« ...nous
avons bien d'autres éléments pour reconnaître ce protagoniste de
la tragédie historique qu'est la classe, pour en fixer les
caractères, l'action, les objectifs, qui se concrétisent dans des
traits d'une évidente uniformité, au milieu du changement d'une
multitude de faits que le pauvre photographe de la statistique
enregistrait dans une froide série de données sans vie ».
Bordiga
(1921)
Préliminaires
d'actualité :
Le
pouvoir macronien s'est à nouveau planté. En une après-midi
émeutière il a perdu tout le crédit politique qu'il pensait avoir
reconquis avec son bla-bla national. Manu
s'était autorisé une virée domincale à ski, l'autre à tapiner en
boite de nuit, et le seul responsable fût ce pauvre tâcheron
directeur de police de Paris, oui ce même directeur qui avait un peu
trop parlé sur l' affaire Benalla et demandé d'y aller mollo avec
les LBD. Tous ces faux derches étaient au courant de la venue des
clans blac bloks et ont laissé faire pour venger l'humiliation du
premier décembre. Encore raté !
Manu
avait voulu piéger les gilets jaunes en laissant faire un maximum de
casse dans l'espoir renouvelé mais impuissant à retourner
l'opinion. Las, tout le monde s'en est aperçu, même les croulants
sénateurs. Macron n'a aucune autorité, en réalité il est
incapable d'asseoir une autorité permanente et cela va s'aggraver
jusqu'à ce que la France soit ingouvernable. La crise des gilets
jaunes, qui est en réalité surtout LA PREMIERE REVOLTE DU SECTEUR
PRIVE DEPUIS LA GUERRE, est une crise profonde qui ne peut trouver sa
solution au niveau des chimères des ignares et confus gilets
jaunes1.
La crise se manifeste de manière ambiguë comme le voit bien ce
journaliste du Figaro G.Tabard :
« Les
Français montrent à Emmanuel Macron qu'ils peuvent «en même
temps» être révoltés par la violence des casseurs et continuer à
soutenir les «gilets jaunes» ; «en même temps» jouer le jeu du
grand débat et exprimer leur défiance à l'égard du
gouvernement.C'était
sa formule, la griffe de son projet. Le fameux «en même temps»
macronien se retourne aujourd'hui contre son auteur. Au nom de sa
«pensée complexe», le chef de l'État voulait montrer qu'une
action ne pouvait pas être univoque. Dans cette longue séquence, ce
sont les Français qui lui montrent que leurs réactions sont
«complexes» et expriment des motivations qui peuvent sembler
contradictoires. Ils peuvent «en même temps» être révoltés par
la violence
des casseurs
et continuer à soutenir les «gilets jaunes» ; «en même
temps» jouer
le jeu du grand débat et exprimer leur défiance à l'égard du
gouvernement.
C'est cette complexité que l'exécutif a sous-estimée. Le
gouvernement avait cru ou avait espéré qu'une séquence chasserait
l'autre. Qu'après le temps de la colère, celui du dialogue était
venu ; qu'à l'attraction des ronds-points avait succédé celle
des salles communales »2.
La
masse même, pourtant pas massive, des gilets jaunes en manifs de rue
est elle-même ambiguë avec son admiration des émeutiers comme nous
l'étions des barricadiers de 68 : nos black bloks ne sont
pourtant que de nouveaux vandales ; le prolétariat en guenilles
est en santiags et cagoules de cuir motard de nos jours ; « la
pourriture passive des couches inférieures de la société »,
populace et vagabonds, populace urbaine – ainsi que la nommait Marx
et Engels, tient lieu de spectacle aux médias où il n'y a plus ni
gagnant ni perdant. Drouet avait joué au bonze syndical appelant à
bloquer ports et raffineries, il n'a eu que deux pneus crevés.
Le
nouvel appel conjoint des bonzes syndicaux et de leurs cire-pompes
gauchistes à une grande journée d'action, reprenant le slogan gilet
jaune : « Fin de mois, fin du monde, même combat »,
a fait un bide comme toujours.
