Rosa Luxemburg |
Le qualificatif ultra-gauche n'a jamais été très sérieux, ni luxembourgiste, mot valise, mot caméléon, tant dans l'après 68 où il désigna comme tel tout groupe hors du gauchisme, d'une part (et fort justement) diverses revues de 3 ou 4 compères intellos plus anars que marxistes : La guerre sociale, la Banquise, jusqu'aux situationnistes. Une bande de littérateurs à la mode. Les groupes de militants sérieusement militants dans la classe ouvrière, par exemple des bordiguistes au CCI n'ont jamais admis pour leur compte ce qualificatif idiot d'ultra-gauche qui faisait référence à une mouvance plus ou moins sombre de comploteurs de cacahuètes. Heureusement aujourd'hui l'ultra-gauche ce ne sont vraiment que des incendiaires de poubelles. Le groupe phare des années 1950 – Socialisme ou Barbarie – issu du trotskisme et non pas des groupes historiques de l'avant-guerre, provisoirement sous le boisseau ou considérés comme fossilisés, n'a jamais été qualifié d'ultra-gauche, qualificatif post 68 dont j'ignore la paternité. Donc le titre de cet article, même si Daniel Blanchard est passé de S ou B à la poésie, n'a rien à voir avec le sujet qui est :
DES MEMOIRES MILITANTES PASSIONNANTES
Les mémoires de militants, même et surtout de tous ceux qui en sont « revenus » de leur militantisme, m'ont toujours intéressées, voire passionnées. Car elles éclairent les nouvelles générations sur ce qu'il faut dépasser, outrepasser, voire remettre en cause tout dogmatisme. Le témoignage de Daniel Blanchard (alias Canjuers dans S ou B) peut être ajouté à des monuments comme l'ouvrage du jeune Edgar Morin « Autocritique » (1959). L'ouvrage de Blanchard est captivant, reflet de cette génération militante « prolétarienne » et marxiste anti-stalinisme de l'après-guerre. En y ajoutant aussi ex-staliniens et ex-trotskistes, Pierre Daix (J'ai cru au matin), Pierre Naville, Yvan Craipeau (Mémoire d'un dinosaure trotskiste), etc.
Daniel Blanchard |
Je ne m'attarderai pas sur la trajectoire personnelle de l'auteur, encore vivant – cette génération de personnages politiques exemplaires atteint en général les 90 piges (Henri Simon et Edgar Morin ont franchi la barre des 100 ans !) L'ensemble du livre est passionnant, honnête d'une belle écriture, malgré les faiblesses politiques d'un accouplement du trotskisme et de l'anarchisme. On verra par après que les « fossiles » dont certains ont transité par S ou B, ont mieux tiré les leçons politiques des échecs qu'en se réfugiant dans la poésie. Que ces trajectoires d'abandon du militantisme soient la conséquence de tel renoncement personnel, d'un suicide (Lagant) ou d'une désaffection face à un prolétariat qui, depuis près de cent années, n'a pas été à la hauteur des espérances révolutionnaires qu'on avait en lui, ne sera pas le sujet mais une étude de trajectoire. Cette irrésistible volonté de s'engager pour changer la société.
QUAND LE COMBAT REVOLUTIONNAIRE MENE A LA POESIE
Passionnante est la narration de Blanchard de sa rencontre avec le principal groupe révolutionnaire sorti heureusement du trotskisme, et que l'on peut considérer comme la plus sérieuse tentative de renouveler le marxisme, 75 ans après... Plus précurseur de l'esprit mai 68 que les fossiles bordiguistes. Avec cette lucidité, certes morose, des membres de petits sectes dynamiques mais incomprises et ignorées par la chape de plomb de l'ordre dominant :
« … De fait, nous étions, à l'échelle de la société, invisibles (…) Et il fallait à la fois ce retrait et une
puissante passion intellectuelle pour assumer l'audace de refuser de s'incliner devant la double hégémonie idéologique du libéralisme capitaliste et du prétendu marxisme stalinien. A la différence des quelques sectes « ultra-gauche » qui cultivaient un étroit corpus idéologique bloqué, le projet et la démarche du groupe Socialisme ou Barbarie étaient essentiellement dynamiques : à partir de quelques idées forces empruntées au marxisme – pour l'essentiel, l'idée de la lutte des classes, entendu désormais comme l'opposition entre dirigeants et exécutants pour l'étendre aux sociétés du bloc de l'Est...1 ». Hélas, Blanchard plante le décor de ce qui sera la faillite théorique finale du groupe. Pas complètement débarrassé de l'esprit trotskien, le groupe naviguait déjà sur une conception anarchiste fourre-tout, ne rendant pas compte de la complexité de la lutte des classes ; après tout il y a aussi des dirigeants et des dirigés dans tous les syndicats et partis politiques, et ce n'est pas cela qui fonde en premier lieu l'exploitation. Quant à la théorie, repiquée sans le dire à la Gauche Hollandaise, d'une « société fondée sur la démocratie autogestionnaire », ce ne fut que la matrice néo-anar pour la plupart des gauchismes après 68.
