions auparavant e donner à l'idée de la révolution d'octobre comme révolution politique quelques illustrations découlant de la critique des explications traditionnelles concernant les « conditions défavorables » de cette révolution du point de vue communiste-prolétarien.

 Lorsqu’on lit le Lénine de 1921-22 on est frappé par le retour constant, dans tous ses écrits, de ce leitmotiv : il faut apprendre, auprès des techniciens du capitalisme, le secret de leur efficacité productive afin de satisfaire les besoins des paysans au moins aussi bien que le faisait le système existant avant la révolution. Tout est axé, dans la propagande bolchevique de cette époque, sur cet objectif qui vise à permettre au système soviétique de concurrencer le moins désastreusement possible l'organisation capitaliste défunte. Dans ces conditions, il ne suffit pas de dire, selon la thèse classique des "conseillistes", que le prolétariat russe a été dépouillé du pouvoir par le bolchevisme. En réalité, ce prolétariat n'est devenu "classe dominante" que pour être l'agent direct du développement du capital, dont le parcours, en Russie, avait été presque totalement interrompu. Devant cette implacable réalité, dont personne dans le mouvement communiste mondial ne niait le caractère inéluctable, toute l'Internationale accrochait ses espoirs à la survivance, en Russie même, d'une volonté révolutionnaire indestructiblement attachée à la perspective de dépasser ce stade lorsque les circonstances internationales le permettraient.

 Si cette thèse (permettant)la possibilité d'un certain développement capitaliste russe en attendant la révolution mondiale avait quelque plausibilité, il fallait bien que la "volonté révolutionnaire" y ait quelque point d’appui autre que l'énergie des chefs bolcheviks et les promesses de leur parti. Il fallait bien que le prolétariat russe -en tant que mouvement et non catégorie économique - pour continuer son œuvre de destruction de la vieille société dans d'autres secteurs de la vie sociale autres que celui de la production où non seulement il devait renoncer à abattre son terrible adversaire, le mécanisme mercantile, mais encore se plier à toutes ses exigences. Ou bien cette possibilité lui était refusée au sens total du terme, mais alors toute la thèse de la IIIe Internationale s'écroule et, avec elle, « l’acquis » de la gauche italienne qui maintient, en ligne de principe l’hypothèse d'un développement révolutionnaire possible quoique s’accompagnant d'une dichotomie entre la transformation économique de la société et sa transformation politique. Ou bien cette possibilité peut lui être rétrospectivement reconnue. Non pas en vue de réécrire une histoire d'Octobre avec des bolcheviks supposés « plus conscients », mais dans le sens d'expurger de la théorie révolutionnaire les considérations et arguments qui dans la représentation du processus, limitent a priori celui-ci à des transformations rigoureusement arrêtées à celles que rend possible un niveau de développement économique précis. Ces arguments et considérations, dans ce cas, étant faux hier dans le camp de la révolution, ne peuvent être vrais aujourd'hui que dans celui de la contre-révolution.

 


 

La définition de la révolution d'octobre comme révolution politique ou révolution sociale n'est évidemment pas une question académique d'exactitude historique. Dès qu'on a saisi la ligne directrice qui perce sous les travaux de la gauche allemande, on se rend compte qu’au travers de la remise en cause du bolchevisme, c’est tout un champ d'investigation - défriché en premier lieu par Marx mais oublié depuis - qui revient à la lumière : le concept « d’aliénation » dégagé de l'étroit cadre économique dans lequel il a été enfermé par une véritable scolastique « marxiste », englobe tous les aspects de la vie humaine. Jaugée de ce point de vue, la révolution russe est davantage politique au sens négatif du terme qu’au sens positif. Au niveau des lois et décrets, l’œuvre politique d’Octobre anticipe réellement sur des conditions sociales encore à venir[5]. Mais au niveau de l’idéologie et des incidences étroites de celle-ci sur les problèmes de la vie, cette œuvre revêt finalement un caractère rétrograde par rapport au mouvement déjà en cours des forces sociales.

