Dernièrement, j'ai appris en lisant un numéro du journal Révolution Internationale que le CCI était le centre du monde révolutionnaire, pourquoi pas, encore faudrait-il le prouver ? Ce n'est pas le cas lorsque l'on assiste à une falsification de l'histoire passée lorsque l'on lit :
« Même s’il existait alors une surestimation de la dynamique vers la révolution, la plupart des groupes du milieu politique prolétarien présents à l’époque avaient en général compris que Mai 68 en France et l’Automne chaud l’année suivante en Italie, ne pouvaient aucunement être compris comme expressions d’une situation révolutionnaire. La classe ouvrière, malgré sa combativité et sa prise de conscience, était encore dominée par les illusions sur le capitalisme et la démocratie bourgeoise.Il lui fallait encore longtemps pour se transformer en profondeur et être en mesure de lancer l’assaut révolutionnaire ».
C'est faux. Tous les groupes, y compris RI s'attendaient à la révolution après la crise économique de 1973 et jusqu'à l'élection de Mitterrand, et même au long des années 80. J'en étais et je me rappelle que la désillusion a mis du temps à s'installer, et qu'elle a conduit une part d'entre nous à abandonner le combat.
Cette manière de repeindre l'histoire et de vouer à la damnation éternelle ceux qui ont fui une organisation devenue paranoïaque a été typique des partis staliniens, politique de secte totalitaire qui, après les avoir traités de flics (mutuellement) , rejettent à jamais des personnes qui restent partie prenante du combat et qui emmerdent le CCI, pour autant qu'il garde ses ornières.
Pour ma part, ayant fui cette machinerie à démolir ceux qui ne voulaient pas garder la main sur la couture du pantalon, j'ai certainement été le plus impitoyable. Je trouve même que j'ai souvent exagéré sous le coup de la colère, vu que cette organisation existe encore et avec des analyses et des articles de haute tenue et une capacité rare à analyser la crise du capitalisme et les félonies de ses différentes castes de partis qui se prétendent les amis de ces fumeuses « couches moyennes », le prolétariat ayant disparu selon ces cuistres...
A partir de 2002 et avant on m'avait consacré six articles de dénigrement, dont deux louangeux pour deux de mes livres, puis plus rien, tout en lisant mes écrits publics depuis comme des concierges surveillant l'entrée de l'immeuble.
J'étais devenu un paria1 , comme tous les autres, souteneur d'une partie en rupture, que je n'ai jamais fréquenté et que j'ai toujours considérée, non pas avec cette notion stalinienne de « parasite », mais comme un CCI bis encore plus sectaire et plus gréviculteurs que capables d'analyse politique car ne sortant pas du vieil ouvriérisme ultra-gauche (il est qu'en rencontrant par hasard une ou deux fois leur principal animateur, je ne pouvais m'empêcher de retrouver un véritable sentiment de fraternité). Vous pouvez relire la série d'insultes et de calomnie me concernant. Au moins ne suis-je pas qualifié de flic, mais anarchiste, individualiste au même niveau de Robert Camoin (qui lui aussi à réalisé une brochure haineuse : «Le faux Hempel ») et en s'appuyant sur les mêmes remarques de Marc Chirik, lequel avait en effet, hérité de sa période stalinienne aux côtés d'Albert Treint, le qualificatif facile pour humilier l'adversaire (comme lorsque je le vis humilier sexuellement Raoul Victor lors d'une réunion de l'organe central). Or, MC avait deux faces, l'une pour ses fans suivistes et une autre pour ceux qui ne buvaient pas ses paroles comme sacrées. Il ne nous traitait pas, nous les personnalités d'anarchistes mais de camarades en désaccord et en plus ce qu'il aimait chez moi c'est que je sortais des sentiers battus, même si je disais parfois des conneries, ce qui permet les discussions ou alors c'est la messe, et ce fut la messe à l'organe central ; puis après sa mort, comme après celle de Charlemagne, une dispute ridicule pour l'héritage, où par exemple je vis Jonas en réunion de section, mimer les gestes de MC en parlant.
