Pourquoi
pas ? Personne n’est propriétaire d’une perspective de révolution, bien
que celle-ci soit à préciser. Le problème avec Bitot, auteur à géométrie
variable, est que dans son précédent livre (Quel autre monde possible ?)
la révolution avait disparu au profit de la génération spontanée d’une société basculant
automatiquement dans la propreté, la frugalité écologique et la fidélité dans
le mariage. Autrement dit, s’il pensait avoir nettoyé sa conscience des rebuts
du « prolétariat imaginaire » et du « marxisme décati », il
lui restait à enterrer l’idée de révolution « ringarde ». C’est fait
avec ce disciple tardif de Gustave Le Bon, Malatesta et André Gorz. Avec
« Repenser la révolution », titre de fond de chacun de ses trois
principaux ouvrages, il répète les mêmes « nouveautés » à pisser de
rire sous la forme d’un questionnement qui se veut au départ neutre,
introspectif et convivial pour tous les intellectuels vagabonds qu’il
fréquente. Claude Bitot se veut une sorte de Martin Luther du marxisme, un
marxisme devenu bleu comme une chambre d’enfant, qui en aurait vaguement
l’odeur mais pas le goût ni la substance. Un marxisme de l’individu espiègle Marx
dont la devise était « je doute de tout » et le bréviaire :
« le prolétariat est tout ou il n’est rien », formule lapidaire très
ébouriffante mais très creuse et passe-partout pour bateleurs de cénacle
moderne cultivé et sans besoin pressant.[1]
Les années 1970 ont vu fleurir pléthore
d’« adieux au prolétariat » (selon la formule d’André Gorz en 1980)
au motif que celui-ci ne constituait non seulement plus « le » sujet
révolutionnaire, mais n’était même plus un sujet politique consistant tout
court ; qu’il s’était embourgeoisé, devenu pour l’essentiel une gamme de
« classes moyennes » aux conditions de vie améliorées, sans identité
autre qu’une participation active à la « société de
consommation » ; puis les années 1990 jusqu’à aujourd’hui ont vu
surtout une noria de sociologues tapant comme des sourds sur l’affaiblissement
numérique du prolétariat et son prétendu vote majoritaire pour
l’extrême-droite. Claude Bitot s’inscrit résolument dans cette lignée,
surenchérissant même que le prolétariat n’a jamais été révolutionnaire et qu’il
est du type masochiste consentant.
PLUS DE CLASSE REVOLUTIONNAIRE ?
Pour Claude Bitot, les choses sont claires
et nettes désormais :
-
« il
n’est plus possible de croire que la classe ouvrière pourrait être le sujet
révolutionnaire »
-
« plus
de voie indiquant le chemin (qui) pourrait faire déboucher la lutte de classe
sur une autre société »
-
« le
projet « industriel » du socialisme n’a plus aucun sens face aux
dégâts irréparables de la production capitaliste »[2]
-
« le
marxisme et tous les partis et syndicats ont basculé dans le vide ».
Sous l’aspect provocateur, qui devrait faire
vendre largement son livre en milieu anarchiste et gauchiste décomposé, toutes
les saillies ne sont pas fausses mais viciées au coin du raisonnement
« marxiste défroqué. Il veut faire du neuf avec du « vieux »
marxisme, en en gardant certaines analyses mais détachées d’un tout autrement
cohérent que la simple explication sociologique et pas forcément facile à
manier pour les ignorants et contempteurs de l’histoire. Bitot, lui, est loin d’être un ignorant – je conseille
d’ailleurs la lecture de ce livre pour sa capacité à offrir des explications de
base économique simples du marxisme aux novices – et il écrit clairement et
lisiblement contrairement aux abrutis communisateurs (variétés de profs au langage
biscornu et creux) auxquels il a succombé sur le fond vagabond,
« mondain » (l’expression heureuse est du sarcastique Paulo) et coupé
des réalités.