La faillite théorique de S ou B a suffisamment été démontrée par le groupe de Chirik après guerre et qui a donné naissance au plus vieux groupe politique en France, Révolution Internationale, fonctionnant désormais sur un mode gérontocratique et radoteur. On peut consulter à l'Institut d'Amsterdam et à la Bibliothèque Nationale, mon ouvrage où Lucien Laugier démonte très bien les carences théoriques de S ou B2.
Blanchard est bien plus intéressant et concret lorsqu'il décrit les personnages de S ou B. Subsiste une admiration incongrue pour le guru Castoriadis (qui a fini psy). Les Véga, Lyotard, Souyri, etc. repassent devant nos yeux et mes yeux. J'ai participé la dernière réunion publique de Pouvoir Ouvrier en 1968 et pu apprécier les talents d'orateur de Véga, comme la beauté de sa femme Martine. Lorsque je vis arriver à la réunion les dinosaures de SB, je fus frappé par leur prestance. Il est vrai que les militants (militaires bis?) se tiennent plus droits que la moyenne lambda). Ils m'apparurent grands et hautains. Avec une allure de profs. Nous les jeunes nous sentions merdeux devant ces revenants d'un marxisme plus à la mode.
Souyri vint nous donner des cours d'économie en 1972 dans le groupe éphémère Gauche Marxiste ; je lui demandais parfois conseil par téléphone. Lorsque je fus dans ma phase d'adhésion à RI, il me déconseilla la chose : « tu sais, je me méfie de ce genre de groupe, ils restent en général des fossiles léniniste ». J'ai passé outre et je suis resté ami avec son fils qui vit en Suisse. Et je ne le regrette pas, pour moi ces années passées au CCI me permettent de dire : j'ai le bac plus 20 du CCI, comme études supérieures en politique. La première prise de contact, qui se vivait à l'époque en version clandestinité affublé d'emblée d'un pseudo, se tint près de chez mes parents, avenue de Suffren, J'avais rendez-vous avec Guy Sabatier, charmant, mais paradoxe il m'annonce qu'il vient juste pour établir le contact car il a décidé de quitter le groupe. Au deuxième rendez-vous, qui a lieu face au jardin du Luxembourg, je rencontrerai le jeune fondateur, Raoul Victor. Sublime personnage : une étonnante faculté d'écoute et une argumentation pas du tout sectaire ; il sera éjecté du groupe au milieu des années 1990 par des méthodes injurieuses et policières.
Blanchard a fait route commune avec Debord, avant que celui-ci n'adhère pour un court moment à S ou B. On peut dire que Blanchard se situait plus à droite de S ou B : illusions sur les libérations nationales (il fût porteur de valise) et foi en Castoriadis.
Mais il en reste un témoignage vivant, pas historien (cf.Gotraux) en nous faisant vivre scissions et départs (celui de Lefort et Henri Simon en particulier) ; de même il remarque le peu de fiabilité d'une excroissance subite pour un groupuscule – S ou B compta une centaine de membres – à la veille de sa disparition (p.112).
Au bout de 7 ou 8 ans, il commence à s'ennuyer, et avec raison. La France, une fois finie la guerre d'Algérie, retombait dans une apathie où les ouvriers devenaient des touristes de la lutte de classe, comme on vient de le subir pendant cinq mois de balades syndicales gentilles et sans aucun risque, comme dans les années 1950...
Il ne s'ennuie plus avec le retour en force de la classe ouvrière en 1968. Il note que la plupart des mini-groupes révolutionnaires (y inclus les fondateurs de RI, malgré leur vantardise) n'ont rien vu venir. Lui se mêle passionnément au barricades et se joint au 22 mars, dont il apprécia le refus de se considérer comme « la direction du mouvement ». Après cet homme est devenu poète et actif dans les milieux littéraires, ce qui n'enlève rien à l'aspect honnête et touchant de son témoignage.