C'est une constante de tous les partis et des partis bourgeois de renier définitivement les exclus ou les démissionnaires. Combien de ceux-ci pourtant sont réutilisés par l'appareil opportunément. Du PCF au CCI, que de louanges pour Victor Serge (conchié à l'époque par Malaquais) ou même Souvarine qui ont dit des choses souvent plus profondes sur le totalitarisme stalinien que des sectes moralistes et qui ne sont pas débarrassées du même esprit de mise à mort et d'oubli. Pas de pot, merci la démocratie bourgeoise, les Michel Olivier, Philippe Bourrinet et d'autres ont continué un travail indispensable d'historiens, et auxquels le mouvement révolutionnaire sera toujours reconnaissant indépendamment des ornières sectaires du CCI, incapables de pardon et de faire table rase de vieilles polémiques souvent creuses. Pourquoi ? Pour parodier Jules Andrieu, parce que le CCI est vieux !
L'ignorance des travaux importants que continuent d'ex-membres fait pitié comme si le sanctuaire de la secte était le seul chaudron où élaborer la théorie, tout en piquant discrètement les idées à des auteurs « inorganisés ».
Evidemment sans fausse honte je prends mon cas. J'ai publié en 2008 le principal pamphlet contre les rigolos communisateurs – Précis de communisation » - mais ce n'est que 25 ans après que le CCI se réveille, avec d'excellents articles je le reconnais, traitant de cette mode idéologique petite bourgeoise2 .C'est la même ignorance et mépris concernant mes travaux les plus importants. Tant pis. Ils ont réalisé, pour la première fois une critique de l'école de Francfort qui fût longtemps un mouvement ultra-intellectuel et complètement révisionniste de la théorie du prolétariat, c'est pas mal, mais je prétends avoir été plus loin dans la critique de ce machin ; mais je ne peux leur reprocher une ignorance de mon travail puisque la plupart des maisons d'édition, et les éditions maoïstes L'Harmattan, et les éditions social-démocrates Spartacus n'ont pas jugé utile de le publier, possiblement parce que j'utilise sans gêne l'expression islamo-gauchiste. Voici en tout cas pour vous chers lecteurs le chapitre quatre de mon livre resté manuscrit : LE MARXISME EST-IL UN MESSIANISME ?
L'Ecole désenchantée de Francfort (chapitre 4)
Le grand penseur de la rive gauche plurielle, Miguel Abensour, reste lui aussi dans l'ignorance du combat politique des « gauches communistes », il ne voit que deux manifestations du marxisme au XXe siècle : l’expérience du totalitarisme communiste et la « Théorie critique » de l’École de Francfort.
Ce qui est très réducteur et une nouvelle preuve de cécité ou d'ignorance politique des universitaires dans leur milieu professoral et éditorial. Peut-on comprendre un messianisme qui a échoué en retournant à la religion ? Ou en tirant les leçons de l'échec, certes très terrestre, mais politiquement et socialement explicable ?
Aveux forcés, excommunications, accusations délirantes portées contre les dissidents comme au temps de la très lointaine inquisition, et si un marxisme lourdingue ne s'était pas comporté au fond lui aussi selon la même morale totalitaire que les antiques religions ? A Moscou le marxisme n'était-il pas devenu religion à son tour avec ses grands prêtres, saint Lénine embaumé ? Le Parti communiste, en Union soviétique comme en France, a eu ses « hérétiques ». L'analogie a été un peu vite écartée par les oppositionnels, trotskistes comme conseillistes, parce qu'ils étaient eux aussi devenus des bedeaux d'un marxisme d'Etat. On étudiera plus loin le messianisme fasciste, mais après les élucubrations de l'Ecole de Francfort.
L'idée que le communisme est une religion, que le Parti est son église, qu'il existe un dogme, un catéchisme a été formulée pourtant par de brillants opposants à toute idée se réclamant du marxisme. L'auteur de « L'opium des intellectuels », Raymon Aron, dont la mode gauchiste était de se gausser en son temps (comme réac du Figaro), faisait une distinction générale entre les religions séculières, en y incluant le communisme (marxiste), et les religions régulières. L'historien Marc Lazar parlait à propos du communisme d' « une des dernières grandes tentatives de sacralisation de la politique » . La dimension religieuse du communisme, ajoutait-il, est sensible à travers l'idée d'une « sacralité de la pensée révolutionnaire comme du mouvement bolchevique » . Elle s'organise, très tôt dans l'histoire du mouvement, à partir de la « mise en place d'un véritable catéchisme constitué à partir de textes précis Marx, Engels, Lénine, Staline » . Ce n'est pas faux mais ce n'est pas vrai non plus, question de date. La religiosité n'apparaît qu'au moment de la dégénérescence ; phénomène semblable en général dans toutes les religions à la suite de la mort de leurs prophètes. Incapables d'expliquer ou de résoudre l'inadmissibilité de la mort, les inventeurs de religion ont imaginé une éternité avec des dieux puis un seul, puis la prière comme seule consolation. On ne peut pas remercier Engels en tout cas pour ses comparaisons décalées.
