Le drapeau tricolore au fond est celui, officiel, du port d'Etaples |
Voici une lettre de réponse à quelques critiques que j'avais portées aux conceptions du camarade Claude Bitot séduit lui aussi par le mouvement des gilets jaunes malgré ses incohérences (je parle des GJ). Nous avons l'habitude de la polémique fraternelle lui et moi depuis une vingtaine d'années. Claude varie l'intonation et l'adresse soit en s'adressant à moi directement soit à la troisième personne, comme s'il était sûr qu'un public nous écoute au même moment, mais il n'est jamais hautain ni abaissant. N'étant pas un curé rouge ni un disciple de Marc Chirik (contrairement à ce qu'il affirme) j'apprécie toujours ses démonstrations vivantes et bien plus en prises avec les modifications du monde capitaliste actuel que nos radoteurs marxistes des sectes ou individus maximalistes, même si je ne suis pas d'accord avec l'orientation hors du marxisme qu'il a choisi depuis pas mal d'années lui, ancien disciple de Bordiga (je provoque!) en s'enfonçant singulièrement dans le même bourbier imaginaire et "moyenniste" que les bourgeois de Terra Nova (voir mon article précédent). Claude tu ne démontres pas vraiment comme plausible ton invention d'un parti sans prolétariat, aussi te répondrai-je plus tard. Ne prends pas froid.
Bien amicalement à toi, JLR
LETTRE AU
CAMARADE ROCHE
Sur son site il a publié
mon texte sur les « gilets jaunes » et je l’en
remercie. Il l’a accompagné d’un certain nombre de commentaires
auxquels je désire répondre.
Il me fait remarquer,
« qu’on ne peut pas miser sur ce mouvement qui en effet est
une non-classe, typique des classes intermédiaires sans culture
politique et incapable de prendre une orientation claire ».
Tout d’abord je constate qu’au début du mouvement des « gilets
jaunes » ce n’était pas ce langage qu’il tenait s’excitant
à son propos, y voyant le plus grand mouvement ayant eu lieu depuis
68, donc dans son esprit le prolétariat en action, ou presque,
quitte pour cela à justifier le drapeau tricolore qu’on voyait
fleurir dans les manifestations, lui considérant qu’il s’agissait
là d’un symbole encore révolutionnaire alors que le drapeau rouge
était celui des staliniens !!! Maintenant qu’il voie que ce
mouvement ne répond pas ses espérances, il est beaucoup moins
enthousiaste, découvrant qu’il est « sans culture
politique » et n’est capable d’aucune « orientation
claire ». Belle découverte ! Qu’attendait-il de lui ?
Qu’il fasse la révolution parce qu’au tout début du mouvement
il s’était pris « de vouloir marcher sur l’Elysée » ?!
Celui-ci était un mouvement remettant à l’ordre du jour la
question sociale que
le capitalisme après 1945 avait à sa manière résolue, mais que
maintenant entré pour de bon dans sa phase terminale il ne peut plus
empêcher le retour, donc il était complètement illusoire d’en
attendre monts et merveilles du point de vue politique et
idéologique. Le principal mérite de la Commune de Paris disait Marx
c’est son existence, toute proportion gardée moi je dis de même à
propos du mouvement des « gilets jaunes », son mérite
c’est d’avoir existé et cela en dehors des partis et des
syndicats qui se sont vus rejetés. Voilà un bon point pour lui.
Mais venons-en au premier
reproche que Roche me fait : celui de miser sur un tel type de
mouvement et non plus sur le prolétariat pour dans l’avenir faire
la révolution, cela parce que je limite le prolétariat à la seule
classe ouvrière, elle, concède-t-il, « en effet rabougrie et
paralysée depuis des décennies par ses illusions syndicales ».
« Rabougrie » en effet mais pas à cause des syndicats.