UNE CORRESPONDANCE MINE D'OR
Henry Chazé |
La correspondance volumineuse entre Henry Chazé et Henri Simon, avec quelques autres militants admirables (comme Christian Lagant) peut vous servir de bible de chevet : deux tomes de 330 et 430 pages (ouf!) : « Vous faites l'histoire ! » (1955-1962) de Socialisme ou Barbarie à Informations Correspondance Ouvrières. Et « Le vent en poupe » : 1963-1968 Dépasser le marxisme ?
Cette longue et pertinente correspondance (privée) commence en 1953 et on pose des questions basiques depuis le milieu anarchiste :« Les copains du groupe Cronstadt qui interviennent font part de leurs doutes quant au fait que le capitalisme développe le prolétariat en nombre et en culture – développe la production – se demandent s'il faut ranger les employés parmi le prolétariat ou parmi les classes moyennes hostiles à la révolution ? Même question pour les paysans.
A la seconde réunion les camarades du groupe Cronstadt demandent à Chaulieu « des exposés moins didactiques et un ton moins « professoral » - une durée d'exposé moins longue (…) J'ai l'impression que les copains du groupe Cronstadt sont asses désorientés par la pensée systématique de S ou B et s'ajoutant à cela une certaine méfiance (pas dans le mauvais sens du terme mais plutôt à une attitude due au fait qu'ils ne nous connaissent pas personnellement) (lettre de Guy Gély).
En 1955, Henri Simon soupçonne Chaulieu de discussions parallèles extérieures à son groupe, comme il témoigne de l'attitude perverse de celui-, hautain avec la gauche Hollandaise, tout en la pillant :
« Est-ce que Chaulieu ne poursuivrait pas des discussions avec d'autres gars, en se servant de la revue comme un organe de diffusion de ses idées, tout en faisant croire à la piétaille du groupe qu'il s'agit d'une contribution originale au travail du groupe. (…)
Pour les copains de Hollande du groupe Spartacus, ça marche car nous correspondons nous-mêmes avec Cajo et Théo. Je t'envoie deux textes, l'un de Théo est une suite à l'échange de lettres Pannekoek-
Henri Simon |
Chaulieu et a été fort mal accueilli par SB qui l'a dénoncé comme une caricature de ses positions, l'autre est de Cajo (…) Chaulieu n'a pas eu beaucoup d'empressement pour des relations suivies de ce côté car leurs positions sont à l'opposé des siennes, les leurs paraissant beaucoup plus logique et leur expérience du travail pratique plus grande qu'à SB » (lettre d'Henri Simon, p.46).
Les derniers arrivés à S ou B ont toutes les raisons de se méfier :
« J'ai l'air de jouer les anti-chaulieusards résolus, mais en réalité nous essayons de voir clair dans ce que veut Chaulieu, par tâtonnements plus que par certitudes. Un peu avec répugnance d'ailleurs car en venant à S ou B on pouvait espérer trouver autre chose que les rituelles luttes d'influence, les séparations en clans fermés ou l'utilisation des ficelles en honneur dans les partis traditionnels ».
Ajoutez à cela les couches petites bourgeoises comme le note Chazé:
« Le milieu des salariés petits-bourgeois est particulièrement décevant (…) Ces employés étaient pire que les techniciens ; les connards maison. (…) sachez que pour ne pas se pourrir, l'organisation genre Conseil ne doit pas vivre si le climat ne se maintient pas à un diapason élevé. La forme Conseil apparaît dans tous les grands mouvements puis disparaît, tout simplement ou d'une façon très moche ».
On ne peut pas trop compter sur les intellectuels, Chazé l'illustre mais par ses commentaires peu
honorables sur « sainte »Simone Weil :
« Je reviens à Simone Weil. Intellectuelle jusqu'au bout des ongles, juive par surcroît (?), elle n'a jamais pu trouver le contact avec le prolétariat, malgré ses efforts passionnés. Elle avait de bonnes amitiés parmi des militants et militantes, mais elle voulait violer la masse. Je suppose que du fait de sa laideur, elle a dû échouer pareillement dans ses contacts avec les mâles qui devaient se limiter aux échanges intellectuels – Qui sait, peut-être a-t-elle pu avoir des contacts physiques et ne pas y trouver ce qu'elle cherchait. Tant de névrosées sont dans ce cas. Restait ce contact avec Dieu. Elle y serait parvenue. Mais j'ai bien l'impression qu'elle a été surtout annexée par l'habile Perrin3 ».
