« J’ai bien le droit de dire qu’il y a là un artifice de révolution ». Il ne suffira pas de poser d’abord la grève générale pour en faire ensuite réussir la révolution. D’ailleurs, et c’est là surtout qu’est l’illusion d’un grand nombre de militants, il n’est pas démontré du tout que la grève générale, même si elle prend en effet un caractère révolutionnaire, fasse capituler le système capitaliste. La grève générale, impuissante comme méthode révolutionnaire, n’en est pas moins, par sa seule idée, un indice révolutionnaire de la plus haute importance. Mais la classe ouvrière serait dupe d’une illusion funeste et d’une sorte d’obsession maladive, si elle prenait ce qui ne peut être qu’une tactique de désespoir pour une méthode de révolution ».
Jaurès 1901
« Or, il faut bien en convenir, le mot révolution, évocateur des vieux modes de révolte, n'a plus le don d'émouvoir nos adversaires de classe. Contre une éventualité de ce genre, ils ont pris tant de précautions que leur sécurité paraît désormais assurée ».
Aristide Briand 1901
SUIVI de "L'exégèse révisionniste" de Sidney Hook"
Aucune grève générale n'a amené une révolution ni empêché les guerres mondiales, mais je veux bien qu'on me le démontre. Le slogan « Grève générale » tagué à tout bout de champ par n'importe quel anarchiste ou gauchiste révisionniste est creux et historiquement creux. Seuls des ignorants peuvent faire croire à un caractère révolutionnaire d'un tel slogan qui habite encore la conscience étroite de générations de gauchistes simplistes. Le concept de grève de masse, véhiculé par Rosa Luxemburg et imité par ce qu'on nomma longtemps l'ultra-gauche de classe, puis maximalisme, n'est pas différent non plus de la notion mystifiante de grève générale, c'est la même chanson d'un grand soir qui paralyserait tout et par magie ouvrirait la voie à la société sans classes.
Un peu d'histoire sur cette vieille et longue mystification qui a toujours conduit la plupart de ses tenants acharnés à se mettre au service de l'Etat bourgeois comme le fameux Aristide Briand caché derrière sa grosse moustache.
A la toute fin du 19e siècle, en France, le parti socialiste s'était doté d'un « Comité de la Grève Générale ». Le futur ministre du gouvernement de la Défense nationale en avait fait son cheval de bataille :
« Camarades,
Malgré une opposition acharnée, et pour ainsi dire systématique, la conception de la Grève générale avait fait, sous l'influence des décisions corporatives, de tels progrès dans le monde des travailleurs syndiqués, que le Congrès général du ¨Parti Socialiste a dû se décider à donner son adhésion quasi-unanime à ce mode d'action révolutionnaire.
Il a compris que le prolétariat, las des vagues formules déclamatoires, des vaines protestations révolutionnaires, exigeait maintenant autre chose que des mots.
Le Comité de la Grève générale, fondé de pouvoir des Congrès nationaux ouvriers, croit avoir le droit de se féliciter d'un tel résultat auquel sa propagande active, incessante, n'a certes pas été étrangère.
En prenant la résolution de publier le discours prononcé par le citoyen ARISTIDE BRIAND devant le congrès du Parti socialiste, le Comité est certain de répondre au désir que lui ont maintes fois manifesté les militants de posséder une brochure sur la Grève générale où pourrait s'alimenter leur propagande.
Tous les travailleurs savent le zèle infatigable avec lequel, sans se laisser rebuter un seul instant par les attaques passionnées de ses adversaires, le citoyen ARISTIDE BRIAND, qui s'était fait le champion de cette idée a, par la plume et la parole, mené campagne en faveur de la Grève générale. Son discours devant le Congrès du Parti socialiste était déjà un exposé clair, précis et éloquent, de tous les arguments qui militent en faveur de ce mode d'action révolutionnaire ».