Roche leur attribue une puissance qu’ils n’ont plus depuis belle
lurette, eux qui tous additionnés ne regroupent que 10% des salariés
et parmi ces derniers les ouvriers se comptent sur les doigts d’une
main, ceux-ci ayant depuis longtemps abandonné ces misérables
organisations – comme d’ailleurs ils ont laissé tomber avec le
« grand parti des travailleurs » qu’était le PCF. Dans
leurs manifs poussives avec ballons géants, sono tonitruante,
fumigènes colorés, pour leur donner artificiellement un aspect
spectaculaire et imposant, ils ne mobilisent que les planqués des
services publics pour la défense de leurs statuts. En fait, si la
classe ouvrière est devenue « rabougrie » c’est en
raison d’une tout autre cause. C’est parce que dans le
capitalisme en phase terminale (importante cette appréciation du
capitalisme sans laquelle on ne peut comprendre ce qui se passe) elle
est devenue une classe fondant en même temps que les grands sites
industriels du capitalisme. Et les ouvriers complètement désemparés
perdant tout reflexe de classe se sont mis alors en bonne partie à
voter pour un parti classé à « l’extrême droite »
(sous-entendu « fascistes » par les médias
capitalistes). C’est dire le désarroi qui a saisi la classe
ouvrière celle-ci ne faisant pas davantage preuve que les « gilets
jaunes » de « culture politique » et de capacité
« à prendre une orientation claire » pour parler comme
Jean-Louis. Désarroi, il est vrai, à la mesure de ce qui lui
arrivait, celle-ci se voyant remise en cause par le système qui
l’avait fait naître. Bien sûr il reste des ouvriers, peut-être 3
à 4 millions, comme d’ailleurs il reste 1 million de paysans. Mais
il y a dans cette classe quelque chose de cassé : celle-ci ne
se syndique plus et ne vote même plus pour des partis de gauche,
cela attestant chez elle non pas une prise de conscience mais un
dégoût propre à une classe finissante pour ne pas dire décadente.
Mais pour Jean-Louis rien de grave, oui la classe ouvrière est
« rabougrie », mais il reste « l’autre
prolétariat », tellement nombreux que c’est à lui que
l’avenir appartient. Mais quel prolétariat au juste ? Celui
qui bosse chez Mc Do ? Qui livre à domicile des pizzas ?
Celui qui à la sortie des grands temples de la consommation vous dit
d’ouvrir votre sac pour voir si vous n’avez pas fraudé ?
Plus généralement, une masse de vendeurs dans les magasins,
d’employés dans les municipalités et les banques, et, pourquoi
pas, de fonctionnaires dans l’Etat, eux aussi salariés comme
d’ailleurs le sont les flics et les soldats de carrière ?
Bref, tout un « tertiaire », qui effectivement pullule
car très nombreux ?
Et c’est ce prolétariat-là, qui prenant
le relais du prolétariat industriel « rabougri », serait
la classe qui porte « l’avenir dans ses mains », pour
parler comme Marx dans son manifeste ? Si c’est ça
maintenant le prolétariat, un prolétariat qui n’est plus dans la
production, mais dans la vente, le nettoyage, la surveillance, la
livraison et je ne sais quoi encore, alors le vieux Marx qui en 1856
disait dans son Appel
au prolétariat
anglais que l’époque
moderne avait produit en même temps que les machines, les hommes
nouveaux, les prolétaires d’usines, doit se retourner dans sa
tombe ! Il est vrai, en ce qui concerne la définition du
prolétariat le Marx du Manifeste avait
simplement dit qu’était prolétaire celui qui pour vivre est
contraint de vendre sa force de travail. Mais le Marx du Capital
allait, lui, être plus précis : « il faut entendre par
prolétaire le salarié qui produit le capital et le fait
fructifier ».
