"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

lundi 3 mars 2025

UN DESASTRE DE PREMIERE IMPORTANCE


Par Winston Churchill

"Ah les cons! s'ils savaient!"

Edouard Daladier

" Le partage de la Tchécoslovaquie, sous la pression de l’Angleterre et de la France, équivaut à une capitulation totale des démocraties occidentales devant la menace des nazis (…) Un tel écroulement n’apportera ni la paix ni la sécurité (…) Au contraire, il place ces deux nations dans une situation encore plus faible et plus dangereuse. Le simple fait que la Tchécoslovaquie soit neutralisée entraîne la libération de 25 divisions allemandes qui pèseront sur le front occidental (…). Croire qu’on peut obtenir la sécurité en jetant un petit État en pâture aux loups est une illusion fatale. »

Winston CHURCHILL, discours du 21 novembre 1938


Intervention dans les débats sur les accords de Munich à la Chambre des Communes (5 oct. 1938)

Le texte original est extrait de la publication des Débats parlementaires, 5e série, vol. 339 (1938).

Après la conclusion des accords de Munich (29 septembre 1938) et le retour triomphal du premier Ministre conservateur, Neville Chamberlain, l’opposition au sein de son propre parti s’empare de la question à la Chambre des Communes. Après d’autres députés, Winston Churchill prononce un discours retentissant, auquel répond Chamberlain. Le discours de Churchill ce jour-là ne démontre pas une fois de plus son génie politique, mais surtout l'aboutissement des lâchetés « pacifistes » des partis bourgeois. Le lâchage de la Tchécoslovaquie fait penser à celui de l'Ukraine, me direz-vous, mais pourtant Poutine n'est pas Hitler contrairement à ce que nous assènent les pieds nickelés européens. J'en traiterai dans mon article qui va suivre. Je ne crois ni à un pacifisme bourgeois ni à un pacifisme populiste à la manière des clowns de LFI, du petit PCF et des trotskiens. Il faudra réfléchir aux énormes différences entre hier et aujourd'hui. En 1938, la Première boucherie mondiale était encore fraîche dans les mémoires (20ans). En 2025, la Deuxième date d'il y a 80 ans. Tiens ! Bizarre vous avez dit bizarre !