La plaidoirie généraliste du futur ministre de la Guerre :
«… Je fais, dès à présent, cette déclaration que je ne suis pas, sur ce point à l'ordre du jour, en
communion d'idées avec tous mes camarades de l'organisation à laquelle j'appartiens... Je ne suis pas partisan de la grève, j'entends de la grève partielle. Je la juge néfaste, et même quand elle donne des résultats, je considère qu'ils ne compensent jamais les sacrifices consentis. La grève partielle est presque toujours vouée à l'impuissance, parce que les ouvriers engagés dans un conflit ne se trouvent jamais, en réalité, aux prises avec des patrons isolés. Les travailleurs en grève sont bien réellement isolés, eux, même quand ils ont l'aide morale et matérielle du prolétariat. Qu'est cet appui à côté de celui que trouvent les patrons auprès des pouvoirs publics ? Le patron n'est jamais seul ; il a toujours avec lui, pour lui, tous les moyens de pression dont dispose sa classe, l'ensemble des forces sociales organisées : magistrature, fonctionnaires, soldats, gendarmes, policiers (Vifs applaudissements.)
(…) J'attends que les adversaires de la grève générale viennent exposer les raisons qui leur ont, dès l'origine, fait considérer cette idée comme une utopie. Je considère, moi, qu'elle est au contraire, essentiellement pratique. (…) C'est du reste, dans cet esprit que, pour la première fois, au Congrès corporatif de Marseille, fut votée, en 1892, l'organisation de la grève générale ».
Briand regrette ensuite que Jules Guesde et Paul Lafargue (et aussi Jaurès) aient combattu l'idée de grève générale comme utopique et décevante.
« … Je prévois qu'on me fera cette objection : « Mais si la Grève générale, c'est la Révolution, pourquoi ne pas aller droit au but, en préconisant directement la Révolution ? ». D'autres diront : « La Révolution ne s'organise ni ne se décrète, elle ne dépend pas de la volonté des individus ; elle est le résultat de circonstances, le point culminant de l'évolution : elle s'impose aux hommes... ». Vous voyez que je n'essaie pas d'esquiver les difficultés de la discussion.
Je conviens, citoyens, que la Grève générale, la Révolution, ne peuvent être décrétées d'avance pour une date ferme ; je conviens que la Révolution, malheureusement, ne dépend pas de quelques bonnes volontés, sans cela, il y a longtemps que vous l'auriez faite. Je ne nie pas le rôle prépondérant de l'évolution et des circonstances » (Vifs applaudissements).
(…) Les travailleurs comprennent que la révolution de demain, celle qui émancipera le prolétariat, ne peut être efficacement tentée par les vieux procédés révolutionnaires. Non pas, camarades, que je les réprouve. Je suis de ceux qui se feront toujours scrupule de décourager les bonnes volontés sous quelques formes elles se manifestent1. Allez à la bataille avec le bulletin de vote si vous le jugez bon, je n'y vois rien à redire. J'y suis allé, moi, comme électeur, j'y suis allé comme candidat, et j'y retournerai sans doute demain. Allez-y avec des piques, des sabres, des pistolets, des fusils : loin de vous désapprouver, je me ferai un devoir, le cas échéant, de prendre une place dans vos rangs (…) La réussite d'une révolution, à quoi tient-elle ? (…) Eh ! Oui, citoyens, si la Commune a été vaincue, c'est surtout parce qu'elle a été isolée dans Paris (Applaudissements). Avec la Grève générale, un pareil inconvénient n'est pas à craindre. C'est presque simultanément, sur tous les points du territoire, que la bataille s'engagerait. La mobilisation des travailleurs serait aussi rapide que celle des soldats (sic ! JLR), et c'est partout à la fois que la bourgeoisie aurait à faire face au danger ».
JAURES CONTRE L'AUTOMATISME GREVEGENERALISTE
Si le ponte socialiste Briand considérait déjà les travailleurs comme des soldats, ce ne fût jamais le cas de Jaurès. Sur un apport de la conscience de l'extérieur, Jaurès écrit par contre en 1901 : « S’imaginer qu’une révolution sociale peut être le résultat d’un malentendu, et que le prolétariat peut être entraîné au delà de lui-même, c’est, qu’on me passe le mot, un enfantillage. La transformation de tous les rapports sociaux ne peut être l’effet d’une manoeuvre »2.