Donc était prolétaire pas n’importe quel salarié, seulement le
salarié qui dans la production était en mesure d’engraisser le
capital, lui procurer une survaleur, faire de telle sorte que A,
l’argent engagé dans la production, devienne A’, c’est-à-dire
se voit augmenté d’un profit. Ce qui n’est pas le cas du
salariat du tertiaire, lui improductif pour le capital car ne le
faisant fructifier en rien, au contraire celui-ci lui en coûte,
tellement car devenu si nombreux, qu’il projette une automatisation
d’une bonne partie de ses activités (exemple, le remplacement des
caissières dans les supermarchés par des caisses automatiques), ce
qui permettra au capital de réduire ses faux-frais et du même coup
d’augmenter ses gains. Jean-Louis me dira que cette distinction
entre travailleurs productifs et travailleurs improductifs n’a pas
beaucoup d’importance, tous sont esclaves du capitalisme. Oui, bien
sûr, mais Marx dans son Appel cité plus haut ne s’adressait pas à
n’importe quel groupe social d’opprimés, à une masse de
domestiques du tertiaire comme cela se passe aujourd’hui dans le
cadre du capitalisme en phase terminale devenu effectivement
désormais décadent, il s’adressait à une classe nouvelle que le
capitalisme industriel avec les machines avec créé, les prolétaires
modernes qui utilisaient ces machines, et qui dans l’esprit de Marx
seraient à mêmes dans le communisme de les faire fonctionner pour
le compte de la société et non plus pour le compte du capital. Cela
fait donc une sacrée différence entre le salariat relié à la
production industrielle et le salariat relié à des « services »
comme cela se passe aujourd’hui, qui lui n’est jamais entré dans
une usine, ne connaît rien de la production et serait bien en peine
de la prendre en main si d’aventure on lui demandait d’exercer
une telle tâche. Bien sûr, le capitalisme avec son machinisme avait
mutilé la classe ouvrière en multipliant en son sein les simples OS
travaillant à la chaîne, isolant ainsi le plus beau fleuron de
cette classe : les ouvriers métallurgistes professionnels en
bleu de chauffe dont maintenant on se moque bien content qu’ils
aient disparu, mais qui eux étaient bien souvent à l’origine des
conflits avec le capital, car les plus qualifiés, les plus
conscients, les plus révolutionnaires. Avec son ultra-machinisme,
son automatisation de la production, ne laissant subsister que
quelques ouvriers complètement robotisés, le capitalisme en a
terminé avec cette couche dangereuse du prolétariat et du même
coup réduit à néant les espoirs révolutionnaires qui avaient été
fondé à partir de la classe ouvrière.
Je n’ai donc « pas
abandonné le marxisme » comme Jean-Louis le claironne dans la
présentation de mon texte, ce sont les analyses de Marx sur le
prolétariat qui m’ont abandonnées lorsque je me suis rendu compte
de ce que le capitalisme avait fait d’une telle classe la réduisant
avec son ultra-machisme à une portion congrue, ne laissant subsister
qu’une mince couche d’ouvriers tous les autres ayant été
virés car trop chers leur emplois se voyant délocalisés vers
d’autres cieux, c’est-à-dire ces jeunes et pimpants pays
capitalistes que sont la Chine, le Brésil, le Mexique, l’Inde, les
pays de l’est, où, tout aussi robotisés ils ont cet avantage de
coûter beaucoup moins chers, donc de rapporter beaucoup plus. Mais
je n’ai pas abandonné l’idée de révolution, qui elle se posera
lorsque le capitalisme finira par s’écrouler car évidemment
économiquement il n’est pas éternel. Seulement, il fallait la
repenser. C’est ce que j’ai commencé à faire en 2013 avec un
livre intitulé Repenser la révolution avec
laquelle celle-ci n’aurait plus pour sujet le prolétariat, mais
une immense majorité qui ne pourrait plus être assimilée au
prolétariat vu que c’était le capitalisme lui-même qui dans ses
pays de vieille souche s’était mis à le liquider. Ce qui me valut
une cinglante diatribe de la part de Jean-Louis. Je passe dessus, lui
aussi d’ailleurs. Tournons la page. Mon tort dans cet essai ce fut,
je le confesse, de n’avoir pas suffisamment mis en avant le rôle
du PARTI COMMUNISTE. En écrivant un Manifeste
communiste pour le XXIe siècle,
j’ai rectifié le tir, remettant au premier
plan le rôle de celui-ci. Bien qu’il n’ait pas lu mon manifeste,
c’est ce que Jean-Louis a perçu quand il a vu que dans mon texte
sur le mouvement des « gilets jaunes » je soulignais
fortement la nécessité de ce parti en ce qui concerne l’avenir
d’un tel mouvement qui n’est pas fini mais va renaître avec plus
de force et d’intensité, alors que lui semble avoir tiré un trait
dessus attendant que le « prolétariat » entre en scène.