Ce marxisme confit en religiosité, en partie avant Staline mais complètement après avec la fameuse « fin » communiste de l’Histoire, plutôt hégélienne, ne s’annonçait-il pas comme un certain retour au « communisme primitif » de communautés au sein desquelles, du fait de l’ignorance de la propriété, les distinctions sociales auraient été absentes ? Correction des fonctionnaires du Kremlin : tout « retour » chez Marx ne signifiait-il pas plutôt « passage » à un stade supérieur et donc nouveau. Il ne pouvait donc pas s’agir en Russie moderne d’un « communisme primitif » ni évolué, mais d’une gestion primaire d'une société où toutes les forces productives « jaillissent sans abondance » de l'oppression militaire, de sorte qu’on était supposé passer du « règne de l'oppression capitaliste » au « règne de l'oppression communiste ».
Dans l’Idéologie allemande, il n’est pas question d’un « communisme primitif » (à la façon de Buonarroti, compagnon de Babeuf et père de tous les mouvements socialistes européens). Le retour est « retour à » l’essence humaine qui n’a pu se « révéler » jusque là : en ce sens, il y a bien régénération. Mais pas de retour économique ou technologique ou à une communauté sociale comme telle ou à telle communauté de Papouasie Nouvelle-Guinée, venant aujourd’hui d’être « découverte ». Enfin, selon Marx (dans La Question juive) les droits de l’homme ne sont pas un retour (à l’essence humaine) mais une régression si on voulait les maintenir pour l’avenir. Conquête historique, mais à détruire très vite, comme la démocratie elle-même ou le droit (Critique du programme de Gotha), bouffis d'hypocrisie. Les expériences révolutionnaires ont toujours eu maille à partir avec la religion.
Avant Lénine embaumé, au travers du culte de l’Être suprême, spectacle d’une foule se hissant à la hauteur d’un Peuple « orthodoxe » (c’est-à-dire d’un acteur collectif déifié), Robespierre n'avait-il pas cherché prioritairement à capter la dimension profondément affective et fusionnelle de la croyance catholique prônant et requérant l’amour de Dieu comme du prochain jusqu’au sacrifice de soi ?
Dans le discours robespierriste, quelle vous semble avoir été l’articulation idéologique entre décadence, régénération et messianisme ? Comment cette combinaison vous semble-t-elle avoir été actualisée par l’historiographie de la Révolution et par les projets socialistes ultérieurs promettant l’avènement final de « l’homme nouveau » ?
Le discours de Robespierre du 18 floréal donne beaucoup de clés. Comme chez Condorcet, ce texte considère des étapes de l’humanité, mais avec plus de lyrisme que de précision : « Le monde a changé, il doit changer encore. Qu’y a-t-il de commun entre ce qui est et ce qui fut ? (…) Comparez le langage imparfait des hiéroglyphes avec les miracles de l’imprimerie, etc. ».
Le messianisme est dévolu à la France : « Le peuple français semble avoir devancé de deux mille ans le reste de l’espèce humaine ; on serait tenté de le regarder au milieu d’elle, comme une espèce différente. (…) En Europe, un laboureur, un artisan sont des animaux dressés pour le plaisir d’un noble ; en France, les nobles cherchent à se transformer en laboureurs et en artisans, et ne peuvent même pas obtenir cet honneur ». Cette fierté française aboutit, dès cette période, à la thèse selon laquelle le pillage des œuvres d’art de peuples tels les Italiens ou les Grecs serait légitime, car ces peuples « mous et serviles » ne savent apprécier l’art que le Français révolutionné sait goûter : lisez le remarquable texte d’Edouard Pommier3. La justification du pillage est stupéfiante ! Dès août 1794, Grégoire envisage la conquête de l’Italie : « C’est la Grèce qui a décoré Rome ; mais les chefs d’œuvre des républiques grecques doivent-ils décorer le pays des esclaves ? La République française devrait être leur dernier domicile ». Le robespierrisme atteint ses limites historiques avec cette arrogance nationale.
