"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 12 octobre 2010

Syndicats débordés par le haut?

Une première chose frappe, personne n’a que faire des votes du parlement et du sénat avalisant la suppression à retardement de la retraite des travailleurs. En d’autres temps, médias et syndicats nous eussent serinés que les décisions des Chambres « républicaines » étaient définitivement les voix de la nation toutes classes confondues. Il est vrai que le roi Sarko vient juste de montrer l’exemple en s’asseyant sur le vote des deux assemblées concernant le permis à point. Confondant les « chambres d’enregistrement » n’enregistrent même plus les décisions du roi de France. Les syndicats avaient pourtant programmé des manifestations successives en évitant qu’elles ne se déroulent au moment des discussions de papier des députés corrompus et des vieux despotes rangés du palais du Luxemburg.
Une deuxième chose frappe aussi, personne n’a que faire des lois pour la retraite à 65 et 67 ans dans les autres pays. Chacun est bien conscient que si le prolétariat vraiment uni en France, et pas ficelé par des appareils syndicaux faussement associés, faisait plier la monarchie sarkozienne ce serait un appel général à l’insubordination prolétaire dans tous les pays.
Le mouvement déroute parce qu’il ne s’arrête même plus au problème de la retraite (un réel problème dans tous les pays) mais pose la question du travail. Non seulement le système n’est plus capable de donner du travail à tous durant toute une vie, mais il veut faire crever dans la misère un grand nombre. Non seulement le système refuse le travail au plus vieux mais il le distribue avec parcimonie et autoritarisme aux plus jeunes. Non seulement le système exalte le travail mais jamais il n’a autant produit de suicidés du travail. La conscience émerge peu à peu, lentement mais irrésistiblement que le système n’a pas de solution tout court tant ses prétendues réformes de la retraite sont minables et même totalement inefficaces à « remplir les caisses » vraiment.
Il faut bien le reconnaître ce mouvement social de 2010 déroute comme celui de 1995. En 1995 il était difficile de déterminer au début s’il s’agissait d’une simple agitation syndicale pour lâcher la vapeur comme d’habitude ou d’une cavalcade des bonzes sous la poussée de colère des travailleurs. Il y avait bien une réelle poussée qui provenait de tous les secteurs mais le mouvement avait été mené à la défaite sous les cris de « victoire » par les apparatchiks et leurs gauchistes sous prétexte que le fusible Juppé avait sauté, quand la loi allongeant la durée de travail était passée, quand les cheminots voulaient eux-mêmes continuer à lutter pour tous les prolétaires, y compris ceux du privé.
Il déroute parce qu’il finit par importuner gouvernement et syndicats. Tout avait trainé en longueur mais le roi Sarkozy et les grands chambellans syndicaux pensaient que l’intermède des vacances et une rentrée pluvieuse viendraient à bout de la masse des mécontents. Les syndicats avaient argumentés d’abord sur l’inévitabilité d’une « réforme douloureuse mais nécessaire au pays », sans convaincre l’immense majorité. Le gouvernement était présenté par ces mêmes syndicats comme « droit dans ses bottes » et « refusant de négocier avec eux », ce qui est un mensonge habituel des bonzes et qui ne passe plus. Il suffit de relire les déclarations des bonzes qui révèlent après chaque journée d’action, après chaque grève de 24 H, qu’ils espèrent que tout va rentrer dans l’ordre des antichambres de négociations secrètes.
Le mouvement de protestation n’a pas oublié l’échec de 1995, ni les réformes de 1993, 2003 et 2008. Certains se souviennent encore que le bonze Chérèque avait été chassé de la manif à Paris en 2003 et Thibault également mais en 2007. Pourquoi alors ce succès paradoxal des manifestations sans remise en cause des appareils de collaboration à l’Etat ?
Dans le mouvement ouvrier il s’écoule généralement de longues périodes où les masses cherchent obstinément toutes les voies légales pour se faire entendre. Elles peuvent buter contre un mur, se laisser égarer momentanément, êtres défaites mais ce qui a été défait revient toujours tôt ou tard sur le tapis de la rue dans le deal des classes. Depuis le début de l’année on pouvait pester contre le caractère moutonnier, cyclique et répétitif de gentils défilés carnavalesques suspendus à la programmation syndicale suivante. La bataille des chiffres sembla même un temps suppléer à la bataille des classes. Les chefs syndicalistes ont eu beau alterner le chaud et le froid, la menace de grève générale et les grèves partielles, les défilés en semaine et en weekend, enfin en jouant de mille façons sur les mots, ils se retrouvent toujours, plusieurs mois après avec cette masse grouillante qui continue à pousser, qui ne se rend même pas compte qu’elle pousse des bergers affolés. Sauf le respect que je dois à tous mes camarades prolétaires, je dois utiliser une image un peu surfaite et bourgeoise: une masse de vaches qui rentrent à l’étable et qui pousse pousse pousse pour entrer dans la grange en brisant peu à peu les barrières en bois, et sans savoir qu’elle risque de faire effondrer la grange. Les dits bovins débordent bien par le haut de la ferme, là où il est important qu’ils ne dérogent pas à la traite. Les syndicats sont dans la réalité débordés par le haut parce que le haut est cette conscience qui se généralise que ce n’est plus la simple question des retraites qui est en jeu mais l’avenir d’une société en perdition, d’une société qui jette et jettera de plus en plus à la rue les prolétaires.