« J'ai entièrement lu « l'univers kafkaïen » (et les enfantillages) de Mothé – j'avais écrit à Guy que les premières pages me semblaient du bavardage. L'ensemble est du même cru. Toutes ces pages pour raconter ce que tout salarié sait, aux particularités près. Car enfin c'est bien pareil dans les bureaux, ateliers de fabrication, labos, etc. On se démerde pour que ça tourne. Et la maîtrise le sait et les cadres aussi (Mothé les prend vraiment trop pour des connards) et les cadres supérieurs également et même les patrons » (p.71).
Le mouvement ouvrier retombe dans l'apathie en 1957 comme le constate par après Henri Simon :
« Les répercussions de l'insurrection hongroise sur les ouvriers ne semblent pas avoir pris l'ampleur que l'on pouvait supposer en décembre (ce qui motivait certains rêves de grandeur). Les élections dans les entreprises ne traduisent pas de perte de vitesse sensible des staliniens ; ils ont su semer habilement le doute chez ceux qui doutaient d'eux et exploitent actuellement le mécontentement chez les fonctionnaires (les grèves actuelles sont d'ailleurs le type même de grèves bureaucratiques : elles se limitent aux secteurs où le staliniens sont les plus influents et où ils trouvent la clientèle la plus obéissante » (…) La leçon de tout ça, je pense, est que les ouvriers n'évoluent pas grâce à des événements extérieurs mais sous la pression de leur situation réelle dans le régime d'exploitation. Dire que des faits comme la révolution russe ou l'insurrection hongroise les laisse indifférents, ce serait dire des conneries, mais ces faits n'ont de répercussion qu'autant qu'ils recoupent l'expérience propre de la classe ouvrière et l'aident à comprendre ce qu'elle a déjà vécu. Et les ouvriers qui « quittent » le stalinisme , sont-ils pour autant des « révolutionnaires conscients » ? Aux élections d'entreprise, les voix déplacées de la CGT vont souvent sur FO et la CFTC » (p.66). (…) En ce qui concerne les Conseils, c'est une autre histoire. Dans les pays latins, la tradition syndicaliste révolutionnaire fut si forte que la notion des Conseils ne pénétra pas ».
Sur la question des libérations nationales, S ou B ne fut pas clair surtout avec des positions « fluctuantes » (cf p.272) mais Simon et Chazé restent eux sur les positions de classe, comme l'explique Chazé :
« ...rien de fondamental ne peut avoir modifié l'attitude des révolutionnaires. Nous devons avoir une position extrêmement critique vis à vis des mouvements d'émancipation nationale, surtout lorsqu'il existe un embryon de prolétariat dans les pays en cause et que des organisations tentent de les embrigader. Ce qui n'atténue en rien la propagande défaitiste révolutionnaire au sein du prolétariat de la métropole. (…) En aucun cas, à mon avis, une étude sérieuse ne peut mener à appuyer un FLN quelconque. Il y a le MNA, cher aux copains de l'Ecole émancipée. Mais ce n'est guère mieux malgré son contenu prolétarien ».
Des tentatives foireuses, voire comiques, d'organisation du futur parti ont eu lieu à S ou B comme en témoigne Henri Simon en mai 1958 :
« Chaulieu et Guillaume avaient rêvé de contrôler chaque groupe par une tête : Chaulieu chez les ouvriers, Guillaume chez les employés, Montal aux étudiants, et Véga aux enseignants. Mais déjà ça apparaît bien artificiel. Les enseignants refusent de rester entre eux et Montal vient d'office aux « employés ».