Où
le MOUVEMENT GILET JAUNE ACCOUCHE DE SON PRINCIPAL THEORICIEN
Selon
mon contradicteur Claude Bitot, je me suis excité en faveur du
mouvement des gilets jaunes à ses débuts, y voyant le plus grand
mouvement social depuis 68 avec un prolétariat (presque) en action
même avec le drapeau tricolore, et je découvrirais seulement à
présent qu'il est sans « culture politique » et sans
perpective claire. Claude a dû lire un peu rapidement mes nombreux
articles. Je n'ai pas ménagé mon soutien paritairement avec les
mêmes critiques au début qu'à la phase terminale. Je crois n'en
avoir jamais attendu monts et merveilles.
Cette
entrée en matière est pourtant d'emblée une manière de minimiser
l'extraordinaire importance que le tovaritch Claude a révélé
accorder à cette révolte, qui, selon lui « remet à l'ordre
du jour la question sociale » depuis au moins 1945. Ne s'est-il
donc rien passé socialement depuis 1945 qui remette en cause Etat et
bourgeoisie ?
En
effet, et il a parfaitement saisi ma critique, je lui reproche dans
ma première réponse, de miser sur un tel type de mouvement et non
plus sur le prolétariat (théorie dont il a été un des meilleurs
défenseurs pendant plus d'un demi-siècle). Le texte de Robin
Goodfellow est autrement plus lucide malgré un fond politique
bordiguiste mâtiné de tartufferies politiques héritées des
barbaristes :
« Il
est évident que le mouvement est interclassiste et que le
prolétariat, tout en faisant valoir ses propres revendications, est
à la remorque de la petite-bourgeoisie dont il constitue
politiquement la gauche. Le prolétariat n’y existe pas en tant que
parti politique indépendant mais la plupart des représentants du
mouvement communiste semblent ignorer que cela fait plus de 90 ans
que cette situation existe. C’est d’ailleurs pour cela que cette
période est caractérisée de période de contrerévolution ».
UNE
CLASSE OUVRIERE FONDUE AU SOLEIL DU CAPITALISME DECADENT ?
Après
tant de Gorz, Castel, Mallet, Negri et autres charlatans de la sociologie
gauchiste révisionniste, ce tovaritch vintage ne voit plus qu'une
classe « fondant en même temps que les grands sites
industriels du capitalisme », « des ouvriers complètement
désemparés perdant tout réflexe de classe (…) votant pour un
parti classé à « l'extrême droite » ; une classe
ouvrière devenue aussi inculte politiquement que nos braves gilets
jaunes. Plus aucune lueur d'esprit de classe dans cette classe
ouvrière devenue décadente pour ne pas dire démoralisée ;
pourtant dans la démoralisation il y a bien des lueurs de conscience
des causes de cette démoralisation et qui sont des conditions
justement pour en sortir. Ces lueurs, rejet des syndicats et de la
pourriture des partis de gauche, n'en sont pas selon notre
contradicteur : « il y a dans cette classe quelque chose
de cassé : celle-ci ne se syndique plus et ne vote même plus
pour des partis de gauche, cela attestant chez elle non pas une prise
de conscience mai un dégoût propre à une classe finissante, pour
ne pas dire décadente ».
La
classe que je me représenterais encore comme classe révolutionnaire
ne serait plus qu'un amas de professions minables, improductives
(sic) autrement dit ces pauvres livreurs de pizzas du « tertiaire »,
en gros d'horribles gens insignifiants « qui ne sont plus dans
la production » et auxquels Marx n'aurait jamais songé à
commander même une pizza royale. Marx n'avait-il pas évolué, ou
changé, sa définition du prolétariat ; dans le Manifeste est
prolétaire « celui qui pour vivre est contraint de vendre sa
force de travail » ; mais dans le Capital : « il
faut entendre par prolétaire le salarié qui produit le capital et
le fait fructifier ». Donc, en conclut donc le tovaritch
Bitot : « était prolétaire pas n'importe quel salarié ».
