à Marc Chirik, et à Ottorino Perrone,
Benito Mussolini (Il tempo del bastone e della carota. Storia di un anno (octobre 1942 – septembre 1943), dans le supplément au Corriere della Sera, n° 190 du 9 août 1944, p. 40.)
« Messieurs : il est temps de dire que la police n'est plus désormais seulement respectée, mais qu'elle est aussi honorée ; messieurs : il est temps de dire que l'homme, avant d'éprouver le besoin de la culture, a senti le besoin de l'ordre : en un certain sens, l'on peut dire que le policier a précédé dans l'Histoire le professeur. (...) « Benito Mussolini (discours de l'Ascension du 26 mai 1927 devant la Chambre des députés)
Lecteur tu as de la chance, tu vas pénétrer au cœur d'un des secrets des mieux gardés du déroulement de la Seconde Guerre mondiale, comment une des meilleures polices de la contre révolution a surveillé les fractions révolutionnaires pendant la durée de la guerre, mais pas simplement surveillé. Les ignorants et nos divers gauchistes antifas ne voient dans toutes les polices que brutalités, bêtise à front de bœuf. Les intellectuels de l'OVRA italienne sont les dignes successeurs des deux plus futées polices du monde moderne, celle des Vidocq et Lépine et celle de l'Okhrana ; la Gestapo a d'ailleurs été organisée sur le moule de l'OVRA1.La principale police occidentale de la contre-révolution, en première ligne, contrairement aux autres pays qui n'ont pas connu de véritable menaces révolutionnaires, à la différence de la Russie, de l'Allemagne et de l'Italie - confrontation directe avec le prolétariat et ses organismes politiques - donne des leçons cruciales à toutes les nations bourgeoises du monde. Elle est "exemplaire", au point que la Gestapo et la CIA l'encenseront avant de la prendre pour modèle.
Les perspicaces voyeurs de la police secrète mussolinienne ne surveillent pas en premier lieu les allées et venues des clandestins communistes ou démocrates républicains opposés au règne du Duce, c'est le boulot de la basse police; ils analysent les textes théoriques. Et, avec une particulière sagacité et connaissance des différences entre véritables maximalistes communistes intransigeants qui refusent l'alliance avec tel ou tel camp bourgeois, les staliniens terroristes et leurs homologues "républicains et curés". Ils font par exemple la nette différence entre les partisans du parti stalinien, qu'ils voient, mieux que les trotskystes, comme un impérialisme. Mais, surtout, ils mettent en relief deux choses, totalement gommées par les historiens du camp américain victorieux. La première est que la « fraction italienne », PROMETEO, est franchement et de manière inconciliable internationaliste et dénonciatrice de tous les camps en guerre (y compris le leur, impérialisme fasciste) ; ils rendent même souvent un hommage appuyé à l'honnêteté et au courage de PROMETEO, ce qui est toujours un salut d'honneur venant d'ennemis politiques ! Et d'une certaine façon de respect, même si leurs hommes de main de basse police étaient chargés de les emprisonner ou les zigouiller. Ombre au tableau, si les textes de la police secrète fasciste italienne sont d'une telle qualité, on peut raisonnablement penser qu'ils n'ont qu'un auteur principal, Ambrogi. Or, Ambrogi, agent double voire triple, qui a été identifié par après comme agent de l'OVRA (voir la formidable contribution de Philippe Bourrinet) n'était pas n'importe qui mais un vieux membre de la cohorte des grands révolutionnaires italiens avec Bordiga, Damen et Perrone. Il savait de quoi il parlait et connaissait « son » sujet à fond ! On a toujours ce genre de parasite au cul dans le mouvement révolutionnaire, Lénine avait bien eu Malinovski en qui il avait placé toute sa confiance... Et le naïf Trotsky Mill et son tueur Ramon Mercader.La deuxième est que le prolétariat a constitué en permanence la principale menace interne aux principaux pays belligérants tout au long de la guerre. Quelle confirmation éclatante pour toute la tradition dite « gauche communiste », ce maximalisme intransigeant qui a survécu aux tonnes de mensonges des vainqueurs et des nouveaux contre-révolutionnaires trotskistes souteneurs de la contre révolution stalinienne. Ces extraits des rapports réguliers et permanents de l'OVRA valent toutes nos maintes et répétés affirmations depuis des décennies sur la persistance du danger d'une classe ouvrière reproduisant depuis, même à petite échelle, même en nombre infime, de petits groupes d'éléments profondément convaincus et fidèles à une tradition indéfectible qui se perpétue de génération en génération.
Comment ces archives sont-elles parvenues à un vulgaire péquin comme moi ? A la « libération » en Italie, comme dans un autre contexte en Russie (la saisie des archives de l'Okhrana et leur dépouillement par Victor Serge), celles de l'OVRA sont livrées au public. Nos grands révolutionnaires italiens, de Bordiga à Perrone et Damen, en ont évidemment connaissance et l'on se représente leur joie de voir citer des paragraphes entiers de leurs propres prises de position (comme aucun historien académique français et trotskiste n'a jamais été capable de le faire, au nom de la tabula rasa antifa) et leur rire à voir ainsi reconnue, non simplement leur importance, mais le fait d'être aussi nettement différenciés du stalinisme, mais le fait de voir reconnu le souci permanent par le régime de Mussolini du danger de la classe ouvrière. Le seul défaut que l'on peut noter chez les « analystes policiers » est de mettre sur le même plan l'extraordinaire contribution politique subversive de la « gauche italienne » et le trotskisme, voire de l'assimiler à un trotskisme italien ; ce n'était point une insulte à l'époque car le trotskisme faisant encore partie du camp révolutionnaire marxiste, bien que plus pour longtemps...
Le CCI disposait dans un ancien local secret à Montrouge d'archives précieuses. Lorsqu'un jour fût décidée la destruction de ces archives, qui me scandalisa, j'ai décidé de sauvegarder plusieurs documents qui nous avaient été refilés, je crois, par les archives Perrone/Vercesi en Belgique.
[J'ai publié d'autres documents, traduits également par Laffite, qui éclairent et la faillite du trotskisme et les raisons de la montée irrésistible du nazisme en Allemagne, avec des textes du génial « envoyé spécial » Ambrogi, une lettre inédite de Trotski à Bordiga, un texte rare et inconnu du tout aussi génial Vercesi sur comment, de tout temps, les révolutionnaires dispersés se doivent et peuvent constituer des fractions et cadres du parti révolutionnaire à venir, seulement à la veille de la montée révolutionnaire.... sur mon deuxième blog Archives maximalistes: http://maximalismarx.over-blog.com/]
Ces textes qui circulaient plus ou moins parmi les groupes maximalistes italiens, n'ont jamais été traduit en français. Je remercie infiniment Jean-Pierre Lafitte, auteur de tant et tant de traductions de l'italien ou de l'allemand depuis de longues années – qui ont alimenté et alimenteront de textes introuvables et géniaux tout le mouvement révolutionnaires en France et ailleurs. Du fond du cœur merci Jean-Pierre d'avoir répondu à ma requête et de contribuer à combler nos lacunes, mais aussi, de fait, d'enrichir la théorie et la compréhension de la lutte des classes. Cette vieillerie...L'on désigne par OVRA l'ensemble des services secrets de police politique dont se dota l'Italie fasciste, et qui furent actifs d'abord entre 1930 et 1943, puis sous la République sociale italienne (RSI) de 1943 à 1945. Cependant, il est d'usage de nommer par cet acronyme de façon plus générale la police politique fasciste telle qu'elle œuvra dès avant la date officielle de 1930, en particulier à partir de 1926, à la suite de l'entrée en vigueur des lois dites fascistissimes. Cette police secrète, créée à l'initiative de Benito Mussolini lui-même, était organisée en onze inspectorats de sécurité publique (en it. ispettorati di pubblica sicurezza), couvrant la totalité du territoire de l'Italie et s'appuyant sur un vaste et redoutable réseau d'informateurs. Les missions imparties à l'OVRA consistaient à surveiller et réprimer les organisations subversives, la presse hostile à l'État et les groupes d'étrangers. À cet effet, l'OVRA compilait également les informations recueillies par les services de renseignements de plusieurs autres corps de l'État investis de missions de sécurité publique, et se chargeait de transmettre le dossier des suspects au Tribunal spécial de défense de l'État ou aux commissions de relégation (confino).
L'appellation OVRA demeure inexpliquée ; si elle passe habituellement pour un sigle, son libellé est sujet à plusieurs interprétations différentes : Opera Volontaria per la Repressione dell'Antifascismo (Œuvre Volontaire pour la Répression de l'Antifascisme), Organizzazione di Vigilanza e Repressione dell'Antifascismo (Organisation de Surveillance et de Répression de l'Antifascisme), ou Organo di Vigilanza dei Reati Antistatali (Organe de Surveillance des Crimes contre l'État). L'historien Luigi Salvatorelli se souvient de l'énoncé suivant, donné au moment où l'existence de ce service fut révélé pour la première fois : Opera Volontaria di Repressione Antifascista, appellation ayant la vertu d'en souligner le caractère volontaire et son fonctionnement par la délation, et donc propre à bien faire comprendre aux opposants qu'ils risquaient de buter à tout moment sur quelque agent fasciste volontaire vêtu en bourgeois. Il a été observé par ailleurs que l'acronyme rappelle par ses sonorités le mot italien piovra (pieuvre) ou le nom Okhrana, la police secrète du tsar de Russie. Il existe une autre version encore selon laquelle une faute d'impression serait à l'origine de cette désignation (laquelle dès lors ne serait pas un acronyme), et que celle-ci aurait ensuite été maintenue en raison de sa consonance menaçante2.
Extraits de rapports de l’OVRA sur la presse clandestine (1943-1945)
………….
(Le document est en mauvais état et certaines pages ou paragraphes
illisibles)
[page
5]
… des bandes de rebelles dont il énumère et exalte les actions
guerrières et les coups de main plus ou moins de brigands, et à qui
il donne des instructions et des ordres.
Organe
communiste évident dans lequel les autres feuilles du parti puisent
leurs informations du “Front partisan” (voir l’Unità
qui, en supprimant certaines nouvelles, invite à lire dans le
Combattente
le “bulletin” complet), mais qui se rattache, en vertu de cette
unité de directives dont il a été fait mention dans le préambule
de ce rapport, au “Comité de Libération Nationale”, « guide
et gouvernement de fait de l’Italie qui veut chasser les Allemands,
et se libérer de la peste nazie et fasciste ».
Cela
n’empêche pas qu’il attaque violemment certains Comités locaux,
comme ceux de Turin et de Biella, qui tolèreraient à la tête de
leurs organismes militaires des officiers inféodés à des
industriels soupçonnés de collaboration (avec les Allemands).
