Le moins con
des cinéastes pro-situationnistes ? Il faut revoir le film de Godard « La
chinoise » (1967), non pour y retrouver un film morose comme les critiques
à courte vue du cinéma se complaisent à le décrire, ni pour encenser sa
réputation surfaite d’avoir été prémonitoire de mai 68 (croyance des vieux
profs en retraite). « La chinoise » provoque une saine jubilation. Ces
neuneus, enfermés dans l’appart à Godard passent leur temps à faire des
inscriptions murales à mourir de rire. Moquerie de la « lutte
anti-impérialiste » quand ces idiots jouent à la guerre du Vietnam avec
des maquettes. Léaud déguisé ou avec son arc et ses flèches est impayable. Le
leader africain, étudiant maoïste à Nanterre, qui joue son propre rôle de
propagandiste de foire, fait pitié . Le
philosophe F.Jeanson a l’air con. Wiazemski, avec sa trogne enfarinée et sa
perpétuelle moue boudeuse, joue à fond la convertie récente sectaire et hors réalité.
Il ne manque que le grand pote à Godard, Cohn-Bendit, mais il faisait partie de
l’autre bande anar de Nanterre, les anars intelligents, face aux anars gogols,
la dizaine de mao qui fût beaucoup plus mis en vedette par les médias bourgeois
because plus capables (par eux-mêmes) de ridiculiser le stalinisme juvénile.
Godard atteint le sommet de l’ambiguïté, d’une perversion à la croisée des
chemins idéologiques : plus que d’un début d’engagement il recherchait la
reconnaissance du monde du théâtre (Jean Vilard qui accepte la projection à
Avignon) et de l’avant-garde des petits bourgeois radicalisés. Inconsciemment,
en ne recherchant pas la reconnaissance politique mais artistique il côtoie
plus la vérité politique qu’il n’agrège à un mensonge propagandiste grossier.
En vérité
Godard n’est pas encore maoïste au moment du tournage. Film de dérision, il
nous montre en réalité le ridicule des militants maoïstes, confondant,
délirant, pathétique. On explose de rire à chaque séquence, comme nous étions
quelques uns au lycée Buffon et à Censier à exploser de rire dès 67 face aux
discours d’estrade des fils néo-staliniens de grands bourgeois. Godard est un
artiste peintre, figuratif, il ne se rend pas compte de ce que sa sensibilité
ne peut transcender une théorie de débiles profonds. Il est si naïf, comme le
révèle son ex-compagne l’actrice Anne Wiazemski, sponsorisée par le trust Gallimard,
qu’il va porter copie du film à l’ambassade de Chine, et reste interloqué qu’on
l’ait viré à coups de pieds au cul. En vérité « La chinoise » est le
meilleur film situationniste, le plus beau déshabillage du crétinisme maoïste,
la dénonciation imagée la plus crue de « la révo cul dans la Chine pop ».
Le littérateur précieux Guy Debord, lui qui s’était moqué de Godard, n’a
produit que des merdes à l’écran. Sa critique antérieure de Godard était
valable en 1966, elle ne l’est plus en 1967, où Godard s’est deborisé, et a
plagié l’imagerie situ. Il peut paraître curieux que Godard soit si anti-maoïste
avant de le devenir comme un abruti mené par le bout du nez par le guru Gorin
pendant les quatre années suivantes. La fin des sixties c’est l’effet
renversant ; moi-même il n’y avait pas plus anti-marxiste à la veille de
mai 68, retournement complet après et depuis.
Star
culturelle des sixties Godard se fracasse à la projection de « La chinoise »
à Avignon. Pensez, les maoïstes sont ulcérés et ne veulent plus le fréquenter ;
la clientèle stalinienne des théâtreux le considère comme un traître car les « rigolos »
« aventuristes », quoique simples acteurs, les traitent de « révisionnistes »
tout au long du film. Danger commercial, le PCF a programmé toujours la pluie
et le beau temps en France depuis la Libération. Godard replonge dans l‘ombre du sectarisme du
groupe « Dziga Vertov », dont il ne ressortira pas indemne, fragilisé
et pour produire un cinéma commercialisable dans l’antre du capitalisme
récupérateur.