 Pour l'illustrer nous quitterons un moment Pannekoek pour utiliser Reich qui, dans son livre "La révolution sexuelle" évoque un des aspects longtemps dédaignés de la question. Un jugement d’ensemble sur cet ouvrage qui tombe d’ailleurs sous le coup des limitations qu'on peut critiquer dans toute "l'école allemande" déborderait de notre sujet. Nous ne voulons en retenir que ce que Reich dénonce à propos du principal obstacle rencontré par la législation soviétique lorsqu'elle autorisait l'avortement, favorisait le divorce, etc. Cet obstacle renversa le développement d'une situation rendue propice à l'émancipation sexuelle par l'ébranlement profond des structures et moralités patriarcales sous l'effet des années révolutionnaires. Outre l'hostilité témoignée à la nouvelle législation par les préjugés les plus divers et l'attitude populaire dans certaines régions particulièrement arriérées, ainsi que le faible développement économique qui rendait difficile l'autonomie des femmes, l'adversaire le plus inattendu de la libération sexuelle se manifesta parmi le corps des fonctionnaires et dirigeants politiques soviétiques.

 Pour le lecteur d’aujourd’hui, ce témoignage de Reich est révélateur de tout un côté négligé par l’orthodoxie léniniste du profond contenu d'une révolution sociale. Dans l'acception que la société du capital donne au terme « social » elle entend toujours ce qui découle directement de « l’économique » : assistance matérielle aux malades et accidentés, allocations à la maternité, indemnisation des préjudices subis, achat des heures de liberté à un tarif majoré ; bref rachat mercantile par la société de ses propres tares.

 



Dans le rachat par la société de l'insatisfaction des besoins sexuels, c’est le sauvetage économique de la structure familiale qui sert de monnaie d’échange. Réciproquement, ce sauvetage de la famille permet le rachat mercantile de toutes les autres insatisfactions. Il est important, pour trancher la question débattue ici, de constater que le pouvoir bolchevique a été, dans le meilleur des cas, l'instrument passif de ce mécanisme : il ne s'est donc pas borné, dans les concessions inévitables qu'il devait faire au capital à satisfaire ses exigences économiques (c'est-à-dire sacrifier une partie du produit à l'accumulation), il a capitulé devant la manifestation de ses fondements idéologiques.

 Sans reproduire ici l’argumentation serrée que Reich apporte à l’appui de cette constatation, il faut en souligner l'importance en ce qui concerne la délimitation de contenu entre révolution politique et révolution sociale au XXe siècle. Dans la gageure léniniste, le passage de l'une à l'autre en Russie est subordonné à un trajet plus ou moins long dans la voie de développement du capital. En tant que critique de cette hypothèse, l’apport de Reich est d'autant plus déterminant que celui-ci, dans un domaine déterminé de la désaliénation, esquisse une perspective qui, théoriquement, pouvait échapper à la limitation draconienne résultant des conditions économiques. Mieux, dans ce domaine, cette désaliénation était amorcée à la suite des convulsions mêmes de la révolution d’Octobre.

 Le contraste entre la pensée de Reich et celle des bolcheviks apparaît dans le fait que ces derniers se désintéressent de ce domaine, ou restent sans réponse devant les problèmes qui s'y manifestent. Pour eux, tout est pensé et résolu en termes politiques, et lorsqu'une question se pose sur le plan social, c’est en termes économiques qu'ils la traduisent. Ils procèdent de même aussi bien en ce qui concerne les facteurs défavorables à la révolution qu'en ce qui concerne ceux qui lui sont favorables. Dans leur hypothèse d’un développement présent du capital compatible avec la perspective d'un socialisme futur, ce capital - "maîtrisé" parce que contrôlé par le pouvoir soviétique - se trouve par là même réduit au rôle d’une "catégorie" dont on ne prend en considération que l'efficacité productive. Même lorsqu'ils redoutent que, de processus "technique" il "redevienne" force sociale–ce qu’il ne peut cesser d’être en réalité - c’est encore au travers d'un élément politique qu'ils perçoivent ce danger : l’indiscipline de "l’élément petit-bourgeois" qui réclame "plus de démocratie" pour soustraire à l'accumulation étatique une part plus grande du produit social.

 Cette polarisation des bolcheviks, dont l'existence est attestée par cent discours de Lénine, les amène à ignorer la condition fondamentale interne (la condition externe étant la victoire internationale de la révolution) qui, seule, pouvait rendre plausible leur perspective : pour que le capital, dans l'esprit même de leur hypothèse, puisse être confiné par la dictature du prolétariat en l’état de simple "catégorie" de la production, il ne suffit pas que soient chassés du pouvoir les partis et classes qui, traditionnellement, le représentent ou aspirent à le représenter : il faut que cette catégorie soit isolée à l'égard de tous les attributs et auxiliaires de sa puissance impersonnelle dans tous les aspects de la vie sociale ; que, tolérée dans les rapports de production au sens étroit du terme, elle soit férocement dénoncée et combattue dans tous les autres rapports.