6°)
VOCE OPERAIA : est publiée à Rome. Comporte le sous-titre :
“Organe du Mouvement des catholiques communistes”. Rédigée avec
peu d’habileté par des éléments plutôt ignorants en matière de
théologie, destinée à attirer des éléments catholiques au
communisme. Extrêmement superficielle du côté de la doctrine,
simpliste, truffée de lettres apocryphes de prêtres et de
“partisans” catholiques, elle apparaît plutôt comme un
stratagème grossier du Parti Communiste Italien voué à gêner
l’action des chrétiens-sociaux.
Cette
feuille soutient également la nécessité de la guerre par tous les
moyens contre les Allemands et les fascistes.
7°)
PROMETEO : “Organe du Parti Communiste Internationaliste”.
Comporte sous le titre : “Année 22, série III - Sur la voie
de la gauche”.
Unique
journal indépendant.
Idéologiquement le plus intéressant et le plus expérimenté.
Opposé à tout compromis, prêche un communisme pur, indubitablement
trotskiste, et de toute façon antistalinien. Cette attitude est
définie de manière claire et résolue dans l’article : “La
Russie que nous aimons et défendons” (01/01/1943), dans lequel le
journal « se déclare sans hésitations être un adversaire de
la Russie de Staline, dans le même temps qu’il se proclame être
un fidèle combattant de la Russie de Lénine ». À ce propos,
il invite les ouvriers à méditer sur le phénomène de la
solidarité profonde et soudaine de la bourgeoisie réactionnaire à
l’égard de la Russie d’aujourd’hui. Dans un autre article du
01/02/1944, pour le vingtième anniversaire de la mort de Lénine, le
journal se dresse contre « la fourberie de l’État stalinien
qui a réalisé le rêve de toutes les réactions : celui
d’endormir les masses avec l’opium de la mystification officielle
et mensongère ».
Il
combat la guerre quel que soit son aspect : démocratique,
fasciste ou stalinien. C’est pourquoi il lutte ouvertement aussi
contre les “partisans”, le Comité de Libération Nationale et le
Parti Communiste Italien. Cette attitude est exposée clairement dans
l’article d’ouverture du numéro du 1° novembre 1943 :
“Notre voie”, dans lequel il approfondissait, à la lumière de
la doctrine léniniste, la nature du conflit actuel et il définissait
la position des deux groupes belligérants comme « des visages
différents d’une même réalité bourgeoise ». Dans le même
article, après avoir dénoncé le bloc des partis antifascistes
comme un facteur de détournement et d’assoupissement des idéaux
prolétariens, il soulignait l’absurdité de l’internationalisme
propagateur de la guerre nationale - « mais seulement contre
les Allemands ! - tandis que l’on ne déjouait pas le danger
de l’impérialisme anglais ». Est intéressante, dans le même
article, la critique de cette croisade antiallemande à laquelle les
masses ont stupidement mordu en cédant à un sentiment dont « toutes
les réactions se sont jusqu’à présent servies pour leurs guerres
de rapine et d’extermination ».
Dans
la seconde page du même numéro, on peut signaler la phrase suivante
en gras, corps 12 en italique : « Ouvriers ! Opposez
au mot d’ordre de la guerre nationale qui arme les prolétaires
italiens contre les prolétaires allemands et anglais, le mot d’ordre
de la révolution communiste qui unit par-dessus les frontières
contre le même ennemi - le capitalisme - les travailleurs du monde
entier ».
Nettement
antinational, le journal affirme que, « entre le drapeau tricolore
et le drapeau rouge, le prolétariat a déjà choisi »
(01/11/1944, texte en gras p. 2).
Prometeo
mène une polémique particulièrement acérée et vive à l’encontre
de Palmiro Togliatti (Ercoli), chef « par investiture
stalinienne » de « ce qui fut jadis le Parti Communiste
d’Italie », et ce à cause principalement des efforts de
celui-ci pour la mise en œuvre d’une politique « qui
garantisse l’entrée en guerre des masses populaires » (même
numéro).
Le
journal condamne également « la chaîne des assassinats
politiques et des représailles qui a pour unique résultat de
disperser en actions sans avenir la volonté révolutionnaire des
masses ». Quant aux bandes armées, « nées de la débâcle
de l’armée », il les définit comme « des instruments
du mécanisme de guerre anglais ».
Cette
attitude de Prometeo
ne pouvait pas manquer de susciter la violente réaction du
Parti Communiste Italien, et en particulier d’Ercoli, come on le
verra à propos de la revue La
nostra lotta.
8°)
STELLA ROSSA : se proclame être l’organe du “Parti
Communiste Intégral”. De peu d’intérêt, présente un aspect et
un contenu de pamphlet louche. Prêche un communisme absolu et
infantile, et met fortement en évidence la liste des Allemands et
des fascistes tués dans des embuscades subversives.
Elle
est dénoncée par les organes du PCI comme une feuille provocatrice
qui sème la zizanie. Voici ce qu’écrit à ce propos Il
Grido di Spartaco
dans son numéro du 25/11/43 : …
…………..
[page
10]
10°)
LA NOSTRA LOTTA : Organe du Parti Communiste Italien, qui est
publié sous forme de revue.
Elle
donne une grande importance aux grèves qu’elle présente comme des
épisodes sérieux de la lutte antiallemande (encore plus
qu’antifasciste). À l’occasion, elle souligne l’inefficacité
des courants libéraux-démocratiques qui influencent le Comité de
Libération Nationale, et même la faible capacité de lutte du
Comité lui-même, dont elle fait néanmoins partie. C’est à
l’isolement du Parti Communiste que l’on doit le fait que les
grèves n’aient pas pris un caractère de plus grande extension et
intensité.
Ces
accusations aident encore mieux à comprendre le désaccord qui
existe entre les différents groupes et qui a été souligné plus
haut.
Il
ne fait pas de doute que c’est l’élément communiste qui est le
plus dynamique et le plus aguerri de ceux qui sont liés au Comité
de Libération Nationale. Et fait foi de cela la polémique qui s’est
engagée avec ceux qui prétendent donner aux formations armées de
rebelles un caractère apolitique et “antiparti”, chose qui est
jugé comme éminemment nuisible par la revue. Une telle conception
pouvait avoir sa raison d’être durant le Risorgimento national (le
communisme italien ne renonce pas encore à se présenter comme
l’héritier légitime des courants patriotiques du siècle passé),
mais plus maintenant que la nation italienne n’est plus une nation
de peuple dans le sens qui était valide à cette époque-là, mais
une nation de partis. Il est trop facile de reconnaître dans la
tentative de formation d’un bloc national extérieur aux partis “la
patte badoglienne” qui, toujours équivoque, ne veut pas
reconnaître son échec « et cherche à s’assurer de
certaines positions antidémocratiques pour l’avenir ».
La
revue propose au contraire l’encadrement des forces combattantes
dans un “Front National de la Jeunesse” dans lequel il est par
trop évident que la propagande communiste pourra se développer
efficacement.
Les
attaques lancées par la revue contre le capitalisme italien,
profiteur des vingt années de fascisme, s’intégrant ensuite dans
l’ordre badoglien, et maintenant « au service des Allemands
pour affronter la pression de plus en plus sensible des masses
ouvrières » (ce qui le contraindrait encore à soutenir et à
financer les fascistes) sont intelligentes. C’est avec un grand
étalage de données statistiques, destinées à avoir prise sur les
cerveaux ouvriers et surtout à fournir du matériel de discussion
aux propagandistes du parti, qu’« il démontre que le capital
financier est l’unique profiteur de l’immense tragédie qui s’est
déchaînée
sur l’Italie ». C’est pourquoi « la lutte contre le
grand capital réactionnaire doit faire partie intégrante de la
lutte de libération ».
La
revue est rédigée avec une grande habileté dialectique. Ercoli qui
sans aucun doute en écrit ou en inspire les articles, se révèle
être un connaisseur avisé du milieu ouvrier et un
pseudo-intellectuel qui entend les attirer vers l’idéologie
communiste, idéologie dont il est un excellent catéchiste.
Il
semble toutefois sensible aux piques lancées contre lui avec une
grande maestria par Prometeo
et vis-à-vis desquelles il réagit de façon violente en amalgamant
cette feuille du “gauchisme international” à la Stella
Rossa contestataire
et provocatrice, et en l’accusant d’être, avec cette dernière,
au service de la Gestapo. Bandiera
rossa,
qui aurait pris des positions “attentistes” et ouvertement
opportunistes (en réalité, à cause des attaques lancées contre le
Comité de Libération Nationale) n’est pas non plus épargnée par
cette furie polémique.
11°)
LA NUOVA CRITICA SOCIALE : Bimensuel de L’union des
Travailleurs Italiens, dont le premier numéro a paru le 15 décembre
1943.
Est
publiée sur quatre petites pages, du type habituel des feuilles de
propagande communiste.
Les
promoteurs de cette nouvelle publication ont joué un tout pendable
aux socialistes qui étaient en train de préparer l’exhumation
clandestine de la Critica
Sociale
de Turati et de Treves dont le premier numéro devait sortir
prochainement.
Cette
petite revue voit aussi dans les grèves de Gênes et de Turin « une
preuve générale de la guerre qui se déchaînera d’ici quelques
mois quand le prolétariat prendra le fusil pour chasser l’ennemi
teuton et les hordes fascistes scélérates ».
Une
violente attaque est portée contre Victor-Emmanuel à cause de sa
proclamation à la radio de Bari. L’on promet à ce « grand
ennemi de l’Italie » le sort des Capet et des Romanov.
Mais
ce qui mérite d’être noté, c’est un article intitulé :
“Frapper tous les responsables” (31/12/1943), qui est dirigé
contre les représentants du mouvement socialiste (il y en a même
qui considèrent que cette attaque est le but principal de la
feuille), et en particulier - bien qu’il ne soit pas clairement
nommé - contre Domenico Viotto, le chef du mouvement socialiste de
Milan, qui s’abrite maintenant “confortablement” sur le sol de
la Confédération Helvétique. « Et pendant ce temps, le sang
du peuple coule ! ».
********
[page ?]
Prometeo
est
résolument hostile à la guerre et il considère que l’impérialisme
anglais n’est pas moins odieux que le national-socialisme allemand.
L’on a déjà mentionné les paroles de réprobation de ce journal
concernant la « croisade antiallemande » prêchée par le
bloc des partis antifascistes (01/12/43) et la politique impérialiste
de la Russie de Staline, opposée idéalement à celle de Lénine
(01/12/43). Cette seconde guerre impérialiste « devenue guerre
populaire pour la démocratie par vertu stalinienne » ne peut
pas être la véritable guerre du prolétariat quoi qu’en pensent
les divers Ercoli, contre lesquels le journal développe une
argumentation serrée dans l’article « Lénine aujourd'hui »
paru dans le numéro du 01/11/44. À chacune des exhortations à la
guerre à côté des Nations Unies lancées par Ercoli dans la presse
du Parti, Prometeo
fait
suivre un commentaire tiré des écrits ou de l’exemple de Lénine.
