« Il nous faut un syndicalisme fort » Jean-Pierre Raffarin
« Ce n'est plus la grève qui est primordiale mais de mener des actions ». CGT
« La raison de l'innocence de ces jeux entre princes et prétendants, entre des castes diverses et toutes privilégiées, est que ce jeu se fait toujours sur le dos et aux dépens du prolétariat et de la Révolution ». Jules Andrieu
Ni grève générale syndicale ni révolution n'ont la moindre chance de sortir de ce guêpier des retraites. D'abord avec 36 régimes de retraite et autant de cas spéciaux auxquels le gouvernement vient d'en ajouter d'autres sous-spéciaux ou très spéciaux avec supposée prise en compte (à la tête du client?) d'une pénibilité dont on ne sait qui pourra en être juge, en bref c'est chacun pour soi. Ensuite, ni les jeunes ni les vieux déjà retraités ne se passionnent pour cette querelle de boutiquiers et de manipulateurs où les journalistes d'Etat ont des mots encore plus forts d'indignation contre la réforme que les syndicalistes eux-mêmes, comme si les syndicalistes étaient insuffisants pour mener à bien une protestation en impasse. Impasse car les retraites d'en bas, réforme ou pas, restent lamentablement basses, surtout pour ceux du privé et les malchanceux qui n'ont pas « leurs trimestres » d'exploitation de toute une vie.
Le séquençage de la protestation initialisée par les mafias syndicales met mal à l'aise les millions de prolétaires qui sont hors du coup. Le plus mortifiant dans cette cuisine préparatoire pour faire mordre la poussière à l'indignation ouvrière est bien cet acte de division, pour ne pas dire de foutage de guelle de la mafia CGT : des actions de coupure de courant contre les riches, pour justifier une économie de;la grève ; je nommerai cette action d'anarcho-stalinienne, typique des menées incontrôlables des états-majors planqués. Tout a été pré-organisé, pré-mâché même, en veillant à l'absence de continuité dans l'organisation de manifestations successives, sagement éloignées les unes des autres, sans que les prolétaires d'en bas n'en soient comptés comme autre chose que les figurants des boutiques à ballons géants pour jours de marche et panneaux pour ceux qui tombent dedans.
L'union de toutes les boutiques politiques et syndicales a volé en éclats comme convenu, sauf pour les gogos. La clique à Mélenchon fait figure de vilain canard, plus compétiteur des mafias syndicales que soucieuse de la messe unitaire si classique et cinématographique. Les partis de la gauche bourgeoise et leurs petits frères se scindent tous en deux du PS au NPA, et même ceux de la droite bourgeoise.
La vacuité actuelle des partis populistes qui se prétendent les défenseurs de ce truisme « couches moyennes », et accessoirement des « pauvres » (cf. Sardine Ruisseau) est une évidence à toutes époques de crise et même pré-révolutionnaires, ce que Jules Andrieu a mieux vu que tout autre :
« Depuis que le parlementarisme existe, le parti opposant ne peut jamais être organisé. Car les forces vives de ce parti sont absorbées par l'opposition parlementaire. Les députés de Paris, depuis Jules Favre jusqu'à Rochefort, étaient aussi nécessaires à l'Empire que la résistance est nécessaire en mécanique à l'action ». (janvier 1871, in notes pour servir à l'histoire de la Commune de Paris, ed Libertalia).
Vers la fin septembre 1870, Jules Andrieu décrit les phases par lesquelles passe (dans les fausses révolutions de 1848 et 1870?) le parti « dit révolutionnaire », et ceci vaut pour tous les partis bourgeois prétendus révolutionnaires, je résume :
il n'est pas organisé et, ne l'étant pas, il ne peut pas s'imposer ;
la réaction, toujours unie, s'agite dans l'ombre, puis au grand jour et enfin réussit une ou plusieurs contre-journées ;
la défaite organise un peu le parti... on se croit organisés. Immense erreur !
Le parti agit par des manifestes (pétitions)
drame en cinq actes, ses illusions et sa rage grandissent ensemble, il tente une ou plusieurs actions jusqu'au désastre complet, quand tout est perdu, quand les homme sages sont rentrés.
Au cours de cette fameuse journée du 4 septembre 1870 qui a tout l'air d'une farce et qui a inauguré la fondation de la IIIe République, c'est la bonne bourgeoisie qui triomphe avec ses avocats se disant républicains, le journalisme formaliste, les restes de comités électoraux, les clubs radicaux mais aussi l'AIT1.
La justice bourgeoise en prend pour son grade : « L'avocat est et reste avocat ; il ne redevient jamais homme ».