 Ici nous attendons de pied ferme la réaction dogmatique du philistin qui ne manquera pas de nous objecter que "le droit ne peut jamais aller au-delà de l’économie" et donc que la révolution ne peut dépasser dans le domaine des rapports sexuels le niveau auquel elle se limite sur le plan économique[6]. Cette docte remarque négligerait deux choses importantes du point de vue qui nous occupe ici. Premièrement que le "dépassement" des conditions économiques qu'elle reproche à Reich de supposer possible est en fait implicitement inclus dans la propre thèse des champions de l'orthodoxie léniniste et qu'en la niant par principe on élimine l'ultime justification de cette thèse. Secondement que ce qui importe aujourd'hui ce n’est pas tant de supputer le caractère fatal ou non de l'involution soviétique que d'examiner les fondements du caractère socialiste qu'on prête communément à la révolution d'Octobre.

Selon  "l’orthodoxie" fidèlement respectée par le PCI d’aujourd'hui, la victoire prolétarienne dans un seul pays n'est que la ''tête de pont" de la révolution mondiale ; mais une certaine contradiction dans des limites de temps déterminées, peut apparaître entre l’objectif international du pouvoir prolétarien et les tâches qu'il réalise pour l’immédiat dans les limites géographiques où s'exerce ce pouvoir. Comment une telle contradiction peut-elle être surmontée ? La réponse de l'orthodoxie est la suivante : le pouvoir prolétarien est capable de la surmonter parce qu'il est dictatorialement dirigé par le Parti, c'est-à-dire par une volonté révolutionnaire inébranlable déterminée par une conscience politique claire et unique.

 Tout comme la critique du bolchevisme que Pannekoek développe sur le plan des formes du pouvoir prolétarien, celle de Reich concernant sa "politique sexuelle" est percutante essentiellement en ce qu'elle révèle la carence de cette conscience politique et partant, le sens erroné, du point de vue de ses propres affirmations, dans lequel agit la "volonté révolutionnaire". La thèse partagée en son temps par tous les communistes de l'I.C. affirme que le pouvoir prolétarien confiné dans les limites d'un seul pays peut procéder à des taches non socialistes sans perdre ses caractéristiques sociales spécifiques aussi longtemps que sa politique internationale est fondée sur la perspective de la révolution mondiale. Ce qui caractérise l'acception plus particulièrement bolchevique de cette thèse, c'est que les caractéristiques propres à l'Etat prolétarien sont garanties par le parti qui dirige cet Etat. Pour cette raison le pouvoir bolchevique est considéré offrir toujours cette garantie même après le reflux de la vague révolutionnaire européenne durant laquelle la Russie soviétique jouait le rôle d'une sorte de "commune insurrectionnelle dans le mouvement international ; avec la retombée de ce mouvement, le pouvoir bolchevique constitue comme un bastion de la révolution qui se structure dans le cadre national au niveau de la transformation économique réalisée.

 Toujours dans le cadre de l'hypothèse admise par l'orthodoxie léniniste, il est bien visible que l'Etat soviétique ne peut prétendre à ce rôle de bastion révolutionnaire à l'égard de l'extérieur que pour autant qu'à l'intérieur il tire son énergie d'une volonté de résistance et de lutte - au moins au niveau du parti et de ses cadres - contre les conséquences sociales et politiques contre-révolutionnaires du développement capitaliste de l’économie russe. Que le champ d’action assigné par Reich à cette lutte - c'est-à-dire la poursuite de la destruction révolutionnaire de la famille patriarcale - offre ou non les possibilités matérielles escomptées,  il est certain que le pouvoir bolchevique, s'il récusait ce champ d’action rendait frauduleuse la revendication du caractère prolétarien d’une révolution dont il demeurait le seul garant après que la classe révolutionnaire lui eut délégué tout pouvoir sur le plan politique et sur le plan économique n’était sollicité qu’à créer du capital.