Qu’on en juge par le passage suivant :
« Togliatti »,
chef par investiture stalinienne, « établit ainsi
l’orientation de son parti : le problème de l’heure
présente doit être ainsi posé : faire une politique qui
garantisse l’entrée des masses populaires en guerre.
« Lénine
a mené le prolétariat à la victoire en s’opposant
impitoyablement à la guerre : le centrisme traître voudrait au
contraire le conduire au massacre de la guerre démocratique en le
livrant, pieds et mains liés, à la bourgeoisie impérialiste. ».
Le
coup a été accusé par Ercoli qui répond ainsi dans les pages de
La
nostra lotta :
« Lutter les armes à la main contre l’ennemi numéro un
de l’humanité, lutter pour libérer le peuple italien de
l’oppression germano-fasciste, lutter pour aider à défaire
l’ennemi, l’agresseur de l’Union soviétique, lutter pour
faciliter et tendre plus rapidement….
[Page
20]
« Vive
la révolution mondiale !
« Mort
à la bourgeoisie exploiteuse et capitaliste !
« Mort
aux prêtres du dieu bourgeois faux et mensonger !
« Le
drapeau rouge triomphera !
« Vive
les soviets italiens !
« Vive
la dictature du prolétariat !
« Tout
le pouvoir aux ouvriers et aux paysans, et à eux seulement ! ».
Pour
résumer, nous sommes en présence d’une feuille qui prêche le
bolchevisme intégral, léniniste et stalinien, qui n’admet pas de
compromis avec les puissances capitalistes, ni avec des alliés
occasionnels, et encore moins avec les prêtres et la religion
catholique. Elle a même pour toute cette engeance des flèches bien
plus appointées que contre le fascisme et le national-socialisme.
9°)
PROMETEO : Déjà signalé dans le rapport précédent. Se dit :
“Organe du Parti Communiste Internationaliste”. Comporte sous le
titre l’indication suivante : Année 22, série III, et le
au-dessus du titre : “Sur la voie de la gauche”. Dans
l’angle de droite : « Prolétaires de tous les pays,
unissez-vous ! ».
Journal
qui, par son ton, surprend encore plus que Spartaco.
Malgré tout authentique en dépit des accusations des autres
journaux communistes inspirés par le camarade Ercoli.
C'est
sans aucun doute le plus indépendant des journaux clandestins qui
sont parvenus jusqu’ici entre nos mains. Idéologiquement, comme
cela a déjà été mentionné, il est aussi plus intéressant et
compétent. Il prêche un communisme pur, léniniste (et probablement
trotskiste), et antistalinien.
Opposé à la guerre, sous n’importe quel aspect :
capitaliste-démocratique, fasciste ou stalinien. Par conséquent, en
lutte ouverte aussi contre la coalition antifasciste, alliée avec
les Anglo-saxons, et avec le mouvement “partisan”.
Nous
avons signalé dans le rapport précédent la polémique
particulièrement acérée et vive que le journal a soutenue avec le
camarade Togliatti (Ercoli) qui, touché au vif, a réagi avec
violence dans la revue La
nostra lotta.
Dans
le numéro du 1° mars 1944, les attaques contre le fascisme se sont
faites plus vives, et ce pour trois raisons principales : en
raison des accusations de philofascismse formulées par les organes
“centristes”, d’un appel du Corriere
della Sera
à son intransigeance révolutionnaire (ce qui risquerait d’avaliser
les accusations en paroles), et du coup porté aux mouvements
subversifs par la mesure de la socialisation des entreprises.
Mais
il ne veut voir dans le fascisme républicain que la survivance de la
structure politico-administrative du régime d’avant juillet,
laquelle n’aurait pas de raison d’être en dehors des nécessités
de guerre du nazisme allemand. En abattant ce fascisme républicain,
on se retrouverait ensuite en n’ayant « fait place nette que
d’un fantôme », pour la raison toute simple que « la
classe du sein et pour la défense de laquelle est né le fascisme »
est passée dans l’autre camp en se proclamant démocratique dans
la tentative de séparer son propre destin du sien. Pour frapper le
fascisme au cœur, il ne sert donc à rien de se jeter « contre
un groupe d’hommes et de formations politiques provisoires … il
faut le chercher non seulement derrière les chemises noires de
hiérarques et de sous-fifres plus ou moins titubants, mais aussi
derrière les toges immaculées des néo-démocrates et derrière le
[illisible]
rouge de leurs serviteurs opportunistes. Derrière le rameau
d’olivier que la bourgeoise “antifasciste” tend au prolétariat,
il y a toujours en réserve la hache du licteur prête à servir ».
Ce qu’il faut en d’autres termes, c'est éradiquer le régime
bourgeois avec le lutte de classe. Autrement le prolétariat devra
constater avec amertume « que le fascisme
est mort, mais que son héritage a été recueilli par la
démocratie ».
(“Comment et où l’on combat de fascisme”, 01 - III.1944, pages
2 et 3).
C'est
la même chose qui est dite en ce qui concerne la lutte contre le
nazisme, lequel est un phénomène allemand « non pas parce
qu’il aurait sa racine dans la soi-disant âme
germanique
ou dans quelque obscure malédiction de la race, mais parce que
précisément c'est en Allemagne que le capitalisme a atteint ses
manifestions les plus paroxystiques. Et pour guérir cette plaie, il
n’y a que l’acte chirurgical de la révolution communiste. ».
Comment vaincre le nazisme ? « Pour faire sauter en l’air
la machine de guerre qui opprime le prolétariat allemand, n’appelez
pas au secours une autre machine de guerre (anglo-saxonne ou russe),
mais répandez dans les rangs des soldats allemands la graine de la
fraternisation, de l’antimilitarisme et de la lutte de classe. »
(“Mort aux Allemands ou mort au nazisme ?”, 14/03/1944, page
3).
La
guerre doit être transformée en révolution. Mais l’on
n’obtiendra pas cela avec le “partisianisme” qui ne représente
pas autre chose qu’une manœuvre de l’ennemi pour créer le chaos
politique dans les rangs du prolétariat. L’on doit répondre à
l’appel du centrisme pour rejoindre les bandes de partisans par la
présence dans les usines desquelles sortira la violence de classe
qui détruira les ganglions vitaux de l’État capitaliste. (“Sur
la guerre”).
Dans
la rubrique de la page 4 intitulée “Coups de pied”, l’on
commente l’abandon de l’hymne de l’“Internationale” par
l’Union soviétique. Abandon logique, cependant : « Il n’y
a rien de commun entre le capitalisme d’État et l’économie
communiste, entre l’“Interna-tionale” et le panslavisme
soviétique ; ce sont des termes historiquement antithétiques
que seul le réalisme affairiste anglo-américain de la Conférence
de Téhéran pouvait faire exploser sur le plan de la guerre
impérialiste. ».
********
[page
30]
… une
vulgarité jamais encore rencontrée jusqu’à maintenant dans aucun
autre journal clandestin. Des insultes sanglantes sont aussi
réservées au maréchal Graziani.
On
se sert remarquablement de l’arme de la calomnie à l’égard des
Allemands et l’on déforme les nouvelles jusqu’à les dénaturer
complètement.
Politiquement,
il s’avoue monarchiste : « En ce moment tragique pour la
Patrie, il ne peut pas y avoir d’autre alternative : la
Monarchie ou une nouvelle dictature. Toute autre concession est
éphémère et caduque. Mais, tandis que, dans le la dictature,
il y a toujours contrainte et coercition et souvent arbitraire et
illégalité partisane, l’on
doit reconnaître dans la Monarchie le moyen capable de rassembler
les forces restantes d’un peuple épuisé,
saigné à blanc, découragé, égaré, désagrégé par ce qui est
le plus horrible et le plus absurde des conflits dont l’histoire se
souvient… » (“D’où viendra le salut”, page 1).
Vis-à-vis
des Anglo-saxons, l’attitude du journal ne peut pas être mieux
définie que par la citation du passage suivant : «
Aujourd'hui, l’Italie ne peut pas reprendre son chemin toute
seule : elle a besoin d’une main fraternelle qui l’aide, et
elle tend la sienne en quête de cette main fraternelle !... Si
les faits doivent correspondre aux paroles, nous
attendons cette aide des Anglo-saxons !
L’Angleterre, les États-Unis, peuvent trouver dans ce peuple de
presque quarante-cinq millions d’habitants celui qui coopèrera le
plus fidèlement, le plus intelligem-ment, en vue de la
réalisation des postulats de justice et de paix qu’ils
proclament… ».
11°)
PROMETEO : “Organe du Parti Communiste Internationaliste”.
Déjà signalé dans les deux rapports précédents. Comporte
au-dessus du titre : “Sur la voie de la gauche”, et dans
l’angle de droite : « Prolétaires de tous les pays,
unissez-vous ! ».
Il
prêche un communisme pur, léniniste et trotskiste, antistalinien.
Opposé
à la guerre, sous n’importe quel aspect (qu’il soit capitaliste
et démocratique, fasciste ou soviético-stalinien). Par conséquent
en lutte ouverte aussi avec la coalition antifasciste, alliée des
Anglo-saxons. Opposé au phénomène “partisan” et aux grèves
inconsidérées.
Ennemi
résolu et calé en matière de doctrine du Parti Communiste
d’Ercoli.
Comme
cela a déjà été dit, c'est le journal le plus indépendant qui
soit parvenu jusqu’ici entre nos mains, et il ne manque pas de
susciter la surprise chez qui le lit. Authentique cependant, malgré
les accusations des feuilles inspirées par Togliatti.
Antifasciste,
il ne veut voir dans le régime actuel qu’une survivance précaire
de la “structure politico-administrative” du régime d’avant
juillet.
Antinazi,
il distingue entre le national-socialisme et le peuple allemand, et
il condamne âprement la campagne antiallemande des autres feuilles
subversives, inféodées à la guerre démocratique.
Dans
le numéro du 1° avril 1944, il s’oppose encore une fois aux
grèves organisées par la coalition antifasciste pour laquelle le
prolétariat, « lâché par le fascisme », se retrouve
arrimé à la démocratie, qui n’est pas moins dangereuse pour lui,
« par l’intermédiaire de l’opportunisme socialiste et
surtout centriste ». Par cet adjectif, le journal définit la
position du Parti Communiste d’Ercoli.
À
propos de la socialisation, l’on a déjà vu dans le deuxième
rapport quel était l’avis de Prometeo.
À toute fin utile, le journal revient sur le sujet dans une note de
la page 3 avec le titre : “Socialisation et socialisme”.