On ne peut s'empêcher de comparer avec la situation actuelle, avec cette crise de tous les partis bourgeois de droite à gauche, une impuissance des partis malgré une nouvelle constitution « républicaine », suivi de la guerre avec l'Allemagne puis par l'insurrection communarde du 18 mars 1871.
Bon je l'avoue c'était juste une entrée en matière pour faire de la publicité à Jules Andrieu, simple fonctionnaire de mairie, plutôt proudhonien, un tantinet misogyne, qui est devenu le principal administrateur de la Commune de Paris car, comme il le dit lui-même, avec un œil critique sur les hommes de pouvoir, ou qui viennent de prendre le pouvoir : « L'homme de parti qui arrive au pouvoir se fait difficilement à cette réalité, qu'il gouverne ou administre la collectivité entière de citoyens, aussi bien ses adversaires que ses amis politiques » (p.166)
"Les barricades puériles de Batignolles et de Montmartre'
Cette plume incandescente ne respecte rien des stéréotypes rabâchés sur la Commune. Le témoignage de Jules Andrieu et sa capacité d'observation du monde politique sont passionnants parce qu'il nous permet de réfléchir, et a permis de réfléchir à Marx sur la question d'un Etat transitoire entre capitalisme et communisme. Conseilliste libertaire mou comme son collègue Janover, Rubel n'y a rien compris qui écrit dans sa post-face : « Mais, à l'encontre de Marx, sociologue et poète, Andrieu, acteur et juge, ne voit pas dans la Commune un gouvernement ouvrier et encore moins la négation, l'abolition de l'Etat »2. Andrieu récuse en réalité un pouvoir ouvrier, reproche aux ouvriers d'être des girouettes à l'époque3 et il rappelle qu'il s'agit de l'administration d'une ville. En réalité, de par ses conceptions d'ailleurs très honnêtes, plutôt libertaires, mais pas un simple littérateur comme les deux susnommés, qui n'ont que le mérite de l'avoir fait sortir des archives de l'oubli. Il est le premier à critiquer le retour à l'exemple passé : « La Commune avait tort de revêtir la défroque de 1789 ». Administration de l'eau, de l'électricité4, des cimetières dans un lieu en révolution où il y a toujours de beaux parleurs (Félix Pyat). Les généraux de la Commune qu'une postérité peu sourcilleuse a porté aux nues, en prennent pour leur grade. Delescluze est «le pontife du dogmatisme radical », Ledru-Rollin « une outre démesurément gonflée », Barbès « une ganache chauvine-héroïque » ; « les blanquistes étaient fort inférieurs à Blanqui » ; « le seul défaut de Félix Pyat c'est qu'il est vieux » ; Thiers une « souris réactionnaire ».
Sur la gouvernance, Andrieu use tour à tour de l'ironie contre les artisans de la phrase sonore : « Gouverner, c'est faire des décrets sans s'occuper de leur exécution ; c'est s'adresser à tous les autres peuples plutôt qu'au sien propre, ; c'est poser devant l'avenir plutôt que parler au présent ; c'est démodé, théâtral, c'est jacobin. Administrer, c'est répondre journellement aux nécessités journalières... » (p.169)
En plus, dans une période révolutionnaire et après il n'y a pas que des ouvriers à gérer, même si 42 milliardaires ont été jetés en prison et qui, même si on a pillé leurs comptes en banque et réquisitionné leurs châteaux n'ont pas fourni le centième de la somme fabuleuse qu'il faut régler aux retraités pendant la révolution.
« Ce qui empêcha la centralisation...Ce fût le faux centre appelé Comité central. Le parti fut perdu à l'avance, non pas seulement parce qu'il n'avait pas de tête, mais parce qu'il s'en crût une. En France on croit toujours que son voisin fait double besogne : les niais simples s'en reposent sur le gouvernement, les niais plus compliqués attendent tout d'hommes qui iront en prison pour eux, qui risqueront leur peau pour eux, et qui recevront la récompense de passer pour des pillards ou des ambitieux. On allait au club comme au spectacle, comme au café, pour passer la soirée. On votait dix résolutions par soir, et le lendemain, il ne restait de tous ces beaux projets que quelques lignes de procès-verbal, et le souvenir burlesque d'une levée confuse de bras » (p107)
Il a été publié très longtemps après sa mort, mais Marx en avait lu le manuscrit : visiblement il s'en inspiré pour ses critiques de la Commune. Il l'a même pillé à mon avis pour écrire des critiques de la Commune qui parurent osées à l'époque, mais basée sur un homme qui avait vécu cette expérience extraordinaire mais loin de la perfection que lui attribuent gauchistes et staliniens5. Cela se sent, Marx a repris aussi un peu de cette écriture flamboyante d'un homme pas froid comme l'imaginent Janover et Rubel comme préfaciers et découvreurs. Janover n'y a rien compris, comme à son habitude, délayant autour de son nombril de fastidieuses introductions bourrées de citations de Marx ; il n'y voit qu'une embrassade entre Marx et Rimbaud et avec Saint Breton. Rien de tout cela. Andrieu a été un pédagogue apprécié, il a formé Varlin, il a toujours combattu pour l'éducation en milieu ouvrier. Mais c'est un fait :
« La Commune avait besoin d'administrateurs ; elle regorgeait de gouvernants. L'écart est plus grand qu'entre mathématicien et danseur, surtout au siècle de Le Verrier »6.