M. Churchill, Chambre des communes, 5 octobre 1938

« M’étant ainsi fortifié de l’exemple des autres, je continuerai à les imiter. En conséquence de quoi commencerai-je en disant la chose la plus impopulaire et la plus importune. Je commencerai en disant ce que chacun voudrait ignorer ou oublier, mais qui doit néanmoins être exposé, à savoir que nous avons subi une défaite totale et complète, et que la France a souffert davantage que nous.
VICOMTESSE ASTOR [Nancy Witcher Langhorne Astor, député conservateur] : Absurde.
M. CHURCHILL : Quand la noble dame crie à l’absurdité, il se pourrait bien qu’elle n’ait pas entendu le chancelier de l’Échiquier [Sir John Simon] admettre dans son brillant et net discours que M. Hitler avait maintenant obtenu, par ce coup particulier dans sa manière, tout ce qu’il avait l’intention d’obtenir. Mon très grand et honorable ami qu’est le Premier Ministre a été capable d’apporter la sécurité, grâce à tous ses intenses efforts, grâce aux grands efforts et à la mobilisation qui ont été faits dans ce pays, et par-delà toute l’angoisse et la tension par lesquels nous sommes passés dans ce pays, il a été capable de tirer le meilleur parti qui soit de la situation [les honorables membres de la Chambre : « C’est la paix »]. J’ai pensé que l’on pourrait me permettre de rendre cet hommage à son endroit, et je propose de partir de cette base. Il a été capable de tirer le meilleur profit qui soit pour la Tchécoslovaquie et, dans les questions qui ont eu lieu au sujet du conflit , le problème a été que le dictateur allemand, au lieu de prendre lui-même les victuailles sur la table, a réussi à se les faire servir, les uns après les autres.
Le chancelier de l’Échiquier a dit que c’était la première fois que M. Hitler s’était rétracté – je pense que c’était l’expression utilisée – à un certain degré. Nous ne devons pas vraiment gaspiller le temps, après tout ce long débat, sur la différence entre les positions atteintes à Berchtesgaden, à Godesberg et à Munich. Elles peuvent être très simplement illustrées, si la Chambre me permet d’utiliser la métaphore. Une livre sterling a été exigée à chaque coup. Quand on l’a donnée, deux ont été exigées. Finalement, le dictateur a consenti à prendre une livre dix-sept shillings et six pences, et, pour le reste, de faire des promesses de bienveillance pour l’avenir.
Maintenant j’en viens au point qui m’a été indiqué par quelques parties de la Chambre, au sujet du sauvetage de la paix. Personne n’a été un lutteur plus résolu et aussi intransigeant pour la paix que le premier Ministre. Chacun le sait. Jamais il n’y a eu une telle détermination, profonde et imperturbable, pour maintenir et garantir la paix. C’est tout à fait vrai.
Néanmoins, je n’ai pas tout à fait expliqué le fait de savoir pourquoi il y avait un tel danger pour la Grande-Bretagne ou pour la France d’être entraînées dans une guerre avec l’Allemagne au moment même où, en fait, elles ont été constamment prêtes à sacrifier la Tchécoslovaquie. L’accord que le Premier ministre a rapporté – je suis tout à fait d’accord, en fin de compte : tout s’est déroulé sans difficulté, et rien que son intervention a pu avoir sauver la paix ; mais je parle là des événements de l’été – aurait pu être facilement avoir été obtenu, je pense, par le biais des moyens diplomatiques ordinaires à tout moment pendant l’été. Et je dirai ceci, à savoir que je crois que les Tchèques, livrés à eux, disaient qu’ils n’auraient pas le soutien des puissances occidentales, et qu’ils auraient pu avoir un meilleur accord – ils ne pouvaient en obtenir un pire – après tout un bouleversement aussi important.
On ne peut jamais pas avoir la certitude absolue qu’il y aura un combat quand on est résolu à mener complètement une partie. Quand on lit les accords de Munich, quand on voit ce qui arrive en Tchécoslovaquie d’heure en heure, quand on est sûr, je ne parlerai pas d’approbation parlementaire mais de consentement parlementaire, quand le chancelier de l’Échiquier fait un discours qui essaye en tout cas de mettre en avant d’une façon très puissante et persuasive le fait qu’après tout, cela était inévitable et en effet justifié – loyal – quand nous avons vu tout cela, est-ce que chacun de ce côté de la Chambre, y compris beaucoup de membres de la partie conservatrice qui sont censés être les gardiens vigilants et soigneux de l’intérêt national, est-il bien évident qu’il n’y ait rien nous concernant de près qui n’ait été en jeu. Il me semble à moi qu’on doit se demander à quoi bon tout ce remue-ménage et toute cette agitation ?…