UN INVENTEUR DE LA « NON-CLASSE »
QUI SE RIT DE CE PROLETARIAT QUI A PRETENDU ABATTRE LE CAPITALISME ENCORE EN
PLEINE CROISSANCE
En introduction Bitot ne cache pas qu’il se
raccroche aux branches du marxisme fané pour se doter d’une analyse romancée qui
se prétend néanmoins « subversive », ce qu’elle est dans la mesure où
elle va déranger les mystiques orthodoxes d’un marxisme lénino-stalinien et qui
lui vaudra certainement leurs foudres criardes ou leur mépris silencieux. Il
casse immédiatement toute la « mythologie » de la vague
révolutionnaire des années 1920 où le « marxisme révolutionnaire croyait
le capitalisme en décadence » et où le prolétariat dans son ensemble
« n’aspirait qu’à des réformes au sein du capitalisme », sous-entendu
le capitalisme restait indestructible. Il fallait encore attendre que le
capitalisme atteigne « la fin de sa civilisation industrielle ». La
révolution « n’est plus l’affaire d’une classe ». Tout dépend
désormais de cette masse (les gens de toute la société) « sortie brute de
décoffrage de l’effondrement (automatique) du capitalisme » qu’il ne cesse
d’annoncer à l’unisson de l’exhibitionniste Paul Jorion. Si Bitot se veut un
clone de Luther, Jorion en est le Calvin. Se voulant surprenant, jusque dans la
récupération de bouts émiettés du marxisme, Martin Bitot prône un objet missionnaire de la
nouvelle croyance révolutionnaire « populaire », mais oui : UN
PARTI « de conscience et de volonté » (parodie d’une phrase de
Bordiga) qui permettra « la recomposition de la non-classe » (parodie
du fameux « classe pour soi »). Dans sa rêverie de retraité infantile
– « la révolution n’étant plus la lutte d’une classe contre une
autre » - elle « sera relativement pacifique ». Cela met à
l’aise immédiatement la terre entière et la haute bourgeoisie accrochée à ses
valeurs immobilières et bancaires ! La perspective sirupeuse fait penser à
la gravure béate de la prairie promise aux Témoins de Jéhovah : « Un
mode communiste de fonctionnement basé sur la bonne entente de gens ayant des
intérêts communs et évoluant ainsi dans une société sans conflits sociaux
majeurs ». Une société où il sera garanti de se faire chier
éternellement ! Quoique avec la fin de la coupure ville/campagne où le
travail industriel « sera peu mécanisé » ; où l’on retrouve
toujours dans l’imaginaire bitotien la charrue du Taliban et le rouet de mamie.
Pour les besoins de sa démonstration du
« démarrage du capitalisme », dans les pays arriérés comme la Russie
et l’Espagne, Bitot est plus critique de l’expérience de 1936 en Espagne mais
en vient à magnifier le boucher Franco « agent de l’entrée de celle-ci
dans le monde industriel » (comme Poutine ?)[3].
N’est-il pas fidèle à sa façon au Marx qui ne voyait que crises cycliques
perpétuelles ?
Mieux : « manquait à l’appel le
‘fossoyeur’ du capitalisme » ! Ce vieux doute qui a toujours habité
Bitot ressurgit dans son absurdité : puisque le prolétariat a été vaincu
c’est qu’il n’existait pas réellement comme sujet révolutionnaire !
Elémentaire mon cher Watson ! Car le capitalisme, à chaque époque « a
façonné le prolétariat dont il avait besoin », révélant à la suite de son
ex-ami Camatte que ce n’était qu’une « classe pour la capital allergique
au socialisme ». Il lui suffit de décortiquer ensuite la classe ouvrière
en catégories, élites artisanales, grèves-kermesse de 36 et 68, une classe
pourrie par les bienfaits de l’Etat providence depuis 1945, etc.
Pour les besoins de son adaptation masquée à
l’évidence de la faillite actuelle et historique du capitalisme qu’il
assaisonne à son langage de découvreur des découvertes des autres - « fin de cycle historique » - il
oublie de mentionner qu’il a fait partie de la cohorte des intellos bobos qui
avaient cru au nouveau souffle des pays capitalistes « émergents »
(si je ne me trompe pas) en tout cas avec cette propension héritée de son
séjour en bordiguisme que le parti, même résumé à un seul individu, a toujours
raison.
