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suivi de la réponse de Vercesi/Peronne à Massimo Ambrogi
Traduction : Jean-Pierre Laffitte
Parmi les textes récupérés dans les archives de la police du régime fasciste italien, voici un texte polémique de haute tenue concernant le débat sur le rôle historique du parti et des fractions et leur place réciproque, rédigé par Ambrogi. Le texte polémique dirigé contre le principal animateur de la fraction en Belgique (Vercesi) est intéressant par ce qu'il restitue du débat dans le parti italien (réfugié à Moscou) et la fraction (à Bruxelles) : fraction et parti se forment-ils seulement à la veille d'événements révolutionnaires ? Ambrogi n'est pas très clair, puis on s'interroge sur sa dureté contre Trotsky (qui ne fait que recopier l'accusation d'opportunisme avéré par la fraction en Belgique). Puis une insistance pour que la lutte se déroule surtout dans les partis (stalinisés). Les termes incriminent les positions anti-opportunistes de la fraction (avec Vercesi) tout reprenant sa critique contre la « formation utopique d'une IV ème internationale, plus proche de la deuxième que de la troisième » ; cette dernière remarque peut sembler unir la conception correcte de la fraction bruxelloise (quelques fois nommé à tort bordiguiste par de modernes observateurs superficiels) et l'hystérie stalinienne anti-Trotsky. Mais le glissement s'opère finalement en apologie de l'Etat et du Komintern staliniens : soutien au plan quinquennal capitaliste d'Etat, soutien à la bolchevisation, à la NEP comme nec plus ultra, et enfin salutation à la domination du parti russe sur toutes les sections du Kmontern. Massimo Ambrogi un simple opportuniste, « boukharinien » ? Pas vraiment, mais agent double et même triple oui.
Sans le travail précieux d'historien de longue date de Philippe Bourrinet, je n'aurais pas soupçonné un instant que Ambrogi était au service des polices staliniennes et fascistes. J'avais d'ailleurs nuancé cette information dans un message blog (première série de publication des archives policières italiennes)en février 20171.
Philippe Bourrinet démontre les preuves du triple jeu de Ambrogi, sans souligner pourtant l'intelligence de celui-ci et son niveau politique hors du commun, par un historique de sa carrière dans son indispensable « UN SIÈCLE DE GAUCHE COMMUNISTE «ITALIENNE» (1915-2015) (Suivi d’un) Dictionnaire biographique d’un courant internationaliste »2. Voici des extraits de la description de cette « trouble » carrière :
«(…) Les «collègues» soviétiques du GPU faisaient de même par l’intermédiaire d’Ersilio Ambrogi (Massimo)*, qui surveillait la Fraction à Bruxelles, depuis sa sortie «miraculeuse» de l’URSS en avril 1936. Peut-être le faisait-il déjà aussi pour le compte de l’OVRA, puisqu’il fit allégeance au régime fasciste en 1940, avant de réintégrer le parti stalinien en 1956, après l’écrasement de l’insurrection ouvrière de Budapest. (…) Certains, comme Ersilio Ambrogi, agent double OVRA/Guépéou, purent même réintégrer le «Parti». Une investigation approfondie dans les archives de police devait prouver (tardivement) qu’Ignazio Silone, dirigeant du «Parti», appelé à devenir un célèbre écrivain, avait été un «fiduciario» de la police secrète. (…) Membre du PC d’Italie dès 1921, il (Ambrogi) est destitué de ses charges en février, puis arrêté pour «homicide» dans des affrontements avec les fascistes. Il sort de prison en mai 1921, quand il est élu député. Condamné à 21 années de prison, il dut quitter le pays. Il est délégué à l’Exécutif du Komintern à Moscou avec Gramsci en 1922-1923. Jusqu’en 1924 il représenta auprès du KPD le parti italien. Il est délégué par la centrale du PCI au côté de Bordiga, Gramsci, et de Graziadei (qui représente la minorité), au IVe congrès du Komintern. Il réside à Moscou, en 1924, où il travaille comme traducteur pour le GPU qui le nommera général de division. Présent en 1926 au VIe plenum de l’Exécutif du Komintern, au côté de Bordiga. Défenseur des positions bordiguistes, il tenta avec Virgilio Verdaro, Mario de De Leone, Arnaldo Silva et d’autres de créer un petit noyau en contact avec la Fraction italienne en France et Belgique. (…) Il continue néanmoins à travailler pour le GPU, et bien que soupçonné de «fractionnisme» et de «trotskysme», il est envoyé par son employeur à Berlin de 1930 à 1932, où il reste sous surveillance. Il est pourtant actif dans la Fraction et a des contacts avec l’Opposition trotskyste allemande, en particulier avec le groupe de Wedding (quartier rouge de Berlin) et Kurt Landau, mais aussi Andreu Nin, présent à Berlin. Il est rappelé par le GPU à Moscou en 1932. Relégué avec sa famille, il «capitule» officiellement en mai 1934 et fait acte d’allégeance au stalinisme, «pour l’unité du parti». Toujours agent du GPU, il prend contact avec les autorités fascistes pour gagner la Belgique et surveiller la Fraction italienne. Il obtient de l’ambassade italienne à Moscou l’autorisation de passer ses archives par la valise diplomatique et quitte l’Union soviétique le 10 avril 1936. Le 7 septembre, le ministère de l’intérieur italien communique aux autorités belges des renseignements favorables sur son compte. À Bruxelles de 1936 à 1940, la Fraction italienne refuse tout contact avec lui. Selon Dante Corneli, il fut très tôt un agent stalinien, un espion fasciste qui avait fourni à la police italienne «d’importants renseignements sur l’activité clandestine que le Parti (communiste) déployait en Italie». En 1940, il fait dans un journal belge l’éloge du fascisme mussolinien. Il rentre en Italie au début de l’année 1942, où il est acquitté en mars par la cour d’assise de Padoue pour ses activités antérieures. D’octobre 1943 à mai 1945, ne bénéficiant plus de la protection des autorités fascistes, il est déporté en Allemagne. Retourné en Italie, il reprend sa profession d’avocat. Il ne sera pas réintégré dans le PC en 1945. De 1956 à sa mort, il est à nouveau membre du PCI ».
Or Bourrinet n'analyse pas ce qui a fait de Ambrogi un indicateur de police. Comment un type de cette carrure intellectuelle qui s'était sincèrement engagé dans le combat socialiste au début du siècle dernier puis dans l'apologie du communisme moderne, a-t-il pu ainsi trahir la cause ? Bourrinet nous apporte la réponse lui-même. Au cours d'une manifestation dans sa jeunesse Ambrogi aurait tué un policier ; pour cela il devait écoper de 21 années de prison sous un régime démocratique ou même fasciste. On se doute que vu les capacités intellectuelles et théoriques de l'individu, son parcours valeureux auprès des plus honnêtes militants, l'Etat bourgeois avait eu intérêt à négocier son « achat », et d'ailleurs, il faut le noter sarcastiquement, aussi bien l'Etat mussolinien que stalinien. Le basculement vers l'ordre bourgeois de certains militants de qualité ou très exposés n'est pas dû donc forcément à un simple embourgeoisement idéologique. Il me suffit de rappeler le cas de Doriot. Grande brute d'un mètre quatre vingt dix, il aurait tué lui aussi un policier lors d'une manif qui avait tourné en émeute. Doriot avait fait partie de la gauche trotskiste, comme d'ailleurs Thorez) à ses débuts. En France dans les années 1930 les factions bourgeoises étaient dominées par la faction d'extrême droite, plus monarchiste que fasciste, et il faut en déduire qu'elle avait opéré le même type d'achat pour un gaillard qui était fort en gueule et réputé bon orateur.
Revenons à Ambrogi, indépendamment du fait qu'il ait été ficelé par la police (mais pardonné par tous à la Libération et réintégré dans les rangs staliniens), il vaut de relire l'argumentation stalinienne sophistiquée de l'époque, qui n'était pas aussi simple à contrer à l'époque que ne l'imaginent tous les trotskiens dégénérés et anarchistes féministes antiracistes qui font beaucoup de bruit pour rien de nos jours. Ambrogi semble en outre persuadé lui-même de défendre la vraie perspective communiste à partir de Moscou, en croyant sans doute se venger de son fil à la patte, il est donc « honnêtement » véreux.Le texte qui suit semble correspondre à la période où il a été « retourné ».
JLR
À propos des observations
du camarade Vercesi
Texte de Massimo Ambrogi
Avril 1930 ou 1931 ?
Encore une fois, je dois écrire sur l’Opposition Internationale sans avoir sous les yeux le matériel relatif à la conduite de notre Fraction à l’occasion de la Conférence de Paris. Et ce serait d’autant plus nécessaire que le camarade Vercesi interprète mon projet comme quelque chose de diamétralement opposé aux positions prises par la Fraction à ce moment-là. Je remarque néanmoins, et cela me paraît fondamental, que, entre les propositions formulées par la Fraction à la Conférence de Paris et rapportées dans les Observations du camarade Vercesi et mon projet, je ne trouve aucune différence substantielle. L’on peut même dire que le projet est destiné à la mise en œuvre de ces propositions, lesquelles n’ont eu aucune application jusqu’ici. Et il ne semble pas permis d’espérer qu’elles puissent en avoir une si nous ne nous décidons pas à intervenir de manière active au moment opportun, comme corollaire nécessaire d’une juste critique doctrinaire.
Le désaccord réel avec le camarade Vercesi concerne en revanche certaines de ses affirmations qui me paraissent nouvelles pour la Fraction. Je ne sais pas jusqu’à quel point la précipitation de la rédaction a pu en atténuer la portée : il faut en tout en cas en relever la gravité et chercher à les tirer au clair immédiatement et complètement.
Le camarade Vercesi considère que seules « les inévitables situations définitives permettront la constitution d’une Fraction internationale de gauche » et que, dans l’attente de ces situations inévitables, « nous ne devrions pas vouloir la constitution de la Fraction internationale » et que nous devrions la vouloir seulement « à la veille des événements qui doivent conclure fatalement de manière violente les multiples instabilités des situations que nous vivons ». Avec cela, le camarade Vercesi a soulevé la discussion de problèmes qui sont vraiment fondamentaux et, relativement au projet, préjudiciels. Mais il faut également ajouter que la situation de fait ne semblait pas présenter l’actualité d’une telle discussion. L’adhésion de la Fraction à la Conférence de Paris, et ensuite au Secrétariat, la signature de documents du Secrétariat, le tout malgré des désaccords et des réserves, semblait ne pas laisser de doutes sur la conviction de la Fraction à propos de la nécessité actuelle d’une organisation internationale. Le même intérêt pour la Conférence européenne projetée, ainsi que l’invitation qui m’a été faite de rédiger un projet de caractère international, confirmaient cette conviction. Mais une organisation internationale des oppositions de gauche n'est pas et ne peut pas être autre chose qu’une Fraction internationale de gauche ou une nouvelle Internationale. Sinon, elle serait tout au plus une académie : ce qui ne semble pas correspondre aux objectifs spécifiques ni de fractions, ni de partis politiques. En effet, les propositions mêmes qui ont été formulées par la Fraction à la Conférence de Paris ne visaient qu’à la formation d’une Fraction internationale ou, si l’on préfère, d’une Internationale ; et le camarade Vercesi lui-même les synthétise de la façon suivante : « d’abord des bases dans chaque pays (plateforme), et ensuite conférence internationale d’unification ». Je souligne : conférence internationale d’unification.
Les affirmations du camarade Vercesi apparaissent donc comme absolument nouvelles, et, à ma connaissance, elles ne sont autorisées par aucun document de la Fraction. L’on doit dire la même chose de l’autre affirmation du camarade Vercesi, à savoir que la constitution d’une Fraction internationale de gauche « n'est que l’étape qui précède immédiatement une nouvelle Internationale ». Que l’on ne puisse pas exclure cette perspective a priori, c’est évident : mais cela ne signifie pas que l’on doive exclure a priori l’autre perspective, celle du redressement de l’Internationale. Et, également à cet égard, il ne semblait pas que les textes de la Fraction et le fait de son adhésion au Secrétariat puissent laisser un doute quelconque. Mais la nouveauté, même si elle s’oppose aux directives suivies jusqu’ici par la Fraction, ne suffit pas à infirmer les affirmations très sérieuses du camarade Vercesi. Cela vaut donc la peine d’examiner le lien de ces affirmations, et d’établir si et à quel point celui-ci résiste à la critique.