Or, quand bien même je me fiche des éventuelles variations
littéraires de Marx ou sautes d'humeur, ce ne sont pas des individus
qui sont productifs en soi mais une classe entière où le livreur de
pizza va servir son modeste déjeuner au technicien pressé, lequel
est bien heureux de retrouver son bureau propre le lendemain grâce à
« l'improductrice » femme de ménage. Comme toutes les
querelles des divers exégètes intellos sur les nuances entre
travail productif et improductif, Bitot s'enferme dans une rigidité
conceptuelle assez étrangère à... Marx.
Prévoyant
cette objection, Bitot vient affirmer que Marx ne visait comme
révolutionnaires, non pas cette « masse de domestiques du
tertiaire » (merci pour eux), mais que « les prolétaires
modernes » qui « dans l'esprit de Marx seraient à même
dans le communisme de faire fonctionner les machines pour le compte
de la société et non plus pour le compte du capital » (…)
alors que le salariat des services ajourd'hui : « n'est
jamais entré dans une usine, ne connaît rien de la production et
serait bien en peine de la prendre en main » (…) ;
disparus « les ouvriers métallurgistes professionnels en bleu
de chauffe (…) car les plus qualifiés, les plus conscients, les
plus révolutionnaires » (…) le capitalisme en a terminé
avec cette couche dangereuse du prolétariat et du même coup réduit
à néant les espoirs révolutionnaires qui avaient été fondé à
partir de la classe ouvrière ».
Je
ressens là comme un mélange d'ouvriérisme et de fantasme de classe
ouvrière paradisiaque coincé dans une conception rigide de corps de
métier. Les métallurgistes comme les mineurs ont connu leur heure
de gloire ; leur travail collectif leur donna souvent pourtant
plus uen conscience corporative que de classe et comme tels, même au
temps de la tentative communiste en Russie, vu leur taux
d'illettrisme, je ne pense pas que Marx envisageait de virer
ingénieurs et chefs de projet tout de suite. D'ailleurs Claude a mal
lu mon livre « Dans quel 'Etat' est la révolution », où
je montre que la réorganisation d'une nouvelle société ne peut pas
privilégier telle ou telle classe, mais suppose la disparition des
classes et une tout autre façon d'ordonnancer le travail humain. Le grand nombre d'ouvriers paupérisés ou marginalisés des "classes dangereuses" n'est pas une nouveauté par rapport au temps de Marx; il en faisait d'ailleurs le décompte sans les considérer comme portion congrue ou inconsciente la masse des chômeurs, des pauvres assistés, des estropiés, des veuves. Il en concluait que cela caractérisait le paupérisme qui forme avec la surpopulation relative la condition d'existence de la richesse capitaliste, mais qui favorise aussi l'esprit de révolte contre "l'injustice sociale" même si ces couches ont un esprit de solidarité moindre que dans les grandes concentrations du travail. C'est un récurrent snobisme chez les marxologues académiques (apolitiques) de vouloir à tout prix faire une distinction entre travail productif et improductif. Dans les théories sur la plus-value écrites entre 1861 et 1863, Marx avait analysé la distinction entre travailleurs productifs et improductifs dans des pages à la fois drôles et pertinentes mais sans théoriser une capacité particulière des ouvriers productifs en vue de gérer l'Etat de la période révolutionnaire ni comme propriétaires d'une conscience de classe plus développée que les prolétaires improductifs. Dans le "18 Brumaire de Louis Bonaparte, ou dans la section VIII du Livre I du Capital, Marx fait une distinction par contre entre prolétariat et "sous prolétariat" qu'il condamne parce qu'il est propice à la propagation d'idées réactionnaires, mais on doit relativiser ce reproche dans un contexte de lutte de classes où le niveau de précarisation (migrants et immigrés), d'exclusion (dépossession) et de marginalisation d'une grande partie de la population pauvre (que les modernistes nomment multitudes en y incluant le monde du travail de façon indistincte) pose de façon plus urgence encore l'exigence de changement de société face au paupérisme qui se généralise et qui est le facteur fondamental de la conscience de classe. La notion de prolétariat ne recouvre plus simplement le salariat, et ce n'est pas une hérésie anti-marxiste.
