Deux professions qui sont devenues complémentaires dans l’encadrement et la socialisation de la jeunesse se sont trouvées, simultanément et paradoxalement, opposées de manière sanglante au cours de deux drames qui ne devraient pas être classifiés banalement au rang de faits divers. L’immolation par le feu de la professeure de mathématiques de Béziers me choque autant que les suicides à France Télécom, ou même, nombreux, dans la police. La jeune policière tuée par un autre professeur avec un sabre, dans les locaux du commissariat est tout aussi choquante et du même ordre puisque ces deux métiers sont parmi les plus exposés (avec les contrôleurs de train, de métro, etc.). Analyser ces deux faits divers dramatiques n’est pas simple et ne relève pas de la gentille théorie de l’incivilité des djeuns ; le malaise est général, et concerne tous d’autant qu’il est insoluble, quoique entretenu par l’Etat et ses officines éducatives et juridiques.
Le système décadent a tellement intériorisé la notion de responsabilité individuelle que l’individu, dans ses derniers retranchements (et sans aucune solidarité même professionnelle) est poussé à s’autodétruire dès qu’il y a un problème. L’acte de la professeure de mathématiques, dont les syndicats s’emparent pour mieux en diminuer la portée dans les oubliettes corporatives – se faire cramer vive au milieu de la cour en présence des élèves – ne peut être réduit aux interprétations sournoises sur un drame de sa vie personnelle. L’acte tragique et courageux de cette professeure n’est ni celui d’une malade mentale ni d’une « psychorigide » qui aurait rêvé de se venger de ses élèves tarés. Il manifeste combien cette femme était bien attentive aux affaires du monde en révolte et n’avait trouvé que ce moyen pour exprimer sa souffrance. Pour qu’en France, en 2011, une femme de 44 ans s’immole à l’imitation du jeune tunisien qui a été l’étincelle de la dite « révolution de jasmin », c’est bien d’abord parce que cette pauvre morte croyait possible de crier un message et d’être entendue comme Mohamed Al Bouazzizi et ouvrir la protestation de marées humaines. Hélas en France, il n’y aura pas de marées humaines contre les conditions de travail sordides en milieu scolaire – une grande partie des scolarisés ne sont plus méprisés mais méprisables – ni un hommage digne à cette enseignante ; les aristocrates syndicaux français sont connus comme excellent fossoyeurs et curés contrits. Et la classe ouvrière reste entièrement disposée pour un moment à baisser l’échine derrière sa feuille de paye et les conseillers syndicaux.
La policière de Bourges a été éventrée, comme on fait hara-kiri, par un prof des « sciences de la vie et de la terre ». Le type serait revenu au commissariat pour protester contre un refus d’autorisation de port d’armes. On ne saura jamais exactement ce qui s’est passé, est-ce que les flics lui ont tiré en premier dans la jambe et qu’il aurait foncé ensuite sur la policière sabre en avant ? Ce drame pose une double question, pourquoi d’abord un prof des « sciences de la vie et de la terre » - sujet plutôt pacifique et œcuménique – en était-il venu à réclamer un port d’armes autorisé ? Il ne voulait pas buter tous les tarés de sa classe scolaire mais simplement répondre à ceux qui le menaçaient à la sortie ou qui lui crevaient les pneus ?
Et pourquoi ce prof d’une matière si pacifique est-il venu s’en prendre aux flics dans des conditions plutôt suicidaires (aller attaquer un commissariat avec un sabre est du donquichotisme qui fait douter de la raison du type) ? Conflit de préséance ? Rivalité ? En général les rapports sont tendus entre flics et professeurs, intermittents disons. Quand un élève fait le con il peut être emmené en GAV, mais il est rendu rapidement à l’école : les flics ne s‘emmerdent pas longtemps avec les déchets sociaux et les refilent aux profs.