Pour
le journal, États fascistes et États démocratiques sont quand même
des États
bourgeois.
Bien qu’ils soient ennemis, « ils sont unis face à l’ennemi
commun d’une explosion révolutionnaire ». Cela est si vrai
que, « justement sur le terrain social, leurs programmes ont
tendance à se ressembler graduellement ». Peu importe que les
uns contestent aux autres le qualificatif de “vrais socialistes”.
« Qu’elle soit attestée par les régimes fascistes ou par
les régimes démocratiques, la
socialisation non seulement ne représente pas une déviation du
système capitaliste, mais elle en est même le développement
extrême ; non seulement elle n’est pas le socialisme, mais
elle est l’expédient de la classe dominante pour barrer la voie à
la révolution prolétarienne. ».
Ici,
le journal fait suivre une analyse extrêmement habile du phénomène
lorsqu’il affirme que, en assumant la gestion des entreprises,
l’État « les encadre dans un plan économique qui n’est
plus dicté par des intérêts d’individus ou de catégories, mais
par les nécessités supérieures de la classe dans son ensemble ».
En d’autres termes, « l’État absorbe les entreprises
privées et le capitaliste qui détenait auparavant les actions
devient le grand actionnaire de l’État. Lequel non seulement lui
garantit un revenu fixe, mais prend sur lui les risques… De cette
façon-là, la concentration capitaliste donne à l’État la
physionomie la plus insolente d’organe d’administration de la
classe dominante… ».
Un
expédient politique bourgeois serait également la nouvelle réforme
constitutionnelle de l’Union soviétique dans laquelle le journal
voit une manœuvre uniquement destinée « à assurer de
nouveaux avantages à la Russie dans la bataille diplomatique et dans
le partage du monde ».
Dans
la rubrique “Coups de pied”, Prometeo
accorde également beaucoup d’ironie à la soi-disant “liberté
démocratique” prodiguée aux provinces méridionales par les
envahisseurs anglo-saxons.
Comme
conséquence de ce qui précède, le journal adresse un appel aux
ouvriers auxquels il prêche ceci : « Votre bataille est
en même temps une bataille contre le régime bourgeois qui croule
sous le poids de ses fautes et une bataille contre le régime
bourgeois qui prétend en assurer la succession pour vous
l’arracher : c'est à cette bataille que votre Parti vous
appelle, en laissant les opportunistes de toutes les nuances courir
derrière les partis qui, sous une nouvelle apparence, incarnent la
domination séculaire du capital sur le travail, et en levant haut
sur la scène sanglante du massacre le drapeau rouge vif de la
révolution prolétarienne. ».
Il
serait intéressant de savoir si le mouvement de Prometeo
a eu une suite effective. On peut considérer qu’il y en a eu peu
étant donné sa position intransigeante, trop en contradiction avec
l’opportunisme galopant des masses antifascistes, résultat de la
lâcheté morale et physique dont les événements de juillet et de
septembre ne furent que les manifestations les plus voyantes. Quoi
qu’il en soit, la bonne foi de cette feuille extrémiste semble
assurée, car elle est l’unique sans doute digne de quelque
considération dans le chœur ignoble des courants subversifs.
12°
ITALIA COMBATTE : organe de la propagande ennemie, probablement
imprimée à Naples. Comporte l’indication : “Transportée
par l’aviation alliée”. Au-dessus du titre, les drapeaux de la
Grande-Bretagne, du royaume d’Italie, des États-Unis.
De
par son caractère et son contenu, cette feuille s’apparente à
d’autres qui ont été analysées dans le rapport précédent :
Il
Quarto Fronte et Il Patriota.
À
la fois bulletin d’instructions pour les bandes rebelles et feuille
menaçante à l’adresse des fascistes et des fonctionnaires de
l’État républicain. Donne une grande importance aux informations
partisanes et aux meurtres des “nazis-fascistes”.
Le
numéro du 24/04/1944 en notre possession exalte l’assassinat de
Giovanni Gentile qui aurait « mis une plus forte dose de peur
dans les rangs des hiérarques fascistes ».
********
[page
42]
… Comporte
le sous-titre : “Le journal des travailleurs italiens”.
Il
est imprimé en petit format dans les provinces opprimées et il est
introduit en Italie du Nord par l’aviation ennemie, comme cela est
dit dans l’article liminaire du n° 11 :
« Ce
journal est fait pour vous, travailleurs italiens, vous qui combattez
sur le quatrième
front,
le front de la guérilla, du sabotage et de la résistance
passive. Ce journal qui, grâce à la coopération des Alliés, vous
tiendra régulièrement informés du mouvement ouvrier renaissant
dans l’Italie libérée et de la nécessité pour le prolétariat
européen à lutter conte le joug nazi… ».
Cette
petite feuille veut être un bulletin de propagande syndicale et
partisane.
En
page 2 du n° 1, on lit en gras la chose suivante : « Les
libertés dont nous jouissons aujourd'hui nous sont plus chères car
nous savons que nous avons combattu pour elles ».
17°)
PROMETEO : Déjà signalé dans les rapports précédents.
Comporte l’indication : “Organe du Parti Communiste
Internationaliste”.
Comme
cela a déjà été dit, il prêche un communisme pur, léniniste et
trotskiste, antistalinien.
Opposé à la guerre sous quelque aspect que ce soit et par
conséquent en lutte ouverte aussi avec la coalition antifasciste,
alliée aux ploutocraties. De même, opposé au phénomène partisan
et aux grèves inconsidérées.
C'est
un ennemi implacable, et, ce qui compte beaucoup, calé en matière
de doctrine, du Parti Communiste d’Ercoli, qui a montré à
plusieurs reprises qu’il était sensible à ses piques.
Malgré
ses attaques à l’encontre du fascisme, il ne manque pas de
susciter de la surprise chez celui qui le lit, précisément du fait
de son attitude d’indépendance à l’égard des autres mouvements
subversifs. Il est toutefois à considérer comme authentique.
L’on
a déjà parlé de manière exhaustive de la position doctrinale de
ce journal dans les précédents rapports, en particulier dans le
rapport n° 3 (p. 30 et suivantes).
Ici
aussi, la note dominante est celle de l’aversion pour la guerre
dont on fait retomber la responsabilité sur la classe
dirigeante capitaliste des impérialismes opposés : les
impéria-lismes fascistes et les impérialismes démocratiques. Selon
le journal, « cette saignée criminelle effectuée dans les
chairs vives de générations entières et cette déperdition folle
et idiote de richesses, fruit d’un travail humain séculaire,
demeurent des réalités irrésistibles du régime bourgeois bien
qu’agonisant ».
« La
guerre est toujours un conflit entre des impérialismes rivaux, mais
quel en est l’enjeu ? Évidemment, la consolidation d’un
impérialisme qui se fait aux dépens d’un autre. Mais à quel
besoin urgent et soudain répond cette consolidation réalisée aux
dépens d’un autre impérialisme qui est lui aussi capitaliste ? ».
Il n’y a qu’une seule réponse. Chaque impérialisme, qu’il
soit fasciste ou démocratique - et l’impérialisme stalinien
rentre lui aussi dans cette catégorie - se préoccupe, avec cette
diversion sanglante, d’échapper à la poussée de ses forces
prolétariennes internes. Chaque bourgeoisie nationale est par
conséquent amenée inexorablement « à rompre la solidarité
de classe et son équilibre international lorsque le problème de son
équilibre national est devenu pour elle plus obsédant et
menaçant ».
Mais
aujourd'hui, l’on perçoit partout les signes d’une lassitude qui
est déjà en cours et qui est « fatalement contagieuse ».
La bourgeoisie est définitivement condamnée. « Qui-conque
sera le vainqueur temporaire
par les armes ne sera plus en mesure de se servir d’une victoire
fictive
comme base d’une reconstruction bourgeoise capitaliste de la
société… Aucun régime ne sera plus en mesure d’opérer
le miracle de la résurrection bourgeoise… (“Le prolétariat
gagnera la guerre”, pp. 1-2).
Dans
ces conditions, le prolétariat doit s’apprêter à donner l’assaut
au pouvoir. Et par conséquent, il faut qu’il ne se laisse pas
leurrer par les manœuvres de ses ennemis naturels, qui, « d’un
côté et de l’autre de la barricade », cherchent à
l’appâter avec les promesses les plus fallacieuses. La date du 1°
mai tombe à propos pour ramener les travailleurs de tous les pays au
sens des réalités. « Dans ce climat de guerre, la
classe dominante et les opportunismes socialiste et centriste
ont transformé le Premier Mai de journée de veille révolutionnaire
en une espèce de grande fête nationale dans laquelle on célèbre
non pas la lutte mais la concorde des classes, non pas la solidarité
internationale des prolétaires, mais leur massacre. Et Hitler en
fait le symbole de la “renaissance” - tragique renaissance - de
l’Allemagne, et les bourgeois de chez nous chantent vos hymnes de
combat en même temps que les hymnes de l’hypocrisie patriotique ;
et sur la Place rouge, au lieu des notes entraînantes de
l’Internationale, c’est le rythme d’un nouvel hymne de guerre
qui retentit. » (“Nouvelle aube pour le prolétariat”, page
1).
Ce
n’est pas le seul à l’être, mais partout le destin des jeunes
est tragique. Chez nous, ceux qui sont les plus jeunes « accourent
pour faire résonner les casernes de chants guerriers et pour se
préparer à la mort lointaine de la guerre pour échapper à la mort
proche du peloton d’exécution. Et,
étant donné que ne vient à eux depuis l’autre côté de la
barricade qu’une autre invitation à la guerre - bien que ce soit
la guerre de partisans -, il leur semble n’y avoir qu’une seule
alternative : la guerre fasciste ou la guerre démocratique, les
balles de la nouvelle “charte du travail” ou les balles de la
“charte atlantique”, mise à jour à Téhéran »
(“Sur la voie juste”, page 1, “La voie des jeunes”, page 3).
C'est
pourquoi le journal prône la désertion, mais pas la désertion d’un
camp pour s’enrôler dans l’autre camp armé. “Refuser la
guerre”. Voilà ce qu’il faut faire. « Jeunes ouvriers,
contre toutes les guerres, contre toutes les parties, pour la
révolution ».
Parmi
les mensonges qui visent le peuple, Prometeo
dénonce particulièrement celui de l’extrémisme
catholique
dont les cerveaux brouillés par les alliances hybrides de notre
époque ne s’aperçoivent pas du grand piège. « Ils voient
dans ce phénomène le symptôme, le signe d’un bouillonnement de
forces sociales, dans le sous-sol sur lequel le travail quotidien du
prêtre s’exerce plus directement, le milieu paysan : ils
ne voient pas la gigantesque manœuvre d’une institution de
conservation qu’une expérience séculaire a éduquée à l’art
majeur consistant à assimiler les forces rebelles pour les étouffer
à la naissance, avant qu’elles ne menacent les assises sociales
sur lesquelles repose l’édifice supranational de l’Église ».