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Le camarade Vercesi part d’une référence historique erronée, c'est-à-dire que la constitution de la Fraction internationale de gauche de la II° Internationale aurait coïncidé avec la construction de la III° Internationale. En réalité, la constitution de la Fraction internationale de gauche de la II° Internationale n’a jamais eu lieu. Il y a eu des fractions nationales qui sont passées directement au stade international pour former la III° Interna- tionale et pour y adhérer. L’état intermédiaire d’une véritable Fraction internationale est une expérience qui me semble ne pas avoir de précédents historiques et qui ne se justifie que si l’on exclut l’hypothèse d’un redressement de la III° Internationale. Si l’on exclut cette hypothèse, il faudrait alors conclure à la formation d’une nouvelle Internationale. Dans un cas comme dans l’autre, l’on ne comprend pas pourquoi l’on devrait s’occuper de vouloir la formation de l’organisation internationale seulement à la veille des événements décisifs. L’on peut discuter des possibilités actuelles, mais le fait que l’on doive opposer aux possibilités éventuelles une volonté contraire est absurde, et contradictoire avec les autres affirmations du camarade Vercesi. Évidemment, il ne s’agit pas de la formation de n’importe quelle organisation internationale, mais de la formation d’une organisation internationale – pour employer les mots mêmes du camarade Vercesi – « sur la base de l’adhésion de l’avant-garde à un certain nombre de notions que les expériences ont mises en évidence en tant que patrimoine absolu de la classe prolétarienne » : et l’on pourrait ajouter que le projet en discussion garantit non seulement l’adhésion à ce certain nombre de notions, mais aussi leur élaboration collective qui assurerait ainsi l’intégration des expériences de chaque prolétariat, laquelle est à juste titre demandée par la camarade Vercesi lui-même.
Le camarade Vercesi reconnaît « la nature franchement et uniquement internationale » du marxisme, « sur la base de l’intégration des deux notions suivantes : formulation et direction internationales des luttes du prolétariat ; constitution de partis qui se fixent comme objectif fondamental de concourir à la révolution communiste mondiale par la destruction de leur propre impérialisme ». Mais sans une organisation internationale, l’on conçoit mal cette formulation, et l’on ne conçoit pas du tout la direction internationale des luttes du prolétariat. Et le camarade Vercesi d’ajouter : « En général, nous sommes par conséquent favorables à une Internationale fortement centralisée qui soit à même de fonder des sections capables d’abattre le capitalisme dans leur secteur respectif ». Et ailleurs : « Celui qui est qualifié pour résoudre les problèmes des expériences sociales et de classe dans son secteur, c’est le parti qui vit au contact de ces expériences de classe. Naturellement, cela doit s’effectuer dans le sens d’une centralisation internationale ». Et lorsqu’il parle spécifiquement de la Fraction : « Nous devons former les groupes, nous devons parvenir à une homogénéité à l’échelle internationale, nous devons créer un centre et une ferme discipline internationale. Et l’on peut dénommer cela le tout ce qui nous reste à faire ». Evidemment, tout cela s’oppose clairement à l’autre affirmation du camarade Vercesi selon laquelle, jusqu’à la veille des événements décisifs, l’on ne doit pas vouloir la formation de l’organisation internationale : affirmation que le camarade Vercesi a laissée dans un état arbitraire, sans s’occuper le moins du monde d’en démontrer l’exactitude, ou sans s’occuper au moins de démontrer le manque de fondement des hypothèses différentes.
Le camarade Vercesi crée l’antithèse : « constitution de la Fraction internationale de gauche » - « d’abord, des bases dans chaque pays (plateforme) et ensuite conférence internationale d’unification ». Mais la plateforme n'est pas quelque chose qui se crée nécessairement à la veille des événements décisifs. Et ce n’est pas tout : si la plateforme nationale doit être harmonisée avec la plateforme internationale, et si les luttes du prolétariat constituent la base de l’uniformité de la plateforme nationale et internationale, celles-ci doivent avoir une direction internationale, du moins dans les luttes décisives (sinon, l’on ne comprend pas à quoi se réfèrerait la direction internationale des luttes du prolétariat), et il faut reconnaître la nécessité d’une élaboration collective internationale antérieure, non seulement idéologique, mais aussi organisationnelle : ce qui se concrétise seulement dans l’organisation internationale, matière et résultat à son tour d’expériences plus ou moins longues et nombreuses, et ce qui ne s’improvise pas à la veille des événements décisifs ; lesquels – et les expériences malheureuses sont là pour le prouver – mûrissent autrement en l’absence de la formation idéologique et organisationnelle adéquate du prolétariat, qui est alors condamné à passer de défaite en défaite. L’expérience de la Révolution russe, qui a été lancée de manière heureuse sans le concours d’une organisation internationale solide et expérimentée, est encore en cours : mais il ne fait aucun doute que l’absence de cette organisation d’abord, et ensuite les erreurs de sa formation et celles qui en sont la conséquence, ont contribué et contribuent pour beaucoup aux difficultés du développement de la Révolution russe, comme de la révolution internationale en général.
Le camarade Vercesi ne voit pas ces contradictions parce qu’il semble considérer que l’organisation internationale des oppositions pourrait se réduire à autre chose qu’à la formation de la nouvelle Internationale ou à la constitution de la Fraction internationale. En fait, il admet à partir de maintenant l’utilité d’un centre international, lequel – ajoutons-nous – ne peut évidemment exister si ce n’est comme le produit d’une organisation internationale, et il voit « la forme du centre international des oppositions non comme un organisme qui se fixe comme but celui de l’unification des groupes de toutes les couleurs, mais comme un organisme qui aide les groupes de tous les pays à se fonder sur la base d’une plateforme ». Le camarade Vercesi doit être convaincu que nous-mêmes partons en guerre contre l’unification des groupes de toutes les couleurs, alors que tout notre projet est orienté précisément vers la création d’une plateforme. Sauf que nous, nous en tirons les conséquences logiques, y compris du point de vue organisationnel, tandis que, jusqu’à la veille des événements décisifs, le camarade Vercesi considère cet organisme qui aide les groupes comme un deus ex-machina, sans prendre en compte ses rapports continus d’interdépendance avec les groupes eux-mêmes, au point – je veux employer encore les mots du camarade Vercesi – « de savoir intégrer les expériences de chaque prolétariat » afin de parvenir « à construire les cadres des partis communistes ». Mais le camarade Vercesi fixe cette tâche à l’Internationale : en effet, ce Secrétariat, qui est compris autrement que comme le centre d’une véritable organisation internationale, que ce soit l’organisation de la Fraction internationale parallèle à celle du Komintern ou une nouvelle Internationale, n’a aucun sens pratique et il en est réduit à s’abstraire de la réalité.
Il nous semble en somme que le camarade Vercesi ne résout clairement le problème ni de l’organisation nationale, ni de l’organisation internationale. Il affirme que, « une fois fixés les principes généraux » (et il a d’abord reconnu que « cela s’effectue uniquement sur le plan international »), « il s’agit de résoudre l’autre problème : les sections de chaque pays ne se constituent pas sur la base de l’adhésion formelle d’éléments ou de fractions aux principes généraux proclamés. Au contraire, ce problème se résout uniquement par le réexamen rétrospectif des expérience des luttes de classe dans chaque pays afin de rechercher l’élément de continuité qui pousse tel ou tel groupe à aboutir à la construction internationale de l’organisation ». Posée ainsi, la question se réduit à un cercle vicieux qui ne mène à rien : d’abord l’œuf ou d’abord la poule ? Évidemment que la proclamation des principes généraux à l’échelle internationale se fait avec le concours des groupes nationaux qui, par le fait même qu’ils sont d’accord avec cette proclamation, jettent les bases de l’organisation internationale dont ils vont faire partie. Sinon, dans la pratique, de quoi et pour qui la validité des principes généraux se déduit-elle ? À partir de ce moment-là, les sections déjà constituées, qui ont déduit ces principes généraux des expériences passées et internationalement contrôlées, cherchent à conformer leurs plateformes nationales à eux ; et les expériences suivantes doivent contrôler la validité des plateformes nationales à la lumière des principes généraux, lesquels sont ainsi contrôlés à leur tour : jusqu’à ce que, avec la survenue des événements décisifs, nous ayons des organisations prolétariennes fortement encadrées et expérimentées nationalement et internationalement, idéologiquement et organisationnellement, qui sauront affronter les situations victorieusement. Et évidemment, une fois l’organisation internationale formée, elle a pour tâche de former à son tour des sections nationales, y compris dans des pays qui ne sont pas représentés en elle, en aidant les groupes qui offrent le plus de confiance pour effectuer – nous le disons avec Vercesi – « l’examen des expériences complexes de classe dans chaque pays qui permet d’appliquer les principes internationalement reconnus comme valides aux rapports de classe embrouillés et particuliers auxquels la domination du capitalisme donne lieu dans chaque pays », en en faisant par conséquent résulter avec clarté une plateforme qui soit conforme à ces principes. Quand il apparaît avec une clarté évidente aux partis du prolétariat que leur véritable et nécessaire nature est internationale (et il est superflu de démontrer ici comment et pourquoi cela se produit avec le développement de la phase impérialiste du capitalisme), l’on conçoit que leur développement soit intégré nécessairement, car c’est ainsi et pas autrement, dans de leur organisation internationale. Et l’on doit dire la même chose à propos des fractions. L’affirmation différente du camarade Vercesi, selon laquelle « la Fraction à l’échelle internationale signifie que le problème des rapports de classe dans un certain secteur, qui devra bouleverser toute l’organisation mondiale et entraîner par conséquent le problème de la clarification à l’échelle internationale, est déjà résolu ou est sur le point d’être résolu », est purement arbitraire. La Fraction, en tant que partie du Parti communiste, a ses propres lois de développement. Le problème de la clarification à l’échelle internationale est déjà posé dès maintenant, et il s’agit de se préparer dès à présent à le résoudre à l’échelle internationale : et cela n’est pas possible sans l’organisation internationale.
L’on retrouve encore cette incertitude du camarade Vercesi sur le problème organisationnel là où il affirme que « la solution de la crise communiste signifiait en définitive la solution du problème que l’Internationale n’avait pas su et pu résoudre, c'est-à-dire celui de la construction des partis communistes dans tous les pays. Cela ne signifiait naturellement pas que l’on devait lancer immédiatement le mot d’ordre de la construction des nouveaux partis communistes, mais cela signifiait que la tâche de la Fraction de la gauche communiste était de résoudre dans chaque pays le problème qui n’avait pas du tout été résolu avec la construction de l’Internationale. ». Encore une fois, c’est un cercle vicieux stérile auquel l’on peut opposer les affirmations du camarade Vercesi lui-même dans un article précédent (voir “Bolletino Interno” n° 2) : « Les conditions pour la fondation d’un Parti communiste existent pour la même raison que l’évolution fatale du capitalisme vers le socialisme. Indépendamment des situations, ces conditions existent actuellement dans le monde entier ». Et alors ? Le camarade Vercesi reconnaît à juste titre que la méthode et les principes du marxisme « se matérialisent dans la construction d’une organisation de classe du prolétariat » : mais dans la pratique, confronté à cette construction, il s’arrête par le simple fait de sa volonté dont il ne nous donne aucune justification.
Je ne m’étends pas sur l’autre affirmation du camarade Vercesi qui concerne les perspectives de la Fraction et sur laquelle je pourrai éventuellement intervenir au cours de la discussion. Je me limite à énoncer son opinion de conclusion : la solution de ce problème, qui est du reste en définitive celui de la solution de la crise communiste, est aujourd'hui prématurée, car elle se réduit en substance aux deux hypothèses fondamentales du redressement de l’Internationale ou de la fondation d’une nouvelle Internationale. L’une et l’autre de ces hypothèses sont liées à l’évolution des événements : et il est probable que seule la situation qui se présentera en accompagnant un grand événement historique désignera de façon non équivoque l’une ou l’autre d’elles. La Fraction doit être préparée à l’une comme à l’autre de ces hypothèses, conçues de manière égale comme le débouché naturel de la Fraction, à condition que la ligne de son activité ait été juste.
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Le rapport qui est joint au projet contient une proposition qui est subordonnée au refus éventuel du projet de nous détacher du Secrétariat ; et dans ce cas, je proposais aussi que nous prenions l’initiative de la Conférence européenne sur les mêmes bases que le projet : et il est superflu d’ajouter que, dans l’hypothèse où la Fraction ne voudrait pas assumer une telle initiative, je serais d’avis qu’elle devrait collaborer à n’importe quelle initiative se situant sur les mêmes bases et provenant d’autres.
À cet égard, le camarade Vercesi soutient que « notre préparation à cette perspective inévitable » (des situations définitives) « se voit aujourd'hui du point de vue de la défense de l’unité du Secrétariat et de la défense de nos positions en son sein ». Comment le camarade Vercesi justifie-t-il cette affirmation alors que le Secrétariat n’offre aucune garantie et qu’il effectue un travail néfaste ? « Cette expérience du Secrétariat international doit être examinée par la Fraction en partant de la conviction absolue que le camarade Trotski a appliqué et applique une méthode politique qu’il croit être la bonne, et non que nous nous trouvons en présence exclusivement d’une série de manœuvres » et nous devons « orienter nos critiques surtout sur cette méthode si elle ne nous paraît pas appropriée aux buts de la lutte prolétarienne ». Malgré tout, la croyant bonne, Trotski applique – même si c’est avec moins d’habileté et moins de succès – la même “méthode politique ”que Staline. Et nous avons déjà adressé inutilement nos critiques à cette méthode qui a fini par mener les oppositions internationales dans un tel état de désagrégation qu’elle semble imposer l’initiative qui découle de nos critiques, même si celle-ci n’est possible qu’en dehors du cadre du Secrétariat. Et nous avons déjà cherché inutilement à défendre nos positions en son sein. Et nous ne pouvons pas renoncer à cette initiative pour défendre l’unité du Secrétariat, qui représente lui-même tour à tour un élément de désagrégation ou d’unité de bric et de broc, et pour continuer à défendre nos positions en son sein même quand cette défense paraitrait possible et utile seulement en dehors du Secrétariat : et quand – il faut aussi en tenir compte – toute prise de position du Secrétariat et tout nouveau texte de Trotski ne font qu’approfondir, y compris du point de vie idéologique, le sillon qui nous sépare.