x
Ce qui me vaut un autre
reproche de la part de Jean-Louis Roche : je serai le promoteur
d’un « parti rédempteur » c’est-à-dire d’un
« léninisme caricatural », celui du Que
faire ? du Lénine de 1902, celui qui
avec ses intellectuels apporte de l’extérieur la conscience à la
classe, pense à sa place comme le font tous les partis bourgeois,
pour ainsi « intégrer les masses à un parti unique »,
comme l’ont fait les partis hitlérien et stalinien, lui me faisant
« une fleur » en disant qu’avec ma conception
« idéaliste » du parti c’est seulement celle
stalinienne dont il s’agit. Merci Jean-Louis ! Je reconnais là
tes dons de polémistes mais qui parfois manquent de perspicacité et
de délicatesse car ne faisant pas toujours dans la nuance… Aussi,
je vais donc répondre à Jean-Louis sur comment je comprends le
parti, mais auparavant, en tâchant de n’être pas trop polémique
à mon tour et que cela ne devienne un cassage de gueule idéologique,
je vais lui signifier à partir de quel point de vue, lui, il parle
pour me faire une telle critique.
Jean-Louis n’est pas un
« conseilliste », il ne dit pas qu’il ne faut pas de
parti, il dit, comme son maître à penser Marc Chiric, qu’il en
faut un, mais point trop n’en faut, car c’est la classe qui
compte. Tellement, que lorsqu’il s’agira de prendre le pouvoir il
ne faudra pas que celle-ci se salisse les mains avec le pouvoir
nouveau qui se sera mis en place, elle devra rester prudemment dans
l’opposition. En quelles mains sera-t-il alors ? Mystère et
boule de gomme ! Tout ça je l’ai entendu lorsque j’ai
quelque peu fréquenté Chiric. Moi j’appelle ça de l’anarchisme,
l’anarchisme de celui qui honteux d’être un anarchiste voudrait
se faire passer pour quelqu’un d’autre, un marxiste par exemple.
Jean-Louis en bon élève de Chiric a écrit un livre là-dessus
intitulé Dans quel Etat est la révolution ?
même si à la fin du livre on ne sait
toujours pas dans quel Etat est la révolution. Autrement dit, la
position de Jean-Louis comme celle de son mentor Chiric c’est
l’anarcho-marxisme. Position très commode qui consiste à aboyer
contre l’anarchisme quand il a affaire à des bobos libertaires
« antifas » dont il a une sainte horreur – moi de même
d’ailleurs – cela en faisant appel à Lénine, Bordiga même (il
n’a peur de rien, mais si Bordiga avait connu sa position…) et en
même temps d’envoyer dans les cordes un zigoto de mon genre avec
un bon direct du droit appelé « léninisme caricatural » !
On peut dire ça autrement : il est pour le parti contre tous
ceux qui sont contre, et contre le parti contre tous ceux qui sont un
peu sérieusement pour. Après ça allez savoir ce qu’il pense
exactement de la nature et de la fonction du parti et vous aurez bien
de la chance….