Les néo-néo
situationnistes avec Agamben (pape des tarnaciens en résurrection)[1]
continuent le culte voué à Debord l’arrogant littérateur disparu. Or, Debord s’était
très bien moqué de tous ses pseudos et
futurs héritiers parasites et sans imagination, tels le pervers Sollers et le
confus Agamben ; ce dernier ne trouve pas mieux que de réunir le
commercial Godard et le Debord gallimardisé : « Chaque moment, chaque image est chargée
d'histoire, parce qu'elle est la petite porte par laquelle le Messie entre.
C'est cette situation messianique du cinéma que Debord partage avec le Godard
des Histoire(s) du cinéma. Malgré leur ancienne rivalité - Debord avait
dit en 68 de Godard qu'il était le plus con des Suisses prochinois -, Godard a
retrouvé le même paradigme que Debord avait été le premier à tracer ». (
Le cinéma de Guy Debord Image et mémoire
Giorgo Agamben, 1995).
Deux
différences, Godard a fait avec « La chinoise » ce que Debord a été
incapable de réaliser avec ses navets creux. Deuxio, le film qui sera capable
de ridiculiser les intellectuels et artistes situationnistes et dérivés
modernes, comme Godard a été capable de le mettre en image excellemment bien avec « La
chinoise », reste à produire. Le scénario est prêt, il est contenu dans
mon livre « Précis de communisation » (qui frémit à nouveau à la
vente). Avis aux cinéphiles maximalistes!
LE ROLE DE GODARD (1966)
« DANS LE CINÉMA, Godard représente actuellement la pseudo-liberté formelle et la
pseudo-critique des habitudes et des valeurs, c’est-à-dire les deux
manifestations inséparables de tous les ersatz
de l’art moderne récupéré. Ainsi tout le monde s’emploie à le présenter comme
un artiste incompris, choquant par ses audaces, injustement détesté ; et
tout le monde fait son éloge, du magazine Elle à Aragon-la-Gâteuse. On développe de la sorte, en dépit du
vide critique que Godard trouve devant lui, une sorte de substitut de la
fameuse théorie de l’augmentation des résistances en régime socialiste. Plus
Godard est salué en génial conducteur de l’art moderne, plus on vole à sa
défense contre d’incroyables complots. Chez Godard, la repétition des mêmes
balourdises est déconcertante par postulat. Elle excède toute tentative
d’explication ; les admirateurs en prennent et en laissent dans une
confusion corrolaire à celle de l’auteur, parce qu’ils y reconnaissent
l’expression toujours égale à elle-même, d’une subjectivité. C’est bien vrai ; mais cette subjectivité se
trouve être au niveau courant du concierge informé par les mass media. La « critique »
dans Godard ne dépasse jamais l’humour intégré d’un cabaret, d’une revue Mad. L’étalage de sa culture recoupe
celle de son public, qui a lu précisément les mêmes pages aux mêmes pocket books vendus à la bibliothèque
de la gare. Les deux vers les plus connus du poème le plus lu du plus surfait
des poètes espagnols (« Terribles cinq heures du soir — le sang, je ne
veux pas le voir » dans Pierrot-le-Fou),
voilà la clé de la méthode de Godard. Le plus fameux renégat de l’art
révolutionnaire, Aragon, dans Les
Lettres Françaises du 9 septembre 1965, a rendu à son cadet
l’hommage qui, venant d’un tel expert, convient parfaitement :
« L’art d’aujourd’hui, c’est Jean-Luc-Godard… D’une beauté surhumaine…
Constamment d’une beauté sublime… Il n’y a d’autre précédent que Lautréamont à
Godard… Cet enfant de génie. » Les plus naïfs s’y tromperont difficilement
après de tels certificats.
Godard est un Suisse de Lausanne qui a envié le chic des Suisses de Genève,
et de là les Champs-Élysées, et le caractère provincial de cette ascension est
la meilleure marque de sa valeur éducative, au moment où il s’agit de faire
accéder respectueusement à la culture — « si moderne qu’elle puisse
être » — tant de pauvres gens. Nous ne parlons pas ici de l’emploi,
finalement conformiste, d’un art qui se voudrait novateur et critique. Nous signalons
l’emploi immédiatement conformiste du cinéma par Godard.
Certes, le cinéma, ou aussi la chanson, ont par eux-mêmes des pouvoirs de
conditionnement du spectateur ; des beautés, si l’on veut, qui sont à la
disposition de ceux qui ont actuellement la parole. Ils peuvent faire jusqu’à
un certain point un usage habile de ces pouvoirs. Mais c’est un signe des
conditions générales de notre époque, que leur habileté soit si courte, que la
grossièreté de leurs liens avec les habitudes dominantes révèle si promptement
les décevantes limites de leur jeu. Godard est l’équivalent cinématographique
de ce que peuvent être Lefebvre ou Morin dans la critique sociale ; il possède l’apparence d’une certaine
liberté dans son propos (ici, un minimum de désinvolture par rapport aux dogmes
poussiéreux du récit cinématographique). Mais cette liberté même, ils l’ont prise ailleurs : dans ce
qu’ils ont pu saisir des expériences avancées de l’époque. Ils sont le Club Méditerranée de la pensée
moderne (voir infra : L’emballage du « temps
libre »). Ils se servent d’une caricature de la liberté en tant que
pacotille vendable, à la place
de l’authentique. Ceci est pratiqué partout, et aussi pour la liberté
d’expression formelle artistique, simple secteur du problème général de la pseudo-communication.
L’art « critique » d’un Godard et ses critiques d’art admiratifs
s’emploient tous à cacher les problèmes actuels d’une critique de l’art, l’expérience réelle, selon les termes de
l’I.S., d’une « communication contenant sa propre critique ». En
dernière analyse, la fonction présente du godardisme est d’empêcher
l’expression situationniste au cinéma.
Aragon développe depuis quelque temps sa théorie du collage, dans tout l’art moderne, jusqu’à Godard. Ce n’est rien
d’autre qu’une tentative d’interprétation du détournement, dans le sens d’une récupération par la culture
dominante. Pour le compte d’une éventuelle variante togliattiste du stalinisme
français, Garaudy et Aragon s’ouvrent à un modernisme artistique « sans
rivages », de même qu’ils passent avec les curés « de l’anathème au
dialogue ». Godard peut devenir leur theilardisme artistique. En fait le collage, rendu fameux par le
cubisme dans la dissolution de l’art plastique, n’est qu’un cas particulier (un
moment destructif) du détournement : il est déplacement, infidélité de l’élément. Le
détournement, primitivement formulé par Lautréamont, est un retour à une
fidélité supérieure de l’élément. Dans tous les cas, le détournement est dominé
par la dialectique dévalorisation-revalorisation de l’élément, dans le
mouvement d’une signification unifiante. Mais le collage de l’élément
simplement dévalorisé a connu un vaste champ d’application, bien avant de se
constituer en doctrine pop’art,
dans le snobisme moderniste de l’objet déplacé (la ventouse devenant boîte à
épices, etc.).
Cette acceptation de la dévalorisation
s’étend maintenant à une méthode d’emploi combinatoire d’éléments neutres
et indéfiniment interchangeables. Godard est un exemple particulièrement
ennuyeux d’un tel emploi sans négation, sans affirmation, sans qualité ».
Internationale
situationniste n°12 (mars 1966), sans doute texte de Guy Debord.
[1]
Un retrait bancaire de Yldune, la compagne du chef des marginaux modernistes
qui avaient été la cible d’une campagne anti-terroriste de la mafia policière sarkozienne,
vient réduire à néant le montage policier ; ce qui ne change en rien notre
appréciation d’alors concernant la débilité politique de ces marginaux portés
aux nues par les Agamben et Cie, et sponsorisés « nouveaux Debord »
par papy Hazan éditeur. Ce dernier vient toutefois de publier un excellent
ouvrage « Une histoire de la révolution française » (ed La fabrique),
où il ne fait pas référence à mon propre livre mais va dans le même sens
concernant les fadaises sur la prétention de « la guerre révolutionnaire »
et l’invention de la notion de « terreur révolutionnaire » ;
autrement intéressant que le navet de Camoin (Smolny n’a toujours pas publié ma
critique à cet auteur qu’ils considèrent pourtant comme néo-stalinien). J’y
reviendrai.
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