Effectivement, il est permis de croire que ce qui tient à cœur au camarade Vercesi ne soit pas tant le Secrétariat que l’Opposition russe dont il a vu, à juste titre, qu’elle était la seule à s’exprimer dans le Secrétariat. Le camarade Vercesi considère que « la tâche internationale de la Fraction a été établie sur la base d’une unité entre notre Fraction et l’Opposition russe », et que « nous devons défendre cette position d’unité avec la Gauche russe, même si d’autre part la Gauche russe se fondait sur une autre conception. La devise –fais ce que tu dois, et ce qui doit arriver arrivera –, établie sur des bases marxistes et de classe, doit être notre devise. En définitive, si la Gauche russe peut prendre la responsabilité franche et nette de notre exclusion, nous, nous ne prendrons jamais l’initiative de faire sécession précisément parce que nous voyons que le processus qui est débattu en Russie est terminé et parce que nous considérons que se sont coalisées autour de la Gauche russe les positions de défense de la révolution communiste contre l’opportunisme. ». La question est sans aucun doute grave, et nous l’avons-nous-mêmes soulignée dans notre rapport. Il me semble toutefois exagéré d’affirmer que la Fraction a fondé sa tâche internationale sur la base d’une unité avec l’Opposition russe : il ne me semble pas du moins qu’il en soit ainsi, et s’il en est ainsi, que l’on permettre d’émettre des critiques. (Pour ne pas être mal compris, je veux rappeler que je crois avoir été le premier, quand notre Fraction n’était pas encore formellement constituée, à proposer de prendre contact avec l’Opposition russe alors que c’est précisément le camarade Vercesi qui me répondait alors qu’il ne voyait pas encore la situation comme étant suffisamment clarifiée, et il a peut-être raison : je dois en effet avouer que j’ai toujours eu l’impression que le camarade Trotski, bien qu’il ait manifesté une très grande estime personnelle pour le camarade Bordiga, ne voulait pas trop se compromettre avec nous, qu’il s’en tenait au contraire à d’autres liens, dans ce cas avec le camarade Parodi qui nous avait abandonné et qui était passé au centrisme, qu’il flirtait avec Zinoviev ; et celui-ci avait réalisé à son tour avec Trotski non pas un bloc, mais une unité (selon les propres mots de Trotski). Toutefois, la devise chère au camarade Vercesi a été aussi la mienne, et toute mon activité ne peut laisser planer de doutes sur ma solidarité avec la Gauche russe, et précisément avec celle dont Trotski est à la tête). Mais il y a une belle différence entre cette solidarité nécessaire et le fait établir la tâche internationale de la Fraction sur la base de l’unité avec la Gauche russe. La tâche internationale de la Fraction est supérieure à l’unité avec tel ou tel groupe et indépendante d’elle. Le principe de l’unité à l’échelle internationale – et je parle évidemment non pas de l’unité purement formelle, mais de la véritable unité dont j’ai discouru précédemment – est aujourd'hui le véritable absolu, et c’est une question de principe à laquelle l’on ne peut renoncer sans renier en cela notre nature d’organisation politique de la classe prolétarienne ; elle dépasse tout fait contingent d’unité avec tel ou tel groupe qui n'est pas et ne peut pas devenir une question de principe.
Les dangers qui découlent du fait de laisser à la seule Opposition russe l’initiative du regroupement international des oppositions étaient prévisibles – et cela est précisé dans un ancien document qui se trouve entre les mains de l’Exécutif de la Fraction et dont certaines parties sont de pleine actualité et validité (du moins celles qui concernent le caractère international de notre Fraction et celles qui concernent la nécessité de l’organisation internationale), et il ne serait probablement pas mauvais que, en cas de discussion, elles soient portées à la connaissance des camarades. Ces dangers n’ont pas été évités et les faits sont là pour démontrer que l’on parcourt de manière plus rapide et désastreuse la même voie qui a conduit l’Internationale dans l’état que nous déplorons. Ne pas s’opposer résolument, énergiquement – en ne restant pas à la fenêtre à nous limiter à conseiller l’autre voie, persuadés que l’on devra au bout du compte s’engager fatalement dans l’autre voie, mais en descendant nous-mêmes dans la voie afin de la barrer et de prendre éventuellement quelques récalcitrants à bras-le-corps, et de chercher à contraindre au moins une avant-garde à changer de route avec nous – et donc ne pas s’opposer de la sorte serait non seulement une erreur, mais un crime vis-à-vis du prolétariat, même si, malgré notre volonté contraire, pour une raison supérieure, nous nous trouverons, dans cette phase des événements internes à notre organisation prolétarienne, du fait de notre initiative ou de celle d’autres, inévitablement séparés de l’Opposition russe. Il ne fait pas de doute que nous nous réunirons au moment utile si nous conservons, ainsi qu’eux, fondamentalement des organisations prolétariennes révolutionnaires saines : l’expérience de Trotski et de Lénine nous garantit cette perspective.
Il faut ajouter enfin que cette façon de poser la question de l’unité avec l’Opposition russe comme étant une question de principe ne fait que nous tenir prisonniers d’une situation intolérable, alors que, concrètement, du moins actuellement, il ne se présente aucune perspective de véritable travail unitaire avec l’Opposition russe. Trotski conserve les anciennes positions et il les aggrave : il nous a fait un clin d’œil, mais il a pris toutes les précautions pour ne pas s’engager du tout vis-à-vis de nous, dans l’attente de nouveaux [ ?] ; et dès que ceux-ci se sont pointés à l’horizon, il a commencé à nous donner des coups de pied. Et nous voulons nous dispenser de jouer le rôle des amoureux relégués au grenier et ... en-dessous à l’onanisme. Mais ceci nous épuise et ne nous donne pas d’enfants : nous avons besoin d’une progéniture saine et abondante. Si une éventuelle polémique doit donner des fruits, elle pourra être conduite pareillement, avec ou sans l’unité organisationnelle avec l’Opposition russe, étant donné qu’il est clair que nos positions politiques par rapport à elles ne changeront pas, même si, organisationnellement, pour une période plus ou moins brève, nous devrons nous en séparer.
Massimo
Pour l’unité du parti
Texte de Massimo Ambrogi Moscou – mai 1934
Je voudrais conduire les camarades de bonne foi qui restent dans les fractions, et ceux qui par hasard s’acheminent sur cette voie, à une série de considérations sur la base de mon expérience personnelle.
Si certains ont cru sincèrement à l’utilité, et plus encore, à la nécessité et à l’inévitabilité des fractions, je suis l’un d’eux : j’ai cherché à théoriser mes opinions et je suis allé, courageusement, plus que d’autres, au-devant d’extrêmes conséquences, et évidemment c’est pour cette raison que je bats en retraite avant les autres.
J’ai considéré que les partis communistes étaient dans l’erreur et que seules les fractions pouvaient les redresser en s’imposant à eux ou, en dernière hypothèse, en se substituant à eux comme partis. J’avais donc confiance en l’influence grandissante des fractions dans les rangs du Parti et – du moins comme prémisse nécessaire de la dernière hypothèse – en dehors de ses rangs : sans cela, les élucubrations les plus savantes ne sortiraient pas de la compétition académique pour prétendre à la direction de vastes mouvements de masse qui seuls peuvent culminer dans la révolution sociale. Que dit l’expérience à cet égard ? Je répète ici des réflexions que je considère encore comme justes et que j’ai déjà faites en tant que militant de la Fraction. Le tableau des fractions communistes peut se résumer ainsi : l’Opposition russe, à laquelle se joignent les désorientés qui appartiennent à tous les partis et qui se nourrissent de ses critiques épisodiques, et – exception qui complète le tableau – la Gauche italienne qui a sa propre plateforme, suffisamment complète, qui veut bien sûr l’union et qui affirme la nécessité de l’union des oppositions de gauche, mais sur la base de principes concrétisés en une claire plateforme d’abord, et ensuite sur la base d’une discipline internationale. Celle-ci ne fait ni progrès, ni régressions : l’immobilité est sa force. L’Opposition russe est quasiment finie : les autres oppositions, dès qu’elles se risquent sur le terrain des principes, s’effritent, se pulvérisent à l’infini. Il vaut mieux ne pas parler de l’influence sur le parti et sur les masses, indépendamment de ce petit élément négatif que toute polémique, bonne ou mauvaise, peut entraîner : il n’y a pas un seul événement de quelque importance, dans laquelle la fraction a, en tant que telle, laissé son empreinte, si l’on fait abstraction de quelques épisodes douloureux rapidement dépassés dans l’histoire du Parti russe. Or nous avons appris à interpréter le sens de l’histoire, lequel n’est pas arbitraire, et c’est pourquoi nous posons la question : quelle est le sens de ces constatations ? Les uns peuvent répondre : attendez que les principes se cristallisent. Les autres peuvent répondre : attendez que soient éliminées les méthodes d’arbitraire et de corruption érigées en système par Trotski au sein des fractions. En somme, une période de stabilisation serait encore nécessaire, période qui – devons-nous ajouter – semble s’orienter vers la formation utopique d’une IV° Internationale, plus proche de la II° que de la III°. Et que peut répondre la Gauche italienne qui a déjà cristallisé les principes et qui s’est montrée inattaquable aux méthodes trotskistes ? Et elle répond, et j’ai moi aussi répondu en substance avec elle : l’histoire des fractions nous enseigne : les fractions qui sont solidement fondées théoriquement et organisationnellement triomphent quand les événements se précipitent. Certains sont même allés plus loin et ils ont prétendu que la constitution même de la Fraction à l’échelle internationale devait être déterminée par la précipitation des événements. Et l’on m’accusera donc peut-être de ne pas avoir la constance d’attendre la réalisation de ce mythe. Or les événements, pour celui qui veut les suivre, se précipitent précisément avec une telle rapidité dans l’époque où nous vivons que cela rend possible la rapidité d’une synthèse. En effet, depuis que la Fraction existe, l’on a traversé les périodes de crise les plus variées, jusqu’à de véritables épisodes de guerre civile, sans qu’elle ait trouvé moyen de s’affirmer, d’orienter un courant même minime d’idées et d’actions vers sa ligne. Il faut constater que les membres de la Fraction sont disséminés un peu partout dans le monde, et que, à côté de l’organe de la Fraction et de son bulletin interne, il a été créé un bulletin d’informations en français qui avait une diffusion dans nombre de nations, et il faut reconnaître enfin que chaque membre de la Fraction est un propagandiste. Tout cela en vain. Et l’on reste obstinément dans l’attente messianique de je ne sais quelle précipitation définitive des événements, et, dans l’impossibilité d’avancer, l’on s’obstine à battre la mesure sur place.