Cela dit, cette question
du parti devait quand même titiller Jean-Louis car j’avais
remarqué lors d’une réunion en janvier 2017 à propos d’un
livre sur Bordiga, que c’est lui qui avait demandé qu’on aborde
cette question. Moi je m’étais proposé de l’exposer mais comme
personne ensuite n’a donné suite à une telle proposition, je me
suis tenu prudemment sur la réserve, ce qui fait que tout ça est
resté dans le vague. Aussi, allons-y sur cette question. Je ne vais
pas m’étendre mais aborder deux points essentiels : 1)
qu’est-ce que le parti communiste, c’est-à-dire sa nature et sa
fonction ; 2) comment le comprendre historiquement.
x
Le communisme, en tant
qu’utopie, philosophie, existe depuis la nuit des temps. Mais avec
le capitalisme un changement se produit : il devient mouvement
agissant. Quand ?
Lorsque dans la société capitaliste il se passe de très violentes
crises, des cataclysmes, et donc des malheurs extrêmes pour les
hommes qui sont sous la coupe d’un tel système. Pourquoi une
telle apparition du communisme dans le capitalisme ? Dans les
sociétés qui ont précédées celui-ci il y avait également de
grandes calamités (famines, épidémies, guerres, impôts de l’Etat
écrasant les manants, etc.), et même si parfois il y avait des
révoltes de gueux, cela faisait partie de l’ordre des choses, ou
bien c’était Dieu qui l’avait voulu ainsi, ce qui fait
que ces calamités étaient acceptées avec fatalité. Ce n’est
plus ce qui passe avec le capitalisme. Celui-ci avec son
développement des forces productives bouleversant sans cesse la
société, lui étant « révolution permanente », les
désastres qui sous son règne arrivent apparaissant non plus comme
appartenant à la nature des choses, mais comme engendrés
directement par lui, ce qui les rend beaucoup moins acceptables. D’où
le communisme se présentant comme solution. C’est arrivé
plusieurs fois dans l’histoire : en 1796, dans le cadre de la
grande crise de l’Ancien Régime précapitaliste, dans les années
1840 en raison de la misère noire engendrée par les débuts du
capitalisme, en 1917 à cause de l’horrible guerre industrielle
capitaliste entraînant des hécatombes jamais vu dans l’histoire,
le communisme devenant alors pour les possédants cet horrible
« spectre » menaçant leur société. C’est donc d’une
situation que surgit
le communisme. Et alors que constate-t-on ? A chaque fois que
celui-ci surgit se crée une organisation appelée le Parti
communiste avec lequel, sous une forme plus ou moins développée,
s’incarne le communisme: en 1525, de façon tout à fait
embryonnaire, c’est le parti avec Münzer, en 1796 celui avec
Babeuf, en 1848 celui avec Marx, en 1917 celui avec Lénine, eux
chefs de parti. Quel est le groupe social dont le parti communiste
se fait le porte-parole ? Cela peut être une classe, le
prolétariat, mais aussi une plèbe comme en 1796, voire des paysans
en révolte comme cela eut lieu en 1525. Quelle est sa composition
sociale en interne ? Elle est hors-classes :
le parti est cette minorité
d’individus qui ne se préoccupant pas de la fiche d’état civile
avec laquelle les range la société existante, ont fait du
communisme la solution à la crise violente qui frappe alors la
société. Autrement dit, il est le parti des
communistes, car lui seul est communiste, pas la classe, pas la plèbe
en révolte contre ses conditions d’existence. Etant en interne
hors-classes il est du même coup une anticipation
de la société sans classe communiste. Voilà pour la nature du
parti. Passons maintenant à sa fonction. Celui-ci a une tâche
unique : celle
d’œuvrer à l’accomplissement de la révolution et par-delà à
celui du communisme. En d’autres termes il n’est pas de ces
partis qui tout se disant socialiste ou communiste passent leur temps
et consacrent toute leur énergie à l’obtention de réformes et
qui de ce fait n’ont à leur actif aucune action révolutionnaire,
tout en prétendant qu’ils font cela en attendant la révolution.