Jaurès ridiculise ainsi par avance, et involontairement, la formule contestable (quoi qu'un peu trop contestée par nos ennemis) du Lénine de 1903 - « la conscience de classe apportée de l'extérieur du prolétariat par des intellectuels bourgeois ». Notons au passage que la plupart des historiens, pour ne pas dire tous, et en tant qu'histrions ignorants, ainsi que les pamphlétaires anti-communistes primaires, ont toujours ciblé Lénine sur cette formule sans rappeler qu'il l'a remise en cause peu après, disant qu'il s'était mal exprimé3, et visait une période dépassée de la lutte des classes. Je pense être le seul à avoir opéré cette rectification mais hélas seulement dans les débats internes dans le CCI au cours des années 1980. La classe exploitée n'a pas eu besoin au niveau mondial qu'on lui explique comment elle était exploitée, mais à travers sa rectification (face à Martynov je crois), Lénine maintenait le fond de la question : sans organisation pas de révolution. Les radotages formels et superficiels des historiens de pacotille sur les hypothétiques relations prolétariat/intelligentsia relevaient de l'enculage de mouche et d'esquiver une autre question, plus troublante pour le persistant trade-unionisme conseilliste, la prééminence théorique du parti sur l'économisme syndical. Comme vous l'expliquera très bien, par après, Sidney Hook montre que le syndicalisme fût à l'origine un embryon d'organisation de classe, mais qui, comme le déplora Lénine, resta sur le terrain économique et vira à l'anti-politique ; chose qui est encore plus criante de nos jours dans une situation d'implosion de la société où tous les défauts antérieurs et historiques du syndicalisme se répètent en tournant en rond, avec confirmation de leur fonction officielle de sabotage professionnel de la lutte de classe, en agitant bien sûr le mythe de la « grève générale » qui ne vient jamais et ne viendra jamais4.
Jaurès avait aussi en tête comme Lénine le souci de la prééminence théorique et politique du parti.
Il écrit à la même époque, quelques mois après de discours de Briand :
« Mais, ici, il ne faut pas d’équivoque. Il ne faut pas s’imaginer que le mot de grève générale a une vertu magique et que la grève générale elle-même a une efficacité absolue et inconditionnée. La grève générale est pratique ou chimérique, utile ou funeste, suivant les conditions où elle se produit, la méthode qu’elle emploie et le but qu’elle se propose.
Il y a, à mon sens, trois conditions indispensables pour qu’une grève générale puisse être utile : — 1° il faut que l’objet en vue duquel elle est déclarée passionne réellement, profondément, la classe ouvrière. — 2° il faut qu’une grande partie de l’opinion soit préparée à reconnaître la légitimité de cet objet. — 3° il faut que la grève générale n’apparaisse point comme un déguisement de la violence, et qu’elle soit simplement l’exercice du droit légal de grève, mais plus systématique et plus vaste, et avec un caractère de classe plus marqué ».
«(...) Enfin, je dis que si la grève générale est présentée et conçue non comme l’exercice plus vaste et plus cohérent du droit légal de grève, mais comme le prodrome et la mise en train d’une action de violence révolutionnaire, elle provoquera d’emblée un mouvement de terreur et de réaction auquel la fraction militante du prolétariat ne suffira point à résister.
C’est pourtant à cette conception que se sont arrêtés quelques-uns des théoriciens de la grève générale. Ils croient que la grève générale des corporations les plus importantes suffira à déterminer la révolution sociale, c’est-à-dire la chute de tout le système capitaliste et l’avènement du communisme démocratique et prolétarien.
Mais y a-t-il ainsi des chances de succès ? Je ne le crois pas. D’abord, la classe ouvrière ne se soulèvera pas pour une formule générale, comme serait l’avènement du communisme. L’idée de révolution sociale ne suffira pas à l’entraîner. L’idée socialiste, l’idée communiste est assez puissante pour guider et ordonner les efforts successifs du prolétariat. C’est pour s’en rapprocher tous les jours, c’est pour la réaliser graduellement qu’il s’organise et qu’il lutte. Mais il faut que l’idée de révolution sociale prenne corps dans des revendications précises pour susciter un grand mouvement.
Pour décider la classe ouvrière à quitter en masse les grandes usines et à entreprendre contre toutes les forces du système social une lutte à fond, pleine d’inconnu et de péril, il ne suffit pas de dire : communisme ! Car immédiatement les prolétaires demandent : « lequel ? Et quelle forme aura-t-il demain si nous sommes vainqueurs ? » et ce n’est pas pour un objet trop général et d’un contour trop incertain que se produisent les grands mouvements. Il leur faut un point d’appui solide, un point d’attache précis ».