Et cela n'est qu’un aspect de la question, lequel devrait déjà en soi être suffisant pour donner l’alarme, en tant que symptôme d’une maladie congénitale qui mine depuis le début la vitalité des fractions. Mais à cela, fait pendant l’autre aspect qui met en évidence la gangrène : c'est-à-dire que, devant leur impuissance, plus ou moins toutes les oppositions ont spéculé sur les difficultés des partis à pouvoir surmonter l’épreuve des événements, et de ce fait les fractions se seraient trouvées ipso facto dans la situation d’assumer la responsabilité de diriger le prolétariat vers son destin. Il faut reconnaître à cet égard que la Gauche italienne n’a pas atteint l’impudence du tapage obscène de la sibylle trotskiste qui n’arrêtait pas de prophétiser le malheur à cause des difficultés insurmontables, lesquelles étaient ensuite à plusieurs reprises renvoyées d’une période à l’autre. Qui ne se souvient pas de l’hypothèse de Trotski (je n’ai pas en ce moment sous la main son bulletin pour en faire une citation exacte) selon laquelle Staline et le Comité Central auraient conduit le Parti et le pays à la ruine, le chaos se serait alors déclenché, et Trotski lui-même, le sauveur, serait alors venu rétablir le premier noyau du nouvel ordre – boutade ou criminalité ? – avec Staline lui-même, ainsi qu’avec aussi quelques éléments de droite. Je me souviens que moi-même, alors homme de fraction et des plus implacables, j’ai écrit à cette occasion-là un article sur l’absurdité de l’hypothèse formulée par Trotski et sur … l’extravagance de ses conclusions qui contrastaient de manière absolument inattendue avec ses publications précédentes : mais qui confirmaient la tendance caractéristique de Trotski de vouloir constituer des blocs sans principes. Si la Gauche italienne n’en est pas arrivée à ce point, il n’en est pas moins vrai qu’elle aussi guette dans l’avenir quelque chose comme un dies irae qui tomberait sur la tête des partis communistes : et cela est dans la nature même des fractions. Quoi qu’il en soit, y compris à cet égard, que nous dit l’expérience ? L’on peut dire que, actuellement et dans chaque pays, les partis communistes se renforcent, et que là où ils ont subi les épreuves les plus dures, bien qu’à cause d’erreurs, de défaites et de victoires, non vaincus, légaux ou illégaux, ils sont restés sur le terrain, en conservant ou en acquérant dans une plus ou moins grande mesure de l’influence et de la capacité d’action, et en étant les uniques guides potentiels de la révolution. Quant à l’Union soviétique en particulier : le Premier Plan quinquennal a été réalisé et nous sommes sur la voie du second. À travers des difficultés, c’est vrai, mais les difficultés ont été surmontées, et le Parti sort renforcé quantitativement et qualitativement, comme les résultats de la dernière Ciska [?] et la manière dont elle a été conduite l’ont mis en évidence. Et nous ne parlons pas ici du renforcement de l’État prolétarien à l’intérieur et à l’extérieur. Comment est-il possible que tout cela ne fasse pas venir à l’esprit des fractions l’hypothèse qu’elles seraient elles-mêmes dans l’erreur et que ce serait la ligne générale du Parti qui serait dans le vrai ? Et comment ne pas voir alors que la voie des fractions, de toutes les fractions, heureusement presque impuissantes, ne peut que servir les objectifs de la contre-révolution ? Est-ce là une phrase toute faite ? Mais, de grâce : si par exemple je demande à n’importe quel membre de n’importe quelle fraction, à condition évidemment qu’il soit de bonne foi : pour la révolution internationale, pour le socialisme, est-ce un bien ou un mal que le Plan quinquennal ait été réalisé ? Je ne trouverai certainement pas un imbécile qui me répondra que c’est un mal. Mais alors, n’est-il pas vrai que les fractions, en spéculant sur les difficultés, n’auraient fait que les augmenter en entravant la réalisation du Plan ? Et cela n’aurait-il pas constitué, considéré de manière objective, tout du moins une action contre-révolutionnaire ? Mais n’est-il pas vrai que, si le Plan quinquennal a été réalisé, cela n’a été possible qu’en vertu d’une discipline de fer, imposée au Parti et au pays – et acceptée par eux –, qui aurait été inconcevable avec la coexistence avec les fractions ? Et alors, il faut encore convenir du fait que le Parti a frappé juste en s’opposant de toutes les façons aux fractions en tant que foyers de forces contre-révolutionnaires.
Il faut donc réexaminer les positions de manière très, très claire : c’est ce que nous nous apprêtons à faire.
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La constitution des partis communistes se réfère à un système de principes politiques et organisationnels qui sont inséparables les uns des autres, et qui sont soumis au contrôle, par voie hiérarchique, de tout membre individuel du parti, jusqu’à ses instances suprêmes et en définitive jusqu’aux instances suprêmes de l’Internationale, en dehors de laquelle les partis communistes, qui doivent former dans leur ensemble une véritable unité, ne sont pas concevables. Tout ceci est le fondement élémentaire nécessaire de la formation des partis et de leur adhésion à l’Internationale Communiste, et c’est pourquoi il constitue la pierre de touche pour fournir un jugement communiste sur les fractions. Je parlerai en particulier de la Fraction italienne de gauche qui est née avec la prétention de représenter le Parti et qui s’est trouvée ipso facto en dehors de l’Internationale. Nous avons déjà indiqué comment cette contradiction a été démontrée dans les faits. Mais nous voulons examiner maintenant les motifs qui nous ont fourrés en elle.
L’acceptation d’une hiérrachie d’organes implique en soi l’acceptation des formes selon lesquelles les divergences entre les divers organes, et entre ceux-ci et les membres individuels du Parti, doivent se régler. Si nous ne voulons pas déroger aux principes qui ont déterminé la fondation des partis communistes de la III° Internationale, la possibilité d’une minorité qui prétend se soustraire aux directives approuvées par les hiérarchies supérieures doit être pour nous inconcevable. Il faut soit reconnaître qu’il y a encore de la place dans la II° Interna-tionale, soit reconnaître que les fonctions de ces minorités cessent avec la fondation de la III° Internationale. Or si, dans les questions controversées, nous examinons les positions du Parti italien d’abord par rapport à l’Internationale, et ensuite celles de la Gauche italienne par rapport au Parti et à l’Internationale, nous devons reconnaître qu’elles ne correspondent pas du tout à ces normes de discipline qui constituent, avec la théorie de la révolution et de la dictature du prolétariat, les caractéristiques fondamentales de la III° Internationale qui la distinguent de façon absolue de n’importe quel autre regroupement politique. Nous n’entrons pas encore ici dans le vif des dissensions. Nous constatons que le Parti italien, dans son énorme majorité d’abord, réduit ensuite à une minorité restreinte, a eu des questions controversées avec l’Internationale. La presse du Parti a élaboré et diffusé librement ses propres points de vue. Le II° Congrès du Parti a approuvé des thèses qui s’opposaient aux directives de l’Internationale. Au sein d’autres partis où nous avions une représentation, dans les réunions internationales, dans l’Exécutif et dans les congrès de l’Internationale, nous jouissions de la plus grande liberté pour soutenir nos points de vue controversés. Et nous nous trouvions de plus en plus isolés dans le concert international. Il est absolument vrai que notre opposition se distinguait, par le sérieux de ses intentions, des camarillas et des vaines escarmouches académiques d’autres oppositions : ce qui, face à l’attaque soutenue et sans égards contre celles-ci, nous a valu d’être traités un peu comme l’enfant gâté(*) de l’Internationale. Mais nous n’avons pas abusé de cette situation privilégiée. Malgré l’impossibilité proclamée de faire l’expérience de nos points de vue ne serait-ce qu’à une échelle nationale (Bordiga) et donc de nous soustraire aux délibérations de l’Internationale, nous sabotions de fait ces délibérations, sans toutefois que nous fassions notre expérience, mais en entravant celle de l’Internationale. Et ce sabotage culmine dans le refus d’occuper des postes de dirigeants quand il s’agit d’appliquer résolument les délibérations de l’Internationale. Nous nous sommes moqués de la campagne désignée sous le nom de bolchevisation des partis communistes : mais nous tenions compte de la substance : en effet, cette campagne était destinée également et surtout à donner aux partis cette même discipline qui avait mené la Parti bolchevik à la victoire, c'est-à-dire le respect des formes qui garantissent l’unité d’action et le maximum d’efficacité pour ce qui concerne l’effort simultané de tous les membres et la meilleure utilisation de chacun d’eux. Or nous avons vu dans la bolchevisation le bâillonnement des partis. En réalité, tant que nous avons été majoritaires, nous avons cependant exigé l’application de cette discipline bolchevique au sein du Parti, et pourtant nous l’avons considérée au contraire comme arbitraire quand, en tant que parti, nous nous trouvions minoritaires ou absolument isolés au sein de l’Internationale, et quand enfin nous nous sommes trouvés minoritaires au sein du Parti. Nous trouvions parfaitement naturel, par exemple, que l’Exécutif italien invite Graziadei – lors du II° Congrès, me semble-t-il – à ne pas introduire dans le débat les divergences d’une minorité qu’il représentait. Mais il nous a paru comme étant d’une impudence grotesque la lettre que le Parti russe a envoyée aux partis frères pour les inviter à ne pas mettre en discussion la question russe lors du Congrès international. Et nous avons considéré comme un arbitraire sans nom le fait que, sous l’influence prédominante de Staline – il faut le reconnaître, et lui rendre hommage en démystifiant, une bonne fois pour toutes, la saleté des calomnies trotskistes –, le Comité Central du Parti russe avait pris la responsabilité de retarder le congrès statutaire du Parti, et de garder dans des limites rigoureuses la discussion pour sa préparation, quand il s’agissait avec cela de sauver non seulement l’unité du parti, mais avec elle la construction du socialisme. Nous comprenions très bien la rigueur du centralisme démocratique, et le fait que celui-ci permet – dans des situations d’une exceptionnelle gravité – aux hiérarchies suprêmes de se saisir éventuellement des pleins pouvoirs sans utiliser les règles ordinaires de consultation ; mais gare si, dans la pratique, cette discipline s’était retournée contre nos points de vue. Il est difficile de comprendre ce qui nous empêchait de voir la contradiction et de constater déjà à l’époque notre situation équivoque de fraction, laquelle devait déboucher inévitablement dans le fait de la déclarer officiellement au moment où une crise à peine sensible au sein de l’Internationale nous a fourni un minimum d’illusion concernant la possibilité d’une lutte efficace.
Il est clair que l’Internationale ne pouvait pas tolérer indéfiniment un état de fait qui contredisait les principes de sa constitution, et qui pour cette raison-là aurait pu représenter un obstacle à ses objectifs dans son développement ultérieur. Et quand celle-ci a pris des mesures, nous l’avons accusée de fractionnisme, nous avons prétendu que les Congrès du Komintern n’avaient aucune valeur, que la direction du Parti russe imposait ses propres décisions, que les dirigeants des partis étaient des corrompus, que leurs membres étaient des benêts qui répétaient la leçon sur commande, que c’était la terreur qui provoquait cette situation, terreur contre laquelle nous étions les seuls à oser nous rebeller. Entendons-nous bien : avec cela, je ne veux pas approuver sans réserve tout ce qui s’est passé dans le Komintern sous la direction de Zinoviev ; je suis même convaincu que nous avons été poussés sur la voie de la fraction à cause d’une réaction – bien qu’erronée dans sa forme – à des méthodes non conformes à une institution comme le Komintern. Mais il faut reconnaître que nous avons exagéré nos critiques et nos accusations, lesquelles allaient si loin qu’elles ne trouvaient plus, je ne dis pas de raison, mais ne serait-ce que de prétexte d’être, dans les faits déplorés auxquels nous faisions allusion ; si loin qu’elles ne se distinguaient plus parfois de celles que tous les ennemis de la révolution répétaient en chœur. S’il le faut, nous reverrons une à une toutes nos critiques et nous démontrerons comment seul un fanatisme aveugle de fraction a pu pousser des révolutionnaires à une telle attitude vis-à-vis de la III° Interna-tionale. Nous concluons ici sommairement que nous avons fondé le Parti communiste adhérent à la III° Internationale avec une conception de la discipline absolument juste et parfaitement conforme à l’esprit qui anime la discipline du Komintern, mais que nous n’avons pas su nous-mêmes l’appliquer, ce qui nous mis ainsi automatiquement en dehors des rangs de l’Internationale : notre exclusion n’a fait que sanctionner formellement un état de fait qui existait déjà.
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Les formes de discipline ou – disons-le plus largement – les principes d’organisation des partis politiques ont comme fondement des principes économico-politiques dont découlent le programme final et la définition du moyen décisif de sa réalisation, ainsi que, en se fondant sur eux, l’interprétation des situations économico-politiques de laquelle dérive le programme immédiat qui consiste dans le choix des moyens les plus appropriés pour préparer et rapprocher ce moyen décisif d’abord, et ensuite pour le réaliser et mettre progressivement en œuvre le programme final. Les conflits sur le plan organisationnel reflètent donc des conflits de nature politique. Il y a des conflits de nature politique compatibles, par exemple dans la II° Internationale, qui sont absolument incompatibles dans la III° Internationale ; il y en a d’autres qui sont compatibles à condition qu’ils soient résolus selon les principes organisationnels de la III° Internationale. En effet, si l’on ne peut pas mettre en jeu les principes sans lesquels l’organisation est une forme vide de contenu, l’on ne peut pas mettre en jeu l’organisation sans laquelle les principes demeurent lettre morte. Théoriquement, que je sache, ces deux catégories de conflits n’ont pas été encore définies. L’expérience les met toutefois en évidence, et c’est sur cette base que l’on peut dire que la Gauche italienne a eu des conflits de l’une et de l’autre catégorie. Personne, par exemple, n’a jamais exposé l’incompatibilité des positions prises par la Gauche italienne dans la question du front unique ou de la formation des partis communistes ; l’incompatibilité a résulté de l’esprit fractionniste qui animait ces positions et qui conduisait jusqu’au sabotage des délibérations de l’Internationale, jusqu’à des critiques qui nous réunissaient désormais systématiquement aux courants contre-révolutionnaires de tous acabits. Il en est tout autrement, par exemple, concernant la position prise dans la question de la construction du socialisme dans un seul pays, a priori incompatible ; comment cela a été sanctionné, nous aurons l’occasion de le démontrer par la suite.
Également pour ne pas nous répéter inutilement, nous ne voulons pas examiner ici un par un les divers conflits qu’a eu la Gauche italienne avec l’Internationale. Il me semble plus efficace de me référer à eux à titre d’exemple en étudiant au contraire le motif qui les a tous plus ou moins provoqués, c'est-à-dire l’incompréhension de la situation.