DES NOTES INDISPENSABLES POUR BIEN CONNAITRE L'HISTOIRE DU VRAI COURANT REVOLUTIONNAIRE DANS SA DIVERSITE
Le premier tome fournit un très important appareil de notes (p.243), qui doivent être lues intégralement non en sautant de la page où elles sont renvoyées mais comme un texte à part entière, car elles contiennent une foule d'informations indispensables à tout jeune révolutionnaire moderne. . Tous les personnages qui ont tant compté dans ce milieu internationaliste de Pannekoek à la revue Bilan, de Suzanne Voute à Marc Chirik, de Jan Appel à Canne Meijer, de Barta à Pierre Bois, Goupil, Pierre Brune ; des révélations sur Mercier-Vega, ponte anarchiste aux bons soins de la CIA (p.294)
VERS L'EXPLOSION DE MAI 1968 (mais la correspondance s'arrête au mois de février 68)
Le deuxième tome – Le vent en poupe – pérennise la profondeur et la subtilité des échanges (sic) ente Simon et Chazé. Les deux compères lisent beaucoup pour mieux juger de la félonie de certains intellectuels depuis l'avant-guerre ; Chazé étrille le bouquin de Daniel Guérin sur le Front populaire :
« Il en ressort que D.Guerin est de la race des opportunistes indécrottables. Ces gars-là n'ont pas d'excuse, comme les mandarins de S. de Beauvoir. Ils savaient. C'est trop facile maintenant de dire que des « groupuscules » disaient bien que...mais que leur activité ne pouvait être efficace. Tu parles – et leur efficacité à tous ces Guérin, Pivert, Colette Audry, Collinet, etc. espérant en Blum, en Doriot, en Pivert, en trotski, espérant toujours, cherchant surtout les auditoires, et, en définitive, ficelés et faisant le jeu de Blum et Thorez et tutti quanti ! Phrase révolutionnaire et couilles molles ; gens de bonne volonté, pour être moins vache » (Chazé, p.41)
De nombreux commentaires ponctuels, parfois courts, fournissent des jugements ou appréciations bien vues sur groupuscules, auteurs ou événements.
Voix ouvrière (ancêtre de LO) : « poids plus grand des intellectuels et dirigeants aux dépens de la base ouvrière » (p.45)
« Broué est bien inférieur à Souvarine en ce qui concerne l'histoire du parti bolchevik d'avant 1917 » (p.49)
« A propos de Pouvoir ouvrier – j'ai reçu le dernier numéro. Que c'est faiblard ! Au moins SB avait toujours un intérêt certain. La formule adoptée par PO, pour un groupe politique, ça ne vaut rien. Ce sont à peine des articles bons pour un quotidien. Cela rehausse ICO, nettement plus vivant et qui reflète quelque chose : des contacts, des liaisons » (Chazé p.49).
En 1964, Chazé est ravi (comme le fut Blanchard) que Chaulieu balance tout par la fenêtre, croyant encore qu'il restera fidèle au marxisme et au prolétariat :
« Que Chaulieu fasse le saut et rejette d'un seul coup un marxisme trop vieux, le léninisme, le trotskisme, le bordiguisme, etc. c'est tout de même un sacré pas en avant. Coup de chapeau à Rosa Luxemburg et aux Communistes de Conseils, et il reste du bon côté, quand tant d'autres « dépasseurs » du marxisme finissent à la SFIO. « reste toujours l'ambiguïté sur l'organisation révolutionnaire » qui « doit préfigurer l'organisation future de la société, avec la plus grande autonomie des composants »... « il faudrait le prendre par le revers de la veste et s'expliquer » (Chazé p.51).
Chazé est ami avec Christian Lagant de Noir et Rouge : « Si seulement quelques bons copains anars, et je pense à N et R, pouvaient faire un effort semblable et renvoyer dans le passé les Kropotkine, Bakounine, Reclus, Malatesta et la Révolution espagnole ! Mais je ne les en crois pas capables – pour le moment ».
En août 1964, Henri Simon a organisé un colloque en Normandie où il a trouvé de jeunes anars capables d'évoluer :
« Les jeunes anars sont beaucoup moins sectaires que ceux de Paris, moins « famille anarchiste », mais terriblement ignorants de choses évidentes pour nous (l'isolement) et abordant tout avec le souci « d'éduquer » ; ce parti pris de militer au sens de se poser comme modèle détenteur d'une vérité les rend très vulnérables et peur critiques en regard d'entreprises syndicales ou révolutionnaires type Voix ouvrière ou autre (qui valent les staliniens ou les gttrotskystes impénitents). Mais ils sont très ouverts et jamais je n'ai été si loin dans une discussion avec des anars. Résultats ; négatif ; pas de bilan de la réunion – positif : on décidé d'essayer d'écrire chacun dans son domaine d'intérêt un texte bref en essayant de dépasser les controverses habituelles et de le situer dans la totalité de la vie sociale ». (p.71).