L'EXEGESE REVISIONNISTE5
par Sidney Hook
traduit de l'allemand par Mario Rietti
Les premières réactions critiques à l'orthodoxie marxiste officielle se manifestèrent en France. Ici fleurissaient encore les traditions de Blanqui, de Proudhon et Bakounine. Elles étaient renforcées vers la fin du siècle par l'existence d'un parti socialiste dont l'aile gauche était partagée, comme le parti allemand, entre une phraséologie révolutionnaire et une action réformiste, et dont l'aile droite fournissait régulièrement des ministres et des gouvernements bourgeois de coalition. La forme républicaine du gouvernement, l'existence dans la bourgeoisie d'une couche radicale conduisant la lutte contre le cléricalisme, les derniers vestiges de l'idéologie de la révolution française et du socialisme petit-bourgeois de 1848 obscurcissaient dans l'esprit de nombreux socialistes la différence pratique fondamentale entre un parti du prolétariat et les autres partis.
Les syndicats, cependant, bataillant sur le front économique, étaient forcément obligés de ne pas perdre de vue l'issue principale de la lutte de classe. Ils cherchaient de se libérer des éléments des classes non ouvrières et à arriver à un mouvement socialiste prolétarien pur (le socialisme ouvrier). Le syndicalisme représentait la théorie et la pratique de ce mouvement. Il craignait tellement les dangers du parlementarisme qu'il se borna à organiser l'action économique directe qui prenait naissance dans la lutte spontanée des syndicats possédant une conscience de classe. Toutes les activités politiques étaient laissées de côté. Le pouvoir devait être conquis par la seule arme de la grève générale. Anti-intellectualistes de principe, en signe de protestation aussi bien contre la direction arriviste du parti socialiste que contre l'entière conception de conduite politique et théorique du dehors, ils ne développèrent aucune théorie systématique. Ils recherchaient l'unité dans la pratique empirique de la grève offensive et défensive. Bientôt, cependant, ils acceptèrent officieusement une formule de leur position établie par un groupe d'intellectuels « anti-intellectualistes », parmi lesquels Sorel, Lagardelle et Pelloutier (qui était aussi un fonctionnaire important) étaient les plus éminents. Ce fut Sorel un « vieux » marxiste, qui tenta d'établir les bases théoriques du mouvement.
Si Bernstein fut conduit à une révision du marxisme par l'acceptation de l'action politique actuelle des partis socialistes, Sorel entreprit de réviser Marx en partant d'un rejet complet de cette action politique. Même avant que les critiques eussent été connues à l'étranger, Sorel avait décidé de (cf. Matériaux d'une théorie du prolétariat), tâche qui dut être temporairement interrompue pendant l'affaire Dreyfus, mais à laquelle Sorel se consacra de nouveau ardemment lorsque, vers la fin du siècle, l'opportunisme politique ressuscita en France.
La position de Sorel et de ses disciples par rapport à Marx a été malheureusement mal comprise. L'impression courante (mise en circulation par les « orthodoxes ») que le syndicalisme était ouvertement anti-marxiste dans son origine, dans ses intentions et dans son action pratique, n'a aucun fondement. Il ne s'opposait pas tellement à Marx qu'à l'usage que l'on faisait de son nom. Sorel partagea longuement avec Labriola la réputation d'être l'esprit philosophique dominant parmi les marxistes. Cependant, épouvanté par les excès du ministérialisme parlementaire et par la vague du réformisme syndical en Allemagne, Sorel répudia les illusions pacifistes de Jaurès, et les formules endormantes et ambiguës de Kautsky comme également étrangères à la signification du Marxisme. Il combattit spécialement le fétichisme de la non-violence auquel étaient liés tous les leaders de la social-démocratie européenne à l'exception des Russes. Le marxisme, disait Sorel, c'est la théorie et la pratique de la lutte des classes. Puisque le principe de la lutte de classe a été pratiquement abandonné, sauf dans le mouvement syndical, seul le syndicalisme révolutionnaire peut être considéré comme le vrai héritier du marxisme. En vérité on trouve des critiques sans grande importance de la théorie marxiste éparpillée dans tous les écrits de Sorel ; mais partout où il parle de la décomposition du marxisme, il se réfère explicitement à la pratique réformiste et à la littérature apologétique du marxisme officiel. De Marx lui-même Sorel écrivit dans son œuvre la plus importante : « On ne peut fournir une meilleure preuve du génie de Marx que l'accord remarquable existant entre ses vues et les doctrines que le syndicalisme révolutionnaire est en train de construire aujourd'hui, lentement et laborieusement, en se tenant toujours strictement à des tactiques de grève » (cf. Réflexions sur la violence).Dans ses attaques contre les socialistes parlementaires et d'Etat à droite, et contre les groupes anarchistes et leur désir de l'autorité à gauche, Sorel pouvait justement se prétendre continuateur de Marx ; mais son oubli des critiques continuelles de Marx au sujet du cri : « pas de politique » des Proudhoniens et des Bakouninistes était si ouvert qu'il touchait presque à l'affectation. Puisque ces derniers étaient des anarchistes, prétendait Sorel, ce qui était vrai contre eux, ne pouvait pas aussi être vrai contre ceux qui, comme lui, les condamnait. Plus intéressante encore à cet égard est la note d'iconoclasme culturel qu'il fait retentir dans son insistance au sujet de la lutte de classe, note qui fut reprise par le mouvement international des travailleurs seulement après la Révolution russe. Les conflits économiques et politiques entre la bourgeoisie et le prolétariat sont en même temps des conflits culturels. Deux civilisations, dont les valeurs fondamentales ne peuvent être arbitrées par un appel à un devoir social objectif, s'affrontent dans un combat mortel. Il n'y a même pas un intérêt commun significatif à la lumière duquel ces revendications, qui se heurtent, puissent de façon désintéressée servir comme intérêts partiaux. Sorel rappelle à ceux qui veulent planer au-dessus de la mêlée pour avoir une vision plus large, que le devoir a une signification seulement « dans une société dans laquelle toutes les parties sont intimement liées et responsables les unes envers les autres ».
Sorel ne se contenta pas de souligner l'efficacité du sentiment révolutionnaire en tant qu'instrument. Il développa aussi une « logique » du sentiment sur le modèle bergsonien. C'était ce courant anti-intellectualiste de Sorel qui non seulement fît éclat dans les salons catholiques de la IIIe République, mais lui coûta bientôt le soutien des masses syndicalistes dans les intérêts desquelles il avait été élaboré. L'expression classique de l'irrationalisme doit être retrouvé dans sa théorie du « mythe ». Selon Sorel, un mythe est toute notion générale, croyance ou imagination qui conduit les hommes à une grande action sociale.
« Les hommes qui participent à un grand mouvement social se figurent toujours leur action future comme une bataille dans laquelle leur cause doit triompher...
« Je propose d'appeler « mythes » ces constructions dont la connaissance est si importante pour l'historien...
« La « grève générale » syndicaliste et la « Révolution catastrophique de Marx sont de tels mythes ».
Mais comment peut-on comprendre des « mythes » semblables ? Par une analyse attentive ? En distinguant entre ce qui est description et ce qui est prophétie ? En séparant les conséquences probables de l'action des conséquences désirées ? L'intuition le défend !
Un « mythe » n'est pas quelque chose qui puisse survivre à une analyse. C'est un manque d'intelligence que d'essayer de l'analyser. « Il doit être pris comme un tout, comme une forec historique ». N'est-il pas équivalent de caractériser le mythe de la grève générale comme une utopie ? Non pas ; la construction utopiste est le troisième membre de cette trinité d'abstractions viciées dont les deux autres membres sont le compromis socialiste et l'intransigeance anarchiste. Des utopies agissent avec des idées qui peuvent être discutées et réfutées ; un mythe, au contraire, est une émotion qu'on peut seulement traduire par l'action.
C'était sur cette fantaisie sur un thème de Bergson que l'on invitait le mouvement socialiste à mettre sa vie en jeu.
Par une pure violence intellectuelles, on transforme Marx de théoricien en poète de l'action sociale ; ses analyses rationnelles sont traduites en intuitions romantiques ; ses tentatives d'expliquer le processus de la production en une confirmation indirecte des mystères de la création.
« Aucun effort de la pensée, aucun progrès de la connaissance : aucune induction naturelle ne pourra jamais dissiper le mystère qui enveloppe le socialisme, et c'est parce que la philosophie de Marx a reconnu pleinement cet aspect du socialisme qu'elle a acquis le droit de servir comme point de départ de la recherche socialiste ».