Et le journal de poursuivre : « L’Église, avec toutes
ses nuances de dissidences, l’Église qui accueille dans ses grands
bras, l’un à côté de l’autre, don Calcagno(*)
et don Pecoraro(**),
ne peut pas - en tant qu’institution politique liée par de
nombreux fils à la société actuelle - être épargnée par
la révolution prolétarienne davantage que ne doivent et ne
peuvent l’être d’autres manifestations de cette société qui
sont plus nettement politiques » (“Sur la voie juste : 2
-Extrémisme catholique”, page 3).
La
position prise par Prometeo
dans
le conflit en cours ressort clairement des citations qui précèdent.
Les attaques lancées contre Togliatti et son opportunisme centriste
méritent également d’être signalés (dans la rubrique “Coups
de pied”, page 4).
18°)
UMANITÀ : Apparaît pour la première fois dans notre
rapport. Se proclame l’“Organe de l’Union des Travailleurs
Italiens”.
L’unique
copie qui est tombée en notre possession comporte le n° 6 (année
II) et la date de juillet 1944. Elle ne nous permet pas de définir
clairement la tendance de ce journal qui affirme par ailleurs qu’il
a exposé les lignes générales de son orientation idéologique dans
le n° 5. À cause du titre, qui reprend celui du quotidien
fondé à l’époque en France par Jean Jaurès (et devenu ensuite
l’organe communiste), et de la publication en page 2 de l’”Hymne
des travailleurs” de Filippo Turati, il semblerait qu’il s’agisse
d’un journal socialiste indépendant. À moins qu’il ne s’agisse
d’une feuille pseudo-subversive éditée, à des fins secrètes,
par la propagande monarchiste, ou mieux encore un organe
purement et simplement de la propagande ennemie. Considérant cela,
il serait bien de procéder à un examen systématique de l’attitude
observée par la feuille sur des questions qui divisent aujourd'hui
de manière essentielle l’opinion des différents groupes et des
différentes tendances.
Relativement
à la question institutionnelle, cette feuille considère elle aussi
que l’on devrait attendre le résultat d’une consultation du
peuple italien après la guerre. Mais son avis est un peu celui de
certains groupes démocratiques-libéraux : l’opinion publique
ne doit pas être contrainte ou de toute façon incitée par telle ou
telle tendance. L’on pourrait déduire de cela qu’elle se
préoccupe pas mal de l’ingérence des deux partis
d’extrême-gauche : le Parti Communiste et le Parti Socialiste
d’Unité Prolétarienne. Si donc cette feuille est une feuille
socialiste - comme elle voudrait le paraître - sa position par
rapport au socialisme officiel pourrait être comparée à celle de
Prometeo…
********
4°)
PARTI COMMUNISTE INTERNATIONALISTE
C’est
ce “parti” qui a pour organe le périodique Prometeo
et dont nous avons mentionné amplement l’attitude dans chacun de
nos rapports. Les trois documents qui suivent sont, sans aucun doute,
les plus intéressants parmi ceux que nous avons eu l’occasion
d’examiner.
Les
deux premiers sont à vrai dire des écrits d’actualité. Il s’agit
de deux articles dactylographiés, anonymes, obtenus par
l’intermédiaire d’un élément de confiance introduit dans ce
mouvement subversif. Le premier traite de la politique russe sous la
direction de stalinienne, et le second prétend étudier la situation
générale du moment historique actuel : examens menés à la
lumière de la doctrine communiste pure, avec l’intention de mettre
au clair ce qui devra être l’orientation nécessaire de la IV°
Internationale face aux problèmes posés par la guerre et par la
paix. D’où la valeur programmatique de ces deux écrits.
Le
troisième document est un manifeste d’action pratique révélateur
d’une prise de position plus résolue d’un mouvement qui, jusqu’à
présent, nous était surtout connu par son attitude critique plutôt
académique, d’autres diraient “attentiste”. Un document donc
qui mérite d’être examiné avec une attention particulière.
n.IV.
B.5 :
“La question russe. L’expérience démocratique sous l’égide
du centrisme en Italie”.
Un
article comme on l’a dit anonyme, mais qui reflète l’attitude du
Parti Communiste Internationaliste sur la question de l’avènement
du socialisme.
Sur
la base de la documentation la plus orthodoxe, il étudie avec
beaucoup de finesse le processus de dégénérescence de la
Révolution russe, qui, après le tournant pas seulement tactique de
1926-27 (Nouvelle Politique Économique), en est venue graduellement
à s’orienter vers la création d’un État capitaliste d’un
nouveau genre, sans désormais de contrôle ouvrier, sous la
direction d’une nouvelle classe bureaucratique de “bénéficiaires
de l’État”. Dans sa seconde partie, l’article met en lumière
l’action fondamentalement anti-prolétarienne de la politique
“centriste” (Togliatti) en Italie et il invite les communistes
internationalistes à se préparer à une lutte qui sera dure, mais
qui sera cependant facilitée par les contradictions dans lesquelles
la politique soviétique s’est fourrée comme n’importe quel
régime capitaliste bourgeois.
Les
étapes du processus de dégénérescence soviétique, telles
qu’elles sont indiquées par l’auteur, peuvent être récapitulées
succinctement comme suit :
En
1926-27 (année au cours de laquelle il y a eu la phase culminante de
la lutte entre le “centrisme” stalinien et la gauche trotskiste),
afflux dans le Parti de nombreux représentants les plus typiques du
courant menchevik et populiste ; décapitation de l’avant-garde
prolétarienne ; implantation dans les points névralgiques de
l’organisation de l’État de débris loin d’être négligeables
d’autres classes ; prémisses de la reconstitution de la
propriété privée des moyens de production créés par la NEP ;
intégration, à l’époque de la collectivisation forcée - imposée
par la pression de l’avant-garde prolétarienne qui d’autre part
venait d’être décimée - des hommes de la NEP comme
fonctionnaires dans l’appareil économique et financier de l’État.
Ces
derniers, qui disposaient du levier de commande politique, se sont
créés une situation de privilèges en s’accaparant du fonds
d’accumulation de l’industrie et en spoliant les ouvriers et les
paysans comme consommateurs, grâce aux prix de vente exagérément
élevés, dus au coût de production exorbitant que leur maintient
exigeait.
En
d’autres termes, l’on a eu : 1) la formation, sur la base
d’une économie socialisée, d’une nouvelle classe exploiteuse ;
2) la transformation de l’État, propriétaire du capital social,
en un organe d’administration des intérêts de cette classe.
Le
programme de la gauche était employé comme une arme contre elle :
l’économie des plans quinquennaux mobilisait les masses
prolétariennes, en leur faisant miroiter le mirage d’une nouvelle
marche vers le socialisme, en vue de la création d’un régime de
propriété étatique gérée dans l’intérêt de la nouvelle
classe dominante. L’État
à direction “opportuniste” pouvait assurer aux nouveaux
exploiteurs, non plus en qualité d’entrepreneurs, mais de
fonctionnaires, de spécialistes, d’administrateurs, le profit qui,
en régime capitaliste, naît de la propriété privée des moyens de
production.
Peu
à peu, les derniers restes de contrôle ouvrier disparaissent au
sein de l’entreprise. L’établissement des salaires en 8
catégories légalisait de fortes inégalités entre travail manuel
et travail spécialisé, et l’auteur relève que, lors du VIII°
Congrès des soviets de l’Union (décembre 1936), 3% seulement des
délégués étaient des ouvriers et des paysans ordinaires.
« La
guerre ne peut qu’avoir concentré ce phénomène et on le voit
dans la
reconstitution de la caste militaire,
dans l’extension des privilèges des couches supérieures
(limitation
de l’accès à l’enseignement supérieur,
etc.), dans la
liquidation de l’Interna-tionale,
dans l’exaspération de l’idéologie
patriotique, démocratique, panslave.
La guerre elle-même, qu’il est ridicule de présenter comme une
guerre défensive (pour
un pays qui fait partie de la SDN depuis 1933 et qui était devenue
partie dirigeante de l’encerclement des fascismes),
est l’expression ultime de ce processus. Les plans quinquennaux,
avec la dilatation hypertrophiée de l’appareil industriel et de la
production des biens d’équipement, ont été la meilleure
introduction à la guerre… ».
Maintenant,
l’impérialisme soviétique, né
sur les ruines de la révolution prolétarienne,
se trouve en net avantage par rapport aux autres États capitalistes
dans la lutte contre les forces de la “vraie” révolution du fait
qu’il peut encore jouer, devant les masses, sur un capital accumulé
de démagogie révolutionnaire. Dans ce jeu de sa part, il se sert de
l’agent en sous-main du “centrisme”, lequel a aujourd'hui la
fonction d’impliquer les masses dans une guerre de libération
démocratique,
que sa présence en qualité de parti communiste semble
transformer en guerre prolétarienne, et de préparer dès à présent
le passage d’un régime bourgeois en crise en un autre régime
bourgeois, capable de fusionner les caractéristiques fondamentales
des démocraties vieux style et les résultats finaux auxquels le
soviétisme est parvenu.
La
première initiative concrète du stalinisme dans l’Europe
d’aujourd'hui est en train de s’accomplir, à
des fins expérimentales,
sur le corps malade de l’Italie. Entre les deux termes du dilemme :
guerre ou révolution, le “centrisme” a choisi la guerre. D’où,
en toute logique, sa participation au gouvernement Badoglio. Cela,
tandis que, dans un pays comme le nôtre « destiné à être le
point de croisement d’expériences politiques et de diverses
solutions diplomatiques », le centrisme se dirige en vue de
l’avenir vers une carte intermédiaire - pour ne pas trop effrayer
les capitalismes occidentaux - : la restauration
démocratique,
ou, selon la formule synthétique de Togliatti, la république
progressiste,
qui devait renouveler sous une forme plus active l’expérience des
fronts
populaires
français et espagnol.
Le
mensonge exposé aux masses prolétariennes consiste en ceci :
dans l’intention d’établir demain un contrôle
soviétique,
c'est-à-dire bourgeois,
sur une révolution socialiste : bureaucratisation
des mouvements révolutionnaires par le fonctionnarisme centriste et
l’intervention “colonisatrice” d’agents soviétiques (les
“spécialistes de la révolution” que certains attendent de
l’URSS).
L’expansion
soviétique est par ailleurs prisonnière d’une grave
contradiction : elle
a besoin, pour s’imposer, d’une amplification de l’explosion
révolutionnaire ouvrière, et, dans le même temps, elle doit en
craindre les développements et ses conséquences extrêmes.