Le souci de Marx resta toute sa vie celui inscrit dans le Manifeste communiste de 1847, l'unité du prolétariat dans et par la lutte, sans distinction de qualifications professionnelles ou du rapport des ouvriers et des employés à la production, et avec le souci d'intégrer la masse des exclus. En 1844, le jeune Marx accorde d'ailleurs la primeur au terme prolétariat plutôt qu'aux termes de classe ouvrière: "le prolétariat est le produit de la dissolution des « classes moyennes », des « couches intermédiaires », de la « petite bourgeoisie".
Marx
pense que le prolétariat vaincra
pour deux raisons, en premier lieu parce « les prolétaires n’ont
rien à sauvegarder qui leur appartienne ». En second lieu, parce
qu’ils sont plus nombreux : « Le mouvement prolétarien est le
mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense
majorité ».
L’union du prolétariat acquiert une volonté suffisante pour
défaire le pouvoir politique de la bourgeoisie. C’est dans ce sens
que « la lutte du prolétariat est […] une lutte nationale ».
Comme la conquête de l’autonomie, elle est inévitable parce que
la propriété privée des moyens de production crée une « guerre
civile plus ou moins larvée […] jusqu’à l’heure où cette
guerre éclate en révolution ouverte, et où le prolétariat fonde
sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie ».
Certaines caractéristiques de la bourgeoisie contiennent le germe de
sa propre destruction : « L’ouvrier moderne descend toujours plus
bas, au-dessous même des conditions de vie de sa propre classe. Le
travailleur devient un pauvre, et le paupérisme s’accroît plus
rapidement encore que la population et la richesse.
Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir
plus longtemps son rôle de classe dirigeante […]. Elle ne peut
plus régner, parce qu’elle est incapable d’assurer l’existence
de son esclave dans le cadre de son esclavage, parce qu’elle est
obligée de le laisser déchoir au point de devoir le nourrir au lieu
de se faire nourrir par lui. La société ne peut plus vivre sous la
domination de la bourgeoisie, ce qui revient à dire que l’existence
de la bourgeoisie n’est plus compatible avec celle de la société
» et Marx de conclure que « la bourgeoisie produit ses propres
fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également
inévitables ».
Le souci de Marx resta toute sa vie celui inscrit dans le Manifeste communiste de 1847, l'unité du prolétariat dans et par la lutte, sans distinction de qualifications professionnelles ou du rapport des ouvriers et des employés à la production, et avec le souci d'intégrer la masse des exclus. En 1844, le jeune Marx accorde d'ailleurs la primeur au terme prolétariat plutôt qu'aux termes de classe ouvrière: "le prolétariat est le produit de la dissolution des « classes moyennes », des « couches intermédiaires », de la « petite bourgeoisie".
Quelle
pirouette comique de la part de Bitot, par après, d'affirmer: « je n'ai donc pas abandonné le
marxisme, ce sont les analyses de Marx sur le prolétariat qui m'ont
abandonnées »... donc c'est bien un abandon du marxisme !3
Même
rigidité auto-satisfaite pour l'espoir de révolution, comme tous
nos petits profs retraités modernistes, il n'y a qu'à attendre, la
révolution tombera du ciel : « je n'ai pas abandonné
l'idée de révolution, qui elle se posera lorsque le capitalisme
finira par s'écrouler » ! Invraisemblable qu'un vieux de
la vieille nous sorte une telle billevesée idéaliste ! Jamais
dans les milliers de débats sur le sujet depuis 1917 dans le
mouvement révolutionnaire, aucune de nos grosses têtes n'a imaginé
que le capital s'effondrerait un jour tout seul ! Ils ont tous
affirmé et répété qu'il faudra vraiment l'aider à s'effondrer ;
c'est comme si un algérien naïf vous disait : « ne vous
inquiétez pas, le clan des truands derière Bouteflika va finir par
s'écrouler »...