UNE AMORCE DE L'ETAT DE LA TRANSITION DANS L'EXPERIENCE DE 1871
Lui il va faire le boulot, pas la propagande verbeuse. Il consacre plusieurs pages à l'administration de Paris, dans tous ses aspects. Il gère avec dévouement et rient compte des récriminations, des besoins, de la coordination. Bref, selon moi, Jules Andrieu est la préfiguration de la charge de l'Etat transitoire. Il n'est pas vraiment proudhonien même s'il le cite quelques fois. On ne peut pas de toute façon être proudhonien si l'on se soucie de centralisation à tout point de vue ; il souligne souvent gaspillage et incurie des généraux. Sur le travail comme indispensable dans la vie humaine, il dit de belles choses à faire pourtant horreur à tous nos nouveaux bobos jouisseurs du télétravil et des huit heures par semaine...
Il incarne cet Etat nécessaire mais hors parti, ce que son administration fut en réalité. Pas besoin de marxistes chevronnés dans cet Etat temporaire, ni de donneur de leçon de morale, et cet Etat, dans une logique de dépérissement n'est pas destiné à rester mauvais ou à devenir un nouvel Etat stalinien. L'Etat russe est devenu une dictature dès lors que l'expérience a été vaincue par la contre-révolution. En sens inverse on a bien plus de chance de voir s'amenuiser la place de cet Etat pour aller vers une auto-administration des choses, conception que je manie avec des pincettes vu l'immense poids de l'individualisme sous le capitalisme décadent. Il y faudra des générations et un autre terme que auto-organisation qui a un air aussi ...individualiste.
UNE ANALYSE D'UN ETAT TRANSITOIRE SANS PARTI ADMINISTRATIF ET QUI CHOQUE ENCORE LES CROYANTS BORDIGUIENS EN L'ETAT PARTI
C'est évidemment le CCI qui depuis plus de 50 ans a le mieux approfondi cette question, sans hésiter à remettre en cause des stéréotypes usés et fanés d'un marxisme poussiéreux. A cet égard, je dois avouer mon admiration pour la qualité et la profondeur de cet article de leur Revue internationale, qui, innovant et abandonnant les rabâchages sur les Conseils ouvriers comme solution miracle, fait confiance comme Marx à la capacité de création du prolétariat pour de nouveaux organismes dans les brumes de l'avenir:« Le communisme est à l'ordre du jour de l'histoire - Marc Chirik et l'État de la période de transition » Revue Internationale le 25 février, 2020
Marc auquel j'ai consacré cinq ouvrages de compils de ses divers textes (peut-être pas tous) + interview, est un penseur méconnu, pourtnat probablement un des plus importants du point de vue du mouvement ouvrier et révolutionnaire au XX ème siècle. Il s'en fichait, préférant comme tous les grands admirateurs du mouvement international héritier théorique de la vague révolutionnaire de 1917, un anonymat comparable à celui des millions de prolétaires, qui ne peuvent que reprendre un mot de la Commune : « Elisons des inconus ». Mais j'espère qu'un jour il aura droit lui aussi à la Pleiade.
Ce texte n'est pas en soi un hommage mais un rappel synthétique et bien charpenté de ses meilleurs approfondissements. Vous avez de la chance, vous pouvez le lire sur leur site internet gratuit. Cependant, il ne faut pas le lire indépendamment de cet autre :
« 100 ans après la fondation de l’Internationale Communiste: Quelles leçons pour les combats du futur? » (4e partie) Revue Internationale le 23 août, 2021
POURQUOI ?