En effet, le régime soviétique est miné par les mêmes
contradictions qui caractérisent - selon la critique marxiste - le
régime de production capitaliste : en premier lieu, celle qui
se manifeste entre le caractère social de la production et la forme
privée d’appropriation de la plus-value. « Les
masses elles-mêmes qui combattent aujourd'hui pour la défense
désespérée de quelque chose qu’elles ont déjà perdu, ne
voudront-elles pas demain ce qui était le résultat d’Octobre ? ».
D’où
la nécessité pour la gauche communiste de se préparer dès à
présent à la lutte. « L’axe du régime bourgeois, qui a été
d’abord la démocratie et ensuite le fascisme, sera demain le
soviétisme de marque stalinienne avec son centre pensant en URSS et
son épine dorsale sur son terrain d’expansion et de colonisation
(Balkans ? Allemagne ? bande méditerranéenne ?) ».
La
force de la gauche « sera donnée par la faiblesse intrinsèque
de l’expérience qui est une expérience de compromis ».
« La classe ouvrière se trouvera confrontée à un nouveau
type d’expérience du type front populaire, qui sera davantage sans
préjugés et innovatrice, mais qui sera destinée à se heurter à
des difficultés bien plus graves que celles des expériences
précédentes. Il y a à la base du succès centriste un malentendu
gigantesque : le malentendu de masses qui attendent de la
victoire de ce parti, dès aujourd'hui, une transformation
révolutionnaire. ». Ces ferments de désagrégation qui sont
comprimés à l’heure actuelle « par l’immaturité
politique, par le malentendu et le sentimentalisme de parti »
ne pourront pas manquer d’agir. La gauche communiste italienne
doit se préparer à accueillir en son sein les forces saines de la
révolution prolétarienne, de façon à empêcher, au moment
opportun, le centrisme de réaliser, « avec l’arme de la
corruption, sur le dos du prolétariat en marche vers la conquête du
pouvoir, … cette même manœuvre qui a réussi à la nouvelle
bourgeoisie russe dans le tourment de vingt années de dictature
stalinienne. ».
Jusqu’ici,
l’auteur reste anonyme. Si nous oublions ces idées fixes propres à
l’idéologie trotskiste, nous ne pouvons pas nier une certaine
acuité à son analyse du processus de dégénérescence soviétique
et la caractérisation des contradictions intimes qui minent la
structure du régime stalinien.
Du
point de vue fasciste, nous pourrions signaler que le texte considère
comme déjà liquidés le régime mussolinien et son expérience
sociale. Mais, parmi les adversaires qui sont en notre présence,
l’on doit reconnaître que celui-ci est le seul qui est peut-être
de bonne foi.
n.IV.
B.6 :
“La situation générale”
Un
article du même auteur anonyme. Il étudie la genèse du conflit
actuel à la lumière de la doctrine marxiste-léniniste de la
guerre, qu’il présente comme une solution, voulue par le
capitalisme mondial, à une situation qui, si cette solution avait
manqué, aurait eu comme débouché la révolution prolétarienne.
Dans
cet article, les idées doctrinales préconçues sont bien plus
sensibles que dans le précédent, y compris du fait de sa prétention
à donner une structure trop rigoureuse à la présentation d’un
phénomène qui n’a jamais été plus complexe. Entre autres - en
ce qui concerne la partie qui nous intéresse plus directement -,
l’auteur a le tort de juger le fascisme selon des schémas trop
partisans et sur la base d’éléments formels. C'est ainsi qu’il
tombe dans le malentendu consistant à considérer comme bourgeois et
capitaliste un mouvement qui tendait au contraire de toutes se forces
à se libérer de l’étreinte de forces étrangères avec
lesquelles il avait dû transiger momentanément pour des raisons
contingentes, intérieures et surtout internationales.
L’on
ne peut cependant pas nier à l’auteur une certaine acuité de
vues, notamment dans l’interprétation d’événements
particuliers, comme pourrait l’être, par exemple, le comporte-ment
de la Russie soviétique par rapport à la guerre, ou bien la
manœuvre anglaise au moment de l’effondrement de la France. Et
d’autre part, plus que du fait de son interprétation générale de
situations et d’événements, le texte doit nous intéresser à
cause de la lumière qu’il jette sur la doctrine révolutionnaire
qui le façonne.
Dans
la première partie de ce texte, il est fait allusion à la
crise de la société capitaliste qui s’est manifestée avec
la guerre de 1914-1918, contre laquelle le Révolution russe de
1917 s’est insurgée. Il se profilait alors une solution
révolutionnaire qui devait durer jusqu’en 1927, date de la défaite
du prolétariat chinois et de l’élimination par le parti russe de
sa gauche bolchevique (Trotski). C'est le krach boursier américain
de 1929 qui a marqué la fin de la phase révolutionnaire.
Le
problème social, tel qu’il se pose à cette date, est le suivant :
« ou continuer à produire des facteurs socialistes,
c'est-à-dire de la richesse, sur la base de l’économie normale,
en
rapport avec les besoins des masses »
(ce qui aurait assuré le triomphe pacifique du socialisme),
« ou bien transférer l’économie sur le plan destructeur de
la production de guerre, c'est-à-dire inaugurer l’époque de
l’économie de guerre ». « Et c'est cette dernière
voie qui a été choisie, car c’était l’unique voie qui
permettait à la société capitaliste de survivre ».
L’Allemagne,
selon l’avis de l’auteur, était « la grande malade »,
en particulier « à cause du manque de colonies qui auraient,
dans une certaine mesure, atténué les coups destructeurs de
l’économie de guerre ». « Les hautes sphères du
capitalisme mondial ont eu une conscience exacte de la situation
allemande, et c'est en fonction de cette situation - en dehors des
facteurs concomitants des contradictions impérialistes… - que la
guerre a été décidée ». L’auteur poursuit : «
La première phase de la guerre a vu en effet le débordement du
bubon allemand avec une impétuosité telle qu’elle a fait trembler
le capitalisme mondial face à la haute tension existant dans
l’enveloppe sociale allemande, laquelle
aurait certainement cédé si l’on avait tardé davantage à ouvrir
la soupape de sécurité du conflit extérieur ».
Interprétation,
comme on le voit, typiquement marxiste des événements de 1939. Quoi
qu’il en soit, l’explication que l’article donne de l’attitude
russe est intéressante. « Le rôle de premier plan joué par
la Russie dans le déclenchement de la guerre est mis en relief par
une situation qui a vu l’État prolétarien
s’allier avec le présumé ennemi d’hier et compromettre ainsi
toute sa politique d’influence sur le prolétariat français.
Celui-ci, enivré par l’idée de la guerre antihitlérienne, ne
pouvait pas en effet comprendre la signification de la volte-face
russe qui était inspirée par les intérêts
supérieurs de classe
directement liés au cerveau mondial du capitalisme. La
tâche était claire. D’une part, aider Hitler en lui facilitant
l’entrée en guerre (unique voie pour résoudre la situation
intérieure désespérée à travers l’un des deux pôles du
dilemme, guerre ou révolution), et d’autre part placer dans des
conditions juridiques favorables l’Angleterre et la France pour la
déclaration de guerre.
Il était inévitable que ce jeu raffiné auquel était convié la
Russie comporte une certaine confusion, et il ne pouvait en être
autrement étant donné que les prolétaires qui avaient précédemment
mordu à l’hameçon de la guerre antifasciste ne pouvaient pas se
convaincre que, au fond, il s’agissait seulement de faire
la guerre…
Le prolétariat français a reçu le coup de grâce de la volte-face
russe et il est parti à la guerre démoralisé et décidé à ne pas
combattre. Les armées allemandes pouvaient sous peu mettre de
l’ordre
dans un secteur qui menaçait de devenir dangereux. La
tactique vraiment raffinée de l’Angleterre
a facilité la tâche allemande : ce pays a compris que, dans
une situation aussi scabreuse, il convenait mille fois de laisser
aux Allemands la tâche de remettre de l’ordre, et cela au
plus vite.
Le capitalisme français a eu du reste une claire conscience de
la manœuvre britannique et, après le limogeage du cabinet
Reynaud, … il a ressorti la vieille épave Pétain, en le
présentant sur la scène politique française comme un facteur de
pacification : à ce moment-là, en effet, le
seul ennemi était le prolétariat qui,
dans le chaos de la défaite, pouvait peut-être trouver le fil de
jonction avec les anciennes batailles révolutionnaires… ».
La
citation est un peu longue. Mais l’on ne peut pas nier qu’elle
contient une
partie
de la vérité, du moins pour ce qui concerne les calculs de la
politique soviétique, eux aussi conduits avec une logique marxiste,
même si c'est avec des objectifs impérialistes.
Nous
ferons abstraction de l’explication que l’auteur trotskiste donne
des événements ultérieurs pour passer à son interprétation du
coup d’État badoglien. Il voit aussi en lui le reflet d’un
instinct de classe de la bourgeoisie italienne qui, pour « se
refaire une virginité,
non seulement vis-à-vis des champions de l’ordre
d’outre-Atlantique, mais, et surtout, vis-à-vis
du prolétariat italien »,
n’a pas hésité « à passer du côté du soi-disant
ennemi ».
Quelle
est l’attitude des communistes italiens en cette occurrence ?
Familier avec la façon de raisonner bolchevique, l’auteur peut ici
aussi nous fournir des indications utiles.
« L’intervention
centriste,
à côté de la caste militaire, en faveur du maintien de l’ordre
dans les usines, démontre le
rôle de ce facteur au service de la conservation de classe de la
bourgeoisie.
En réalité, le gouvernement Badoglio s’est déclaré tout de
suite en faveur de la continuation de la guerre contre l’Angleterre
et par conséquent contre la Russie elle-même. La fin immédiate des
hostilités n’était possible qu’avec l’entrée en lice des
grandes masses : le
centrisme a préféré la légalité badoglienne en
prônant l’homogénéité et la pacification nationales (voir
l’intervention de Scoccimarro), étant donné que lancer les masses
au cri d’“à bas la guerre” voulait dire lancer le mot d’ordre
de la prise du pouvoir et, par voie de conséquence, allumer le
flambeau de l’insurrection générale du prolétariat européen
contre la guerre. Le
centrisme ne voulait pas de cela, il n’en veut pas et il n’en
voudra jamais… ».
Suivent
certaines considérations, plutôt gratuites, sur la situation
allemande et sur la fin, considérée comme proche, des fascismes.
« Après
la fracture politique du coup d’État de Badoglio, le capitalisme
mondial a su manœuvrer si bien qu’il a évité la fracture sociale
dans le secteur italien. Le prolétariat des autres secteurs, en
particulier le prolétariat allemand,
a dû renoncer momentanément
à l’espoir de pouvoir se lever à la suite de la situation
italienne. Mais l’évolution de la situation intérieure de
l’Italie démontre que son rythme de développement se trouve
sur le même plan que le rythme allemand. Le nazisme
a pu éviter une crise politique
qui aurait servi de thermomètre pour mesurer la température de la
situation sociale
intérieure : mais ce fait n’empêche
pas la maturation accélérée des facteurs sociaux dans ce secteur
et, par voie de conséquence, dans toute l’Europe.