L’espérance d’un futur amélioré, ressort de l’action politique, en nous projetant au-delà de la durée d’une existence particulière et par-delà la clôture relative de cette dernière, ne nous prédisposerait-elle pas à certains emballements métaphysiques ? Dans le face-à-face entre une République balbutiante et une Église plus que millénaire, entre le « pouvoir temporel » et le « pouvoir spirituel », les mimétismes (voire la concurrence engendrée par ce jeu de miroirs) rhétorique, mythologique, symbolique, cultuel étaient-ils évitables ? Ainsi, pratiquement tout le lexique religieux (foi, salut, baptême, liturgie, catéchisme, Temple, sacerdoce, mission, sacrifice, rédemption, grande messe…) se trouvera recyclé par le discours révolutionnaire ! « Remplacer, souligne Mona Ozouf, c’est d’abord imiter » . Étudiant le Catéchisme républicain, philosophique et moral , Jean-Charles Buttier a pu exhumer des documents de 1815 « catéchismes politiques » dont les publications s’égrènent de 1789 à 1914 Le Catéchisme populaire républicain , rédigé, peu après la Commune de Paris, par Leconte de Lisle (1818-1894) est caractéristique de la rhétorique politique et morale de cette « catéchèse républicaine » s’organisant sous la forme didactique d’une série de questions et de réponses simples. Certains socialistes n’échapperont d’ailleurs pas à ce mimétisme. Par exemple, Louis Blanc rédigea Le catéchisme des socialistes (1849) et Jules Guesde un Essai de catéchisme socialiste (1912). La Ligue des communistes, avait élaboré, en juin 1847, une Profession de foi communiste composée de 22 questions réponses ; suivant la même formule, Engels composera, en novembre 1847, Die Grundsätze des Kommunismus que les Éditions Maspero republieront, en 1965, sous ce titre : Le catéchisme communiste. Sollicités par la Ligue des communistes afin d’élaborer une synthèse philosophique et programmatique, Engels écrira à Marx, le 24 novembre 1847, comme je l'avait déjà noté plus haut: « Je crois qu’il est préférable d’abandonner la forme du catéchisme et d’intituler cette brochure : Manifeste communiste » . Le Manifest der kommunistischen partei sera, avec la postérité qu’on lui connaît, publié à Londres (en allemand à mille exemplaires) en février 1848. Mettant fin à toutes les connotations supposées.
La foi religieuse est porteuse d'une croyance idéaliste, comme la notion de mission, celle de l’espérance, jusqu'à nos jours4. Le penseur réactionnaire Tocqueville avait montré qu’entretenir l’espérance est l’une des fonctions de la démocratie bourgeoise. Très longtemps l’Occident a chanté l’espérance dans le religieux. Cette propagande est lourdingue dans Les Mémoires de Guerre de Charles de Gaulle et dans tous les discours politiques nord-américains encore de nos jours .
Cette conception idéaliste de l'espérance a fondé aussi la longévité du stalinisme, même et surtout dans les goulags où la seule ressource était de prier pour mettre fin à ce socialisme de caserne. D’abord parce que le stalinisme comme son fils bâtard gauchiste, refuse de dériver la politique de l’économique, posé comme instance déterminante, dans le territoire déconcertant de la nomenklatura tout au moins.. Comme nos gauchistes qui refusent la confusion entre islam et ses applications politiques, les fondateurs de l’École de Francfort refusaient la « confusion » qu’opère Marx lorsque, dans une lettre de 1843, il écrit à Ruge que « domination et exploitation sont un seul et même concept ». Il fallait selon ces sociologues se défaire de cette identification pour comprendre que la production puisse laisser inchangé le règne de la domination. Les privilèges bureaucratiques de la nomenklatura stalinienne en fournissaient l’exemple le plus magistral selon ces professeurs loin du réel. Pour Max Horkheimer et ses collègues, encore en 1974, la division centrale n’était pas entre capitalistes et prolétaires, mais entre dominants et dominés, entre dirigeants et exécutants, chanson déjà récitée par Castoriadis, qui avait probablement piqué l'idée aux francfortois. Deuxièmement, leur « Théorie critique » professait de s’écarter du déterminisme marxiste, une fable marxienne d’une histoire marchant inéluctablement vers le communisme, la critique francfortienne préférait envisager l’histoire dans son irréductible incertitude. Posant ainsi la possibilité d’une catastrophe contingente à l’origine de l’histoire, Adorno s'efforçait de démolir l’idée d’une « Raison dans l’histoire », ou en tout cas d’une nécessité historique pensée dans les termes de Hegel.