La « viande » à exploiter (dans la vision bourgeoise) ne se soucie plus de servir du lait à la société. Ce qui la motive n’est pas vraiment de savoir combien de temps on va lui pomper le lait avec des trayeuses modernes, mais pour quoi (oui pour quoi et pour qui ?) on la fait marcher. Elle veut savoir. Sa poussée est si irrésistible que ses bergers en viennent à bafouiller. Le berger Chérèque déclare le dimanche 10 que « le 12 sera le dernier moment pour protester », mais le 11 il déplore que « le gouvernement (ait) besoin de l’affrontement ». La CFDT joue beaucoup plus gros qu’en 2003 et risque l’effondrement total si elle signe encore ce coup-ci l’arrêt du mouvement de protestation. La CGT aussi que l’on nous a suffisamment décrite jusqu’ici comme collée à la CFDT majoritaire, mais dont Titi Bernard ne cesse de tortiller du cul quand son acolyte Didier Le Reste (en effet) prétend parler au nom de la base et laisser décider la base. Après la tactique d’épuisement, les bonzes stratèges veulent nous faire le coup de la démocratie à la base, autrement dit le meilleur moyen pour eux de torpiller l’atmosphère de combat secteur par secteur en pourrissant toute coordination de la généralisation.
Tragique paralysie, le gouvernement Sarkozy ne peut plus reculer lui-même que ses syndicats. Et à tout prendre, la bourgeoisie préfèrerait une défaite de l’oligarchie sarkozienne à une défaite de ses derniers barrages corporatifs. Fillon et Woerth étant déjà des fusibles grillés, si ça coince le principal fusible de la bourgeoisie, un pâle remaniement ministériel ne rétablira pas le courant républicain anti-social et le roi Sarko, sautera, et également sa suppression anticipée de la retraite des travailleurs mais aussi les dites réformes (coups de poignards sociaux) de 1993 et 2003.
Des anarchistes incontinents ont pu déplorer qu’il n’y ait pas de casse à la fin de chaque JA programmée comme un enterrement. Tant pis pour eux. Ceux qui manifestent, même en partie membres des appareils ou employés obligés de municipalités staliniennes, même faiblement syndiqués, sont des salariés qui n’ont pas envie de brûler les voitures d’autres prolétaires, ne sont pas des émeutiers vulgaires de banlieue. C’est en cela que le mouvement reste une force tranquille un peu aveugle mais nullement décidée à se laisser entrainer dans l’impasse de la violence ou de la bagarre de rue. C’est aussi ce qui explique l’aspect légal de la protestation jusqu’à maintenant. Déborder le cadre légal autorisé ne signifierait pas simplement un combat en infériorité face à l’armada des robocops policiers en grand nombre qui encadrent et filment les manifestations, mais du sang versé. En prenant conscience de leur force les masses savent qu’on peut éviter de verser le sang, qu’il n’est pas besoin de barricades pour inquiéter et contrer le pouvoir bourgeois cynique. Il suffit de paralyser l’économie, ce que les syndicats redoutent par-dessous tout. C’est pourquoi les syndicats, en catimini avec les plénipotentiaires du gouvernement jouent la carte des lycéens. En envoyant les lycéens au casse-pipe – lesquels se soucient peu de savoir à qui appartiennent les voitures garées le long des trottoirs – l’Etat et ses syndicats ont une chance de pouvoir « retourner l’opinion » et généraliser l’amertume de la défaite.
Nous serions en train de vivre un retournement de situation en faveur d’une victoire des prolétaires selon les sergents recruteurs gauchistes du syndicalisme ? Voire un nouveau mai 68 pour les plus surexcités. Même une chute du roi Sarko, avec une dissolution de l’Assemblée nationale, ne ferait pas reculer la bourgeoisie. Un mouvement social qui s’étend n’a pas besoin de parti ni de programme défini à l’avance, Mai 68 avait bien surpris tout le monde. Ce qui serait surprenant aujourd’hui c’est qu’après tant de manœuvres la protestation sociale puisse retrouver un second souffle. Or, contrairement à 1968, 1995, 2003, 2007, et vers la fin du mouvement il ne s’élève pas une critique majeure contre le travail de dispersion syndical dûment coordonné. Sans confrontation conscience et claire avec les bergers syndicaux la protestation est condamnée à la défaite. A ceux qui croient encore que les syndicats sont AVEC nous, je demande d’imaginer une seconde si les milliers de robocops policiers qui seront aussi dans les manifestations sont avec nous ? (quoiqu’ils soient aussi marrons pour leur retraite, mais on va m’accuser le chercher à miner le moral de l’armée).
Ce qui reste important ce n’est pas non plus de déborder les syndicats par le bas de leur appareillage composés de rabatteurs, mais de chasser des assemblées et des manifestations ces avocats ubiques de la bourgeoisie.
Bonne promenade.

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