Par Jean-Pierre Robin (in Le Figaro)
L’intendance
suivra? La question se pose alors qu’Emmanuel Macron a brisé
un tabou en autorisant l’Ukraine à
utiliser des armes françaises pour cibler le territoire russe et que les
Américains et les Allemands ont emboîté le pas, à la grande joie du président
Zelensky.
Le chef de l’État avait été l’un des premiers à s’inquiéter de
la nécessité d’avoir une «économie de guerre».
C’était en juin 2022, peu après sa réélection à l’Élysée, lors du salon
Eurosatory qui réunit tous les deux ans à Villepinte (Seine-Saint-Denis) le
gotha mondial des industriels de l’armement. Emmanuel Macron leur avait
demandé «d’aller
plus vite». La France s’est mise en «mode économie de guerre»,
a-t-il claironné en janvier 2024 lors de ses vœux aux forces armées.
De son côté Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, multiplie les injonctions pour que les industriels accélèrent les cadences, les menaçant au besoin de réquisitionner «des personnels, des stocks ou des outils de production». Début avril, il a même fixé un objectif de production mensuelle de canons Caesar, qui devraient passer dans un avenir proche à douze exemplaires, alors qu’il n’en sortait des ateliers de Nexter KNDS France que deux par mois en 2022.
100 milliards d’euros de dépenses en
plus
«Sommes-nous
en économie de guerre?», s’interroge l’association L’Éco à venir,
regroupant une quarantaine d’économistes, du secteur public et des entreprises
privées, que préside Pierre-Olivier Beffy. La note publiée la semaine dernière
portant à la fois sur la France et l’Europe est formelle: «Non, nous n’en avons ni les
capacités de production ni le financement.» Ils citent à cet
égard un chiffrage de l’Iris (Institut de relations internationales et
stratégiques).
Depuis le
déclenchement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, l’Union
européenne (UE) a certes accru de 100 milliards d’euros ses dépenses
militaires (en un peu moins de deux ans). Mais ces achats d’armements se sont
effectués pour 78 % d’entre eux en dehors de l’UE (dont 80 % aux
États-Unis, 13 % en Corée du Sud, 3 % au Royaume-Uni et 3 % en
Israël). Quant aux 22 % restants - les matériels produits dans l’UE -
l’Allemagne s’est taillé la part du lion, un peu plus de la moitié
(11,5 milliards d’euros), la Suède en fournissant 22 % et la France,
12 %.
Au-delà de l’effet incantatoire que signifie l’expression
rabâchée « économie de guerre », le meilleur moyen d’en saisir la portée
est de se référer à la mobilisation décrétée par les États-Unis de 1941 à 1945
L’Europe
continentale n’est pas en mesure actuellement de produire elle-même les
équipements militaires dont elle aurait besoin. Serait-elle à même de mobiliser
ses forces productives et ses financements? Au-delà de l’effet incantatoire que
signifie l’expression rabâchée «économie de guerre», le meilleur moyen d’en
saisir la portée est de se référer à la mobilisation décrétée par les
États-Unis de 1941 à 1945 . Les experts de L’Éco à venir en rappellent les
chiffres les plus saillants.
Tout d’abord,
des dépenses militaires considérables, qui ont représenté 45 % du PIB
américain en 1944, alors que les autres dépenses publiques diminuaient de
moitié, tombant à 7 % du PIB. C’est ensuite un effort de production
exceptionnel, se traduisant notamment par un allongement de 5 heures
hebdomadaires du temps de travail dans l’industrie manufacturière, avec en
outre une augmentation de 40 % du travail des femmes. C’est enfin
l’envolée des déficits publics à 25 % du PIB et un doublement de la dette
à 120 % du PIB, malgré une augmentation de l’impôt sur le revenu à
8 % du PIB.
Complexe militaro-industriel
Emmanuel Macron a-t-il ces données en tête quand il en appelle
à «l’économie de guerre»? Il nous le dira peut-être ce jeudi 6 juin
lorsqu’il commémorera en grande pompe le 80e anniversaire du Débarquement
sur les plages de Normandie en 1944, le résultat historique de la mobilisation
de l’économie américaine. À titre de comparaison, la fabrication mensuelle
d’armes et de munitions en France a augmenté de 13 % seulement sur les
deux dernières années, observe Julien Pouget, l’un des meilleurs spécialistes
de la conjoncture française (il en a dirigé le service à l’Insee jusqu’à l’an
dernier).
Pour
spectaculaire qu’il soit, l’exemple américain de la Seconde Guerre mondiale
n’est sans doute pas transposable à notre époque où les activités de
services occupent désormais partout une place ultra-prépondérante. Même la Russie et l’Ukraine, les deux belligérants
contraints de réaménager en profondeur leurs économies, affichent une
mobilisation bien moindre que celle des États-Unis de 1941 à 1945. Selon des
estimations de la Banque mondiale, l’économie ukrainienne consacre actuellement
37 % de ses ressources aux dépenses militaires et la Russie y affecte
7 % de son PIB.
«Complexe militaro-industriel»
Reste que les
pays de l’Union européenne sont très loin de tels ratios. Seulement cinq
d’entre eux (Grèce, Lituanie, Pologne, Croatie et Lettonie) consacrent plus de
2 % de leur PIB à la défense, comme l’exige en principe l’Otan à ses pays
membres, alors que les États-Unis ont un budget militaire atteignant 3,4 %
de leur propre PIB, par ailleurs le premier au monde. D’où la suprématie
américaine écrasante: dans le classement annuel de l’Institut international de
recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), les États-Unis arrivent très
largement en tête, avec un montant de dépenses militaires de 916 milliards
de dollars (en 2023), dépassant la totalité des budgets des neuf pays suivants
réunis, dont la Chine.
Le Defense Production Act adopté par le Congrès en 1950 permet
à la Maison-Blanche de détecter les insuffisances de matériel et d’ordonner aux
sociétés privées de répondre aux commandes publiques. Rien de tel au sein de
l’UE où les États européens de l’Otan privilégient systématiquement les
commandes à l’Oncle Sam !
Depuis
l’attaque japonaise de Pearl Harbor (décembre 1941) qui avait précipité leur
entrée dans la Seconde Guerre mondiale, les Américains n’ont eu de cesse de
développer leur «complexe militaro-industriel». Le Defense Production Act
adopté par le Congrès en 1950, au tout début de la guerre de Corée, permet à la
Maison-Blanche de détecter les insuffisances de matériel et d’ordonner aux
sociétés privées de répondre aux commandes publiques. Rien de tel au sein de
l’UE où les États européens de l’Otan privilégient systématiquement les
commandes à l’Oncle Sam! Manque plus encore l’argent, le nerf de la guerre.
D’où la proposition du commissaire français à Bruxelles Thierry Breton de créer
un fonds de 100 milliards d’euros pour développer une défense européenne,
restée pour le moment lettre morte.
NB :
les journalistes ne vont pas plus loin, c'est à dire jusqu'à poser la question
lancinante : en mettant en branle une véritable économie de guerre,
quelles tonnes d'impôts supplémentaires s'imposeraient contre une classe
ouvrière européenne déjà rétive aux guerres en Ukraine et à Gaza ?
« Allez
vite, dit De Gaulle au général Leclerc en 1944, nous ne pouvons pas nous payer
le luxe d'une nouvelle Commune ! »
et
merde au GIGC
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