Dans sa « limite interne » de sa
« fin de cycle » il note à la fois la dégénérescence financière du
capitalisme et le « déclin caractérisé de la classe ouvrière dans la
population active ». Cette vision de la classe ouvrière à partir de sa
partie dite productive il aurait fallu pourtant la laisser aux staliniens
ouvriéristes, car, outre qu’on se fout des catégories productives ou dites
improductives qui constituent l’ensemble du prolétariat, celui-ci n’a jamais
été délimité dans les usines ni par la place d’une partie au cœur de la
production[4].
Avec ce type de raisonnement qui se prétend orthodoxe d’un marxisme professoral
et élitaire, Bitot embouche la trompette de la bourgeoisie contre les
superflus : les éjectés du salariat, RMI, RSA, et toutes les variétés de
chômeurs médiocres
« assistés » ; ce « précariat » les excluant de
la dignité de prolétariat !
Pour la « limite externe », vague
plagiaire de Rosa Luxemburg, notre inventeur de la non-classe tombe dans
l’anti-marxisme primaire de ses amis rigolos de L’Encyclopédie des Nuisance, en
inventant la limite des « nouveaux marchés externes » :
« la limite de la croissance du capitalisme en raison du fait que les
ressources naturelles de la planète s’épuisent ».
LA BOURGEOISIE A DECOMPOSE LA CLASSE
OUVRIERE
Les pages 68 et suivantes comportent nombre
de réflexions judicieuses sur l’émiettement de la classe ouvrière par
l’idéologie bourgeoise totalitariste. Il a repris un certain nombre de mes
constats dans mon livre « Immigration et religion », notamment le
remplacement officiel de la classe ouvrière par « les immigrés en
général ». Mais il en reste au constat de l’utilisation des « idiots
utiles du capital », alors que j’insiste sur la stratégie moraliste et
« humanitaire » de division du prolétariat et une problématique de
« l’invasion » qui rend opaque l’incapacité du capitalisme et à
réguler le flux des populations et surtout à endiguer la misère. Il voit une
décomposition factuelle du prolétariat où je vois une division réversible
seulement par l’affirmation de la lutte de classe généralisée.
Son aveuglement sur la pérennité de
l’existence du prolétariat comme antinomique à la continuité du capitalisme –
et qui cherche toujours de partout à allumer le brasier généralisé – est remarquable
de mépris contre ce même prolétariat :
-
« le
capitalisme a fini de se faire aimer des masses »
-
« il
a opéré un renversement des valeurs, celles de sobriété, de simplicité des
besoins confondues avec la misère et l’indigence »[5].
La modification de l’univers urbain sur
lequel il est loquace ne signifie pas non plus la disparition du prolétariat
mais participe de sa division, de son contingentement, de sa ghettoïsation.
Bitot confond la cause et les conséquences ici. Le capitalisme génère un homme
« nouveau » très ancien – aliéné, individualiste possessif et
narcissique – certes, mais ce constat ne prend pas en compte le mouvement, la
révolte derrière lorsqu’elle prend un tour collectif, sans cesse contrarié par
le totalitarisme étatique. Pour appuyer son raisonnement à courte vue Bitôt ne
trouve pas mieux que de s’acoquiner avec les idéologues écolos Bergounioux et
Semprun, apôtres de cet olibrius le « citoyen-écologiste », nouveaux
maîtres de la planète bobo, ces couches moyennes sans rivage politique autre
que les cartels électoraux et le lobby écolo.
Ayant perdu de vue la place centrale du
prolétariat, derrière toutes les combinaisons et circonvolutions de la
politique internationale, Bitot se répand en banalités glanées dans la presse
mondiale sur la constitution de l’Europe jusqu’aux « révolutions
arabes », toujours à côté de la plaque. Notre approfondisseur et enfonceur
de portes ouvertes bien connues, n’a rien compris à la fabrication de l’Europe
post 1945 et aux émeutes en ays arabes[6].
Ses délayages sont si faibles au niveau social et politique qu’ils confirment
qu’il est hors de la réalité et que sa grande lacune intellectuelle et
politique manifeste qu’il lui manque une réflexion « en groupe ».
LA THEORIE DU CHOC POUR SUPPLER AU
DELABREMENT DU PROJET COMMUNISTE ?