Les théorisations des sociologues de Francfort sont finalement inconsistantes politiquement. C'est une catastrophe si on veut les appliquer au champ politique. Leur théorisation du totalitarisme sert à faire croire que la démocratie bourgeoise y serait étrangère, alors que de nos jours elle est le meilleur totalitarisme ayant jamais existé (cf. la surveillance de Google et le phagocytage généralisé de toutes vos données, sans oublier la paralysie totale des allées et venues des populations lors de la crise du Covid, surveillance électronique et policière à laquelle même le nazisme n'est jamais parvenu). Leur théorie du totalitarisme ne ciblant que l'hitlérisme et le stalinisme, tous deux disparus, ne sert que la dépolitisation des questions, au même titre que la propagande religieuse.
Avant l'apparition de l'islamo-gauchisme, la mouvance altermondialiste ne prétendait plus que « changer le monde sans prendre le pouvoir ». Dans un tel climat anti-politique, dont la thèse du totalitarisme comme « politisation à outrance » était à la fois une apologie de l'hypocrite démocratie bourgeoise, se lovait une exclusion du prolétariat réduit à voter Le Pen.
On comprend que cette Ecole de sociologie révisionniste du marxisme ait séduit le réformisme gauchiste. La majorité de l'Ecole de Francfort ne croyant ni à la victoire ni à une « mission » victorieuse finale du socialisme. Ces philosophes marxistes snobs étaient surtout appelés à devenir des sociologues renommés partisans d'une troisième voie entre capitalisme existant et révolution, c'est à dire prorogeant le système actuel car pessimistes sur une réelle prise de conscience des aliénés et des exploités Selon Bloch, même avec une prise de conscience des masses et de leurs partis, après la socialisation des grands moyens de production, l'Etat ne périrait pas rapidement, mais se maintiendrait ou ressurgirait sous une autre forme, celle, rééditée, de la dictature des apparatchiks ; plus précisément comme causalité d'un énorme déficit théorique dans la théorie du « socialisme scientifique », entre autres l'absence d'une analyse critique et approfondie du concept de dictature du prolétariat.
Le socialisme « réellement existant » est devenu une doctrine de légitimation de l'idéologie du capitalisme d'Etat. La critique du dogmatisme (stalinien) par Bloch enfonce des portes ouvertes depuis longtemps par les oppositions politiques à la dégénérescence en Russie qui n'est pas due simplement à l'apparition des apparatchiks, comme l'avaient expliqué les Rosa Luxemburg et Karl Korsch. Bloch s'écarte de la compréhension de la faillite de la révolution en imaginant le sauvetage par une révolution métaphysico-religieuse.
Il n'est pas étonnant qu'il déclare lors d'une interview que la morale incite au socialisme en éliminant les rapports de maître et de valet entre les hommes, du même calibre idéaliste que la fameuse fable anarchiste dirigeants/dirigés à la Castoriadis. Pourtant les valets ressemblent trait pour trait aux maîtres, contradiction insoluble du point de vue anarchiste. Il n'enrichit pas non plus le marxisme stalinien (dit appauvri) mais exalte ce bonheur de type chrétien : l'espérance. Il fait équivaloir le christianisme originel au socialisme. Il salue les jacqueries qui « ont été menées sous une forme chrétienne » et tous ces hérétiques qui étaient des mystiques et des religieux, sans nous dire pourquoi ils ont échoué et ne pouvaient qu'échouer. L'histoire des révolutions ne commence pas avec Spartacus. Il faut un peu d'irrationalisme dans la rationalité historique.