VERS
UN PARTI POUR FAIRE RENAITRE LES GILETS JAUNES ?
Une
chose est sûre avec Bitot, si la classe ouvrière « métallurgiste »
a disparu, au moins une nouvelle classe, certes bâtarde, celle des
gilets jaunes l'a remplacée : « je soulignais fortement
la nécessité de ce parti en ce qui concerne l'avenir d'un tel
mouvement qui n'est pas fini mais qui va renaître avec plus de force
et d'intensité (alors que JL semble avoir tiré un trait dessus
attendant que le « prolétariat » entre en scène) ».
J'imagine assez bien les deux routiers Drouet en secrétaire général
du parti « jaune » et son adjoint Fly Rider casquette à
l'envers secrétaire adjoint, Jacline pour le programme électoral en
jaune, et sans doute Pricilla secrétaire de l'union des femmes
libérées des taxes.
Claude
est estomaqué que je moque le promoteur d'un parti rédempteur d'un
prolétariat disparu, léniniste caricatural sans le manche et sans
la lame. Attaquons donc le Jean-Louis ad hominem, ce type « sans
nuance », disciple du gourou Chirik concepteur d'un parti qui
ne prend pas le pouvoir et d'une classe ouvrière « qui ne se
salit pas les mains au pouvoir »... Ce n'est que de
l'anarchisme ! C'est comme un vieux relent de bordiguisme chez
une grenouille laïque. Mais c'est triste de ta part Claude car tu
sais très bien qu'en 1991 nous avions travaillé tous deux sur la
question de l'Etat de transition qui avait donné lieu à un bon
travail comment (qui est publié sur mon site Archives maximalistes)
et où tu ne déformais pas mes positions et donc celles du CCI ;
échange politique si fructueux puisqu'il t'avait servi pour ton
premier ouvrage aux Cahiers Spartacus.
QU'EST-CE
QUE LE PARTI COMMUNISTE ?
Ce
n'est un relent mais une resucée bordiguienne qui nous est ressorvie
par après. Tout ce bla-bla sur le parti historique depuis le Moyen
âge comme embryon à chaque époque des révolutions successives où
ce n'est souvent que des bandes limitées ou deux ou trois forte
personnalités devient une démonstration fétichiste, onirique et
fabulatrice qui esquive les vraies questions posées pour le ou les
partis modernes. Claude attend le parti comme moi j'attends la
révolution, mais notre seul argument est : le plus tôt serait
le mieux because il ne nous reste pas longtemps à vivre sur cette
planète.
En
voulant conserver le vieux jus faisandé du bordiguisme, le tovaritch
Bitot fuit complètement ce que le bordiguisme avait de tranchant et
de marxiste4.
Il nous invente un parti « hors-classes » ; un
machin qui conviendrait sans doute aux tovaritchs « hors-classes »
Drouet, Nicolle, Rodriguez et Priscilla, voire leur petit avocat
manche à balai dans le cul, mais aux masses exploitées ! C'est
même un parti communiste « témoin de Jéhovah » pour :
« éclairer les masses en diffusant parmi elles un programme
clair répondant à leurs attentes, prendre la direction de leurs
luttes5
et une fois le pouvoir pris jouer un rôle central dans son
exercice ».
Voilà
le tour est (mal) joué, tovaritch Bitot nous refait le coup de
Brejnev ! Alors que nous les gilets jaunes originaux et vierges
nous souhaitions nous passer d'un parti de gouvernement (un peu comme
le CCI le promet avec un peu de chance si on renverse le capitalisme)
et pas nous faire chier tous les jours avec des référendums,
because y a pas que la politique dans la vie sous le capitalisme ou
dans le communisme.
CE
QUI A ENGENDRE LE PARTI BOLCHEVIQUE, LA GUERRE ?