Nous sommes invités à nous prononcer par un vote au sujet de cette motion qui a été mise sur le papier, et c’est certainement une motion transcrite en termes très indiscutables comme, en effet, l’est l’amendement proposé par l’opposition. Je ne peux pas moi-même exprimer mon accord avec les mesures qui ont été prises, et, à l’exemple du chancelier de l’Échiquier qui a exprimé son opinion avec tellement de capacité, j’essayerai, si je puis y être autorisé, de proposer une appréciation différente. J’ai toujours estimé que le maintien de la paix dépend de l’accumulation des forces de dissuasion contre l’agresseur, doublée d’un réel effort pour obtenir réparation des préjudices. La victoire de M. Hitler, comme tant de célèbres combats qui ont influé sur le destin du monde, a été acquise sur la plus étroite des marges. Après l’accaparement de l’Autriche en mars, nous avons fait face à ce problème au cours de nos débats. J’ai essayé d’inciter le gouvernement à aller plus loin que le premier Ministre n’était allé, et pour montrer que par un engagement conjoint avec la France et d’autres pays, les puissances garantiraient la sécurité de la Tchécoslovaquie tandis que la question des Sudètes allemandes serait examinée par la Société des nations ou une autre assemblée impartiale, et je crois toujours que, si ce cours avait été suivi, les événements n’auraient pas abouti à cet état désastreux. Je suis infiniment d’accord avec mon très honorable ami, député de Sparkbrook [M. Amery, de 1918 à 1945, Leopold Charles Maurice Stennett Amery — Leo Amery — est élu de Sparkbrook, circonscription du sud-ouest de Birmingham] quand il a dit à cette occasion – je ne peux pas me rappeler ses mots exacts – « Faire une chose, ou l’autre ; ou vous dites que vous vous désintéressez complètement du sujet, ou vous dites que vous prendrez toute mesure de nature à donner la garantie qui aura la plus grande chance d’assurer la protection de ce pays ».
La France et la Grande-Bretagne ensemble, particulièrement si elles avaient maintenu un contact étroit avec la Russie, ce qui certainement n’a pas été fait, auraient pu être en mesure durant l’été, quand elles en avaient les moyens, de faire pression sur plusieurs des plus petits États de l’Europe, et je crois qu’elles auraient influencé l’attitude de la Pologne. Une telle combinaison, préparée au moment où le dictateur allemand ne s’était pas encore engagé profondément et irrévocablement dans sa nouvelle aventure, auraient pu donner, je crois, la force à tous ces éléments qui, en Allemagne, s’opposaient à cette initiative, cette nouvelle conception. Elles changeaient alors la donne : ceux qui d’un point de vue militaire déclaraient que l’Allemagne n’était pas prête à entreprendre une guerre mondiale, et toute cette masse d’opinion modérée et d’opinion populaire qui redoutait la guerre, et quelques éléments qui ont toujours une certaine influence sur le gouvernement allemand. Une telle action aurait donné la mesure du profond désir de paix que les masses allemandes délaissées partagent avec leurs homologues britanniques et français, et qui, comme nous nous le rappelons, aurait débouché sur une expression passionnée et rarement autorisée qu’on a vue avec les manifestations joyeuses avec lesquelles le premier Ministre a été acclamé à Munich.
Toutes ces forces, ajoutées aux autres forces de dissuasion que les alliances des puissances, grandes et petites, étaient prêtes à mobiliser avec détermination pour aller de l’avant sur le front de la justice et pour la ferme résolution des préjudices, auraient formé, devaient former quelque chose d’efficace. Naturellement, vous ne pouvez pas tenir pour certain qu’elles… [Interruption] J’essaie d’argumenter de façon courtoise avec la Chambre. En même temps je ne pense pas qu’il est juste d’accabler ceux qui ont souhaité voir suivie cette politique, et qui l’ont suivie en bloc et résolument, en ayant le souhait d’une guerre immédiate. Entre la soumission et la guerre immédiate, il y avait place pour cette troisième alternative qui a donné un espoir non seulement de paix, mais de justice. Il est tout à fait vrai qu’une telle politique, pour qu’elle réussisse, ait exigé que la Grande-Bretagne déclare constamment et depuis longtemps qu’elle se joignait à d’autres puissances pour défendre la Tchécoslovaquie sur le long terme, de façon à se prémunir contre une éventuelle agression. Le gouvernement de Sa Majesté a refusé de donner cette garantie, alors qu’il aurait pu sauver la situation ; pourtant, ils l’ont donné à la fin, quand il était trop tard ; et maintenant, à l’avenir, ils veulent la renouveler, alors qu’ils n’ont plus la moindre chance de l’assurer.
Tout est joué. Silencieuse, triste, abandonné, détruite, la Tchécoslovaquie recule dans l’obscurité… Personne n’a le droit de dire que le plébiscite qui a être réalisé dans les circonscriptions soumises aux conditions de la Sarre et le net résultat de cinquante pour cent des territoires concernés, que ces deux opérations, donc, équivalent ensemble à rien moins qu’un verdict d’autodétermination. C’est une fraude et une farce pour appeler les choses comme elles doivent l’être.
Dans ce pays comme dans d’autres pays libéraux et démocratiques, nous avons parfaitement le droit d’exalter le principe d’autodétermination, mais il sort déformé de la bouche de ceux qui, dans les États totalitaires, vont jusqu’à nier même le moindre élément de tolérance pour chaque parti, et de confiance dans leurs limites. Mais, toutefois vous l’avez constaté, ce bloc particulier de pays, cette masse d’êtres humains n’a jamais exprimé le désir d’entrer dans l’ordre nazi. Je ne crois pas cela même maintenant, que si on pouvait demander leur avis, ils choisiraient une telle option…