Cette glorification de la violence incarnée dans la grève générale avait une influence éclaicissante dans l'atmosphère brumeuse du bavardage parlementaire. Elle ramena les « partisans de la légalité à tout prix » à la conscience d'eux-mêmes et les força à confesser ouvertement ce qu'ils s'étaient déjà confessés en secret, c'est à dire qu'ils désiraient constituer une nouvelle administration et non point créer une nouvelle forme d'Etat. Mais le syndicalisme ne pouvait apporter par lui-même une méthode spécifique qui aurait permis de détruire le vieil Etat, à part celle qui consistait à prétendre l'ignorer. La grève générale, qui était proposée comme panacée tactique, n'était qu'une conception hautement abstraite. La grève générale était considérée comme une arme technique qu'on pouvait employer à volonté au lieu d'une réaction politoco-économique contrôlée, provenant d'une situation historique concrète. On la prenait pour un simple acte économique isolé au lieu d'une phase d'un processus politique révolutionnaire. Les syndicalistes ne comprenaient pas qu'une grève générale ne pouvait à elle seule produire une situation révolutionnaire ; son efficacité dépendait au contraire de ce qu'elle se produisait ou non pendant une situation révolutionnaire. Le manque de pensée dialectique se vengeait de nouveau d'eux en les conduisant dans une position qui, en pratique, n'était pas différente de celle de leurs adversaires, les marxistes « orthodoxes ». Leur but n'était pas lié avec leurs moyens.
Jusqu'en 1914 le résultat positif du mouvement syndicaliste fut de garder les syndicats français libres de l'influence du réformisme parlementaire. Mais comme les IWW américains, au lieu de bâtir un parti révolutionnaire, ils proclamèrent qu'ils voulaient rester « éloignés de tous les partis ». Mais, au lieu d'avoir confiance dans leur sincérité révolutionnaire enflammée pour se libérer de l'infection de la « sale politique », ils s'en protégeaient avec la seule formule de « pas de politique ». Et, au lieu de distinguer entre la légitime indépendance d'organisation des syndicats de tout parti politique et de leur inévitable acceptation d'une philosophie politique, ils confondirent les deux dans la Charte d'Amiens de 1907, de façon qu'indépendance d'organisation finit par signifier dans leur esprit : indépendance politique. En réalité, elle ne signifiait rien de ce genre. La lutte économique est toujours une lutte politique. Même avant la guerre il était bien clair que l'Etat ne pouvait être éliminé simplement parce que la théorie et le programme syndicaliste refusaient de reconnaître la nécessité de le combattre sur le front politique. Et pendant la guerre, lorsque l'Etat écrasa le mouvement syndical en Amérique, et le corrompit en France, on eut la meilleure preuve que la maxime être , signifie être aperçu n'est pas plus valable en politique qu'en philosophie.
La philosophie syndicaliste se motivait de deux façons. Politiquement elle tâcha de convertir une guerre d'usure pour de petites réformes en une campagne d'action directe pour la révolution sociale. C'était une protestation contre la composition hétérogène des partis socialistes dont de si nombreux leaders n'étaient que des arrivistes, des indigents par profession, des boutiquiers éloquents et des personnalités frisant une bohème d'opérette. Indiquez que la « grève générale » sera une chose sérieuse, peut-être sanglante, et, d'un seul coup, vous écartez tous ces intellectuels qui « ont embrassé la profession de penser pour le compte du prolétariat ». Théoriquement, en niant qu'on puisse prédire le futur quelle que soit la quantité de données scientifiques qu'ont ait sous la main, elle amenait l'attention sur la nécessité de risquer quelque chose dans l'action, les motifs bergsoniens usuels servaient à affirmer que l'analyse ne peut au grand jamais rendre l'existence, surtout dans son aspect dynamique. C'est seulement à travers la sensation que l'on arriverait à saisir le changement, et la sensation pourrait être exprimée seulement par l'action. La pensée suivrait l'action et déduirait ses critères de validité des succès enregistrés. Toute façon de penser qui vous amène où vous voulez aller est valable. Mais puisque ce « où vous voulez aller » est une sensation qui défie toute description, la question de savoir « si vous êtes arrivés où vous vouliez aller » peut être résolue seulement après l'action, et seulement par une autre sensation. La position entière finit par se jeter dans une variété erronée de pragmatisme jamesien.
Le mouvement syndicaliste était un parti révolutionnaire embryonnaire. Ne se reconnaissant pas pour ce qu'il était réellement, il finit par se désagréger, et son énergie et son zèle révolutionnaires furent dissipés. Le maximum que les syndicalistes purent obtenir fut d'épouvanter l'Etat, et non de le conquérir. Un critique les caractérisa avec beaucoup d'à propos : « Les cavaliers sans tête de la Révolution galopant furieusement dans toutes les directions à la fois ».