Même s’il nous a fait part se son rêve
d’éclosion d’un parti de non-classe
« de la conscience et de la volonté », tout semble procéder
par automatisme dans les spéculations de Bitot : les prolétaires sont
embourgeoisés, le capitalisme est en pilotage automatique et le projet
communiste est automatiquement discrédité. Sur la dernière question il n’a pas
tout à fait tort, le rouleau compresseur du stalinisme, les pitreries des
gauchismes et les études confidentielles et ardues des cercles maximalistes ne
risquent pas d’aider à une renaissance de l’espoir révolutionnaire prolétarien.
Mais, au lieu d’élever la réflexion, et d’en référer aux vrais débats sur la
transition toujours posée et actuelle du passage à une autre société en
rappelant les réflexions et analyses de minorités et d’auteurs qui ne renient
pas les étapes méconnues d’une réflexion historique dans le mouvement ouvrier,
Bitot, après avoir donné un coup de chapeau au néo-stalinien Furet, va glaner
des explications chez les pires pourfendeurs du « progrès », les
socio-démocrates Gorz et la compagnie de l’Encyclopédie des Nuisances (les
nuisettes écologiques et crypto-situs) qui rejettent tout le progrès du
« machinisme » et l’urbanisation depuis leur résidence à la campagne.
Il transparaît un aspect eschatologique dans la complainte pour la
désindustrialisation quand résonnent encore à nos oreilles les doctes paroles de moines hippies ultra-gauches
du siècle dernier : « savoir renoncer au confort », « ce
monde qu’il nous faut quitter » (Camatte), « Il va falloir
attendre » (Barrot), etc.
En vérité, chacun pouvant comprendre que la
révolution c’est foutre en l’air le capitalisme, vivre heureux frugalement et
maritalement entre bonnes gens, la vraie raison n’est-elle pas qu’il n’y a plus
« aucune force sociale à même d’entreprendre une révolution » ?
Evident mon cher Watson quand on regarde tous les jours le 20 heures et qu’on
va faire pisser le chien après la vaisselle.
Le pilotage automatique du capitalisme le
conduit à désintégrer cette classe dont il n’a plus besoin. Va-t-il se contenter
dès lors du travail mort ? Regardez ces pauvres mecs, les Conti qui se
sont battus pour sauvegarder leur emploi ! Pas pour la révolution mais
pour leur petit égoïsme individuel ! Des aliénés du Capital ! Et ces
pauvres mecs des pays émergents qui se bornent à désirer un meilleur
salaire ! Pourquoi ? Parce que : « … il n’y aura pas dans
ces pays un remake révolutionnaire du prolétariat, la partie ayant été jouée
depuis longtemps et définitivement ».
Les nouvelles classes moyennes qui génèrent
« indignés », « altermondialistes » et divers
« gauchistes » en prennent pour leur grade, et je suis alors
pleinement sur la même ligne que Bitot. Mais comment Bitot va-t-il s’en sortir
après avoir fait le vide, avec ce prolétariat « hors jeu ». Il n’y a
plus d’habitants sur la planète à Bitot ? Répondez !
Heureusement le CHOC va arriver :
« le capitalisme s’autodétruira ayant atteint ses limites ».
LE CHOC SALVATEUR DE LA REVOLUTION
Bitot nous apprend qu’aucun marxiste, avant
lui, n’avait imaginé une solution aussi inespérée[7].
Sans doute parce qu’ils la trouvaient grotesque. L’idée de la chute finale
automatique commencerait à faire son
chemin grâce aux grands penseurs du vide sidéral les Paul Jorion et Robert
Kurz. Attention il ne faudrait pas confondre la théorie bitotienne avec le
réformisme écolo. Alors comment le capitalisme va-t-il mourir de mort violente ?