Je doute qu’à l’avenir l’État tchèque puisse être maintenu en tant qu’entité indépendante. Vous constaterez que, dans une période qui peut être mesurée en années, mais peut seulement l’être en mois, que la Tchécoslovaquie sera absorbée par la puissance nazie. Peut-être la rejoindront-ils dans le désespoir ou dans la vengeance. En tout cas, cette histoire est terminée et dite. Mais nous ne pouvons pas considérer l’abandon et la ruine de la Tchécoslovaquie à la seule lumière de ce qui s’est produit le mois dernier seulement. C’est la conséquence la plus pénible de que nous avons pourtant voulu expérimenter, de ce que nous avons fait et de ce que nous avons laissé défaire durant ces cinq dernières années, cinq d’années de bonnes intentions futiles, cinq années d’une recherche avide d’une politique de moindre résistance, cinq années d’un retrait ininterrompu de la puissance britannique, cinq années de négligence de nos défenses aériennes. Tels sont les conditions que je dénonce ici et qui ont marqué une gestion imprévoyante pour laquelle la Grande-Bretagne et la France ont chèrement payé. En cinq ans, nous en avons été réduits à être dans une position de sécurité si écrasante et si dissuasive que nous ne nous sommes jamais inquiétés d’y songer. Nous en avons été réduits à être dans une position où le mot même de « guerre » a été considéré comme quelque chose qui serait seulement employé par des personnes dignes d’un asile de fous. Nous en avons été réduits à être dans une position de sûreté et de puissance – la capacité de faire le bien, la capacité d’être généreux envers un ennemi battu, la capacité d’établir des accords avec l’Allemagne, la capacité de donner une réparation appropriée pour ses dommages, la puissance de limiter son armement à ce que nous avions déterminé, la capacité de prendre n’importe quelle mesure relevant de la force ou de la pitié ou de la justice, conformément à ce que nous avons pensé être juste – réduits à passer en cinq ans d’une position sûre et incontestée à ce à quoi nous nous en tenons maintenant…
Nous sommes en présence d’un désastre de première importance qui vient d’être infligé à la Grande-Bretagne et à la France. Ne nous laissons pas nous aveugler nous-mêmes sur notre sort. Il doit être maintenant accepté que tous les pays de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est feront les meilleurs accords qu’ils pourront faire avec la puissance nazie triomphante. Le système des alliances en Europe centrale sur laquelle la France a compté pour sa sécurité a été balayé, et je ne peux voir aucun moyen grâce auquel il puisse être reconstitué. La route de la vallée de Danube à la Mer Noire, les ressources en céréales et en pétrole, la route qui mène jusqu’à la Turquie a été ouverte. En fait, sinon dans la forme, il me semble que tous ces pays de l’Europe moyenne, tous ces pays danubiens, seront l’un après l’autre englobés dans ce vaste système déployé par la politique de puissance qui rayonne depuis Berlin – non seulement pour favoriser l’expansion de la politique militaire mais aussi de la politique économique –, et je crois que ceci peut être réalisé tout à fait sans à-coup et rapidement, sans forcément nécessiter le moindre coup de feu. Si vous voulez prendre connaissance des ravages de la politique étrangère de la Grande-Bretagne et de la France, regardez ce qui se passe et ce qui est enregistré chaque jour dans les colonnes du Times…
Nous parlons de pays qui sont très loin de nous, et dont, comme le premier Ministre pourrait dire, nous ne savons rien. [Interruption.] La noble dame utilise une allusion très inoffensive…
VISCOUNTESS ASTOR : Grossier.
M. CHURCHILL : Elle doit avoir reçu très récemment son dernier cours d’éducation aux bonnes manières.
Quelle sera la position, je veux la connaître, de la France et de l’Angleterre cette année et l’année d’après ? Quelle sera la position du front occidental dont nous sommes pleinement les garants ? L’armée allemande est actuellement plus nombreuse que celle de la France, quoiqu’elle ne soit pas aussi aguerrie ou perfectionnée. L’an prochain, elle sera devenue beaucoup plus importante encore et sa maturité sera plus complète. Délivrés de toute inquiétude à l’Est et ayant les moyens qui atténueront énormément – à défaut de l’annihiler entièrement – la force de dissuasion d’un blocus naval, les dirigeants de l’Allemagne nazie auront l’entière liberté de déterminer la direction vers laquelle ils voudront porter leur regard. Si le dictateur nazi choisit de se diriger vers l’Ouest, comme il peut très bien le faire, la France et l’Angleterre regretteront amèrement la perte de cette excellente armée tchèque, dont on a évalué la semaine dernière que sa destruction ne réclamait pas moins de 30 divisions allemandes. Pouvons-nous nous aveugler sur le grand bouleversement qui vient de se produire dans la situation militaire et sur les dangers auxquels nous allons être confrontés ?
Ce n’est seulement que le début du compte. Ce n’est seulement que la première petite gorgée, le premier avant-goût d’une coupe amère qui nous sera offerte d’année en année, à moins que, par un suprême rétablissement de la santé morale et de l’énergie martiale, nous ne nous redressions de nouveau et que nous prenions nos dispositions en faveur de la liberté comme autrefois ».




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