 Quand Pannekoek déclare que la révolution d’octobre est bourgeoise parce que le prolétariat comme classe réelle n'y joue pas de rôle propre ; quand Reich, citant l'incapacité des bolcheviks à exploiter un bouleversement des structures plus considérable qu’une transformation économique strictement limitée révèle par là le caractère politique et non social de la révolution ils ne font que traduire en clair la réalité que dissimulent les bolcheviks d’hier et d'aujourd'hui. Ils dévoilent en effet le rôle déterminant qu’a joué le bolchevisme face à des obstacles qui ne sont pas seulement les servitudes inévitables du nouveau système économique mais aussi les servitudes qu’on n'a pas su ou voulu extirper, de l'ancien.

 Les critiques de Pannekoek et de Reich, quoique portant sur des domaines différents, sont donc également importantes en ce qu’elles identifient toutes les deux l’origine de l'obstacle unique qui va à contre-courant de l'impulsion initiale d'Octobre aussi bien dans le domaine économique que dans le domaine social. Si la critique de Reich est finalement plus incisive, c’est parce qu’elle pénètre au plus profond dans le second domaine. En analysant le phénomène de dissolution de la famille, Reich met en évidence la bi-polarité, au moins potentielle que présente encore durant les années 20, le processus de bouleversement social, consécutif à la révolution d'octobre. Peu importe en fin de compte quelles étaient en définitive les chances réelles de cette sorte de "libération sexuelle" dont Reich décrit la genèse et les tâtonnements. Ce qui nous retient ici c'est la réaction caractéristique du bolchevisme dans ces circonstances et qui confirme sévèrement cette limitation théorique que Pannekoek, de son côté, a expliquée par la genèse historique de ce mouvement.

 La question de la famille et ses rapports avec celle de la sexualité est en effet une pierre d'achoppement de la politique bolchevique. La révolution d'octobre et la guerre civile contre les blancs avaient d'autant plus profondément ébranlé la famille russe et sa conception des rapports entre les sexes que la "solidité" antérieure de la structure familiale reposait sur les formes quasi-patriarcales que la révolution avait précisément dispersées. Mais l'assise idéologique de ces formes - au moins dans la civilisation de type européen - est une des pierres angulaires de la formation et du développement de la domination du capital. Ce corps de préjugés et d’usage dont le rôle est de subordonner la satisfaction des besoins sexuels à la stricte reproduction de la force de travail constitue une des plus efficaces armes de répression idéologique léguée à la société capitaliste par celles qui l'ont précédée[7].

 Il est donc clair qu'à ce niveau bien plus qu'à celui de la forme de pouvoir et de la structure organique de la dictature du prolétariat, se dessine un conflit profond qui oppose le caractère social de la révolution d'octobre à son caractère politique et dont on peut dire que très tôt il s'est e tranché au profit du second. C’est par la lumière qu'il apporte sur ce conflit que Reich, en dépit de sa triste évolution ultérieure, reste profondément actuel. Son œuvre disloque en effet la trop facile résignation à l'involution malheureuse de la révolution d'octobre pour des raisons de force majeure. En dernière analyse l’impossibilité de cette révolution à dépasser, sous tous les aspects les conditions économiques russes, ne s’explique pas uniquement par les aspects les plus évidents de cette condition, mais également par son infatuation politique : les bolcheviks qui se berçaient d’illusions quant à la possibilité de se dégager -ultérieurement et la révolution internationale aidant - des servitudes du jeune capital alors qu'ils toléraient, sinon encourageaient, les vieilles servitudes qui venaient le renforcer. S'il nous faut, pour appuyer l’intuition qu’en avait Pannekoek, appeler Reich à la rescousse, c'est pour montrer que cette intuition était en fin de compte bien plus vaste que ne le laissaient soupçonner les termes dans lesquels Pannekoek l'avait traduite. Reich insiste en effet sur la direction initiale du mouvement contenu dans la révolution d'octobre et qui, dans une mesure notoire s'écarte de l’ornière des difficultés rencontrées sur le terrain des transformations purement économiques de la vieille société russe. "La tendance sans équivoque de la révolution sociale - écrit Reich - était de mettre à nouveau l’économie au service de la satisfaction des besoins de tous ceux qui font un travail productif. L'inversion de cette relation entre les besoins et l'économie est l'un des points essentiels de la révolution sociale"[8].