Bitot nous livre la somme des crises
financières et commerciales des dernières années, la hausse vertigineuse des
prix des matières premières, un roman digne de l’imagination de Jack London :
« … une monnaie qui ne vaudra plus rien. Dès lors le commerce mondial s’effondrera,
les transports seront paralysés, les usines s’arrêteront de produire, et il s’ensuivra
des désastres sociaux à la chaîne, un chômage colossal, une paupérisation généralisée,
une sous-alimentation massive avec des risques de famines… ». Voyant venir
l’objection de la guerre mondiale, Bitot, pacifiste enfiévré, la repousse d’un
revers de manche en conjonction avec sa conviction de la naïveté et rationalité
de la bourgeoisie : « du point de vue de la rationalité capitaliste
cette guerre n’aurait aucun sens… il faut se départir de cette idée fausse
selon laquelle le capitalisme pourrait toujours s’’en sortir grâce à une bonne
guerre de destruction ». Ah bon, pourquoi ? Et pourquoi les guerres
ne cessent-elles pas d’Afghanistan en Syrie ?
Pour ceux qui peuvent s’exagérer le choc
terrifiant du chaos (grand choc mental) qui surviendra avec ce
choc de l’effondrement
du capitalisme - il faut savoir que tout le monde sait que l’humanité n’y
survivrai pas en cas de tournure atomique – il leur faut prendre conscience que
se produira un choc spirituel comparable pour tous à la gueule de Moïse
recevant les tables de la loi : « la révélation de la faillite de la
société industrielle » ! Et gare, finie l’abondance ! La
révolution conçue comme richesse par bourgeois et prolétaires, c’est périmé !
Faudra s’y faire, se serrer la ceinture pour retrouver cette communauté de
misère et de faim fraternelle découverte en Aragon en 1937 par Orwell !
Pas question de céder à l’illusion réformiste d’Ellul pour spéculer sur le
détournement des technologies capitalistes.
Il faut en remettre une couche sur la
mythologie du prolétariat « classe rédemptrice ». Marx ne s’est-il
pas fourré dans l’œil en disant que c’était la classe « la plus
malheureuse de la société » ? Du flanc concernant les ouvriers
modernes, « beaufs » avec bagnole et crédits ou immigrés « prolétariat
de rechange » qui ne nous envahissent que pour se payer les mêmes
bagnoles. Faudra qu’ils tâtent un peu du choc du capitalisme effondré pour
apprécier les vrais besoins frugaux et solidaires !
Et, depuis un siècle les luttes syndicales
ne sont-elles pas une longue cohorte cloisonnée de catégories poursuivant
chacune « des buts corporatistes » ? L’anarchiste Landauer n’a-t-il
pas si bien décrit ces mutilés de la division du travail « égoïstes jouant
des coudes » ? A l’unisson de Malatesta, ce nouveau conseiller de
Bitot avait conclu avant lui leur médiocrité : « On reconnaît ici que
les ouvriers ne sont pas une classe révolutionnaire, mais un tas de pauvres
diables qui doivent vivre et mourir en régime capitaliste ».
UN MAGMA SOCIAL QUI REND BITOT INFORME
Lorsque Bitot, qui a laissé de côté son choc
final transcendant, revient encore en notre bas monde, c’est pour régurgiter les
statistiques sociologiques des composants des classes modernes. Des sources
INSEE franco-françaises, il extrait joyeusement : sur un total de 22,7
millions de salariés, la classe ouvrière représente à peine le quart de la
population active. Ce qui est pourtant déjà pas mal en en restant à sa définition
ouvriériste du prolétariat. Manque de pot : près de 15% des cadres, 23%
intermédiaires (enseignement et santé), 29% (employés » ne sont pas
comptables dans la classe bourgeoise ! Ce qui fait une proportion autrement
plus signifiance de l’importance de TOUTE la classe ouvrière, qui ne se réduit
donc pas aux « producteurs » (thématique chère aux anarchistes
artisanaux et ploucs). Bitot se sent obligé d’en venir à la définition de la
classe ouvrière, qui n’est selon strictement définissable que par rapport à la
productivité. Comme les vieux machins modernistes il nous ressort la soi-disant
différence entre prolétariat et classe ouvrière, et ne nous démontre jamais en
quoi les cadres et les employés seraient improductifs ! Mieux il tente de
nous présenter ces catégories comme des parasites de l’Etat (qui grèvent son
budget comme dirait Sarkozy ou Hollande) : « l’Etat paie ses
fonctionnaires par le canal de l’impôt sur les sociétés capitalistes et du
revenu des salariés »[8] ;
choses qui choque tous les petits patrons de PME toujours dans le rêve d’un
retour au féodalisme de fabrique.