Revenons rapidement à la période dans laquelle les partis communistes se sont formés. Le tourbillon de la révolution s’abattait sur la vieille Europe. Les gonds abîmés du capitalisme grinçaient mais ne cédaient pas, et celui-ci trouvait l’ultime force de résistance dans la trahison des partis sociaux-démocrates qui avaient le contrôle sur le gros du prolétariat, cette force décisive de la révolution. Qu’est-ce qui manquait donc pour que celle-ci triomphe ? L’expérience russe fournissait l’enseignement : il manquait le guide de la révolution, le parti du prolétariat, intransigeant, classiste, animé d’une doctrine révolutionnaire et rigoureusement organisé, il manquait en somme le parti communiste. Et affluaient à Moscou des représentants de parti, de fractions, de tendances, et Bakou accueillait les représentations des peuples coloniaux qui venaient elles aussi s’inspirer des leçons de la Révolution russe. Il y avait dans le monde entier un travail fébrile de prises de contact, de discussions, de délibérations, qui retentissaient dans de vastes proportions sur les scènes des congrès, un travail destiné à organiser une puissante III° Internationale qui devrait diriger la révolution mondiale. Et en effet, la révolution était là : il suffisait de la diriger. La Russie elle-même, au lendemain de la révolution, s’était donné des formes de socialisme ainsi que des premières mesures de communisme – qui ont été par la suite définie comme étant du communisme de guerre –, formes qui ont été expliquées au monde dans une synthèse de doctrine et de pratique avec la diffusion sur une large échelle de l’A.B.C. du communisme. Des formes qui se justifiaient pleinement dans une situation de guerre civile en cours ou potentielle dans le monde entier, laquelle faisait prévoir par conséquent l’écroulement du capitalisme à brève échéance. Mais ensuite, il s’est produit ce que nous savons tous. Les masses qui adhéraient en raison d’une longue tradition aux partis sociaux-démocrates ont permis à ceux-ci de faire jusqu’à l’abjection l’expérience de leur trahison, les partis communistes, bien qu’ils se soient battus héroïquement, ne sont pas parvenus à prendre le contrôle assuré des masses, la bourgeoisie est passée de l’état de désorientation et de passivité, de celui d’une quasi résignation fataliste à l’égard de cette révolution, à la résistance et par conséquent à l’attaque, la Russie – l’appui des autres partis communistes étant désormais réduit à une valeur presque exclusivement morale – s’est trouvée quasiment isolée pour défendre les conquêtes de la révolution. Il est absolument vrai que cette nouvelle situation n’infirmait en rien l’interprétation qui avait été faite de la crise capitaliste sur la base de laquelle la III° Internationale s’était constituée, à savoir qu’il s’agissait de la dernière crise que le capitalisme ne pourrait pas surmonter et qui devait déboucher de manière catastrophique sur de nouvelles guerres et révolutions, qui assureraient définitivement la victoire du prolétariat. Mais cela ne devait pas nous empêcher de voir qu’une nouvelle phase de cette crise se profilait qui démontrait que la bourgeoisie avait encore une capacité de résistance qui lui permettait, aux dépens du prolétariat trahi par la social-démocratie, une certaine réorganisation de l’économie qui approfondira en définitive les contradictions et aggravera par conséquent la crise, mais qui permettra cependant en même temps au capitalisme une relative stabilisation. Et l’Internationale se trouvait alors devant le problème non pas de la direction immédiate de la révolution, mais devant celui de la conquête des masses afin de recommencer à les pousser à la résistance et, à partir de là, à l’attaque et finalement à la révolution. Il fallait en somme exploiter dans le même but les circonstances de la nouvelle situation avec un ensemble de manœuvres, comme toute guerre en impose, qui devaient reconstituer les conditions favorables de la bataille temporairement perdues. Le Parti italien, dénué d’expérience et armé de schémas doctrinaires dont il avait tiré son origine, mais qui avaient été élaborés dans une période bien différente, n’a pas compris la nouvelle situation et il ne s’est pas adapté par conséquent aux nouvelles exigences. Puis, du fait de la force d’inertie et de l’esprit fractionniste, la Gauche italienne a persisté dans l’erreur et elle l’a développé. Je ne veux pas parler ici du conflit avec le Komintern sur la question du front unique qui, avec le changement des situations, me semble désormais avoir été réduit à sa plus simple expression, si ce n’est éliminé, et aussi parce qu’en tout cas le front unique a eu des applications telles que cela justifie le débat sur l’exactitude des formulations officielles. Mais, par exemple, le casus belli, que nous avons établi concernant le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, me semble aujourd'hui inconcevable, étant donné que l’on s’était réclamé sur tous les tons de l’expérience russe, que l’on avait répété que cela signifiait l’organisation des masses paysannes sous la direction du prolétariat, qu’il s’agissait en substance d’un synonyme de la dictature prolétarienne, applicable dans une période dans laquelle cette dernière formulation n’aurait pas été approuvée par les masses. En effet, bien que soumis aux pressions et aux ordres de l’Internationale, nous ne faisions que peu ou rien pour la conquête des masses qui n’étaient pas prêtes à sauter à pieds joints de notre côté de la barricade. Fascinés par la logique spécieuse de nos schémas doctrinaires, occupés que nous étions tous à sauvegarder la pureté des principes, nous ne prenions pas en compte la situation, et nous nous éloignions de celle-ci parce que nous ne la comprenions pas. Et pour preuve de notre incompréhension, il suffit de citer le fait que la Marche sur Rome nous a surpris comme un éclair dans un ciel serein ; il suffit de citer le fait que, dans chaque défaite, dans chaque mésaventure du prolétariat, nous voyions seulement les erreurs de l’Internationale, et que nous n’avons jamais su tirer de la situation les éléments qui les justifiaient. Le boucan que nous avons fait, par exemple, pour ce qui concerne la question chinoise et cela – il faut le dire – sous l’influence prédominante de l’information de marque trotskiste, ne se justifie pas, si ce n'est par l’incompréhension de la situation. Le Parti communiste chinois a commis des erreurs, et même des erreurs gravissimes, cela ne fait pas de doute. Mais la ligne générale de l’intervention du Parti communiste comme agent de la révolution nationale, comme allié en elle pour ses propres buts, a été juste : et les faits l’ont confirmé. Ses buts, la transformation de la révolution nationale en révolution sociale – bien que l’on sache a priori qu’émergeront aussi d’elle des forces contre-révolutionnaires –, marquent déjà des étapes importantes. La physionomie de la Chine est méconnaissable. Mais nous avons souligné les erreurs du Parti, le développement des forces contre-révolutionnaires, et nous nous sommes moqués des soviets chinois qui tiennent allumé le flambeau de la révolution sur un [ ?] de la Chine.
Mais notre incompréhension de la situation apparaîtra encore plus clairement si nous examinons nos positions à l’égard de la question russe.
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Tout le monde a vu dans la Révolution russe le signal de la révolution mondiale. Les pays impérialistes ont bien compris que ce signal était précisément de la plus grande importance, et, avant même d’arranger leurs affaires internes, ils se sont élancés pour mettre en déroute le nouvel ordre russe : et le prolétariat international a fait ce qu’il a pu pour répondre à l’appel de la révolution. La simultanéité ou la succession immédiate d’événements révolutionnaires dans différents pays capitalistes donnait la sensation de l’unité de la révolution qui devait s’étendre au monde entier. L’on sentait que le triomphe des uns signifiait le renforcement des autres, et la défaite des uns l’affaiblissement des autres. Et jamais auparavant le prolétariat n’avait eu une intuition instinctive aussi typiquement internationaliste des événements. La dépendance du sort de la Révolution russe elle-même par rapport aux forces engendrées par la situation internationale, laquelle s’exprimait à son égard, d’une part, avec l’intervention, et, de l’autre, avec toutes formes de solidarité révolutionnaire du prolétariat, était si évidente qu’il nous semblait impossible que l’État russe ait pu résister longtemps à lui tout seul dans l’hypothèse où l’appui de la victoire de la révolution dans les autres pays capitalistes viendrait à lui faire défaut. Et cette position, justifiable dans cette situation, nous l’avons maintenue alors que la situation avait changé. Et elle avait changé non seulement du fait de l’affaiblissement révolutionnaire dans les États capitalistes, mais aussi et surtout – nous devons ajouter, aujourd'hui que nous pouvons embrasser d’un coup d’œil et voir de manière synthétique les événements d’alors – parce que la Russie avait vaincu les forces contre-révolutionnaires, celles de l’intérieur et celles de l’intervention étrangère. Le corollaire et le sens de cette première phase de la révolution mondiale se résumaient dans la consolidation d’une position stratégique avancée de l’État prolétarien russe : et malgré leur déroute progressive, leur retraite temporaire et progressive des autres secteurs où ils demeuraient encore dans l’arène, sentinelles avancées exposées à tous les coups de la réaction, seuls restaient les partis communistes avec la tâche immédiate de la réorganisation de leurs armées. Mais, pendant ce temps, que devait faire la Russie ? Pouvait-elle alors remplacer les armées en déroute de la révolution en Occident ? Varsovie répond : non. Et il faut considérer d’autre part que la Russie ne pouvait pas retarder davantage la réorganisation de son économie. La guerre impérialiste d’abord, puis la guerre civile, et l’intervention, ainsi que la sécheresse et la famine, avaient complètement épuisé les réserves du pays, elles en avaient quasiment épuisé le capital, elles avaient réduit à rien l’exploitation déjà limitée de ses immenses ressources : souvenons-nous que, dans la période de l’intervention, la Russie a souvent dû faire appel plus au butin de guerre qu’à ses propres moyens. Il ne fait pas de doute que le succès de la révolution au moins dans l’un des pays capitalistes les plus avancés, l’Allemagne par exemple, aurait énormément facilité cette réorganisation économique, en même temps que celle de l’Allemagne elle-même : si les États capitalistes souffraient de la perte d’un atout en raison de la mutilation d’un membre important comme la Russie, celle-ci souffrait d’autre part précisément de l’absence de récupération de cet atout. Mais il fallait désormais reconnaître cet arrêt de la révolution. Et alors : ou bien le beau geste, aussi héroïque que l’on veut, mais toutefois la fin, dans des tentatives désespérées que, dans cette situation, l’expérience avait condamné – ou bien se résigner à la réorganisation de l’économie, comme cela était possible, avec ses propres forces.
La première possibilité du dilemme, qui a une séduisante apparence révolutionnaire, aurait conduit en substance à la perte de cette position stratégique avancée qui restait la seule des positions stratégiques importantes sur le champ de bataille de la révolution mondiale. Nous n’avons pas cédé à la séduction, c’est vrai ; mais c’est les dents plus ou moins serrées que nous avons accepté la seconde possibilité du dilemme parce que nous ne comprenions pas encore les possibilités d’évolution de la situation internationale, lesquelles contrastaient profondément avec nos prévisions : une période relativement brève de guerre et de révolutions triomphantes, ou l’écroulement de la Révolution russe.
Réorganiser l’économie signifiait avant tout assurer le minimum de moyens de subsistance : ce qui n’était pas possible sans établir des rapports d’équilibre entre la ville et la campagne, c'est-à-dire entre l’industrie et l’agriculture. Or l’État n’était pas capable d’assumer par lui-même la gestion de l’agriculture, si ce n’est dans des proportions absolument insignifiantes, et il ne pouvait pas improviser des moyens sûrs de contrôle sur elle : ce qui est évident. Il ne pouvait pas d’autre part continuer à prendre aux paysans ce qui n’était pas strictement nécessaire à leur existence étant donné que ceux-ci auraient fini par ne plus produire davantage : et produire davantage était nécessaire pour que les villes ne soient pas affamées. Il fallait donc, sans pour cela renoncer à un minimum garanti à l’État sous la forme d’un impôt, donner aux paysans un intérêt à produire ce surplus, intérêt qui – le monopole du commerce extérieur demeurant fermement entre les mains de l’État – ne pouvait être constitué que par la possibilité de transformer à l’intérieur ce surplus en objets d’habillement et d’usage commun, en instruments de travail, en somme en produits industriels. Mais, même si l‘État avait la pleine gestion de l’industrie, laquelle était réduite à un état misérable, avec des machines usées et inutilisables, il ne produisait pas suffisamment pour garantir cette transformation et il devait être surtout absorbé par la reconstruction de l’industrie lourde : sans quoi la Russie resterait dépendante de l’étranger qui était à son tour intéressé au sabotage de l’économie russe, et ceci est également évident. Il fallait donc intéresser aussi le secteur privé à l’industrie légère, réveiller des formes d’artisanat, de sorte que la production augmente suffisamment pour permettre à la campagne de transformer ce surplus dont nous avons parlé. Il a été reconnu et il a été dit sans sous-entendus qu’il s’agissait d’une voie dangereuse ; mais il n’y avait pas d’autre voie pour démarrer la réorganisation de l’économie du pays, laquelle n’admettait désormais pas de retards. Il s’agissait de redonner vie, dans une zone de l’économe nationale, à des formes de capitalisme qui impliquaient à leur tour la réouverture du marché intérieur au secteur privé, même si c’était sous un contrôle relatif de l’État, et qui impliquaient par conséquent le développement de forces capitalistes. Mais l’on a eu l’absolue confiance que la claire prévision du danger aiderait à le surmonter et que – le pouvoir demeurant fermement entre les mains du prolétariat, le commerce extérieur et l’industrie lourde ainsi que les moyens de communication et de transport demeurant entièrement entre les mains de l’État – la lutte entre les forces socialistes et les forces capitalistes se résoudrait finalement en faveur des premières. C’est en ceci qu’a consisté la NEP, pour ne pas parler des concessions faites au capital étranger qui rentrent du reste dans le tableau, mais qui ont eu une valeur absolument insignifiante. Et la Russie s’est placée résolument et courageusement sur cette voie, qui était ouverte à d’ultérieurs développements : Lénine affirmait, sans autre condition, que dix, vingt années de justes rapports avec la campagne assureraient définitivement le triomphe de la révolution, et que la Russie possédait ce qui était nécessaire pour la construction du socialisme. En effet, la NEP ouvrait la voie : cette NEP que nous avons acceptée tout au plus comme une régression inévitable, et qui s’est montrée au contraire, parce qu’inscrite dans la situation, comme étant la manœuvre la plus géniale et la plus réussie d’avancée vers la réalisation du programme socialiste, et qui a renforcé par conséquent sensiblement front de la révolution mondiale. Nous étions à des kilomètres de cette interprétation. Pour nous, la NEP était seulement une régression qui ne faisait que confirmer notre thèse, à savoir que, sans le triomphe imminent de la révolution dans les États capitalistes, les conquêtes de la Révolution d’Octobre devaient s’effondrer une à une, que cette première retraite, même si elle donnait à la Russie la possibilité d’améliorer la situation économique, en affaiblissait par conséquent la position révolutionnaire, etc., etc.