Les mesures de plus en plus strictes prises dans
le secteur italien
sur le terrain social et militaire donnent déjà un cadre de ce que
peut être la situation générale en Europe : les
“socialisations”, l’établissement du statut
syndical,
l’appel à l’unité
de tous les Italiens,
les sorties à tendance démocratique de quelques journalistes et
journaux, l‘appel
aux marginaux,
et enfin les
derniers discours de Mussolini, de Borsani et de Graziani,
sont autant de symptômes d’une situation qui évolue vers son
issue finale. Le
rôle des fascismes allemand et italien se réduit désormais à la
fonction de gardien de prison zélé qui, ne pouvant faire autrement,
se préoccupe de livrer en bon ordre la prison européenne aux
nouveaux patrons.
Cette transition ne se passera cependant pas nécessairement de
manière pacifique et administrative : pas du tout. C'est
Borsani qui le dit :
“Il faut combattre, même si combattre veut dire mourir”. En
d’autres termes, il faut saigner à blanc la masse ouvrière pour
pouvoir ensuite la dominer… Afin d’obtenir un bon résultat pour
ce plan, les
policiers démo-centristes ne
perdent pas de temps. Après la Conférence de Téhéran, et l’accord
pour la collaboration dans l’après-guerre, l’offensive
diplomatique contre les neutres démarre… D’autre
part, on assiste à une mise en scène de plus en plus spectaculaire
de l’élément russe qui devrait servir de pôle d’attraction aux
masses européennes dans la tentative de les empêcher de devenir
conscientes des conditions réelles dans lesquelles elles se
trouvent. En 1939, la grande malade était l’Allemagne : en
1944, la grande malade s’appelle l’Europe…. ».
Telles
sont les idées du courant de Prometeo
à propos de la crise qui tourmente l’Europe. Elles nous
intéressent surtout pour leurs conclusions auxquelles parvient
l’auteur, conclusions qui peuvent être synthétisées ainsi :
1°)
incapacité du capitalisme, en dépit du contrôle absolu de
l’économie de guerre, de maîtriser les crises qui passent du
terrain économique au terrain social ;
2°)
solidarité, même non intentionnelle, du capitalisme qui se
manifeste par des faits concrets : tout ce qui concerne
l’honneur, la patrie, la religion, la morale, etc., passe au second
plan devant la tâche principale qui est d’empêcher l’émancipation
du prolétariat ;
3°)
préparation du capitalisme mondial à une campagne
contre-révolutionnaire qu’il faudra mener non plus sur le terrain
militaire, mais sur le terrain social, avec l’aide non seulement du
“centrisme”, mais aussi d’éléments ex-anti-centristes,
appâtés à cette fin ;
4°)
ressources indéniables de l’ennemi de classe dans le domaine de la
démagogie revendicative (augmentation des salaires, socialisation,
etc.) ;
5°)
probable intention du capitalisme mondial d’“arrimer”
l’impétuosité révolutionnaire au char de la victoire militaire.
Et
à ce dernier propos, l’article conclut ainsi :
« Les
fronts militaires disparaîtront. Chaque ville sera transformée en
foyer de sédition. Les masses insurgées auront à leur côté les
soldats de toutes les couleurs, de tous les pays du monde, et le
capitalisme sera obligé de fonctionner dans ce chaos, et il trouvera
peut-être la mort en lui. ».
L’article
se termine sur cette vision apocalyptique. Il ne précise pas quel
côté la gauche communiste s’apprête à soutenir dans cette
grosse tempête. Mais quelque chose en a été ébauché dans
l’article précédent. Pour le reste, l’examen du document
suivant sera utile.
n.IV.
B.7 :
“Contre l’opportunisme, pour une politique de classe”.
Manifeste
du Parti Communiste Internationaliste aux ouvriers italiens, portant
la date de juin 1944.
Ce
manifeste est constitué d’un préambule et d’un programme
d’action en 7 points.
Le
préambule débute ainsi : « Ouvriers italiens ! La
plus effroyable des guerres impérialistes touche à sa fin, et les
plans politiques et diplomatiques se préparent déjà afin de
surmonter la crise inévitable de la société bourgeoise. Le
prolétariat est encore incapable de dire son mot décisif en elle.
Sollicitée par les deux belligérants pour se sacrifier sur l’autel
de la patrie, bercée de faux espoirs par les uns et par les autres
avec
le mirage d’une hypocrite “justice sociale”,
exploitée par tous, la classe ouvrière cherche autour d’elle qui
la guidera vers le but obscurément pressenti et voulu de la
révolution prolétarienne. ».
Suivent
quelques considérations sur la crise de l’autre après-guerre qui
a vu le triomphe du prolétariat seulement en Russie, tandis
qu’ailleurs, y
compris du fait de l’inaptitude de partis à structure de masse,
l’on passait d’un régime bourgeois à un autre régime
bourgeois, et, dans quelques États, à la « terrible arme de
la réaction fasciste ». Maintenant, le Parti Communiste
Internationaliste semble considérer le fascisme comme déjà
vaincu et liquidé. Mais la menace de la bourgeoisie lui paraît
évidente : celle-ci « se dépouille du costume râpé du
fascisme et court se vêtir de l’habit blanc de la démocratie,
dans
l’union hybride avec les socialistes et les centristes ».
Et même l’opportunisme de ces deux partis se sert des armes « les
plus acérées et les plus délicates de la bataille de classe »
pour « les transformer en instruments de guerre ou en éléments
de restauration démocratique », en encadrant même « la
fine fleur de la jeunesse prolétarienne non pas dans des organismes
de défense et d’attaque prolétariennes, mais dans
des formations partisanes organiquement liées à la stratégie
militaire et politique des puissances démocratiques ».
Il
est nécessaire que, après « vingt-deux
années de répression féroce »,
les masses ouvrières éventent le mensonge qui leur est présenté
par la social-démocratie et par le “centrisme”. D’où le
programme d’action que l’on reproduit dans son texte intégral :
« Le
prolétariat oppose à la guerre, à la réaction fasciste, au
mensonge réapparaissant de la démocratie bourgeoise, comme
notre Parti n’a cessé de l’indiquer :
« 1°)
la désertion de la guerre dans toutes ses formes ;
« 2°)
l’action quotidienne et systématique de l’ouvrier contre
le mécanisme économique devenu destructeur de vie et producteur de
mort ;
« 3°)
la défense physique de la classe contre la réaction, contre
la déportation, contre les réquisitions, contre l’enrôlement
forcé, dans un esprit fraternel de solidarité ouvrière ;
« 4°)
une agitation politique constante contre la guerre, agitation dans
laquelle confluent et se réalisent tous les intérêts contingents
et finaux de la classe laborieuse ;
« 5°)
une entente - dont
notre Parti souhaite la possibilité
- entre les formations prolétariennes classistes qui ont pour base
minimale la lutte contre la guerre ;
« 6°)
la transformation des formations partisanes, là
où elles sont composées d’éléments prolétariens et de saine
conscience classiste, en organes d’autodéfense prolétarienne
prêts à intervenir dans la lutte révolutionnaire pour le pouvoir,
et seulement en elle ;
« 7°)
la constitution d’organismes de masse dans
lesquels toutes les tendances politiques ouvrières auront la
liberté de déployer leur activité de propagande afin de maintenir
intact le caractère d’organismes à structure démocratique et de
les mettre en mesure d’œuvrer comme des agents de destruction de
l’État bourgeois et comme des armes qui travaillent à la
révolution.
« Ces
initiatives, qui ramènent au centre du combat ouvrier contre la
guerre et contre la réaction d’aujourd'hui et de demain les
principes de base de la lutte de classe, ont pour condition
nécessaire le dévoilement systématique de l’opportunisme
patriotard et conciliateur ainsi que la présence d’un parti de
classe solide qui rassemble en lui l’expérience d’un siècle de
lutte ouvrière. ».
Suivent
quelques lignes où, mêlée aux invectives habituelles contre la
bourgeoisie et la guerre, la référence cinglante à
« l’opportunisme social-patriote et centriste » est
renouvelée.
Il
est bon de prévenir tout de suite que les passages mis en exergue
ci-dessus le sont également dans le texte original.
Et
maintenant quelques considérations s’imposent.
L’on
répète dans ce manifeste l’un des arguments les plus exploités
par la propagande de la gauche communiste italienne : celui de
la guerre en général, dont il est fait mention aux n° 1 et 4.
Les
autres points, au contraire, même s’ils se présentent à nous en
partie avec un langage désormais bien connu, nous placent devant une
attitude en paroles tout à fait nouvelle du mouvement :
- En fait, la position hostile vis-à-vis de l’actuel “mécanisme économique” dont il est question au n° 2 n’est pas nouvelle. Mais jusqu’à présent, avec l’exhortation faite aux ouvriers de se méfier des partisans des grèves, nous nous étions habitués à interpréter l’attitude de la gauche communiste comme un “attentisme” de prudence qui entendait, avec ses réserves formelles, conserver sa liberté de décision pour un avenir plus ou moins lointain d’agitation ouvrière. Or ici, au contraire, l’on parle d’action, quotidienne et systématique. Ce qui pose deux questions :
- ou cette action est aussi dirigée contre l’organisation fasciste du travail, et elle menace de faire le jeu de l’ennemi ;
- ou elle considère le fascisme comme déjà liquidé et l’occupation ennemie comme imminente, et elle vise à créer des obstacles à cette dernière et à la politique “centriste” et “social-patriote” (Togliatti et Comité de Libération Nationale).
La
formule employée est par conséquent ambiguë et elle ne dicte pas
aux masses que l’on essaie d’approcher une règle claire et
précise.
- L’invitation faite au n° 3 (“déportation”, “réquisitions”, “enrôlement de force”) semble avoir au contraire un sens résolument antifasciste, ou pour le moins antiallemand.
Ici,
la gauche communiste fait sien le langage des autres groupes
subversifs, indubitablement dans l’intention de se constituer sa
propre masse de manœuvre.
- L’invitation faite au n° 5 pour une entente avec d’autres formations classistes (lire : prolétariennes) est nouvelle et inattendue.
Devons-nous
considérer cette invitation comme une tentative de rapprochement
avec les autres groupes marxistes ? L’hypothèse serait à
exclure si l’on tient compte des attaques contre le “centrisme”
qui fourmillent dans le manifeste. Il est plus vraisemblable de
considérer que nous sommes en présence d’une tentative de
désagrégation des autres forces ou organisations
socialo-communistes.
- Cette nouvelle hypothèse accréditerait la transformation des organisations partisanes invoquée au n° 6.