Le « prolétariat authentique » est
donc noyé dans un « vaste magma salarié informe et hétéroclite »
méprisable – mais qui devrait devenir la non-classe réveillée par le choc final
eschatologique du capital ! Ce magma c’est considère-t-il avec son maître
éclectique Gorz, c’est aussi cette « classe de domestiques » (55% de
la pop active aux USA) qui torchent le cul des vieux, les bonniches et les
caissières de fast-food, etc. Or ces professions certes de plus en plus
répandues une autre société en héritera plus sûrement que de l’ouvrier d’usine
ou du pâtre à sa convenance de Marx, non parce que la capital s’en contenterait
mais parce que l’aide à la personne par exemple est devenu un des métiers les
plus dignes et des plus indispensables et que de telles fonctions seront encore
nécessaires dans le communisme ou tout autre société. Bitot se fait là le
porteur de l’idéologie du hippie irresponsable, individualiste qui décrète que « les
termes de bourgeoisie et de prolétariat sont tombés en désuétude ». Et si
ce n’était pas notre théoricien en chambre qui était tombé en décrépitude ?
Tout le roman de Bitot part en quenouille
quand il veut enfin jouer au sculpteur de la mise en forme de ce magma
méprisable : « en sa qualité de non-classe, immense majorité de la
société celle-ci sera en adéquation avec l’universalisme du projet communiste
(ce qui n’était pas le cas avec le prolétariat classe particulière de la
société » ». La théorie de Bitot est en effet ce magma, beurre sans
sel, couteau sans lame auquel il manque le manche et omelette théorique sans œuf.
Il va nous chercher la poële dans sa cuisine : le parti.
DU GRAMSCI BRICOLé
A est la tâche la plus dure pour sa
clientèle anarchiste illettrée. Dès le mot parti, les anars hérissent le poil
et aiguisent les couteaux. Mollo, z’affolez pas « facteur de conscience »
c’est pour les gens intelligents un parti, z’allez pas rester idiots utiles de
la bourgeoisie ? Et un « centre intellectuel » [9]comme
disait le petit voûté qui a passé sa vie dans une geôle mussolinienne. Nouvel
aparté sur l’histoire des partis marxistes pour rassurer l’anar moyen sur leurs
impuissances successives. Bitot sans fard définit ensuite un organisme de type
élitaire : « militants, mais bons, capables d’être des passeurs d’idées
(du magma ? jlR), des éveilleurs de conscience (de la fin du cycle
capitaliste et de son désastre écolo ? jlR) (…) il est bien une
avant-garde, une élite, disons-nous, quitte à choquer les oreilles
démocratiques » (cf. restant du terrifiant vocabulaire bordiguiste !).
Le calque avec l’ancien cénacle bordiguiste crève les yeux, le parti aura pour
tâche : « d’élaborer un programme cohérent (sic) et de le répandre
parmi la non-classe ». On peut savoir le fond de l’argumentaire de ce
programme M’sieur ?
« La fin de l’abondance capitaliste…
(est la) condition favorable au retour des idées communistes ». Tient cela
nous fait penser à tous ces idéologies anarchistes qui voyaient la révolution
surgir de la seule misère noire. On se représente la mise en scène de Bitot :
le capital qui a transformé les masses en vulgaires consommateurs bouffis de
gadgets va les en priver brutalement, du coup, pauvres et misérables, elles
demanderont à se contenter de peu, ce que le parti leur accordera, magnanime et
confus de reconnaissance de ce réel « réveil communiste » de la
non-classe ! Mais le travail du parti khmer ne sera pas terminé : « le
parti aura à décrasser les consciences des anciennes idées de consommation à
tout va, de « toujours plus » dont le capitalisme les avait
imprégnées du temps de sa « splendeur ».
Pour conforter son pacifisme qui enrobe
toutes ses spéculations frugales, Bitôt ne se gêne pas par contre pour
reprendre l’exemple des « criminels bolcheviques » qui ont eu
tapis royal pour faire l’insurrection sans coup férir vu que le gouvernement
Kerenski s’était « choqué » lui-même comme demain le pouvoir du capital
mondial sera si déliquescent qu’il n’y aura qu’à se baisser pour le ramasser,
pour que la « non-classe » le ramasse. Faudra penser à constituer
quelques milices armées tout de même pour finir la travail.