On peut être sûr que jamais ils ne la feront ! Telles furent
l’AIT et la IIe Internationale
qui dans leur pratique
ne furent en rien des partis communistes révolutionnaires
agissants. Un parti
communiste c’est
fait pour
faire la
révolution et
rien d’autre !
Ce qui signifie pour lui éclairer les masses en diffusant parmi
elles un programme clair répondant à leurs attentes, prendre la
direction de leurs luttes et une fois le pouvoir pris jouer un rôle
central dans son exercice. Voilà pour ce qui concerne la fonction du
parti. Maintenant passons au deuxième point, c’est-à-dire sa
présence historique.
x
En 1851 Engels, en
conclusion de son livre sur La guerre des
paysans de 1525 en Allemagne, écrivait que
« c’est le pire qui puisse arriver à un chef d’un parti
extrême que d’être obligé de prendre le pouvoir en main à une
époque où le mouvement n’est pas mûr pour la domination de la
classe qu’il représente ». Ce « parti extrême »
c’était le parti communiste de Münzer (lui tout à fait
embryonnaire) qui prenait la tête de la révolte de malheureux
paysans contre les
princes féodaux qu’avait trahi le parti bourgeois de
Luther s’alliant avec les princes. En 1847 dans La
critique moralisante et la morale critisante, Marx
notait que Babeuf et son groupe de conjurés avaient été en 1796
« la première apparition d’un parti communiste réellement
agissant ». Parti qui projetait de se mettre à la tête de la
plèbe des
faubourgs qui avait
subi un sort cruel durant l’hiver 1795-96 et s’était déjà
révoltée en germinal et prairial 1796. Dans les deux cas observés
par Engels et Marx il y a donc l’existence d’un parti communiste,
même si c’est d’une façon encore embryonnaire, surtout en 1525,
sans que
la classe
ouvrière moderne
soit présente. Maintenant voyons ce qu’il
en fut du parti lorsque celle-ci entra en scène.
Un
parti communiste ayant pour base la classe ouvrière et la conduisant
pour faire la révolution cela n’eut lieu qu’une
fois. En Russie en
1917, à l’occasion de l’épouvantable guerre industrielle qui
s’était déclenchée en 1914. Auparavant existait bien un petit
noyau, la fraction de Lénine se rattachant plus ou moins au Parti
ouvrier social-démocrate russe (POSDR) mais c’est entre avril et
octobre 17 que naquit véritablement dans cette grande cité ouvrière
de meurt la faim et de soldats refusant de continuer d’aller à la
guerre qu’était Petrograd, le parti qui allait ensuite être
mondialement connu sous le nom de Parti bolchevik celui-ci profitant
par la même occasion de s’appeler communiste – pendule remise à
l’heure donc. Qu’est ce qui avait engendré un tel parti ?
Le prolétariat ? La lutte des classes qui s’était
enclenchée du fait des privations de la guerre ? Les
intellectuels révolutionnaires ? On peut voir ça comme ça,
mais c’est la situation
catastrophique qui
avait entrainé une telle lutte à mort des ouvriers et des soldats
contre le capitalisme et sa guerre qui permit au Parti bolchevik
d’exister vraiment, sinon pfft ! de parti il y en aurait
peut-être eu un, mais de type frelaté, semi réformiste, semi
révolutionnaire, inachevé donc, la révolution avec lui se
terminant en eau de boudin. C’est la situation de guerre et
l’impossibilité de la bourgeoisie d’y mettre fin en raison de
son alliance avec les pays belligérants de l’ouest, la France et
l’Angleterre, qui amena les ouvriers les plus avancés, les plus
intelligents, les plus révoltés, à s’organiser en parti de
classe révolutionnaire. Seulement voilà, ce parti-là, communiste,
révolutionnaire, plein d’ouvriers, mais aussi armé
d’intellectuels (car il en faut bien pour instruire les ouvriers
avancés comme disait Lénine, c’est-à-dire cette petite fraction
dissidente des classes aisées ayant eu, elle, accès à
l’instruction, ceux qui prétendent s’en passer n’étant que
des petits bourgeois intellectuels ouvriéristes démagogues et
irresponsables), en mesure de fiche en l’air le pouvoir capitaliste
(car évidemment sans le Parti bolchevik pas d’Octobre 17,
seulement des soviets collaborationnistes du pouvoir de Kerenski et à
la fin liquidés manu militari par un autre Kornilov qui aurait, lui,
cette fois réussi), ce parti-là donc, hors de Russie, fit pschitt !