NOTES
1Comme ministre du gouvernement bourgeois Briand a pourtant sans scrupules brisé par la suite les grèves des années 1906 et suivantes.
3Je persiste à penser que la formule pour l'époque en Russie n'était pas fausse vu le niveau moyen du prolétaire-moujik, qui fait même plutôt penser au niveau moyen du gilet jaune français ignorant tout du mouvement ouvrier et arcbouté sur un supplément d'âme démocratique bourgeoise.
4Ce hochet à gauchistes est indélébile même dans la cervelle étroite de Ratinaud/Aucordier, une pauvre hère qui vient m'insulter sur ce blog depuis au moins quatre ans et me couvrir de tous les péchés de la terre. Je ne jetais plus un œil sur la partie commentaires du blog où se déposaient les merdes à Eric Ratinaud ou des requêtes soit d'un millénariste soit d'une mamma africaine souhaitant un prêt de 10.000 euros, mais je viens de m'apercevoir que des gens intelligents politiquement ont fini par venir donner leur avis ; je répondrai en temps utile à tous. Par contre je ne débats pas avec les malades mentaux. Ratinaud de Ballancourt (Essonne) s'est permis un bla-bla inconsistant sur la grève générale (surtout qu'il n'a jamais fait grève et a peur de descendre dans la rue) ; sans moyen de démonstration de sa lamentable gréviculture, et dans une ignorance crasse des débats du mouvement ouvrier (à cheval sur les 19e et 20e siècle) ; il est venu poser ses chiures de mouche dans les commentaires que j'ignore en général et je me fiche du caca nerveux de cet indigent et de sa groupie pensionnaire d'hôp psy, Gwendodue. Ces deux crétins passent leur temps sur la poubelle à réseaux sociaux à humilier leurs éventuels contradicteurs, sur le mode réchauffé "secte spectacist" et esprit stalinien "es-tu là"?. Lui n'est qu'un poltron qui sait qu'il n'a pas intérêt à croiser ma route. Mais je réserve plutôt une bonne branlée à Cousin si je le croise, le facho ultra-gauche à face de mongolien – qui m'insulte régulièrement lui aussi dans les commentaires sous de faux pseudos. Autant le PN de Ballancourt est un raté bon à rien et fait donc pitié, autant Cousin est un exploiteur installé au mode de vie bourgeois. Un mien ami, devenu sympathisant du CCI, avait demandé un RV pour discussion politique, Cousin suite à l'entretien, posant en qualité de psy, lui a présenté la facture : 90 euros ! Ce genre de personnage est en effet plus dangereux, non pas idéologiquement (son discours est un galimatias imbuvable, copiant vieilleries situs et radotages ultra-gauches et il est vraiment con) mais pour votre porte-monnaie !
5Il s'agit du chapitre 5 de « Pour comprendre Marx », édité en France par Gallimard en 1936.
TABLE DE MATIERES
PREMIERE PARTIE : A LA RECHERCHE DE MARX
CHAPITRE PREMIER. INTRODUCTION
II. DE LA COMPREHENSION HISTORIQUEME
III. « DER KAMPF UN MARX »
IV. LA CANONISATION ORTHODOXE
V. L'EXEGESE REVISIONNISTE
VI. L'HERESIE SYNDICALISTE
VII. LENINE : RETOUR A MARX
VIII. LE MARXISME EN TANT QUE METHODE
DEUXIEME PARTIE : LA PHILOSOPHIE DE MARX
IX. LA DIALECTIQUE MARXISTE
X. DIALECTIQUE ET VERITE
XI. LA CONCEPTION MATERIALISTE DE L'HISTOIRE
XII. CE QUE LE MATERIALISME HISTORIQUE N'EST PAS
XIII. PROBLEMES DE MATERIALISME HISTORIQUE
XIV. L'ECONOMIE SOCIOLOGIQUE DE MARX
XV. LA PHILOSOPHIE DE L'ECONOMIE POLITIQUE
XVI. LA LUTTE DES CLASSES ET LA PSYCHOLOGIE SOCIALE
XVII. LA THEORIE DE L'ETAT
XVIII. LA THEORIE DE LA REVOLUTION
XIX. DICTATURE ET DEMOCRATIE ;
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