Aux
origines le parti bolchevique ne pouvait qu'être un parti de rien du
tout. Il oublie de nous rappeler que le petit groupe s'était fondé
sous les auspices et dans le cadre de la II ème Internationale, avec
un souci étrange et quelque peu prétentieux : seule une classe
ouvrière ultra minoritaire au cœur d'un océan de paysans pouvait
prétendre diriger la révolution ; que le parti de Lénine ait
reçu un coup de pied au cul au début des révoltes contre la guerre
ne change rien aux fonds baptismaux « socialistes » de ce
parti et à ses engagements ultérieurs. Les principes de ce parti
n'ont pas été forgés par la réaction spontanée des masses contre
la guerre mondiale (qu'il camoufle pudiquement du concept de
« situation catastrophique » mais par des années de
lutte contre l'oppression tsariste et par une délimitation
principelle avec les partisans du terrorisme petit-bourgeois.
Tovaritch
Bitot nous sort une autre explication de son sac à malices :
tout cela est peau de balle, au vrai « c'est la situation de
guerre et l'impossibilité de la bourgeoisie d'y mettre fin (…) qui
amena les ouvriers les plus avancés, les plus intelligens, les plus
révoltés, à s'organiser en parti de classe révolutionnaire ».
Tout cela est bien évidemment faux. La bourgeoisie voulait continuer
la guerre et les masses se sont organisées oui mais en soviets et en
conseils ouvriers ; elles ont longtemps était plus attirées
par les partis libéraux et mencheviks, puis elles ont pris le parti
monolitique dans la gueule en particulier au moment de Kronstadt.
Malgré
cette invention d'un parti « produit d'une situation
catastrophique », tovaritch Bitot nous refait le coup de la
gloire du parti bolchevique sans lequel nulle révolution n'eût eu
lieu tandis que ces abrutis de gauchistes allemands « ne
voulaient pas entendre parler d'un « parti de chefs »..
tien cela aurait plus à nos ignares gilets jaunes ! Même
l'ultra-gauchiste Bordiga ne trouve plus grâce aux yeux veloutés de
tovaritch Bitot, il a traîné la savatte pour accoucher lui aussi
d'un parti mort-né vers 21-23. Ailleurs ? Que dalle ! Et
depuis ? Rien, il peut recoupier André Gorz en lisant
par-dessus l'épaule de Marcuse : « Le capitalisme après
1945, avec son Etat-providence, sa société de consommation, intégra
complètement la classe ouvrière, ce qui rendit tout à fait
impossible sa résurrection ». Vu les mots religieux funèbres
usés régulièrement par le tovaritch, je présume qu'il a suivi le
catéchisme dans l'enfance sans se soucier du sexe de beautés qui
nous l'enseignaient, contrairement à moi.
VERS
LA NON-CLASSE REVOLUTIONNAIRE version Bitot
Les
années 1970 ont vu fleurir pléthore d’« adieux au
prolétariat » (selon la formule d’André Gorz en 1980 à la
suite de Marcuse) au motif que celui-ci ne constituait non seulement
plus « le » sujet révolutionnaire, mais n’était même
plus un sujet politique consistant tout court ; qu’il s’était
embourgeoisé, devenu pour l’essentiel une gamme de « classes
moyennes » aux conditions de vie améliorées, sans identité
autre qu’une participation active à la « société de
consommation » . Les intellectuels gauchistes rangés des
voitures brûlées en Italie comme en France ont alors repris la
notion féodale de « multitudes » pour varier celle,
cramée, de peuple ; tovaritch Bitot lui a créé la notion de
non-classe. Il faut relire les commentaires de Dangeville autour de
ses citations lumineuses de Marx sur la complexité de la création
de la classe laborieuse et l'instabilité de son statut de classe
exploitée et corvéable à merci :
« Le
développement de l’industrie n’a pas pour seul effet d’accroître
le prolétariat, mais encore de l’agglomérer en masses de plus en
plus compactes. Le prolétariat sent sa force grandir. Les intérêts,
les situations se nivellent de plus en plus en son sein à mesure que
le machinisme efface les différences dans le travail [non la
production] et ramène presque partout le salaire à un niveau
également bas. La concurrence accrue à laquelle se livrent les
bourgeois et les crises commerciales qui en découlent rendent le
salaire des ouvriers de plus en plus instable. Le perfectionnement
incessant et toujours plus poussé du machinisme rend leur condition
de plus en plus précaire. Les heurts individuels entre les ouvriers
et les bourgeois prennent de plus en plus un caractère de collision
entre deux classes. Bientôt les ouvriers s’efforcent de monter des
coalitions contre les bourgeois ; ils se groupent pour défendre leur
salaire. Ils vont jusqu’à fonder des associations durables pour
constituer des réserves en vue de révoltes éventuelles. Ça et là,
la lutte éclate sous forme d’émeutes. »
Certains
auteurs telle Sarah Abdelnour, qui a publié en
2012 le livre, Les nouveaux
prolétaires, défendent la
pertinence spécifique aujourd’hui du terme de prolétariat, et
même s’il est nécessaire pour l’auteure d’en « réactualiser
la notion ».