Mais la mise en place prudente de la NEP, même si elle n’éliminait pas toutes les difficultés, a permis, avec l’amélioration générale de l’économie, le renforcement de l’État prolétarien à l’intérieur et à l’extérieur, ainsi que la réorganisation de l’armée, et, avec la réorganisation de l’industrie lourde, elle jette les bases de l’indépendance économique. En vertu de cette situation, les relations commerciales avec l’étranger s’améliorent : la Russie est à même de vendre à l’étranger à des prix concurrentiels étant donné qu’elle ne veut pas réaliser le maximum de profit, mais qu’elle veut réaliser l’échange qui lui est nécessaire. Bien que comprenant la signification révolutionnaire de la construction de l’économie soviétique, les États capitalistes, rongés qu’ils étaient par la crise qui accumulait contradictions et conflits, sont contraints de faire de nécessité vertu et – dans l’impossibilité d’abattre le pouvoir soviétique – ils doivent traiter avec lui et aborder le marché russe en se faisant concurrence entre eux. La Russie est désormais suffisamment forte politiquement et économiquement pour se poser le problème du passage à la construction immédiate, selon un plan préétabli, d’une industrie lourde qui la libère définitivement de la dépendance vis-à-vis de l’étranger : et, étant donné qu’il y a en Russie toutes les matières premières nécessaires, que les possibilités alimentaires y sont à foison, et que le pouvoir y est dans les mains du prolétariat, cela signifie que la Russie peut réaliser la construction du socialisme. Il est seulement nécessaire que l’État reprenne entièrement le contrôle de toutes les forces productives, car c’est la seule chose qui puisse donner les éléments sûrs pour l’élaboration d’un plan réel et la garantie de sa réalisation, en éliminant en même temps l’obstacle des forces capitalistes intérieures. Et une certaine période de paix est aussi nécessaire pour jeter au moins des bases assez solides pour inspirer confiance concernant la résistance face à toute attaque possible. Cette dernière condition ne dépend pas seulement de l’État prolétarien, qui a constamment poursuivi une politique de paix : de toute façon, quand la guerre viendra, le front de la révolution mondiale se rouvrira inévitablement avec elle, et cela servira à la guerre qui se transformera en révolution. La réalisation de la première condition démontrera que les prévisions, selon lesquelles les forces socialistes triompheront en définitive des forces capitalistes, étaient justes. En effet, l’État reprend entièrement la gestion de l’industrie légère sans difficultés. Quant au contrôle de l’agriculture, dans laquelle surtout les forces capitalistes s’étaient développées, ainsi que c’était prévu, l’État l’assure également en surmontant certaines résistances inévitables, en passant des expériences sporadiques à une collectivisation systématique de la campagne : en provoquant et en favorisant de toutes les manières à côté des sovkhozes la formation des kolkhozes, qui étaient reliés à l’État par un grand nombre de fils, sans combattre, mais en aidant le petit paysan qui, dans l’échange d’aide sollicité et facilité avec le kolkhoze, finit par comprendre la supériorité de la forme collective et y adhère ; mais en menant une lutte sans quartiers contre le paysan riche et spéculateur, qui avait cru à tort que la NEP ouvrait la voie au retour définitif des anciennes formes d’exploitation, et la lutte est victorieuse en dépit des armes insidieuses de l’adversaire. Dans les zones de collectivisation intense, il n’y a plus à parler désormais de l’existence d’une classe capitaliste : et personne ne met plus en doute le succès de la collectivisation intégrale. C’est dans cette prise de contrôle de toutes les forces de production, dans cette organisation de la production selon un plan préétabli, dans cette disparition des classes, dans ce développement industriel systématique qui doit assurer l’indépendance absolue du pays, que consiste le passage de la période de la NEP à celle de la construction du socialisme.
Qu’est-ce que la Gauche italienne objecte à ces faits ? Des considérations politiques qui nous incitaient à nier la possibilité de la construction du socialisme en Russie puisque, étant donné l’unité de l’économie mondiale, l’on ne pouvait pas concevoir la coexistence dans le monde de deux systèmes économiques opposés sans un conflit immédiat ; nous voyions dans la construction du socialisme en Russie une contradiction avec l’affirmation de l’unité de l’économie mondiale ; il en découlait que, si la Russie pouvait construire le socialisme à elle seule, l’on se trompait sur la nécessité de l’internationalisme, sur la nécessité de l’union de tous les travailleurs du monde ; et si la Russie avait pu se soustraire à cette nécessité pour les besoins de sa politique intérieure, elle aurait pu orienter sa politique extérieure en contradiction avec les intérêts révolutionnaires du prolétariat des autres pays ; et du fait que le Parti Communiste russe joue un rôle dominant dans l’Internationale, il y avait le danger que l’Internationale se réduise au rôle d’un instrument de la politique de l’État russe, et en même temps à celui d’un instrument d’arrêt de la révolution mondiale, d’un instrument de la contre-révolution. Et les conséquences énumérées précédemment et qui découlaient de la prétendue construction du socialisme en Russie demeurant certaines, nous prétendions trouver la confirmation de notre position négative dans l’examen de la construction russe à laquelle nous niions les caractères socialistes.
Mais un réexamen de la situation détruit tous ces sophismes.
Personne ne nie l’incompatibilité des systèmes socialiste et capitaliste et par conséquent l’inévitabilité du conflit. Et en effet, le conflit s’est immédiatement déclenché dans la première phase de la révolution mondiale qui s’est temporairement conclue par des victoires et des défaites locales, que l’on ne peut pas considérer comme définitives tant que la victoire ou la défaite ne s’est pas réalisée sur l’ensemble du front mondial. Sur le front russe, le conflit s’est conclu temporairement par la victoire du système socialiste : il s’est ensuivi une trêve déterminée par la nécessité de réorganiser ses forces de part et d’autre : rien d’autre qu’une trêve dans laquelle les parties se préparent à nouveau à la lutte armée, une lutte qui continue pendant ce temps sous d’autres formes sur tout le front de la révolution mondiale. Il est logique que de part et d’autre l’on cherche à renforcer son propre système et à affaiblir celui de l’autre, et que l’on cherche comment il est possible de se renforcer aux dépens de l’autre. Au développement du système socialiste correspond la crise du système capitaliste qui permet davantage à la Russie de se renforcer aux dépens du système capitaliste qu’à celui-ci de se renforcer aux dépens de la Russie. Et ce non seulement sur le terrain des échanges commerciaux : puisque la Russie est intéressée par le triomphe de la révolution mondiale qui seule peut assurer la victoire définitive du socialisme. Ce qui veut dire qu’une contradiction d’intérêts entre la politique russe et la révolution mondiale est inconcevable étant donné que la politique de la Russie ne peut pas, dans son intérêt-même, faire abstraction de la nécessité de ne pas affaiblir, mais de renforcer le front révolutionnaire mondial. Et il en résulte enfin que le rôle dominant du Parti russe dans le Komintern constitue la meilleure garantie contre les possibilités déviationnistes de celui-ci, étant donné que le Parti russe représente l’élément dirigeant de l’État révolutionaire, c'est-à-dire l’organe le plus sensible aux intérêts du prolétariat mondial.
Quant à la prétendue contradiction entre l’unité de l’économie mondiale et la construction socialiste en Russie, alors que le capitalisme persiste dans les autres États, la chose va de pair avec les considérations faites précédemment. Il ne s’agit pas de nier l’unité de l’économie mondiale : la crise que traversent tous les États capitalistes est précisément déterminée par la nécessité du passage à l’échelle mondiale aux forces socialistes, lesquelles, en s’affirmant en Russie, ne font clairement qu’indiquer le débouché de la crise en l’approfondissant et en l’entraînant vers son dépassement, et en confirmant en même temps la caractéristique du capitalisme, particulièrement percutante dans sa dernière phase, qui consiste dans son développement inégal de telle sorte que, a priori, il puisse en résulter la non contemporanéité de la révolution mondiale et de la construction socialiste. Mais la question doit être considérée d’un autre point de vue, c'est-à-dire que la construction du socialisme implique l’existence de toutes les ressources naturelles nécessaires et suffisantes pour satisfaire les exigences individuelles et sociales ainsi que la possibilité d’une exploitation rationnelle et systématique de ces ressources. Il faut en somme la disponibilité des matières premières, ainsi que la possibilité de leur exploitation avec le système industriel. Or il est difficilement concevable, que ce soit du fait de la disponibilité différente des ressources naturelles, ou que ce soit en raison du développement inégal du capitalisme dans les différents pays, de réunir cela intégralement dans une seule nation : l’expérience du capitalisme témoigne du fait que l’équilibre de l’économie mondiale résulte de la compensation des échanges de nation à nation. Mais si l’on ne peut pas en principe affirmer la possibilité de la construction du socialisme dans n’importe quel pays pris isolément, l’on ne peut pas non plus l’exclure par principe dans tous les pays. Or la Russie a toutes les ressources naturelles nécessaires et suffisantes pour la construction du socialisme, elle a rempli les conditions politiques nécessaires et suffisantes pour cette réalisation, c'est-à-dire le pouvoir entre les mains du prolétariat, l’expropriation de la classe capitaliste et la nationalisation des moyens fondamentaux de production, et il ne faut pas oublier que la terre est également nationalisée. Ce qu’il manque alors à la Russie, c’est l’application de la technique, ainsi que l’étude scientifique organisée et systématique de tous les problèmes qui pousse la technique à d’incessants progrès lesquels, en se réalisant entièrement dans les formes socialistes, fourniront en fin de compte la possibilité de leur passage aux formes communistes. Dans le domaine scientifique, la Russie rivalise désormais avec les nations les plus avancées. Quant à l’application de la technique, il est clair que, si la Russie avait dû y pourvoir toute seule, elle n’aurait pu la réaliser dans une mesure adéquate qu’au bout de très longues années. Mais la crise et les contradictions du capitalisme ont permis à la Russie de tirer profit de la technique surabondante des États capitalistes : encore un pas, et la Russie non seulement sera techniquement indépendante des autres États, mais elle aura une organisation industrielle assez puissante pour assurer également l’industrialisation intégrale de l’agriculture, en réalisant ainsi sans exception aussi le contrôle intégral de tous les moyens de production et – par voie de conséquence – d’échange, y compris à l’intérieur. Et qu’est-ce que tout cela, sinon le socialisme ? Cela n’implique pas encore de contradiction avec la thèse de l’unité de l’économie mondiale, une thèse qui est confirmée à nouveau par le fait même de l’inévitabillité des échanges au cours de la période de trêve entre la Russie et les États capitalistes. Et la thèse est encore de nouveau confirmée si l’on considère que, quand nous parlons de ressources naturelles nécessaires et suffisantes, nous n’avons pas l’intention d’exclure qu’il y ait aussi, comme il y en a en effet, un plus dans la Russie qui est nécessaire pour combler le moins d’autres pays, et qui sera cause de conflits tant que le prolétariat de ces pays ne se mettra pas en état d’établir des rapports socialistes avec la Russie ; et il n’est pas dit que l’industrialisation russe elle-même ne doive pas aider l’industrialisation d’autres pays, et vice-versa que la Russie ne puisse pas tirer profit de productions particulières d’autres pays auxquels elle pourrait provisoirement renoncer, etc., etc.