Les époques révolutionnaires sont un moment de « rajeunissement de l'histoire ». Si la jeunesse coïncide avec les époques révolutionnaires, c'est qu'elle est aspiration, désir d'échapper à la double prison de sa propre immaturité et de la contrainte que lui impose la société d'oppression. L'apport de Bloch n'est pourtant pas exceptionnel, d'autres bien avant lui avaient souligné l'importance de la jeunesse dans la venue des révolutions (Cf. Liebknecht). Cette jeunesse est en effet l'aurore des révolutions. On ne connaît pas de révolutions de vieux. Mais il y a eu aussi une jeunesse fasciste.
C'est l'émergence de ce besoin d'une « ère nouvelle » qui est liée aux aspirations d'une nouvelle classe sociale « ascendante » qui dans sa lutte contre l'ancien monde a aussi recours aux anciens rêves d'émancipation de l'humanité, religieux ou pas.
MISSIONNAIRES OU REVOLUTIONNAIRES ?
Les spartakistes avec Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg5 – leur groupe a pris le nom du chef des esclaves de l'Antiquité Spartacus – auraient affiché des allusions messianiques dans leurs discours désespérés dans une révolution vouée à l'échec. Le millénariste prédicateur Thomas Müntzer figure aussi en 1919 comme un autre héros d'une guerre lointaine du passé où n'existait pas la classe ouvrière. Indépendamment de son combat religieux, Müntzer est quand même un révolutionnaire, mais d'un autre temps. Il prédisait la fin des temps. Il n'y a aucune honte à invoquer sa mémoire et son rôle à l'époque moderne ou le capitalisme a mis en balance à plusieurs reprises la menace de destruction de la planète6. Mais aussi ses limites et aussi le fait qu'il n'y a aucun risque qu'un quelconque dignitaire religieux moderne vienne déranger la paix sociale, sauf ceux qui ont cru en Khomeini.
En 1939, avec tous ses zigzags contradictoires, Trotski accole le mot mission à tous ses revirements opportunistes : « La lutte pour la démocratie impérialiste apparaît, conformément à cette logique, comme la mission historique du gouvernement ouvrier ». Jusque après la Seconde Guerre mondiale subsiste cette vision eschatologique de la mission du prolétariat : « Le prolétariat, lui, n’a pas de privilèges à conquérir. Son émancipation est l’émancipation de tous les opprimés et de toutes les oppressions, sa mission est celle de la libération de l’humanité entière, de toutes les inégalités et injustices sociales, de toute exploitation de l’homme par l’homme, de toutes les servitudes : économique, politique et sociale »7.
Drôle de mission évangélique qui se fait attendre et côtoie généralement plus souvent l'enfer que le paradis.Ernst Bloch pensait que si la religion est grosse des utopies, c’est parce qu’elle propose une réponse à l’angoissante question de la mort. La résurrection du Christ dans le christianisme apparaît comme le remède contre la mort dont la pensée hante terriblement l’homme, mais elle ne répond pas à la question de résoudre les malheurs du monde ici-bas. Le projet communiste est un « plan pour l'espèce humaine » pas un vœu d'éternité pour les individus en chair et en os et mortels.
La promesse faite aux pauvres, aux déshérités, aux « offensés », accessoirement aux prolétaires d’un monde meilleur dans l’au-delà diffère la révolte, ici-bas. Elle est donc une illusion profitable aux classes dominantes, qui évite surtout toute mise en cause de leur pouvoir. La religion dit également à l’âme de se préoccuper de soi-même, alors que l’homme, selon les révoltés déçus par la religion, doit d’abord se préoccuper de ses conditions matérielles d’existence, de sa famille, de ses camarades, de ses amis. La religion affirme que le monde ayant été créé par dieu, il est naturel et ne peut être changé. Or, le rôle historique du prolétariat est de transformer le monde, de le libérer de l’injustice comme de l'ombre de l'architecte de l'univers.
Etienne Balibar, pourtant intellectuel compagnon du PCF réactionnaire a nuancé la caractérisation de messianisme marxiste. Le prolétariat est donc l’autre (ou l’antagoniste) de la religion, mais il est aussi l’expression de sa contradiction interne, la révélation du secret dont, en tant que « protestation » contre la souffrance dont elle était porteuse. On a affaire ici à un schéma qui vient de bien avant Marx et qui se prolongera au-delà de lui : ce que la religion trahit ou pervertit (une promesse d’émancipation ou de rédemption), le messie, ou mieux, la « force messianique » le révèle, le rétablit et le fait triompher contre elle. Prenons garde de ne pas voir ici une « relève » dialectique de la religion : il s’agit plutôt d’une rupture ou d’une interruption, même si elle est conçue comme un retour à l’authenticité originaire.