LE NOUVEL ETAT DE LA NON-CLASSE
Flash back sur les pithécanthropes Conseils
ouvriers allemands et russes : bof, ils n’avaient aucun contenu socialiste !
Les masses historiquement ne sont-elles pas des adeptes de la servitude
volontaire ? Alors le rôle du parti sera d’encourager la non-classe :
« à exercer elle-même le pouvoir ». Pas beaucoup d’imagination notre
développeur de révolution sans prolétariat, les termes ressemblent comme deux
gouttes d’eau à la vieille propagande communiste brut de coffrage (qui a tant failli à ses dires). Bitot
persiste à défendre la nécessité d’un Etat, ce qui va lui faire perdre nombre
de lecteurs libertaires, qui vont rester dubitatifs face à son chemin
alambiqué, un peu trop balisé, vers « l’harmonie sociale enfin réalisée »[10].
Le parti se substitue à l’Etat pour empêcher l’éclatement de la société, selon
ses dires. Nous croyons plutôt qu’il est retombé dans l’ornière bordiguiste
indélébile où le parti a recommencé à se confondre avec l’Etat. Enfin il est
question d’un plan de production communiste[11].
Et pour éviter l’uniformité on conservera les spécificités nationales. Pour le
tourisme au musée du Club Med et des objets fossiles : portables, ordis et
nike ?
En conclusion je n’aurai qu’un mot pour
répondre à Claude Bitot :
Le prolétariat n’a pas encore commencé !
&&&&&&&&&&&&&&
LE DERNIER
DES MOHICANS DU PSU
En guest star, la postface est de JM Kay,
avec un titre oxymore aussi accrocheur : « Quel communisme dans l’immédiat ? »
A la différence de Bitot, Kay pose les
questions d’un point de vue marxiste, depuis les BESOINS de classe et non de la
pure spéculation individuelle et des rêveries d’ancien militant. On ne sait pas
trop s’il pense lui que le prolétariat est resté la classe révolutionnaire par
excellence, il arbore de curieux concepts : « les habitants de France »
( ?), la révolution est-elle nationale ?; le « collectif »,
le « faire en commun » (qui est qui ? qui fait quoi ?), les
« combattant de l’égalité » ( ? notion non marxiste !).
Kay
livre une intéressante analyse de la hiérarchie des pouvoirs dans le
capitalisme actuel, un peu embrumée par les souvenirs communs de sa trajectoire
avec ses amis du PSU disparu. Son mérite est de ressortir du tombeau les luttes
anti-hiérarchiques de l’après 68 étrangement absentes comme références des
programmes de partis existants (bourgeois de gauche) comme d’ailleurs des purs
cercles marxistes « autoritaires ». Malheureusement, lui aussi a un
truc : l’abolition du salariat. Cette rengaine, ultra proclamée par les
anarcho-marxistes et divers gauchismes de l’après 68 est le nec plus ultra, le
sésame qui simplifierait la période de transition et ouvrirait les portes de l’harmonie.
Même s’il l’associe à un principe que je juge fondamental (esquivé par les
marxistes orthodoxes tous chefs de partis sans troupe) : « la lutte
contre la division sociale du travail » et revoir la hiérarchie des
revenus (qui suppose qu’il n’est pas possible d’abolir tout de suite le
salariat, qui annoncé comme tel = goulag pour les néophytes). Enfin, notre dernier
Mohican du PSU n’est pas farfelu lui au moins : « Rien ne dit quelle étincelle
mettra le feu à la plaine ».