L’ouvrage
de S. Abdelnour a le mérite d’affirmer que les lumpenprolétaires
sont tout autant des prolétaires que les travailleurs employés qui
sont, eux, toujours près d’entrer à leur tour dans l’armée
industrielle de réserve.
Marx du reste, dans le livre I du Capital,
avait déjà analysé en détail l’hétérogénéité de la
population prolétaire et proposé une véritable classification des
types de chômage (de « surpopulation relative ») du plus
ponctuel au plus permanent, marquant même que ce chômage « présente
toujours des nuances variées à l’infini » , et il
fut prolongé en cela par Rosa Luxembourg dans son importante
Introduction à l’économie politique : dans les
deux cas, le prolongement naturel de l’analyse fut la prise en
compte de l’hétérogénéité des représentations, inscriptions
et mobilisations politiques potentielles. Ce n’est pas
d’aujourd’hui, donc, qu’il est clair qu’une population de
chômeurs, par définition exclus des cadres de socialisation
assortis à la possession d’un emploi stable, vivant dans des
conditions d’insécurité sociale majeure, est comparativement bien
moins accessible à la propagande d’un syndicat ou d’un
parti qui tendent à s’adresser de façon plus ciblée,
et dans la durée, à une classe de travailleurs, justement,
à l’identité professionnelle ou politico-culturelle ancrée.
De
ce fait, les zones de combativité du prolétariat contemporain sont
plus variées qu’on ne pourrait le croire trop facilement : ce
sont autant celles du travail employé
(usines, entreprises, petite bourgeoisie employée ou fonctionnaire),
que celles des espaces où marginalité, exclusion, désidentification
sociopolitique prédominent, espaces bien trop désertés par les
syndicats et les partis.
On
a dit que « prolétariat » disait plus
que classe ouvrière : cela devient évident à l’aune de
cette double ouverture, d’un côté au « sous-prolétariat »,
de l’autre à la petite bourgeoisie, en raison des dynamiques
permanentes de différenciation et de recomposition évoquées. Autre
façon de dire que, depuis Marx et Engels même, le problème de
l’hégémonie ouvrière
dans une situation d’alliance de classes, n’a jamais été celui
d’un ouvriérisme
quelconque6.
Revenons
à notre théoricien de la non-classe qui ne veut pas se compliquer
la tâche avec la complexité du prolétariat moderne.
Un
autre parti communiste verra le jour : « A partir d'une
non-classe (déjà perceptible avec le mouvement aclassiste des
« gilets jaunes ») qui ne pourra plus se reconnaître
dans une classe du fait de la décomposition complète de toutes les
classes, demi-classes, pseudo-classes (…) consécutive à la chute
du capitalisme qui surviendra à la suite de sa phase terminale.
Non-classe qui sera au fond une classe, la classe des
laissés-pour-compte que le capitalisme dans son effondrement aura
engendrés et précipités dans la misère, elle deviendra l'immense
majorité de la société ».