Chacun sait que Marx avait décrit la religion comme opium du peuple. Cette formule a longtemps représenté la quintessence de la commisération marxiste du phénomène religieux, mais avec une inclination à la tolérance qui laissait de côté le rôle idéologique bourgeois de la religion, par exemple le cynisme du catholicisme pendant la conquête des colonies ou durant la Seconde Guerre mondiale, comme celui de l'islamisme à notre époque. Or, cette formule n’avait rien de spécifiquement marxiste. On peut la trouver, avant Marx, à quelques nuances près, chez Kant, Herder, Feuerbach, Bruno Bauer et beaucoup d’autres. Les formules néo-religieuses de Marx ne sont pas à prendre à la lettre. C'est sa façon polémique de prendre à son jeu l'idéologie religieuse, pour ridiculiser son idéalisme et lui opposer les buts pratiques réels, viser à la réelle résolution politique et sociale de l'émancipation de l'humanité de ses diverses oppressions, que n'avaient pu apporter ni la Réforme religieuse ni la révolution bourgeoise.
Marx n’utilise jamais la notion de mission historique contrairement à ce que le principal groupuscule de la théorie de la décadence lui fait dire dans ses articles sur la décomposition du capitalisme. Il ne semble pas avoir considéré une continuité entre mythes chrétiens et socialisme, mais une rupture avec les utopies diverses qui se sont succédé :
« On a cru jusqu’ici que la formation des mythes chrétiens sous l’empire romain n’a été rendue possible que parce que l’imprimerie n’était pas encore connue. La vérité est tout autre. La presse quotidienne et le télégraphe qui en répand instantanément les inventions sur tout le globe fabriquent plus de mythes (et le stupide bourgeois les accepte et les colporte) en une seule journée qu’on n’a pu en fabriquer autrefois en un siècle ».8
Au dix-neuvième siècle existe encore une prégnance du vocabulaire théologique, et surtout prophétique et apocalyptique, dans la littérature européenne de la période qui va de la Révolution française de 1789 à la révolution de 1848 en passant par la « restauration ». Ceci ne vaut pas seulement pour les productions du socialisme et du communisme « utopiques », inspirées ou non par l’idée d’un « nouveau christianisme », ou inversement celles de la contre-révolution « théocratique », mais pour le nationalisme.
Quant au côté messianique de la définition du prolétariat, s’il tendra à céder la place à une définition plus réaliste de la classe ouvrière ou de la « classe des travailleurs » (Arbeiterklasse) en rapport avec le mécanisme de l’exploitation de la force de travail et de l’organisation du surtravail, il se déplacera en fait sur la représentation apocalyptique de l’affrontement final entre révolution et contre-révolution, induit par la violence de la répression étatique des insurrections populaires et prolétariennes du XIXe siècle9. Pour Marx, la révolution reste une possibilité, elle n'est pas aussi sûre que si elle était advenue (ainsi que le formula un jour Bordiga à qui je laisse cependant la conclusion). Le néo-stalinien Alexandre Melnik imagine que Marx s'attendait à une renaissance de l'idée messianique de « Troisième Rome ».
L'accusation de messianisme marxiste vient en général de l'extrême droite et de l'aile libérale de la bourgeoisie, en bordure de l'antisémitisme le plus crasse, montrant du doigt « le mythe du peuple élu » : « C'est un idéal qui a transformé une idée religieuse en programme politique, ayant les mêmes proportions que le messianisme hébreu »10. Moscou aurait été une nouvelle Jérusalem. Le messianisme est forcément un complot : « Toute idée messianique imprime directement ou camoufle une inclination pour le pouvoir, et, par conséquence, il n'y a pas de messianisme sans implication politique »11.
Henri Maler liste nombre d'autres charlatans réactionnaires bien connus adeptes de l'invention d'un Marx messianique, accolé au millénarisme : Berdiaff, Arnold Toynbee, Karl Popper, Leszek Kolakowski, Mircea Eliade, Raymond Aron, Michel Henry. Cette citation de Karl Löwith résume bien la vacuité de ces ennemis déclarés du marxisme de Marx :
« Tel qu'il se présente dans le Manifeste communiste, le processus historique reflète dans son ensemble le schéma judéo-chrétien traditionnel d'une histoire considérée comme celle du salut, placée sous signe de la Providence et interprétée dans son sens ultime »12.