Il existe cependant deux points communs aux deux professions. L’une comme l’autre ne peuvent pas répliquer aux agressions. C’est la loi. Comme l’a fort bien souligné S. Freud au début du siècle dernier, l’Etat s’est emparé du corps du citoyen et décide pour lui de ce qui est bon ou pas. Vieille tradition (cf. la contrainte par corps), le fonctionnaire sait, comme l’accusé, que toute réaction ou action de sa part « peut se retourner contre lui ». Le flic et le professeur sont ainsi assez représentatif des chaînes qui oppriment l’homme moderne. Le prof n’a que le droit de se laisser cracher dessus et le flic de se faire insulter (comme vous et moi). Que l’un ou l’autre réplique à sa manière et il sera irrémédiablement coupable. Là réside le pouvoir d’ l’Etat, dans cette forme sournoise de la domination idéologique qui fait passer le conflit pour un problème individuel où le fonctionnaire (flic ou enseignant) sera lâché par sa hiérarchie « si cela fait trop de vagues », et où le voyou innocenté empêchera l’émeute.
Je n’aime pas les profs en général, ils ne font que reproduire les inégalités sociales en ne se prenant pas pour de la merde. Je n’aime pas les flics – qui traitent la population comme du bétail – car ils restent des mercenaires cyniques et autistes de l’Etat des riches. Mais il faut encore dans cette société des profs et des flics. On devrait s’en passer un jour. Il faut quand même le constater, profs et flics ne servent plus à rien qu’à cultiver la haine (les profs étaient "brillants" au temps de leurs études et les flics ont un "emploi à vie". Finis les enfants ingénus, finie la jeunesse « sportive », baveuse au cours d’instruction civique. Dans cette société no future qui creuse et bétonne les inégalités ni l’autoritarisme de papa ni la répression simple ne peuvent calmer cette haine, cette impulsivité dans les agressions.
Alors, triste diversion, il ne faut pas être là au mauvais moment. La professeure de Béziers avait choisi son moment et de montrer aux petits imbéciles ce que c’est de « casser quelqu’un » (par la hiérarchie ou le connard de base), c’est à dire le cramer ! La policière de Bourges, la pauvre, elle n’avait pas choisi son moment. Elle était de faction, elle aurait pu ne pas être là ce jour, le prof rendu fou par cette société, en l’empalant sordidement, signait sa propre destruction comme être humain, devenu hermétique aux sciences « de la vie et de la terre ».
C’est le but d’un « fait divers » dans son interprétation officielle : faire diversion des problèmes de fond d’une société agonisante qui n’aboutit qu’à la mort. Et tourner la page.
Le fait divers suivant me paraît assez secondaire comparé au drame quotidien de la peur des prolétaires dans les trains de banlieue la nuit ou pour leurs enfants à l’entrée et à la sortie de l’école.
FAIT DIVERS POLITIQUE :
LA GAUCHE NE S’AFFICHE PAS POUR GAGNER LA PRESIDENTIELLE MAIS POUR LIMITER L’ABSTENTION ET LE VOTE FN
L’éditorialiste du Nouvel Obs, Joffrin, est inquiet :
« Cogner, frapper, attaquer pour détruire. Martine Aubry et ses partisans ont choisi, pour refaire leur retard, une tactique de terre brûlée. "Gauche molle", "propositions floues", "utilisation des mots de la droite", "candidat du système" : répétés et amplifiés par des lieutenants déchaînés, le réquisitoire contre François Hollande devient avec chaque heure qui passe plus acerbe et plus violent. Disons-le tout net : ce comportement est parfaitement irresponsable. (…) Comment, si elle est battue dimanche, Martine Aubry pourra-t-elle soutenir soudain un homme qu’elle a cherché à piétiner pendant toute la fin de campagne ? Qui croira à la sincérité de son ralliement ? Si le caractère de Hollande est inexistant, mieux vaut laisser Sarkozy à l’Elysée : au moins, c’est un mec qui a des couilles… Cette agressivité traduit une ligne politique suicidaire : plutôt faire perdre la gauche que perdre la primaire ».