C'est
là sans aucun doute le point du manifeste examiné qui présente le
plus grand intérêt, un point sur lequel notre attention doit se
porter de manière particulière.
- La nouveauté de l’attitude de la gauche communiste italienne ressort quand même de manière évidente avec la proposition contenue dans le n° 7 et avec l’usage fait de l’adjectif “démocratique” qui était toujours employé jusqu’ici dans un sens péjoratif. Mais à quelles “tendances ouvrières” le manifeste fait-il allusion si l’anathème contre les tendances “socialo-centristes” est maintenu ?
Ainsi
qu’on le voit, nous sommes en présence d’une tentative de
la part de la gauche communiste italienne pour passer du domaine
de la pure propagande doctrinaire - à caractère plus ou moins
abstentionniste - à celui d’une action directe pour laquelle on
prend cependant soin de ne donner que des directives imprécises, ou
pour le moins ambiguës, de façon à ne pas susciter le raidissement
des éléments ouvriers que l’on voudrait soustraire à l’influence
des groupes rivaux.
5°)
PARTI D’UNION (monarchiste)
La
propagande monarchiste semble elle aussi s’orienter vers cette
tactique de pénétration capillaire déjà relevée pour les groupes
subversifs clandestins. Le document qui suit témoigne d’une
tentative d’organisation étudiante, encouragée dans la ville de
Milan.
********
B.46
- “Patriotes,
patriotes”
Bulletin
de 4 pages, de très petit format, sans indication de provenance.
Imprimé probablement à Naples ou à Bari et introduit en Italie
républicaine par l’aviation ennemie.
En
page 1, sous le “titre “Patriotes, patriotes”, il exalte
ce qu’il ne craint pas d’appeler « l’épopée
garibaldienne » des rebelles, en poussant le toupet jusqu’à
écrire : « La semence rebelle tombée sur les mottes de
terre d’Aspromonte
et de Montana
(sic !) rapporte de splendides fruits ». Suivent
naturellement des paroles insultantes pour les soldats « de la
soi-disant République sociale » et pour la presse fasciste qui
« déverse des accusations insensées sur les patriotes ».
En
page 2, il commente ad
usum delphini(*)
la nouvelle réforme constitutionnelle soviétique en faisant
observer : « Les pays qui, par suite de la défaite du
fascisme en Europe ... voudront
entrer dans ou faire partie de l’Union soviétique,
ne seront pas absorbés ou subjugués par le vainqueur … mais ils
seront accueillis comme dans une immense confédération de
peuples… ».
En
page 3, il rappel l’Anschluss
afin de railler Mussolini.
B.47
- Le
Parti Communiste aux prolétaires italiens
Tract
sur papier rouge découvert à Rome.
Il
lance encore l’appât soviétique au peuple italien qu’il incite
au massacre des fascistes et des Allemands :
« Tuez
les fascistes travestis en socialistes de la dernière heure !
Tuez, tuez tous les nazis !... Vos meilleurs fils, qui ne seront
plus éduqués à l’école de la servitude, apprendront en Russie
comment devenir les dirigeants de demain.
Dans les villas, dans les hôtels, plus de monopoles de quelques
enrichis, … passez-y vos journées de repos et de liberté…
Ouvriers, sabotez les machines ! Paysans, quittez la terre !
Soldats, prenez le maquis ! Le soleil de la nouvelle Europe est
en train de se lever ».
8°)
MATÉRIEL ANTIALLEMAND
Comme
cela découle de la lecture de ce qui précède, il n’y a pas un
seul tract diffusé par les groupes subversifs qui ne soit pas
enflammé par la haine la plus féroce contre l’Allemagne : en
particulier ceux qui sont distribués à Rome après les représailles
du 24 mars.
Nous
ne présentons ici que deux tracts qui ne rentraient dans aucun des
dossiers précédents.
B.48
- Faire
cesser la production de guerre
Tract
diffusé dans la province de Forlì par les “Groupes de défense de
la Femme” déjà cités.
Il
invite les ouvrières romagnoles à soutenir l’action subversive de
leurs camarades de travail et à demander « la
cessation de la production de guerre pour les Allemands, qui ne fait
qu’attirer les bombardements, les destructions, les deuils et les
misères pour le peuple italien ».
B.49
- “La
cinquième année” - “Das fünfte Jahr”
Premier
numéro d’un minuscule journal en langue allemande, “Das fünfte
Jahr” (La cinquième année), lancée par l’aviation ennemie en
territoire italien.
Il
rapporte pour commencer les commentaires de la radio londonienne sur
la “bataille de Berlin”.
Suivent
des informations tendancieuses de divers genres : depuis celles
sur les nouveaux quadrimoteurs ennemis jusqu’à celles sur la perte
de Krivoï-Rog et sur l’exode de fonctionnaires allemands à partir
de la Turquie (“Deutsche Beamte laufen über”). Il publie
également des nouvelles “en provenance d’Allemagne et
d’Autriche”.
(*)(*)
Don Tullio Calcagno (10/04/1899), directeur de Crociata
italica, fusillé par
les partisans communistes à Milan le 29 avril 1945. (NdT).
(**)(**)
Don Paolo Pecoraro, mort en 2011 à l’âge de 95 ans, médaille
d’argent de la Résistance pour son action à Rome. (NdT).
(*)(*)
Ad
usum Delphini est
une locution
latine signifiant
« à l’usage du Dauphin”.
Cette formule était estampillée sur la couverture des textes
classiques qui avaient été épurés de leurs passages trop
scabreux ou inappropriés pour le jeune âge du Dauphin.
Aujourd’hui, cette expression est employée de façon ironique
pour désigner un ouvrage expurgé afin de pouvoir être mis entre
toutes les mains. (NdT).
NOTES GENERALES:
1
En particulier, l'une des missions de l'OVRA consistait à tenir
à jour le dénommé CPC (Casellario
Politico Centrale,
soit litt. Casier
politique central),
fichier spécial où était scrupuleusement consignée toute
information personnelle concernant les subversifs connus, en vue
d'établir de chacun d'entre eux un profil
personnel
contenant toutes données utiles sur sa formation scolaire, sa
culture et ses habitudes, jusqu'à des détails précis sur son
caractère personnel et son orientation sexuelle. Ce casier sera
pour l'OVRA l'un des outils les plus efficaces pour identifier et
réprimer les dissidents politiques. L'ubiquité de l'OVRA du
reste était telle qu'elle en vint à espionner le Duce lui-même.
Salvatorelli a relevé le parallélisme entre développement
organisationnel de l'OVRA et déclin des actions clandestines
communistes en Italie. Opérant aussi à l'étranger, l'OVRA
infiltrait ses espions parmi les exilés antifascistes, de sorte
que lorsqu'un émissaire antifasciste était envoyé
clandestinement en Italie, il n'était pas rare que la police ne
fût au courant de son identité et des objectifs de sa mission
avant même qu'il ne se mît en route. Des agents de l'OVRA
furent aussi déployés en Espagne,
pendant la guerre
civile, lors d'actions clandestines visant des antifascistes
italiens. (wikipédia). Elle aurait conseillé Franco d'utiliser les troupes marocaines pour contrer la rébellion républicaine, au souvenir de l'utilisation de troupes maghrébines par la bourgeoisie française lors de l'occupation de la Ruhr... favorisant ainsi le racisme hitlérien.
Une police très moderne donc, qui dont le siège était caché derrière la boutique d'un marchand de vins. Idem en France, de nos jours, je n'ai jamais cru à la dissolution réelle des RG, parce que la surveillance des tarés islamistes aurait éliminé le danger des « groupes extrêmes » qui se réclament de la classe ouvrière, maximalistes ou gauchistes divers, non, les RG existent toujours, sous un sigle de nous inconnu, sous l'égide bienveillante des successifs gouvernements de gauche ou de droite. La bourgeoisie n'est pas follement inconsciente. Mais elle doit savoir qu'on ne la croit pas sur parole.
Une police très moderne donc, qui dont le siège était caché derrière la boutique d'un marchand de vins. Idem en France, de nos jours, je n'ai jamais cru à la dissolution réelle des RG, parce que la surveillance des tarés islamistes aurait éliminé le danger des « groupes extrêmes » qui se réclament de la classe ouvrière, maximalistes ou gauchistes divers, non, les RG existent toujours, sous un sigle de nous inconnu, sous l'égide bienveillante des successifs gouvernements de gauche ou de droite. La bourgeoisie n'est pas follement inconsciente. Mais elle doit savoir qu'on ne la croit pas sur parole.
2La
démocratie républicaine victorieuse n'a pas vraiment supprimé
l'OVRA mais l'a... prorogé en gardant les mêmes fonctionnaires
« intellectuels » capables d'analyser sérieusement les
groupes politiques « ennemis du système » démocratique
bourgeois comme fasciste : Si,
à l'issue de la guerre,
l'OVRA fut officiellement démantelée, un décret fut rendu le 26
avril 1945 disposant que le CPC devait être maintenu et « actualisé
par des renseignements sur toute personne dont l'activité politique
tend à enfreindre les lois et règlements promulgués par le
gouvernement démocratique
et destinés à lutter contre le néo-fascisme,
les anarchistes, lesquels par définition s'opposent à toute loi et
à tout gouvernement quels qu'ils soient, et les activistes
politiques, dont la dépravation morale et le mépris des lois
pourraient les inciter à fomenter des troubles ou à commettre des
actes de terrorisme ». Plus tard fut créée par le nouveau
ministre de l'Intérieur, le socialiste
Giuseppe Romita, à la suite d'une réorganisation des services de
police, une division de la PS, dénommée Servizio
Informazioni Speciali
(mieux connue sous le sigle de SIS), ayant pour mission de reprendre
la gestion du CPC et d'instruire les délits à mobiles politiques
et les forfaits propres à cette époque particulière (tels que le
marché noir
etc.), et à laquelle furent intégrés comme membres du personnel
nombre d'anciens officiers de l'OVRA. La personne nommée à la tête
du SIS était l'inspecteur général Santoro, l'un des anciens
lieutenants de Guido Leto, le ci-devant chef de l'OVRA.La plupart
des lois et règlements de l'ancien TULPS de 1931 furent reconduites
par la République italienne, et le même Guido Leto fut
ultérieurement rétabli comme fonctionnaire de police de plein
exercice, et chargé de la supervision et de la coordination des
écoles de police dans l'Italie de l'après-guerre.
Les malheureuses « années de plomb » ont révélé
qu'en fait les services secrets italiens ont été constamment
pilotés depuis la guerre par la CIA et les vieux employés
fascistes de l'OVRA, à la fois flics et auteurs d'attentats
criminels attribués à l'extrême gauche, comme aujourd'hui nombre
de groupes djihadistes pilotés eux aussi par les services
idoines...
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