[1]
J’ai répondu aux trois livres de Bitot, pour le premier qu’il avait publié aux
ed Spartacus , par un article qui m’avait été refusé pour la Rint du CCI,
laquelle secte considérait qu’on n’avait pas à s’abaisser à polémiquer ou
bavarder avec les socio-démocrates et libertaires des Cahiers Spartacus ;
pour le second livre qu’il avait auto-imprimé en Italie, la réponse toujours
valable (et qui répond encore pour
l’essentiel à ses spéculations) se trouve au chapitre 4 de mon livre de
2008 : The End, vous pouvez la lire sur mon blog du 7 mai 2008 :
« Bitot abandonne le marxisme ». Et notre vieil entretien de février
1991 sur la période de transition au communisme se trouve sur ce même blog au
début de cette année 2013. Il a lu bien sût toutes mes objections et fait mine
de les ignorer sauf mon accusation de « communisme frugal » dont il
n’arrive pas à se dépétrer. Ses livres sont bâtis en général en opposition aux
miens. Lors d’une rencontre forfuite en 2008 je crois, il m’avait assuré cœur
sur la main : « le prolétariat et le marxisme, je fais une
croix dessus ». Donc il reste bien fidèle à ses reniements successifs.
[2]
Au cours du voyage écolo de Bitot, il vous apprendra que : « la
révolution de 1917 des bolcheviks avait des objectifs capitalistes », et
s’appuyant sur le « livre noir du communisme » des éditions d’Etat
démocratique, il indique par après qu’il n’y a pas eu dégénérescence de cette
révolution mais l’expansion de meurtres de masse gratuits sauf pour le
développement en grand du capitalisme (Paris-Match devrait consacrer sa Une au
crâne d’œuf de Bitot !
[3]
Formé à l’école du maximalisme bordiguiste, Bitot ne nie pas que le fascisme a
été un produit du capitalisme, mais comme un « passage à vide »
(alors qu’il a servi avant tout à massacrer le prolétariat) avec des
inepties : « une fois abattu il ne laissa guère de traces, n’ayant
pas bouleversé la structure de la société » (p.67). Mais il rejoint
complètement l’idéologie du capitalisme vainqueur en reprenant le poncif de la
« folie furieuse », la destruction des Juifs d’Europe » qui
« n’avait plus grand-chose à voir avec le capitalisme et sa
rationalité » car, en plus « les marxistes révolutionnaires n’avaient
pas pris en compte les facteurs subjectifs » (p.76). On ne joue pas
impunément dans le pré carré de la domination idéologique niant sans cesse les
classes (avec ce gadget de non-classe) sans retomber dans les bras de la
bourgeoisie.
[4]
Pour Marx, les activités de transport par exemple, conditionne aussi la
marchandise, et font partie donc du processus productif. Un postier et une
caissière font partie de ce processus à ce niveau jusqu'à l’acheteur.
[5]
Cela est vrai, mais le communisme frugal a bon dos, en vérité les besoins
« ne sont plus simples », et ne seront plus jamais simples ; et
on ne peut pas ridiculiser la diversité des besoins (certains étant légitimes
dans le capitalisme) en renvoyant le problème aux jeunes de banlieues qui
cassent des vitrines pour des Nike.
[6]
J’en ai traité souvent dans mes articles. L’Europe +le Mur de Berlin ont servi
à empêcher le prolétariat de la vague révolutionnaire de se reconstituer cassé
entre deux blocs impérialistes ; le fédéralisme européen est une arme
anti-révolutionnaire de première. Les « révolutions arabes » ont été
téléguidées par l’impérialisme US et l’intégrisme musulman est le meilleur ami
du capitalisme.
[7]
Ce n’est pas vrai, plusieurs auteurs staliniens des années 1930, croyaient à
cette supputation.
[8]
Même du point de vue marxiste classique le raisonnement est faux, les
transports en commun permettent le profit puisqu’ils permettent d’acheminer les
exploités sur le lieu du profit. La centralisation étatique et juridique permet
aux patrons d’exercer leur autorité et répression, donc n’est pas de type
parasitaire. Bitot s egarde d’évoquer les retraites, salaire différé certes non
productif, mais on s’en fout.
[9] Voir mon texte sur ce blog :
La maison de maçon de
l'entreprenant Lénine et son étincelle inutile du 08 sept. 2012.
[10]
Le chapitre comporte des réflexions remarquables cependant et sur lesquelles j’aurai
l’occasion de revenir. . Il se moque en
passant des cons de communisateurs infantiles comme Astarian (très bien la
citation en page 169).
[11]
J’imagine l’ami Kay sursautant au moment des corrections avec cette histoire de
production communiste : quécéquécaqueçà ? C’est comment un plan de
production communiste ?
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