 Cette inversion, au niveau le plus profond de la vie sociale, tend évidemment réaliser l'émancipation des besoins sexuels à l'égard de tous les obstacles qui s'opposent à leur satisfaction : la famille et la morale. Dans la Russie des années 1919-20, où les bouleversements révolutionnaires ont considérablement entamé les fondements matériels de ces obstacles, existent donc les conditions objectives de ce que Reich appelle « la lutte pour la nouvelle forme de vie ». Mais alors que la structure familiale résiste de plus en plus difficilement à son propre processus de dissolution, l’idéologie qui la défend est encore extrêmement solide ; deux tendances s’opposent donc entre lesquelles l'influence pratique et morale des bolcheviks doit jouer un rôle déterminant.

 Là réside peut-être le démenti le plus sévère apporté par la réalité historique à la prétention bolchevique de développer le capital tout en gardant en réserve la force morale et physique nécessaire pour l’abattre plus tard. Il est clair, à la lueur des faits rapportés par Reich, que la réticence d’abord l’hostilité ensuite que démontrèrent les bolcheviks à l'égard de la "révolution sexuelle" furent animées par l'arrière-pensée que cette "révolution" pouvait porter atteinte à la discipline du travail. Dès lors, ou bien cette crainte n'était pas fondée, et il faut chercher au travers de la nature de la tradition des bolcheviks la raison de leur cécité en ce domaine. Ou bien la crainte était justifiée et c'est la condamnation formelle de l'hypothèse centrale du bolchevisme selon laquelle le développement du capital sous le contrôle de la dictature du prolétariat ne détruit pas l'énergie sociale du mouvement de la révolution.

Mais il importe moins aujourd’hui de supputer rétrospectivement la réalité ou l'inexistence à cette époque d’une possibilité de bifurcation du processus historique effectif en Russie, que d’en éliminer, dans le subconscient collectif, les résidus qui constituent le principal obstacle du processus révolutionnaire encore à venir. La racine de cet obstacle, nous la rencontrons tout au long du legs idéologique bolcheviks dont l'inventaire vient confirmer la sentence irréfutable de Pannekoek qui, en 1928, restituait à l'histoire la révolution russe comme révolution bourgeoise.

 En tant que contribution à la critique amorcée par Pannekoek, l'œuvre de Reich, nous devons le rappeler, n'est pas pour nous prétexte à une spéculation a posteriori sur l’hypothèse implicitement contenue dans cette œuvre d’une autre évolution possible du système soviétique. Notre préoccupation vise la liquidation du mythe léniniste et non une nouvelle écriture de l'histoire.

 Reich explore un domaine spécifique qui condamne explicitement toute théorisation du déplacement du centre de gravité de la révolution d’Octobre du social au politique et du politique à l’économique. La politique bolchevique qui, par la législation libérale de 1918, avait devancé le contenu social libérateur de cette libération, se replie bien vite devant l’irruption de ce contenu. Invoquant l'argument économique[9], elle règle de façon mercantile, c’est-à-dire par une réforme de la famille, la contradiction née du processus révolutionnaire, entre l'irruption des forces de vie et les tabous idéologiques qui réprimaient ces forces ; pis encore, elle reprend à son compte ces mêmes tabous[10].

 On ne peut reproduire ici l’argumentation de Reich. Ce qui est certain c’est qu'elle suscite chez le lecteur d’aujourd'hui, une impression irrésistible quant au mobile profond de la réserve ou de l'hostilité du corps de fonctionnaires bolcheviks, dont les arguments hypocrites, dans la "question sexuelle", ont le plus souvent empruntés à la morale bourgeoise, laïque ou religieuse. Ce que ces représentants du pouvoir bolchevique, ces spécialistes de la médecine ou de la sociologie redoutent en fait dans la "libération sexuelle", c'est qu'elle compromette l'effort productif.

Reich explique ce phénomène d'abord par l’absence de conceptions théoriques des bolcheviks sur la question, ensuite par l'influence grandissante des tendances contre-révolutionnaires dans les sommets de l’administration soviétique. L’invocation de ces raisons, bien que celles-ci ne soient pas fausses, incite à penser que l'auteur de la "Révolution sexuelle" professe comme une sorte de réformisme à l'égard du système bolchevique, dont il partage d’ailleurs les prémices théoriques avec tous les opposants communistes de son époque. En effet Reich admet implicitement que ce qu'il appelle "l'économie sexuelle" peut s'accommoder de la tâche effective qui se pose alors à la Russie soviétique : l'accumulation du capital. C'est là le côté volontariste de sa critique qui, sous cet aspect, contredit ce qu’elle démontre irréfutablement par ailleurs : l’impossibilité, sous le signe de l'exaltation de la production, de satisfaire tout besoin profondément humain. Les arguments qu'il cite des adversaires de "l'économie sexuelle" ne laissent subsister aucun doute quant à la liaison indissoluble qui existait dans la "Russie révolutionnaire" entre l'oppression de la force de travail et la répression de la sexualité. Si la perspective de Pannekoek d'émancipation par eux—même des travailleurs en tant que tels était utopique, celle de Reich l’était aussi qui voulait les libérer dans le même cadre en tant qu’êtres humains. Mais c'en est également fini de toute prétention léniniste de concilier la perspective d'un socialisme futur avec le développement présent de son obstacle essentiel : l’aliénation sociale au profit de l'accumulation du capital.