On a
compris qu'il s'agit du parti des « livreurs de pizzas »
auxquels on croyait avoir échappé en introduction à la promesse
d'un parti présumé livré chaud et consommable. Ce devra être une
« forte » pizza, pardon un « fort parti »
nous assure le tovaritch, « le parti compvat et monolithique de
demain ». Je l'adresse ici aux connaisseurs de notre
« milieu », ce parti ne vous rappelle-t-il pas un courant
maximaliste qui a eu ses heures de gloire ? Mais qui lui faisait
référence au prolétariat et pas à une non-classe ?
Le 15
avril 1921, Bordiga écrit un article qui explique que les thèses
sur le rôle du parti communiste dans la révolution prolétarienne,
adoptées par le second congrès de l'Internationale communiste,
stipulent que « le parti de classe ne peut comprendre dans ses
rangs qu'une partie de la classe, jamais sa totalité, ni peut-être
même sa majorité ». On est loin des facéties de tovaritch
Bitot.
NOTES
1Ils
sont récupérables tôt ou tard avec leur quête chimérique d'une
« vraie démocratie », et Bordiga le prévoyait si
bien : « La
bourgeoisie elle-même ressent à notre époque une sympathie et une
inclination nullement illogiques pour dans sa fraction la plus
intelligente elle accepterait volontiers de réformer son appareil
étatique et représentatif pour faire une large place aux syndicats
"apolitiques", et même à leurs revendications de
contrôle du système productif. La bourgeoisie sent que tant qu'on
peut maintenir le prolétariat sur le terrain d'exigences immédiates
et économiques qui l'intéressent catégorie par catégorie, on
fait œuvre conservatrice en évitant la formation de cette
dangereuse conscience "politique" qui seule est
révolutionnaire, parce qu'elle vise le point vulnérable de
l'adversaire, la possession du pouvoir ».
2« On
peut prendre l'exemple du 24 mai 1968 : l'opinion publique était
jusque-là favorable aux manifestations étudiantes et aux
grévistes, mais tout bascule après des affrontements
particulièrement violents et les deux morts – le commissaire
Lacroix à Lyon et un jeune homme à Paris – qui sont attribuées
aux manifestants. On apprendra bien plus tard que ce dernier a
en fait été tué par un éclat de grenade offensive de la police
et pas poignardé par la "pègre manifestante", comme
l'avait dénoncé le lendemain le ministre de l'Intérieur.
La
nouveauté aujourd'hui, c'est la diffusion des informations sur les
réseaux sociaux, en particulier les images des blessés graves, et
la diffusion sur tout le territoire national et dans le monde
entier, en boucle sur les chaînes d'information en continu, des
images des lieux symboliques de la France attaqués et brûlés. Ces
images ont à coup sûr un impact fort sur l'opinion publique, même
si elles tranchent avec la figure plus rassurante qu'ont
présentée les "gilets jaunes" sur les rond-points ».
3Je
ne pinaille pas sur tous les aspects surprenants ou incongrus de la
lettre de Claude, mais il faudra qu'il m'explique oralement ce qu'il
entend par une telle classe « réduite par son ultra-machisme
à la portion congrie » ; à mon que ce soit une faute de
frappe = machinisme.
4D'une
certaine façon, outre tombe, le Bordiga de 1921 lui répond :
« Une
interprétation tout à fait fausse du déterminisme marxiste, une
conception limitée du rôle que jouent dans la formation des forces
révolutionnaires, sous l'influence de départ des facteurs
économiques, les faits de conscience et de volonté, conduisent un
grand nombre de gens à rechercher un système "mécanique"
d'organisation qui, en encadrant quasi automatiquement la masse
d'après la place des individus qui la composent vis-à-vis de la
production, suffirait à la rendre prête a agir pour la révolution
avec le maximum d'efficacité révolutionnaire ».
5Là
déjà du coup, Drouet, Nicolle et Priscilla démissionnent
derechef ! Et moi aussi.
6Sur
le site Le grand soir, contribution de Emmanuel Barot.
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