En Allemagne la paix revenue des évènements révolutionnaires
eurent bien lieu mais qui bien vite se dégonflèrent. Le Parti
communiste qui s’était constitué à la fin de décembre 1918
n’eut jamais de prise véritable sur les masses ouvrières. Dominé
à ses débuts en son sein par ses gauchistes majoritaires qui ne
voulaient pas entendre parler d’un « parti de chefs »(en
fait qui ne voulaient pas de parti dirigeant la lutte - la
révolution n’est pas une affaire de parti » disait
l’ultragauchiste Otto Rhüle), dut rapidement scissionner pour
ensuite chercher à se reconstituer artificiellement sur une « base
élargie » avec tout un pan du Parti socialiste soit disant
indépendant, ce qui signa sa fin comme parti révolutionnaire. En
fait, mort-né fut un tel parti. En Italie le parti faux cul
socialiste qui durant la guerre ne voulait ni adhérer ni saboter,
arriva avec son pseudo « maximalisme » à faire trainer
suffisamment les choses en longueur, afin que durant le bienno rosso
de 1919-20 rien de vraiment révolutionnaire n’ait lieu, ce qui
fait qu’une fois la vague de colère passée, le parti fasciste
soudoyé par les industriels n’eut plus qu’à entrer dans la
danse, liquidant avec ses « expéditions punitives »,
parti socialiste réformiste, bourses du travail, coopératives, et
bien sûr le parti communiste avec à sa tête Bordiga, qui n’avait
pu se constituer qu’en 1921, et qui lui aussi fut un parti
communiste mort-né (après 1923 il se fait gramsciste, puis
staliniste). Ailleurs, en France, Angleterre, Espagne, Belgique,
Hollande, Suède, Norvège, Suisse, Autriche, Yougoslavie, Grèce, ne
parlons pas des USA, en guise de parti presque rien, en fait que
dalle ! Pas l’ombre d’un vrai parti communiste ouvrier, que
des pseudos qui allaient vite se faire staliniens. Tel est le bilan
qu’il est possible de faire du parti communiste à base
prolétarienne qui depuis n’a jamais refait surface.
Que faut-il en conclure ?
Qu’avec un tel parti c’est fini ? Oui. Car depuis un siècle
de l’eau a passé sous les ponts. Le capitalisme après 1945, avec
son Etat-providence, sa société de consommation, intégra
complètement la classe ouvrière, ce qui rendit tout à fait
impossible sa résurrection, toutes les tentatives de créer un parti
tombant misérablement à l’eau, y compris celles qui plus
modestement se bornaient à créer de petits groupes visant à
préparer la voie à sa création. Mais ce n’était pas fini. A
partir de 1975, le capitalisme entré dans sa phase terminale se mit
à démanteler par pans entiers le prolétariat le remplaçant par du
« tertiaire », ce qui fait qu’aujourd’hui celui-ci en
tant que classe n’est plus qu’une ombre, n’existant même plus
comme classe prolétarienne réformiste, et que vouloir que
ressuscite un tel parti de classe n’est plus maintenant qu’un
rêve donquichottesque.
Ce qui ne signifie pas
qu’un autre
parti communiste ne puisse voir le
jour. Comment ça ?