 La "révélation" contenue dans la critique de Reich ne doit d’ailleurs pas surprendre si l'on tient compte de ce qui était déjà connu de la sujétion du bolchevisme à l'égard de la société dont il prétendait poursuivre la destruction. Dans ses discours de 1921, Lénine traitant du rôle des syndicats dans la discipline de la production, évoque les deux moyens dont dispose le pouvoir bolchevique pour augmenter le rendement du travail : les tribunaux d’honneur qui, au nom de la réalisation des bases du socialisme, stigmatisent les mauvais travailleurs et les absentéistes ; les primes en argent ou produits qui récompensent l'augmentation des cadences productives. Il déclare tout net attendre plus de résultats du premier moyen que du second.

Cette priorité révèle le rôle d’apprenti sorcier joué à l'égard de la dynamique du capital par le bolchevisme qui, dans la perspective d'un communisme de plus en plus lointain et fumeux, en vint à ériger comme doctrine de l'Etat prolétarien une pure et simple idéologie du travail.

 

NOTES

Pannekoek et sa compagne
NB: j'ai été censuré par google pour avoir publié des photos trop osées pour illustrer la révo sex, donc elles sont remplacées par celles, affligeantes, du triomphe de la bureaucratie conservatrice de la morale bourgeoise, dont celle de cette pauvre Kollontaï.


[1] C’est précisément sous cet angle que Lénine traite le problème dans "L'Etat et la révolution".

[2] Nous avons déjà vu que diverses données reflétant les difficultés de la lutte de la Gauche des démentis historiques que de leur intention originelle. Rappelons cet "enchaînement" dans italienne dans IIIC sont de la même façon passées à l’état de dogmes dans le PCI au défi, tant des démentis historiques que de leur intention originelle. Au début cette conception est soutenue en raison de la force qu’oppose la bourgeoisie vaincue (celle-ci, quoi qu’évincée du pouvoir dispose encore (Lénine) "d'une grande influence, de la richesse, d'une connaissance supérieure", etc.). Ensuite cette dictature est considérée comme nécessaire, non seulement à l'égard des classes non-prolétariennes -paysannerie - mais pour soutenir les éléments moyens de cette paysannerie dont l'alliance est jugée indispensable par le pouvoir prolétarien. Il ne s’agit plus de l'hostilité à l'égard du communisme du petit détenteur de moyens de production, mais de son aspiration au capitalisme par la voie la plus longue contre la voie plus directe du capitalisme d'Etat, décrétée plus favorable au socialisme futur. Ces considérations ont encore une base réelle dans la perspective révolutionnaire ; Pannekoek y adhère lui-même. Ensuite l'obstacle ne concerne plus seulement les classes non-prolétariennes, mais le prolétariat lui-même. Durant la période trouble qui vit la répression de Cronstadt (1921) les bolcheviks invoquent la destruction du prolétariat révolutionnaire par la guerre civile et la dispersion dans les campagnes du nouveau prolétariat. Lénine procède alors à une généralisation principielle qui n'est que le pur reflet des conditions russes : le socialisme doit vaincre la force de l'habitude mille fois plus puissante, etc... Le raisonnement a encore une réalité, bien que la tâche de discipline sociale nécessaire au développement du capital entraîne une confusion fâcheuse quant à sa nature réelle du fait qu'elle est justifiée par la voie du socialisme. Mais le PCI, 50 ans plus tard, élève ces "conditions défavorables" de la Russie d'Octobre au rang de données permanentes de l'histoire et évoque, dans la perspective de la révolution future, "l’embourgeoisement moral des ouvriers ", leur "inertie", etc. A ce stade la conception léniniste a achevé son cycle ; elle en vient à nier le postulat historique sur lequel elle était fondée : l’aptitude du prolétariat à être une classe révolutionnaire puisant dans son acte même de libération les conditions nécessaires et suffisantes au rejet des tares léguées par l’ancienne société.