Pourtant Mme Martine Aubry reçoit, après le lâchage du « lion qui miaule » le soutien indirect de la présidente du premier parti de France (crédité de 20% pour l’heure) le FN : « Marine Le Pen, a estimé vendredi 14 octobre au soir au 20h de TF1 qu'en votant pour François Hollande, Arnaud Montebourg avait abandonné son combat pour la démondialisation, "une trahison à l'égard d'une partie (du) peuple de gauche". "M. Montebourg, en décidant de voter pour M. Hollande, vient d'arrêter net la dynamique qu'il avait créée au premier tour", a estimé la candidate du parti d'extrême droite à la présidentielle. "Je trouve que c'est une trahison à l'égard d'une partie de ce peuple de gauche qui attendait de lui qu'il continue de porter cette idée-là", a-t-elle ajouté ». L’expression « le lion qui miaule » était bien entendu celle d’un coucou nommé Laurent, sec général du PCF, fils de l’apparatchik marchaisien Paul Laurent, qui en a profité pour faire un bon mot pour montrer son ombre derrière Mélanchon qui aboyait dans l’espoir de récupérer les voix du traître Montebourg…
Revenons à Joffrin qui nous explique qui est exactement l’éventuelle championne d’une gauche bourgeoise prétendue plus radicale que « Flamby » (nommé aussi par l’Elysée « pirouette-cachuète) :
« D’autant que la championne de la "vraie gauche" n’a vis-à-vis de François Hollande aucun différend idéologique sérieux. Elle souscrit au même programme que son rival, elle propose la même réforme fiscale, la même réglementation bancaire, la même priorité donnée à l’éducation, les mêmes changements institutionnels. Elle dit "relance mais aussi rigueur", Hollande dit "rigueur mais aussi relance". Elle dit : "il faut réduire la dette". Il dit : "réduire la dette, il faut". Elle entretient avec l’establishment des affaires des relations plutôt plus étroites que celles de François Hollande. Amie d’Alain Minc, le Jiminy Cricket des élites, elle aime à rappeler qu’elle a travaillé au sein d’un groupe multinational, non comme salariée et syndicaliste, mais comme directrice des ressources humaines, chose parfaitement honorable au demeurant, mais qui ne vous désigne pas d’emblée comme une héroïne de la classe ouvrière. Laquelle, au demeurant, a voté plutôt Hollande, alors que les bobos à statut ont en majorité préféré Martine Aubry. Elle est tout aussi européenne que lui et se tient depuis toujours dans une filiation largement démocrate-chrétienne (voir le "care"), fidèle en cela à l’héritage réformiste et européen de son illustre père ».
Analyse presque juste sauf sur un point, pas de pot Joffrin, la classe ouvrière dans les banlieues ouvrières et jusqu’à Marseille n’a pas trempé dans les combines des primaires et s’est donc abstenue…
Royal et Montebourg, pitoyables, se sont assis leur prétendue rénovation démocratique en choisissant d’appeler les électeurs à voter pour Hollande. En 2011, Royal avait mené campagne en assurant incarner une ligne volontariste et interventionniste, contre la finance et les banques, et Montebourg avec son histoire de protectionnisme européen qui espérait grapiller des voix au FN (il avait été félicité par Marine Le Pen), se prend les pieds dans le tapis au service d’une classique combine, s’assurer un poste de ministre… quoiqu’ils n’y croient pas eux-mêmes, la fonction figurative de chacun (les Valls et Montebourg) est de compléter le dispositif bariolé du programme creux et hétéroclite du PS. La fin des primaires est partie en quenouille avec les déclarations contradictoires du clan Hollande sur la question des retraites… Le PS est apparu encore une fois comme un parti bourgeois qui ne pourra pas tenir ses promesses si, par accident, il détrônait le blaireau Sarkozy.
Le PS n’est pas guéri de son angélisme jospinien qui imagine doser le souci anti-nucléaire des bobos écolos, et empêcher les citoyens arabes de voter facho-intégriste (la gauche au pouvoir la dernière fois avait laissé passer le port du voile et les prières de rue)(*). Le premier adversaire du PS n’est pas Sarkozy, mais le Front national qui caracole déjà à 20% des intentions de vote en 2012. Le PS pourra toujours appeler au bout du rouleau en faveur du « démocrate » Sarkozy pour « faire barrage » au fascisme !
(*) Avec l’apologie du droit de vote aux immigrés, le PS va encore renforcer le FN. Surtout après les révolutions de jasmin où les populations arabes en redemandent des élections « démocratiques » pour élire « leurs » représentants intégristes fachos et jouir librement de la loi de la Charia. L’Etat occidental sait très bien depuis le début se servir de l’électoralisme islamiste dans les zones qui resteront arriérées. Le massacre des Coptes en Egypte (organisé par les généraux qui ont chassé le dictateur) reste traité secondairement dans les infos, tout comme les menaces des abrutis musulmaniaques (manipulés aussi par les h=généraux tunisiens) contre la télévision tunisienne qui avait diffusé le beau film de Marjanne Satrapi, Persépolis.
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