Mais voici encore une série d’objections. Nous avons appris à considérer le socialisme comme l’unique dépassement possible des contradictions inhérentes au système capitaliste, dans ce sens que, la possibilité de l’exploitation de l’homme par l’homme étant supprimée, il aurait correspondu au travail accompli une rétribution intégrale qui aurait permis à chaque travailleur d’avoir une vie facile et aisée : en somme, la richesse produite reviendrait entièrement aux producteurs eux-mêmes. Cela ne contredit-il pas les sacrifices, indiscutables, que nous ne nions pas, du prolétariat russe ? Nous répondons que la rétribution du travail accompli ne consiste pas seulement dans la quantité de roubles qui est payée à chaque travailleur, mais elle consiste encore dans les moyens mis à disposition des travailleurs pour augmenter et améliorer la production de la richesse dont ils disposent intégralement, elle consiste encore dans les moyens destinés à la construction de maisons dans lesquelles ils habiteront, elle consiste encore dans les moyens de défense mis à disposition des travailleurs pour qu’ils puissent se défendre contre les rapines de États capitalistes , etc., etc. En somme, l’on ne peut absolument pas distinguer le budget des travailleurs du budget de l’État. Et alors, l’on pourra discuter de proportions, mais jamais d’exploitation. Naturellement, je parle ici de ce qui caractérise le système et je n’examine pas des cas singuliers d’abus, toujours possibles, et je dirais presque inévitables, du moins dans la première période de construction du système socialiste, en tant que survivances du système capitaliste qui sont comprises a priori dans la synthèse socialiste « à chacun selon son travail » : elles ne disparaîtront que dans la synthèse communiste « à chacun selon ses besoins ». Le socialisme n’est donc démenti ni par les sacrifices qui ne comportent pas d’exploitation, ni par les abus. Ce qui est tout au plus concevable, disions-nous, ce sont des erreurs de proportions. Nous disons immédiatement que nous ne devons pas voir seulement les sacrifices du prolétariat russe, lequel a déjà au contraire, à de nombreux points de vue, énormément amélioré sa situation matérielle et morale : écoles, clubs, théâtres, maisons de repos, foyers pour enfants, hôpitaux, sanatoriums, dispensaires, et toutes les institutions en somme d’assistance sociale, sont ouverts en Russie au prolétariat comme dans aucun autre pays du monde. Il est concevable que, avec le cours de l’industrialisation, qui déplace des masses énormes à partir de la campagne, le problème des habitations, qui se construisent toutefois fébrilement et partout, ne soit pas encore résolu dans les grands centres. Les autres limitations auxquelles le prolétariat russe est soumis, il faut le dire sans sous-entendus afin d’en chercher à connaître les causes et à en évaluer les justifications, concernent la sphère de l’alimentation, de l’habillement et des produits de l’industrie légère en général. Mais il faut aussi ajouter que le problème fondamental, celui du pain, a déjà été complètement et abondamment résolu : la Russie produit et consomme du blé en quantités énormément supérieures à celles de l’avant-guerre, et il y a des améliorations en augmentation continue relativement à l’habillement et aux objets de grande consommation. Mais cela n’empêche pas qu’il existe encore des limitations sensibles. Et ces limitations ne seraient éliminables qu’avec une réduction de l’importation des machines pour l’industrie lourde. Tout se ramène à cela. Ce n’est pas un secret, par exemple, que s’est ajoutée à la destruction du bétail qui a eu lieu durant la guerre, la révolution et la guerre civile, cette incitation, sous des formes variées de la part des forces contre-révolutionnaires, à augmenter les difficultés du gouvernement soviétique, en réduisant par conséquent à une faible mesure cette zone de l’économie qui a des possibilités immenses de développement en Russie. Devait-on importer du bétail au lieu de machines ? L’on en a effectivement importé une petite quantité indispensable pour aider à la reconstitution et à l’amélioration de ce capital, mais non pas pour la consommation. La Russie a à foison du pétrole, du charbon, du bois et certains autres produits, qu’elle exporte jusqu’aux limites du possible : mais cela ne suffit pas pour les achats nécessaires au développement préétabli de l’industrie lourde et pour les autres achats indispensables à la réalisation des plans. C'est pourquoi il faut exporter aussi une certaine quantité de chaussures, en en limitant la distribution à l’intérieur, et il faut aussi exporter une certaine quantité de beurre, en en limitant la consommation à l’intérieur. Doit-on renoncer à cela ? Et ce qui est dit à propos du bétail et de ses produits peut être répété à propos d’autres produits d’alimentation, à propos de l’industrie légère et de ses produits. Doit-on importer, au lieu des machines pour l’industrie lourde, les produits alimentaires ou les machines pour l’industrie légère et même ses produits ? Et la question se réduit donc fondamentalement aux rythmes de développement de l’industrie lourde, aux proportions de ces rythmes-là avec ceux de développement des autres secteurs de l’économie nationale. Or l’on impose à l’industrie lourde des rythmes de développement très rapides, forcés au maximum, non seulement parce que c’est de l’industrie lourde que dépend en définitive exclusivement l’industrialisation intégrale de tous les autres secteurs, mais parce qu’il s’agit de l’emprunter aux pays capitalistes quand il en est encore temps, tant que dure la trêve qui peut finir, comme désormais personne ne le nie, dans un temps très court, parce que l’on ne sait pas quels développements prendront la guerre et la révolution mondiale et quelles sera leur durée ; et plus les bases de la construction socialiste seront alors assurées, plus son développement sera avancé, et plus sa défense sera forte, plus son aide sur le front mondial de la révolution sera efficace.
Et alors, que reste-t-il de toutes nos critiques, si ce n'est une fausse interprétation de la situation qui nous suggère une position de capitulation, incompatible avec la position de ceux qui ne se sont pas éloignés de la situation réelle et qui sont restés au poste de combat ? Que signifie notre agitation à propos des sacrifices du prolétariat russe, si ce n’est encore une fois l’incompréhension de la situation et une position de capitulation ? La période de la révolution mondiale n'est pas close, elle continue sous d’autres formes : le prolétariat des pays capitalistes va en prison et subit toutes sortes de persécutions, le prolétariat russe construit le socialisme, crève de faim, s’il le faut, et affronte des sacrifices inévitables : les uns et les autres sur le front de la révolution mondiale.
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Dans cet article, je n’ai pas fait apparaître certains de mes points de vue personnels, parce que je n’écris ici ni pour m’accuser, ni pour me défendre. J’ai voulu résumer et discuter la ligne générale de la Fraction dans ses hypothèses, dans ses fondements doctrinaux, dans les développements de ceux-ci, afin de démontrer, dans la pratique, leur débouché dans des positions objectivement contre-révolutionnaires ; or la grande joie que je ressens en raison de mon retour au Parti est attristée par la séparation d’avec des camarades auprès desquels j’ai appris la sincérité et l’enthousiasme révolutionnaires, mais je suis conforté par la ferme conviction que cet éloignement sera bref, que mon expérience même d’un réexamen serein et complet des situations et des positions les aidera à trouver eux aussi le chemin du retour à la lutte dans et pour une Internationale unie et puissante, qui seule pourra guider le prolétariat mondial à la victoire définitive sur le capitalisme.
(Copie de la rédaction définitive approuvée par le représentant du PCI au Komintern, lequel s’est réservé le droit d’ajouter à la publication des notes officielles relatives à des modifications ou des ajouts que j’ai refusés. J’ai contresigné les les termes de la première rédaction originale).
(*) En français dans le texte. (NdT).
NOTES DE L'INTRO
1https://proletariatuniversel.blogspot.com/search?q=ambrogi J'écrivais, sous le titre « La police fasciste la plus intelligente du monde » :« Ombre au tableau, si les textes de la police secrète fasciste italienne sont d'une telle qualité, on peut raisonnablement penser qu'ils n'ont qu'un auteur principal, Ambrogi. Or, Ambrogi, agent double voire triple, qui a été identifié par après comme agent de l'OVRA (voir la formidable contribution de Philippe Bourrinet) n'était pas n'importe qui mais un vieux membre de la cohorte des grands révolutionnaires italiens avec Bordiga, Damen et Perrone. Il savait de quoi il parlait et connaissait « son » sujet à fond ! On a toujours ce genre de parasite au cul dans le mouvement révolutionnaire, Lénine avait bien eu Malinovski en qui il avait placé toute sa confiance... Et le naïf Trotsky Mill et son tueur Ramon Mercader ». dimanche 12 février 2017
2http://www.left-dis.nl/f/DictionnaireGCI.pdf et lire aussi ses différentes contributions historiques sur les principaux courants maintenant la tradition révolutionnaire, d'un point de vue parfois très vertueusement antiléniniste et moralisateur: http://www.left-dis.nl/f/ (Bourrinet a quitté le CCI, qui l'avait formé) jadis sur des positions « conseillistes », j'allais dire conseilleur.
Réponse de Vercesi/Perrone sur la question de la fraction soulevée par le camarade Massimo Ambrogi
[mots illisibles] du programme du camarade Massimo : i
l est nécessaire d’éclaircir les deux questions essentielles suivantes :
1°) quels sont les principes généraux qui régissent la formation d’une Fraction internationale de gauche.
2°) dans le cas concret de la crise du mouvement communiste, quelle peut être la situation qui permet la constitution de cette Fraction.
À mon avis, il est nécessaire que la Fraction donne une réponse à ces deux questions dont dépend aussi le problème de notre attitude à l’égard du Secrétariat.
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La Fraction internationale de gauche
L’expérience de la décadence de II° Internationale nous prouve que la constitution de la Fraction internationale de gauche a coïncidé avec la construction de la III° Internationale. En un certain sens, la Fraction internationale a été ultérieure à la constitution de la III° Inter-nationale. En effet, en mars 1919, le III° Internationale se constitue alors que ce n'est qu’en 1920 que se réunissent les représentants des organisations des pays les plus importants afin de régler le problème de la fondation des sections de l’Internationale dans les différents pays et de fixer les thèses fondamentales de la nouvelle Internationale. Kienthal et Zimmerwald n’ont pas donné lieu à la formation d’une Fraction internationale de gauche et ces rencontres ont été tout au plus destinées à se concerter sur une action commune à l’égard de la guerre. L’attitude de Lénine de pleine indépendance à l’égard des sociaux-impérialistes réunis à Zimmerwald est à ce propos instructive.
[suivent une trentaine de lignes illisibles]
Pour ce que reflète par exemple la III° Internationale, il serait ridicule de considérer qu’avant elle il n’y avait rien dans les différents pays à l’exception de la Russie. Là où (la France) le prolétariat cherchait son organisation dans l’orientation erronée du syndicalisme, ou là où (l’Angleterre) le prolétariat s’était donné une organisation fondée sur des bases constitutionnellement fausses, c'est-à-dire le trade-unionisme, il existait aussi, antérieurement à la fondation de la III° Internationale, des courants et des expériences orientés vers le même but, que l’on considérait comme atteint avec la fondation de la III° Internationale. Et nous ne parlons pas ici de l’autre expérience, l’expérience italienne où le groupe dirigé par le camarade Bordiga, bien qu’il ne soit pas en relation directe avec les bolcheviks, représentait la contribution effective du prolétariat italien à la construction de la III° Internationale.
Le problème consistant à repérer le filon qui conduit chaque prolétariat vers son débouché international naturel n'est pas un simple problème d’hommes, et encore moins de dirigeants. Il s’agit en réalité de l’examen des complexes expériences de classe dans chaque pays, analyse qui permet d’appliquer les principes internationalement reconnus comme valides aux rapports de classe enchevêtrés et spécifiques auxquels donne lieu la domination du capitalisme dans chaque pays.
L’analyse économique dans chaque pays nous permet d’apercevoir la raison sur laquelle se fonde l’organisation particulière de la vie sociale. C'est ainsi que la prédominance de la petite propriété agricole nous explique l’infinie multiplicité des partis politiques en France, et indirectement la désorganisation du prolétariat lui-même. L’énorme prédominance de l’industrie nous explique l’existence d’organisations syndicales gigantesques en Angleterre et en Allemagne. Le capitalisme organise sa domination dans l’une comme dans l’autre situation. Le principe général communiste de la nécessité de l’organisation indépendante du prolétariat dans son parti communiste de classe ne peut se réaliser qu’à travers l’examen des deux différents situations afin d’orienter les expériences de classe, dans les deux cas, vers le parti communiste, mais, dans l’un et dans l’autre cas, il s’agit d’un ensemble différent d’expériences de classe qui doit être résolu.
À l’encontre de la social-démocratie, nous avons dit que l’on ne doit pas attendre que la révolution commence dans d’autres pays avant de l’entreprendre dans notre pays. De même, l’on ne doit pas considérer dans chaque pays que le problème de la construction du parti est un produit d’importation idéologique en provenance d’autres pays.
C'est le parti qui vit au contact des expériences de classe qui est qualifié pour résoudre les problèmes de ces expériences sociales et de classe dans son secteur. Naturellement, cela doit se produire dans la direction de la centralisation internationale. Mais, pour résoudre l’immense tâche qui est devant elles, loin d’universaliser le patrimoine de tel ou tel parti, l’Internationale et sa direction doivent savoir intégrer les expériences de chaque prolétariat et c’est seulement ainsi que, au lieu de créer une armée de bureaucrates, elles réussiront à construire les cadres des partis communistes.