Parce qu'il est nécessaire de défendre l'expérience initiale du parti bolchevique. Si vous ne lisez que l'article sur Marc vous pouvez penser comme nos pauvres littérateurs Janover et Rubel, anarchistes de salon, qu'il fallait déjà interdire au parti de participer ou de s'identifier à l'Etat transitoire. Cet article démontre bien que l'isolement et l'état de a Russie ne purent pas empêcher la montée de la contre-révolution, dont l'un des premiers actes fût Kronstadt, injustifiable quoique Trotsky ait fait mine d'oublier. L'expérience fut cruelle mais on ne peut tomber aux côtés de l'anarchiste niais qui jette toute l'expérience à la poubelle et qui, comme les historiens bourgeois imbécile assurent : « il ne fallait rien tenter, c'était mieux sous le tsar » !
Une critique cependant sur le texte autour de Chirik. L'auteur écrit au début : « Marc a été "exilé" au Venezuela ». C'est ridicule. Quelles que soient les qualités de nos « grands hommes », il est insultant de les faire passer pour des héros infaillibles ! Marc ne s'est pas trompé souvent, je peux en témoigner. Mais après 1945 il s'est trompé, d'ailleurs comme à peu près tout le monde : il a cru voir venir la 3 ème guerre mondiale (il a urait dû attendre 2023...), mais plus déplorable : il a fait ses valises pour le Vénézuela . Il existe plusieurs versions. Lui dit qu'il a été délégué par son groupe de cinq personnes « pour sauver les cadres », ou « le cadre principal ». Pour de vieux camarades aujourd'hui décédés, de son époque : « il a pris la poudre d'escampette pour sauver sa peau ». Il devait y avoie de ça. Marc, étant juif, était passé à travers les ignobles déportations pendant la guerre, et il a dû se dire « cette fois-ci je risque de ne pas passer à travers » !
Néanmoins, un jour, je le lui ai gentiment reproché : « Marc en partant tu as affaibli en Europe le courant que tu représentais depuis l'avant-guerre, en plus tu étais absent au début de 68, ce qui fait que RI est arrivé à la fin et n'a pu peser sur le moment sur le mouvement ».
peut-être, m'avait-il répondu.
Marc fût aussi pour moi un ami. Notre génération lui doit énormément. C'est lui qui m'avait demandé de rédiger et de prononcer à Maastricht en 1985 l'éloge funèbre de Ian Appel, dit Hempel, le principal dirigeant des conseils ouvriers en Allemagne, qui avait détourné un bateau pour aller porter la contradiction à Lénine et qui a écrit les Grundprinzipien.
J'ai eu par la suite l'occasion d'inviter Marc et la veuve de Appel pour une soirée chez moi à Fontenay aux Roses, sans tralala.
NOTES
1« L'Association internationale ne tenait pas dans sa main, comme elle le donnait à entendre, toute la population ouvrière de Paris. Elle était, de plus, divisée en elle-même – qu'on juge des autres éléments du parti : c'était et c'est le plus actif et le plus sincère ». p.111
2Rubel reste une référence comme historien et archiviste, mais ce genre d'intellectuel n'a pas la force d'un politique. A la fin des années 1970 , nous l'avions regardé débattre avec un stalinien, Marc Chirik et moi, devant notre poste de télévision. Marc avait milité après guerre après lui. Nous avions été dégoûté de voir comment il s'était laissé marcher dessus par un vulgaire intellectuel stalinien.
3« La question du prolétariat, ne pouvant pas être résolue vu la suspension du travail, ne devait être ni posée verbalement, ni stérilement agitée dans la pratique ». Réflexion très pertinente car la Commune se déroule plutôt comme une guerre et ne dispose pas d'un prolétariat industriel apte à paralyser la bourgeoisie par ses grèves, ^mus que par les fusils.
4Comme aujourd'hui, après le stupide blocage des centrales nucléaires par les bourgeois écologistes : « Un matin, le Journal officiel annonçait que,la houille manquant, l'éclairage de Paris allait cesser » p.143.
5Et piqué des passages entiers comme celui-ci qui pourrait tout autant viser la reine des bobos Hidalgo : « Vous avez pris l'hôtel de ville pour y installer la commune bourgeoise, celle qui protège la spéculation contre la consommation ; vous avez occupé le bâtiment de l'ancien Comité de salut public, parce que, bien que vous le montiez la tête tournée vers la queue, vous n'enfourchez pas moins le vieux dada des Jacobins...Voici Paris déshonoré et crucifié ». Je ne reproduit pas tout le long passage de la p.121, mais je ne peux m'empêcher de penser que le grand Charles l'a copié aussi.
6p.171. Urbain le Verrier, astronome, inventeur de la météorologie (1811-1877)
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