[3] On ne peut s'étendre ici sur cette théorisation du « subi ». Il suffit pour en trouver des exemples suggestifs, de parcourir les œuvres de Lénine.(Cf. notamment l’amalgame auquel il procède lorsqu’il assimile les "braillards" et anarchistes russes - selon lui produits par les difficultés économiques en Russie et la prédominance dans ce pays de l'élément petit-bourgeois - aux "semi-anarchistes" de la gauche allemande, qui mobilisent pourtant la fraction la plus combattive du prolétariat industriel dans le pays du capitalisme le plus avancé). On se souviendra aussi de ce que nous avons reporté du 3e congrès concernant sa défiance à l'égard de Bordiga, bien que, selon lui, celui-ci ait "renoncé à l’anarchisme" en "renonçant à l’antiparlementarisme" (Œuvres choisies ; t 2, période 1921)

[4] Pannekoek : "Lénine philosophe" ; édit Spartacus.

 [5] Bordiga : "...une thèse d’économie théorique... peut être moins radicale qu'un décret qui doit non seulement assurer certaines réalisations pratiques, mais aussi parler aux masses, les éveiller et les préparer aux tâches plus hautes des phases ultérieures » (L’économie d’Octobre à nos jours, p 5)

 


[6] Selon Reich, les limites de la transformation économique accomplie en Russie par la révolution ne sont nullement un obstacle à ce qu'il appelle "l’économie sexuelle". Citant divers témoignages - dont celui de Trotsky - il écrit que dans la Russie des années 1919-20, "la vie quotidienne était beaucoup plus conservatrice que l'économie, notamment parce qu'elle était beaucoup moins consciente que celle-ci" (W. Reich : "La révolution sexuelle"; édit.10/18, 1970, p.239,  souligné par nous)

 [7] Reich cite à ce propos Gruber, "spécialiste allemand de l'hygiène sexuelle" qui expose de façon lumineusement cynique le lien indissoluble entre la structure familiale et l'idéologie du travail salarié : "Nous devons considérer la chasteté de la femme comme le bien le plus précieux, car c'est la seule assurance que nous ayons d’être réellement les pères de nos enfants, et de travailler et de peiner pour notre chair et notre sang" (Reich, ouv. Cité., souligné par nous).  (Cette citation se trouve page 84 de l'ouvrage citée mais la citation exacte est la suivante : "Nous devons cultiver la chasteté de la femme comme le bien national le plus précieux, car c'est la seule assurance que nous ayons d'être vraiment les pères de nos enfants et de travailler et de peiner  pour notre chair et notre sang", NDE)

 [8] Reich, ouv. cité. P. 236

[9] Reich, ouv. cité., P. 278 : discours de Semachko, commissaire de la santé publique aux étudiants.(Il ne s'agit pas en fait d'un discours mais d'une lettre adressée à la jeunesse étudiante, nous la citons dans son intégralité : "Camarades, vous êtes venus dans les universités et les instituts techniques pour vos études. C'est là le but principal de votre vie. Et comme toutes vos impulsions et vos actes sont subordonnés à ce but principal, vous devez vous refuser de nombreux plaisirs parce qu'ils pourraient interférer avec votre objectif principal qui est d'étudier et de collaborer à la reconstruction de l'Etat, et vous devez donc subordonner ce but à tous les autres aspects de votre existence. L'Etat est encore trop pauvre pour prendre en charge votre entretien et l'éducation des enfants. Notre conseil est donc : Abstinence!"

[10] Reich dénonce l'utilisation abusive - pour prêcher aux jeunes la continence - d'une phrase de Lénine qui, selon lui, ne serait jamais allé aussi loin. Mais l’entretien de ce dernier avec Clara Zetkin dont est tiré cette phrase, n'en est pas moins édifiant quant à l'étroitesse de vue sur ce terrain du bolchevik le plus éclairé : "Cette prétendue (incomplet) (ouv. Cité p. 273). (en fait la citation en question se trouve page 276 et est la suivante : "Cette prétendue "nouvelle vie sexuelle" de la jeunesse, n'est souvent rien de plus que le bon vieux lupanar bourgeois. Tout cela n'a rien de commun avec la liberté de l'amour  telle que nous, communistes, l'entendons", NDE).

 


 

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