Début 1968 Chazé félicite Christian Lagant pour le dernier numéro de Noir&Rouge :
« Je reviens à ces deux articles du n°39. Celui sur le Viet-Nam est particulièrement bon et opportun, car tout le monde s'excite en ce moment et « on bouffe de l'Amerloque », comme « on ;bouffait du boche » au temps de l'antifascisme. Maintenant, c'est l'anti-impérialisme qui sert et pourrait nous mener droit au casse-pipe avec la fleur au fusil ». (p.277)
« La revue Autogestion existe depuis quelque temps. Tu peux juger sur pièces ça vaut les autres, par le contenu et par le prix. L'équipe des nantis du CNRS a intégré Guérin et Raptis (Pablo) – mordus délirants de l'autogestion algérienne et yougoslave » (Simon à Chazé, où il parle du copain isolé à Marseille (Camoin)p. 279)
Christian Lagant correspond avec Chazé, comme plus tard Guy Sabatier et Camoin. Il mange avec
Christian Lagant |
Henri Simon chaque mardi « en toute cordialité fraternelle, comme toujours » (p.78). Dans les années 1970 Lagant a joué un rôle important pour la clarification des positions révolutionnaires. Il s'est suicidé en 1978. Nous avons été très ému à cette annonce et RI lui a consacré un article fraternel à l'époque. Les notes des pages 329 et 330 font l'éloge de Lagant et témoignent de sa contribution au mouvement révolutionnaire hors des poncifs ultra-gauches et des groupuscules « anti-capitalistes » du...Capital..
Tous ces courriers des « sixties » jusqu'en 68 témoignent de l'ébullition des groupuscules révolutionnaires des USA au Japon, de l'Allemagne au Royaume Uni, fourmillent des échanges entre groupes sans jamais oublier le passé et ses personnages si importants pour le développement de la théorie révolutionnaire. Au mois de décembre 1967, Chazé fait la remarque suivante à Henri Simon :
« Il est regrettable que tu n'aies pas vu Marc (Chirik) pour t'entendre avec lui au sujet des informations à recevoir du Venezuela - pour l'échange d'opinions, ce n'est pas grave – ce qui ma plu de sa part, c'est son dynamisme si opposé au scepticisme de son ami Laroche. Les divergence avec Marc seront toujours ce qu'elles furent – je t'avais dit que nous avions suivi des évolutions parallèles, car depuis l'Unité léniniste de 1928, nous ne nous étions jamais retrouvés dans les mêmes groupes. Alors que nous avions recueilli les bordiguistes dissidents en 36-37, lui se liait avec les théoriciens, et toujours il y eût avec lui de tels désaccords. Mais toujours aussi une possibilité de discuter utilement » (Chazé, p.256). Dans les notes page 324 on peut lire un long et intéressant compte-rendu de l'activité de Marc Chirik et de tous ceux qui l'entourent. Page 389 sont listés tous mes travaux et documentaires sur Marc Chirik.
Que certains aient abandonné le combat pour la poésie, d'autres trahi en se couchant dans des partis bourgeois, on s'en fout. D'autres relèvent toujours la tête, et ces témoignages du passé, toujours vivant, sont le meilleur cadeau à leur offrir.
NOTES
1Blanchard voir confirmé sa volonté d'engagement politique avec les événements de Hongrie en 1956. J'ai eu l'occasion de les connaître de l'intérieur car, dans les années 1990, j'ai eu une amante hongroise qui y avait participé.
2J'ai eu l'occasion de porter ce livre à Jacques Signotrelli (Garros) lorsqu'il vivait encore à Sceaux. Autanty a-t-il apprécié la critique de Lucien Laugier, autant a-t-il désapprouvé ma postface au livre. Signorelli était voisin de Jacquy Mamane, un des fondateurs de RI à Toulouse, décédé hélas il y a quelques années à soixante ans. J'ai toujours regretté de ne pas avoir organisé une rencontre entre ces deux hommes.
3Un père dominicain. La note 9 de la page 257 rappelle que c'est Georges Bataille qui remarquait « l'incroyable laideur » de Simone Weil, or Boris Souvarine répondit que c'était un mensonge impudent : « son visage rayonne d'intelligence et de bonté ».
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