L’on sait que l’Internationale Communiste s’est fondée sur la base d’une procédure qui a été indiquée plus haut. En France, le système a été de rassembler la masse des adhésions globales. En Allemagne, le système a consisté à amener à la fusion des spartakistes avec les Indépendants ; en Italie, après la première phase de répit donné à la fraction abstentionniste, il s’est agi de la lutte contre celle-ci pour suivre un système semblable à celui qui avait été appliqué en France.
En présence de la crise communiste, la Fraction de gauche a eu l’occasion de confirmer à nouveau sa conception de l’internationalisme quand a eu lieu la Conférence de Paris, au cours d’une polémique avec Trotski engendrée par la naissance d’une nouvelle opposition.
À cette occasion-là, la Fraction affirmait que le clivage de l’Internationale et des partis n’était pas l’unique résultat de la défaite de la gauche russe. De même que la III° Interna-tionale n’avait pas été la conséquence de la victoire en Russie, mais surtout de la trahison de la II° Internationale, de même la victoire de l’opportunisme dans la III° Internationale n’avait pas été la conséquence de la défaite de la gauche en Russie, mais le couronnement des défaites dans tous les pays.
Ceci nous amène à affirmer que la solution de la crise communiste signifiait en définitive la solution du problème que l’Internationale n’avait pas su ou pu résoudre, c'est-à-dire celui de la construction des partis communistes dans chaque pays. Cela ne signifiait pas naturellement que l’on devait lancer immédiatement le mot d’ordre de la construction des nouveaux partis communistes, mais cela signifiait que la tâche des fractions de la gauche communiste était de résoudre dans chaque pays le problème qui n’avait pas été du tout résolu avec la construction de l’Internationale.
Et notre Fraction précisait que chaque groupe devait fournir une plate-forme. C'est en fonction de ce problème capital que nous voyions pareillement la forme du Centre international des oppositions non comme un organisme qui se fixe pour but celui de l’unification des groupes divers et variés, mais d’un organisme qui aide les groupes de chaque pays à se fonder sur la base d’une plate-forme.
Notre directive n’a pas été du tout appliquée internationalement. Au contraire, c’est l’autre directive qui a été appliquée internationalement, celle qui consiste dans le regroupement dans le Secrétariat des seuls groupes, fractions de groupes ou individus, qui ont souscrit aux positions parfois contradictoires (voir la question syndicale en France) provenant du camarade Trotski.
Cette expérience du Secrétariat International doit être examinée par la Fraction en partant de la conviction absolue que le camarade Trotski a appliqué et applique une méthode politique qu’il croit bonne et non pas que nous nous trouvons en présence exclusivement d’une série de manœuvres. Aussi, là où nous percevons une manœuvre (et les cas ne sont malheureusement pas limités), nous devons identifier la méthode politique qui l’ordonne et orienter nos critiques surtout sur cette méthode si elle ne nous paraît pas appropriée à la lutte prolétarienne.
Nous devons cependant faire remarquer que, bien notre directive n’ait pas été appliquée par le Centre international de l’opposition – mais quand même de manière fragmentaire par la Ligue Communiste Française et plus nettement par l’opposition allemande –, l’on a affirmé que la tâche fondamentale consistait dans l’élaboration d’une plateforme.
Un an après la Conférence de Paris, la Fraction doit réexaminer les expériences vécues pour voir si elles confirment ses positions initiales ou bien si, bien que condamnant le système appliqué par le Secrétariat International, elles démontrent aussi l’insuffisance de la position initiale de la Fraction.
La prudence avec laquelle la Fraction a agi à l’échelle internationale ne peut pas du tout infirmer l’analyse que nous devons faire de cette expérience internationale, parce que d’autres groupes (le groupe français surtout et le groupe allemand également) n’on pas fait preuve de cette prudence et, malgré cela, ils se trouvent dans une situation de désagrégation que tous déplorent.
Pour établir l’examen de cette expérience, il s’agit de voir si elle doit être fondée sur les propositions initiales de la Fraction, ou bien si elle doit être fondée autrement, comme cela apparaîtrait au vu de l’examen du projet du camarade Massimo.
Voici les propositions qui ont été formulées par la Fraction lors de la Conférence de Paris :
1°) établir un premier document programmatique (notre Fraction avait exprimé le désir de connaître le programme présenté par le camarade Trotski lors du VI° Congrès mondial, un programme qui pourrait être une base pour l’encadrement théorique de l’Opposition).
2°) constituer un Centre qui donne la garantie que tous les problèmes seront résolus selon les principes d’une collaboration réelle entre les équipes responsables des groupes qui font partie du Secrétariat, et jamais au moyen de manœuvres entre des éléments particuliers, surtout si ceux-ci sont étrangers aux équipes responsables des groupes.
3°) une fois résolus de manière générale le problème programmatique et le problème organisationnel, il faudra établir que l’adhésion individuelle sera l’unique forme d’adhésion aux fractions.
4°) attribuer au Secrétariat International, en tant que fonction essentielle, la fonction de veiller à la formation de groupes dans chaque pays et d’aider ces groupes à élaborer un système de normes politiques déduites du réexamen des expériences classistes vécues, à la lumière des normes fondamentales figurant dans le document théorique de pilotage du Secrétariat International.
(Ces propositions sont reproduites à partir du n° 31 de “Prometeo”).
Le projet du camarade Ambrogi peut être concentré dans cette position générale : « constitution de la Fraction internationale de gauche ».
La position défendue par la Fraction à l‘occasion de la Conférence de Paris était en substance la suivante : « d’abord des bases dans chaque pays (plate-forme), et ensuite Conférence internationale d’unification ».
La Fraction doit réexaminer les expériences vécues afin de voir dans laquelle des ces deux positions doit être contenue la norme fondamentale de conduite de la Fraction à l’égard de ses rapports internationaux et à l’égard de la constitution d’un organisme international des oppositions de gauche.
À mon avis, la position défendue lors de la Conférence de Paris doit être défendue encore aujourd'hui. Ce qui justifie cette opinion de ma part, c’est l’interprétation sus-indiquée des principes qui régissent la formation de l’organisation communiste dans chaque pays et à l’échelle internationale.
Quand peut-on passer à la constitution de la Fraction ?
La situation actuelle est caractérisée par l’instabilité de tous les processus qui se développent dans le domaine économique, politique, et à l’intérieur même des organisations prolétariennes, y compris les fractions de gauche.
Instable et destiné à se détériorer est le processus de l’économie capitaliste manœuvré par la bourgeoisie dans la direction de la résolution impossible de sa crise mortelle.
Instable et destiné à se détériorer est le processus de la manœuvre politique du capitalisme consistant à clore la page formidable de la Révolution russe dans les replis d’un plébiscite d’hosannas lancés à la sainteté de la providence de la démocratie et contre “toute dictature” !
Instable et destiné à se détériorer est le processus du tourment atroce du prolétariat communiste regroupé dans les partis communistes dans lesquels l’opportunisme ne pourra pas éviter la riposte définitive du lendemain quand les limites de l’action directe de la contre-révolution seront atteintes.
Face à tous ces éléments de fait, nous nous trouvons devant le fait que les fractions de gauche rencontrent des difficultés d’autant plus importantes que l’incertitude actuelle des processus économiques, politiques et organisationnels, qui ont lieu est plus grande.
[une ligne illisible] des guerres et des révolutions, les fractions de gauche doivent se préparer à la double tâche de profiter de toute tournure des événements qui pourrait permettre une solution favorable au prolétariat, et de préparer les cadres de l’avant-garde capable d’agir dans ces événements.
Maintenant, dans le camp de l’opposition internationale, tout reste à faire. En disant tout, nous ne voulons pas du tout annuler les formidables expériences que le prolétariat a vécues et l’importance des documents qui ont été obtenus. Mais nous voulons dire que tout reste à faire en ce qui concerne la tâche spécifique des fractions de gauche. C'est-à-dire que nous devons former les groupes, nous devons atteindre une homogénéité à l’échelle internationale, nous devons créer un centre et une ferme discipline internationale. Et c’est cela que l’on peut appeler le tout qu’il reste à faire.
Parallèlement à la notion constamment défendue par la Fraction sur la nature de l’État russe, de l’opportunisme de la bureaucratie de l’Internationale, de la nature des divergences avec le Parti bolchevik depuis la fondation de l’Internationale, la tâche internationale de la Fraction a été établie sur la base d’une unité entre notre Fraction et l’Opposition russe. Une unité évidemment comprise sur la base d’une intense polémique sur les problèmes fondamentaux qui nous séparent et jamais sur la base d’accommodements aussi pernicieux que sots.
Cette position d’unité avec la Gauche russe, nous devons la défendre même si d’autre part la Gauche russe part d’une conception différente. C’est la devise : fais ce que dois, advienne que pourra, fondée sur une base marxiste et de classe, qui doit être notre devise. En fin de compte, il se peut que la Gauche russe prenne la responsabilité franche et nette de notre exclusion, mais quant à nous, nous ne prendrons jamais l’initiative de faire sécession précisément parce que nous observons que le processus dont on débat en Russie n'est pas terminé et parce que nous considérerons que se sont coalisées autour de la Gauche russe les positions politiques de défense de la révolution communiste contre l’opportunisme.
Naturellement, la discussion politique, loin d’envenimer les rapports, les facilitera. Il est déplorable qu’il se soit passé autant de temps avant que cette discussion ne commence.
Voici donc les critères qui devraient guider la Fraction, surtout en prévision de l’attaque qui sera déclenchée contre nous avec les méthodes habituelles.
Quant à la situation qui permet la constitution de la Fraction internationale, nous devons faire attention sans le moindre découragement à la perspective compliquée qui nous fait entrevoir le processus très difficile de réédification des cadres communistes dans tous les pays, dans l’attente qu’aient lieu les catastrophes liées avec les processus instables indiqués. Jusqu’à présent, les événements se sont déroulés dans des limites qui voient l’avant-garde communiste dominée par l’opportunisme et les fractions de gauche incapables d’intervenir afin de rétablir l’avant-garde dans la position de guide du prolétariat.
La thèse selon laquelle, sans fraction, il n’y a pas de victoire révolutionaire possible est confirmée par toutes les indications des expériences de classe, surtout en connexion avec les contrecoups produits par l’accentuation de la crise économique.
Il faut se préparer en vue des situations définitives inévitables qui, elles, permettront la constitution d’une Fraction internationale de gauche, laquelle n’est que l’antécédent immédiat de la nouvelle Internationale. Et cela n’est pas dit sur la base exclusive de l’expérience de la II° Internationale, mais parce que la nature même d’une Fraction internationale ne peut être que d’indiquer les positions politiques autour desquelles l’on veut regrouper l’organisation du prolétariat.
La “Fraction” à l’échelle nationale signifie une formation qui vit au contact direct des événements de classe et qui trouve l’aliment pour [mot illisible] spécifique et la solution de la crise communiste.
La “Fraction” à l’échelle internationale signifie qu’est déjà résolu, ou est sur le point d’être immédiatement résolu, le problème des rapports de classe dans un secteur donné, lequel devra bouleverser tout l’ordre mondial et posera par conséquent le problème de la clarification à l’échelle internationale.
Quant à l’autre hypothèse, celle d’un Centre international doté de pouvoirs exécutifs et disciplinaires du type de ceux indiqués dans le projet du camarade Massimo, nous ne pourrions l’envisager que dans un cas particulier, c'est-à-dire dans celui de l’association éventuelle de la Russie soviétique à une manœuvre politique capable de troubler les masses et de provoquer une situation favorable à une action concertée strictement et exclusivement au sein et dans le cadre de l’Internationale Communiste.
L’expérience toujours en cours qui consiste à créer un Centre international des oppositions ne court pas à l’échec seulement parce qu’elle ignore la question préjudicielle consistant dans la formation des cadres communistes dans chaque pays, mais aussi parce qu’elle organise son action dans la condition obligatoire du redressement de l’Internationale. C’est le dogme du redressement de l’Internationale qui a remplacé l’expérience et ses enseignements, et qui devrait commander aux événements, tandis que la perspective qui fait dépendre ce redressement du déroulement des événements et surtout de la capacité d’intervention des fractions de gauche dans les moments définitifs est certaine.
Y compris dans l’hypothèse où nous aurions dans les différents pays des groupes de prolétaires sensés, qui tendraient vers notre fraction, nous ne devrions pas vouloir la constitution de la Fraction internationale.
Que l’on soit peu nombreux ou nombreux à l’échelle internationale, nous devrions vouloir la constitution de cette Fraction à la veille des événements qui doivent conclure fatalement de façon violente les instabilités multiples des situations que nous vivons.
Il faut voir aujourd'hui le problème de notre préparation à cette perspective inévitable en se fondant sur la défense de l’unité du Secrétait et sur la défense de nos positions en son sein.
Je considère comme indispensable que ces questions essentielles soient clarifiées avant que la Fraction ne puisse se prononcer sur les différentes parties du projet intéressant et utile du camarade Ambrogi.
Vercesi
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