A partir de quelle base sociale il se constituera ? A partir
d’une non-classe
(déjà perceptible avec le mouvement
aclassiste des « gilets jaunes ») qui ne pourra plus se
reconnaître dans une classe du fait de la décomposition complète
de toutes les classes, demi-classes, pseudo-classes (« nouvelles
classes moyennes » comprises qui comme tout le monde se
retrouveront le bec dans l’eau), elle consécutive à la chute du
capitalisme qui surviendra à la suite de sa phase terminale.
Non-classe qui sera au fond une classe, la classe des
laissé-pour-compte que le capitalisme dans son effondrement aura
engendrés et précipités dans la misère, elle devenant l’immense
majorité de la société. Parti par conséquent qui ne sera en rien
une création « idéaliste » (comme me l’attribue
Jean-Louis) mais qui verra le jour en raison de la situation de
détresse, elle bien matérielle, qui saisira cette non-classe.
Ce qui toutefois
distinguera ce parti c’est qu’il devra être un fort
parti communiste. Pourquoi ça ? Comme je l’ai rapidement
signalé dans mon texte sur les « gilets jaunes », depuis
un siècle le capitalisme ne s’est pas contenté de se développer
économiquement, il a mis en place un système de domination que même
les Mussolini, Hitler, Staline n’avaient pas réussi à mettre au
point, ceux-ci n’arrivant pas à la cheville de ce capitalisme
totalitaire qui
gouverne désormais la planète. « Les fascistes ont perdu la
guerre, mais c’est le fascisme qui l’a gagné » disait
Bordiga. Tout à fait pertinente cette appréciation. Ce que l’on
peut ajouter, c’est qu’en guise de totalitarisme le capitalisme
dit « libéral » est allé en la matière bien au-delà
des espérances du fascisme. Désormais, c’est dans tous les
domaines de la vie des hommes que sa domination s’exerce : pas
seulement dans la politique comme c’était le cas avec le fascisme,
mais dans leur travail, leurs loisirs, leur environnement
urbanistique, leur imaginaire. Il en a résulté une humanité
affaiblie, diminuée, effectivement « inculte »
politiquement comme dit Jean-Louis à propos des « gilets
jaunes », donc plus influençable que celle qui l’a précédée,
car ayant été complètement intoxiquée par ce système capitaliste
moderniste possédant des moyens d’assujettissements autrement plus
puissants – propagandistes (télés), techniques (confort)
économiques (consommation) – pour attacher les hommes à son
système que n’en avait l’ancien capitalisme d’il y a un
siècle, lui beaucoup moins perfectionné. Si l’on ne comprend pas
ça on ne comprend rien au capitalisme auquel on a désormais
affaire. Et du même coup on ne comprend pas pourquoi désormais la
présence du parti communiste sera
plus que
jamais nécessaire
pour éclairer et guider cette masse qui aura été abêtie,
décervelé, rendue décadente par un tel capitalisme. Ce qui
impliquera un fort parti communiste pour combattre les fétichismes
que celui-ci avait promu et divulgué, à commencer par celui de la
démocratie, qui elle n’est pas autre chose que l’instrument
politique de sa domination totalitaire ; et aussi un fort parti
communiste sur le plan interne qui devra se faire compact,
monolithique même, pour pouvoir mener à bien une telle tâche.
Voilà mon cher Jean-Louis
ce que je pense de la nature et de la fonction du parti. J’espère
ne pas avoir été trop long et ennuyeux. Ce faisant, je n’ai pas
trop fait dans la théorie abstraite. J’ai voulu traiter ce sujet
d’une manière vivante, historique, faisant valoir que le parti
communiste après avoir eu une vie dans le précapitalisme, puis dans
le plein capitalisme, en aura encore une dans le post-capitalisme. Je
sais, tu ne seras pas convaincu, tu continueras de penser autrement,
néanmoins j’espère de toi un peu d’honnêteté pour ne pas dire
n’importe quoi à propos de ma conception du parti – conception
qui à défaut d’être « hitlérienne » serait
« stalinienne »….
Bien à toi
CB
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire