"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 21 décembre 2011

LA DEMOCRATIE ET LE FUSIL A POMPE

LES PEUPLES ARABES EN REVOLTE? des "arriérés"? Ou L'ORCHESTRATION DE LA VIOLENCE SANS FIN CONTRE LES CIVILS PAR LES ETATS BOURGEOIS?


Ce monde en crise systémique se repait d’une violence quotidienne ahurissante. La violence est générée de haut en bas. Cohabitent plusieurs formes de violences pour l’heure au devant de l’actualité : une violence individuelle, basée essentiellement sur la vengeance par des sous-produits de cette même société qui humilie et paupérise, qui sont pointés du doigt comme « fou furieux », celui de Norvège, celui de Belgique. La réaction populaire est l’effroi et la consternation, suivies de prosternation devant la police d’Etat. La violence des gangs mafieux monte en puissance avec l’usage de kalachnikov (Grenoble, Marseille), suivie d’un espoir d’une police mieux armée pour « protéger les citoyens ».Dans les pays occidentaux, le spectacle sanglant du terroriste individuel est largement étalé, commenté, décrypté. Cette violence du terroriste individuel implique inéluctablement un regain de confiance ou plutôt d’espoir en un régime parlementaire de paix sociale, conséquences parfaitement négatives pour la violence révolutionnaire de classe à venir. Ainsi les émeutes de l’été dernier en Grande Bretagne, aussi primaires fussent-elles (pillage de magasins, incendies de véhicules) sont mises dans le même sac que l’attentat désespéré ; pire les médias nous informent de la connivence et lâcheté de la population (on ne précise jamais quelle catégorie) qui se démène pour fournir sur internet à la police des photos de manifestants dont on nous fait savoir que des centaines ont été alpagués par la justice britannique grâce cette collaboration « spontanée ».

Puis il y a cette violence récurrente, quotidienne dans le croissant arabe où on nous avait chanté les vertus d’une « révolution de jasmin ». Le jasmin a fané, et l’on ne nous parle plus que de « l’hiver arabe », des exactions des salafistes contre les coptes, des viols de femmes journalistes en Egypte, etc.

Pour s’y retrouver dans cette orchestration de la violence planétaire, il faut garder en tête deux facteurs :

- La confrontation déguisée des impérialismes, où d’Afghanistan, en Irak et en Libye, l’intervention de l’armada américaine ne rétablit aucun ordre mais sème le chaos ; il est imbécile d’en faire porter le chapeau à la seule prude America, car, comme dans une vulgaire bagarre de rue, on ne sait jamais qui a porté le premier coup, et, souvent quand la victime s’est débinée on a oublié qu’elle s’était livrée à la première provocation ;

- Face à la colère des peuples arabes, motivée en premier lieu par la crise économique qui frappe les maillons faibles de plein fouet (cf. les émouvants sacrifices en Tunisie, et les combats héroïques de la place Tahrir au Caire), la réaction perspicace de la bourgeoisie américaine avait été de lancer la mode de la démocratie représentative, après s’être convaincue que ses mercenaires locaux ne parviendraient pas à calmer la colère des peuples par des massacres incessants. L’entourloupe a fait long feu, comme lors de la libération des Etats européens du nazisme en 1945, les principales structures terroristes des Etats arabes sont restées en place. Dans un deuxième temps, la guerre en Libye a servi à éteindre un moment la soif de liberté et de travail des peuples.

L’élimination de Kadhafi n’a pas mis un point final au mouvement de révolte généralisé, non simplement du fait de la pagaille des clans bédouins incapables de plagier l’hypocrite démocratie représentative, mais parce que la misère est toujours là, croissante.

Les principaux impérialismes étaient complices depuis des mois pour renouveler le coup manqué en Libye, par le laisser-faire des massacres massifs en Syrie, lorsque le feu s’est rallumé en Egypte. La bourgeoisie maintenue au sommet de l’Etat égyptien, et dont l’armée criminelle est rétribuée par l’auguste impérialisme US, n’avait pas lésiné sur les provocations. Ses hommes de main ont été les auteurs des attentats contre les coptes.

Le 7 mai, 15 personnes avaient été tuées et plus de 200 blessées au Caire lorsque des « musulmans » ( ?) avaient attaqué deux églises, affirmant qu'une chrétienne convertie à l'islam était détenue dans l'un des lieux de culte. L’orchestration de la « montée des tensions confessionnelles », n’en était qu’à ses débuts. En octobre dernier après l’assassinat de 24 coptes et des centaines de blessés, la main sur le cœur, le Premier ministre Essam Charaf avait psalmodié que l'Egypte était "en danger". « La nation est en danger suite à ces évènements. Ces évènements nous ont ramenés en arrière (...) au lieu d'aller de l'avant pour construire un Etat moderne sur des bases démocratiques saines", avait-t-il ajouté. Sur sa page officielle sur Facebook, il avait appelé chrétiens et musulmans "à la retenue" et à ne pas céder aux "appels à la sédition". Ce pitre ne faisait que parer à la réponse déjà fournie par les prolétaires conscients du Caire qui, peu dupes de l’orchestration des tueurs des services secrets, avaient opposé leur colère dans la rue. A la fin de la journée du massacre des coptes, une foule avait marché vers l'hôpital en criant « Musulman, chrétien, une seule main », mettant fin aux violences près de l'établissement. Contrairement à la Syrie, à la Libye et au Yémen, l’Egypte, à l’immense population, contient une classe ouvrière expérimentée qui, des années 1970 à aujourd’hui, a su répondre par ses grèves de classe aux piétinements du pouvoir bourgeois. Plus qu’en Tunisie, la chute du dictateur égyptien a été provoquée – on l’oublie volontairement – par la grève générale en début d’année.

La nouvelle occupation de la place Tahrir est ramenée par les médias à ce simple constat : « Le peuple égyptien demande le transfert du pouvoir des militaires aux civils. En réponse, la violence à leur encontre s'accentue ». Et les médias se précipitent pour indiquer que le mouvement reste minoritaire, que la population des campagnes « ne suit pas » et a besoin « d’ordre ». Agitant alternativement fusil mitrailleur et urne représentative, la bourgeoisie cogne un jour et pleurniche le lendemain. Mais ne parvient pas à calmer la révolte. Les manœuvres pour la mise en place des premières législatives depuis l’éviction de Moubarak se déroulent depuis fin novembre dans une opacité et une violence sans fin de la part de l’Etat bourgeois maintenu tel que, avec ses assassins galonnés. Une nouvelle fois, il faut le crier bien fort, les islamistes ne sont pas à l’origine du regain de la colère, mieux ils collaborent totalement à la cuisine électorale. Mais ni leur victoire douteuse en Tunisie, ni déjà acquise en Egypte ne suffit à abuser les peuples.

Dans mon livre – Les avatars du terrorisme – j’ai utilisé certains commentaires de l’ouvrage intéressant de Mathieu Guidère (Les nouveaux terroristes). Je considérais que si une comparaison s’impose il faut placer sur le même plan stalinisme et islamisme : « …il n’est pas inutile d’esquisser un parallèle entre l’islamisme radical de nos jours et le communisme staliniste à l’heure de sa gloire idéologique et se son emprise sur les cœurs et les esprits. Beaucoup d’islamistes virulents étaient d’ailleurs, il y a quelques décennies encore des communistes convaincus (…) le traitement médiatique des événements est au cœur de la problématique terroriste, parce qu’il a un impact certain sur l’auto radicalisation des individus » (M.Guidère, op.cit.)[1]. Comme lors de l’effondrement du bloc de l’Est nous assistons depuis janvier 2011, non au simple renversement de dictatures sanglantes mais à l’effondrement du bloc islamiste qui démontre que la religion est aussi secondaire que le marxisme-léninisme désuet quand les peuples ont faim de liberté, de dignité et de travail. La collaboration empressée des islamistes au cirque électoral pluraliste truqué est la meilleure preuve de leur affaiblissement face à l’imparable crise systémique qui fait trembler le monde d’occident en orient. Je l’analyse ainsi dans mon nouveau livre : « La croyance électorale (Les élections piège à consultés) : « … avec l’agitation basique du cauchemar islamiste (pauvre imitation du fascisme), le pluralisme est en même temps intronisé comme garant d’une nouvelle dictature sans fard électoral : « Malgré les succès électoraux enregistrés par les partis religieux, le monde arabe est entré dans une phase post-islamiste. Quels qu’ils soient, les islamistes vont devoir changer leur logiciel et l’adapter à un cadre parlementaire. Plus personne n’est en mesure de revendiquer un monopole de l’islam (…) Pour ne pas encourager les tendances centrifuges, elle (la confrérie égyptienne) préfèrera s’allier à des groupes situés hors du champ islamiste »[2].

Le soulèvement des peuples arabes est un grand événement avant-coureur de l’explosion qui guette pareillement les anciens « pays riches », hyper… endettés et sans boussole désormais autre que « la démocratie » et le fusil à pompe.

C’est cette même démocratie sanglante qui fût jetée à la face des prolétaires européens désireux d’imiter la révolution prolétarienne russe. C’est cette même démocratie « weimarienne » qui massacra des milliers d’ouvriers berlinois avant de jeter les autres en pâture non simplement à Hitler, mais pour qu’ils soient véritablement soumis à la venue de la guerre mondiale. La lie de la société, le lumpenprolétariat avait fourni les premiers corps francs puis les meneurs des troupes de Hitler.

D’une manière différente, mais semblable dans son objet, la bourgeoisie égyptienne conseillée de près par les missi dominici de l’empire US, fait passer au premier plan les exactions de fanatiques recrutés et entraînés contre les coptes autant que contre tout manifestant prolétaire, comme un succédané d’une « population arriérée ».

Voyons comment l’ensemble de la presse résume les dernières exactions (je crois que j’ai repiqué çà sur l’immonde), en l’occurrence le tabassage de la jeune femme sur la photo (une autre femme en manteau rouge qui se porte à son secours est sauvagement tuée à coups de gourdin policier):

« C'est une vidéo insoutenable, le symbole en grandeur nature de l'usage répété de la force par l'armée égyptienne contre les manifestants. Sous les coups de bâton d'un essaim de soldats en uniforme, une femme s'effondre au sol. Traînée sur la chaussée par son long manteau noir, elle échoue torse nu dans son soutien-gorge bleu, le ventre écrasé par les bottes de ses bourreaux. Filmée ce week-end en plein centre du Caire, cette scène n'est qu'une illustration, parmi tant d'autres, de la nouvelle spirale de violence, qui a fait au moins onze morts et des centaines de blessés en l'espace de quatre jours. Et qui pousse, aujourd'hui, la communauté internationale à tirer la sonnette d'alarme. Dimanche, Ban Ki-moon, a été le premier à se dire «très préoccupé» par la situation. «Le secrétaire général (de l'ONU) est très inquiet par l'usage excessif de la force de la part des forces de sécurité contre les manifestants et appelle les autorités de transition à faire preuve de retenue et à respecter les droits de l'homme, dont le droit de manifester de façon pacifique», précise un communiqué des Nations unies. Quelques heures plus tard, c'est Hillary Clinton qui lui emboîtait le pas, en appelant les Égyptiens à s'abstenir de toute violence. Les inquiétudes de la communauté internationale sont fondées. Près d'un an après le réveil inattendu de la rue égyptienne qui mena, le 11 février 2011, à la chute du président Hosni Moubarak, un mauvais goût de révolution inachevée reste sur toutes les lèvres. Si le processus électoral, visant à choisir les membres du nouveau Parlement, est lancé depuis la fin novembre, l'armée -en charge de la transition- s'accroche au pouvoir, en répétant les pratiques de l'ancien régime contre ceux qui osent la défier: arrestations, répression, torture. Ce qui, en octobre dernier, fut d'abord perçu comme une «bavure» des forces de l'ordre lors des incidents de Maspero -à l'origine de la mort d'au moins 20 manifestants coptes- est en train de se transformer en une triste routine. À chaque nouvelle vague de contestation, les coups redoublent de plus belle: pluie de gaz lacrymogènes, tirs de balles réelles, harcèlement sexuel, coups de matraque… ».

Avec quelle habileté on nous déplore cette « révolution inachevée » (mais en précisant bien « révolution échouée » et acharnement de minorité qui l’a « dans le cul » avec ce « tout bénéf aux islamistes électoraux » !), je ne vous le dis pas ! Si je vous le dis, l’intertitre résume le tour de passe-passe, et appuie son mensonge sur ce fleuron machiavélique de la démocratie représentative, le sondage d’Etat omniscient et mystique :

« Pays miné par la pauvreté »

« Furieux, les protestataires de la première heure, ceux qui piétinèrent courageusement la place Tahrir en janvier dernier en rêvant de justice et de liberté, crient aujourd'hui au «vol». Qu'ils soient étudiants, femmes, ouvriers ou intellectuels, ils estiment qu'on leur a kidnappé leur révolution. À l'unisson, ils réclament la chute du maréchal Tantaoui, le chef du CSFA (Conseil suprême des forces armées), et demandent un transfert immédiat du pouvoir des militaires aux civils. Mais ces courageux contestataires -essentiellement des libéraux- doivent se rendre à l'évidence. Bien qu'armés de belles intentions démocratiques, ils ont échoué à transformer la révolution en véritable message politique, et ne représentent aujourd'hui qu'une minorité de la population dans un pays miné par la pauvreté et le manque d'éducation. Résultat: de nombreux Égyptiens, nourris depuis des décennies au lait de la «théorie du complot», les perçoivent comme des «fauteurs de troubles» à la solde d'«éléments étrangers». Ainsi, selon un sondage réalisé début décembre par l'institut d'études stratégique al-Ahram dans neuf circonscriptions égyptiennes, près de 90% des personnes interrogées estiment que le CSFA assure «les conditions adéquates à une transition démocratique». Pire: tandis que militaires et libéraux se disputent le pouvoir, c'est une troisième force, celle des islamistes, qui est en train de récolter les bénéfices de la bataille. Après avoir fait campagne, des mois durant, auprès des «Égyptiens d'en bas», au nom de la justice et de l'équité sociale, ils sont aujourd'hui les grands gagnants des urnes. Et de la révolution ».

Mais il n’y a pas eu de révolution, et la révolte des masses opprimées n’en est qu’à son début. Et la bourgeoisie mondiale endettée n’a même pas un nouveau plan Marshall à extraire des caisses vides de ses banques !

2000 femmes ont manifesté au Caire contre ces exactions honteuses, c’est pas rien ! Les élections opaques semblent se poursuivre avec le même gimmick que celui des stratèges de la démocratie truquée en occident : la menace du pire, la victoire salafiste (aussi impossible que celle du FN en France !), quand le pire les manifestants le subissent dans la rue au vu et au su de la terre entière ! Chars qui écrasent les manifestants comme en Syrie, meurtres d’enfants, viols des femmes.

Les généraux égyptiens n’ont aucun mal à se désolidariser de leurs exécutants, formellement, mais parce que les tueurs ont carte blanche sur le terrain et ne seront jamais inquiétés par leurs supérieurs. Les pleurnicheries à l’unisson de la mère Clinton visent à culpabiliser le peuple égyptien en son entier. N’est-il pas arriéré avec 40% d’illettrés ? constat à l'unisson de la presse vénale presse bien pensante française du Figaro à Marianne…

Non ceux qui se battent, pas forcément minoritaires, ne sont pas arriérés. Par contre, l’armée recrutée pour l’essentiel dans les campagnes est composée d’arriérés mentaux qui peuvent se livrer à tous les sévices sadiques dont ils rêvaient. Les centaines d’individus de ce lumpen, qui avait déjà sévis en janvier place Tahrir, sont les mêmes qui ont tués les coptes et agressés les femmes journalistes ou pas. Le pire est déjà là, et c’est contre ce pire - des centaines et des centaines d’arrestations, tortures et assassinats de nuit, des condamnations à perpète invraisemblables – que se battent ces « ennemis » de la paix électorale désignés par la presse bcbg française comme « intellectuel » et « étudiants » ; la même stigmatisation qui était utilisée par les fascistes d’antan et les généraux colons en Algérie !

Le langage de la contre révolution officielle, démocratique, représentative et vénale, est le même à toutes les époques, c’est le fiel des oppresseurs des peuples et du prolétariat.

Comme leurs consoeurs européennes font le deuil de la « croissance », les bourgeoisies égyptienne et syrienne font le deuil du tourisme. Elles savent ne pouvoir miser désormais que sur la répression la plus féroce. Des milliers et des milliers de morts vont se succéder. La démocratie représentative ne peut plus promettre ni pain ni travail.

Prolétaires du monde entier, cessez de vous indigner, révoltez-vous partout, pour les mêmes raisons que nos frères de classe arabes, et en solidarité avec ces victimes considérables ! Depuis une année jamais le capitalisme n’avait autant massacré des populations civiles en aussi peu de temps et en se réjouissant que nous demeurions des spectateurs simplement indignés ! Partout la violence de l’Etat bourgeois s’acharne et s’acharnera sans vergogne contre tous ceux qui veulent aider le capitalisme à s’effondrer, le seul bienfait urgent pour sauver l’humanité !


[1] Les nouveaux terroristes de Mathieu Guidère (p.92). La thèse mondiale d’un fascisme vert regroupant les terroristes islamistes est une baudruche commerciale pour journaliste en mal de sensation (cf article de Xavier Crettiez, Politique et violence in Les Cahiers de la sécurité intérieure n°38, 2000).

[2] Olivier Roy, directeur d’études à l’EHESS in Nouvel Obs du 8 décembre 2011.

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