Ces analogies sont pourtant faciles à démonter. Ainsi, le sens que Marx donne à l'idée de la fin de la préhistoire ne permet pas de considérer sa théorie comme une eschatologie, c'est à dire une étude des fins dernières de l'homme et du monde : où est-il question dans l'oeuvre de Marx de la fin du monde, de la résurrection, du jugement dernier ? Ainsi, les accents prophétiques et l'exaltation pratique qui retentissent dans le discours de Marx ne suffisent pas à le considérer comme une variété des prédications des millénarismes, c'est à dire de la prédiction du Règne de Mille ans du Messie sur la terre avant le jugement dernier : où est-il question dans l'oeuvre de Marx d'attendre ou de précipiter le dernier âge de l'histoire, l'âge d'or du millénium, qui doit précéder sa fin ?
Ainsi encore, le rôle attribué au prolétariat, s'il fait résonner le thème de la rédemption, ne correspond pas à la définition même du messianisme, c'est à dire la croyance selon laquelle un messie en personne viendra affranchir les hommes du péché et établir le Royaume de Dieu sur la terre : où est-il question dans l'oeuvre de Marx d'un Sauveur suprême, c'est à dire, si les mots ont un sens, d'un Sauveur transcendant et en tant qu'individu magique ?
Ainsi encore, l'attente d'une Révolution ne peut être amalgamée à l'attente de la parousie, c'est à dire du second avènement du Christ glorieux instaurant et gouvernant le millénium, attente qui pour les chrétiens permet de conjuguer le millénarisme et le messianisme: où est-il question dans l'oeuvre de Marx (et non dans l'exaltation stalinienne du Parti et de son chef) de la seconde résurrection du Sauveur ? »13.
La lutte de classe est d'abord autodéfense contre le capital. Le prolétariat n'est pas une force sociale messianique mais l'être vivant de la contradiction en acte qui doit renverser le capitalisme. Cette classe a déjà pris conscience de son rôle véritable et ne procède pas par religiosité ni philosophie.
NOTES
1 Probablement aussi pogromiste, nouvelle appellation dont je sais qui en est l'auteure, sacrifiant à la antiraciste des gauchistesl'" : « Appel" au pogrom du GIGC contre nos propres camarades ("Appel" frénétiquement relayé par différents "réseaux sociaux" et un dénommé Pierre "Hempel", qui se prend pour le représentant du "prolétariat universel") .
2Revue internationale 169 Critique des soi-disant “communisateurs” (II)
Du gauchisme au modernisme : les mésaventures de la "tendance Bérard
https://fr.internationalism.org/files/fr/fr_169_1_jo_kra_yv_arkra_from_manifeste_1.pdf
3« La Fête de thermidor an VI » (Fêtes et Révolution, Délégation à l’action artistique de la Ville de Paris et de la Ville de Dijon, Paris, 1989) repris en partie dans son livre : « L’Art de la liberté ». Doctrines et débats de la Révolution française, Gallimard, 1991.
4Par exemple un groupe comme Révolution internationale se gargarise depuis 50 ans avec les termes « mission du prolétariat ».
5Les lettres de Rosa Luxemburg en prison sont nommées « Lettres de Spartacus », sans en expliciter la référence, qui n'est pourtant pas religieuse.
6Engels a eu tendance à faire de Münzer une légende, et l'a placé au rang des premiers utopistes, ce que Ernst Bloch a relativisé.
7Notamment dans le brûlot « L'Etincelle » (dixit recopiage du mot russe, l'Iskra de Lénine), article de Marc Chirik en 1946. Le créateur de la GCF et du CCI aura maintenu le terme jusqu'à sa mort, sans faire cas de sa connotation religieuse mais il est vrai qu'il se souciait peu d'être linguiste ou grammairien.
8Marx à Kugelmann, 27 juillet 1871.
9Cf. Les luttes de classes en France, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte.
10Le messianisme russe, utopie et politique, de Bogdan Georges Silion, institut Lucio Anneo Sénéca (2013).
11Ibid.
12Henri Maler « Convoiter l'impossible » : « Marxisme, messianisme et millénarisme, florilège d'analogies.
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