Les communistes ne prêchent aucune morale.
Marx (La Sainte Famille)
à Jeannette Colombel
Pourquoi revenir sur cette « morale prolétarienne »
inventée par le CCI, alors que j’ai déjà répondu dans certains de mes livres, ou en
particulier dans deux articles de ce blog[1] ? D’abord parce que,
par hasard, je suis tombé sur une ancienne réplique datant de 2009 par Marcel
de Controverses « Morale et matérialisme historique » puis une autre de l’ex-fraction
interne du CCI devenue FGCI « Morale prolétarienne, lutte des classes et
révisionnisme ». Si le débat « philosophique » n’a pu avoir lieu
à l’intérieur car incongru, inusité, paradoxal et réactionnaire, on a été trois
au moins à l’extérieur à faire part de notre pitié plus qu’effarement, désolation
plus qu’étonnement.
Pour mieux clarifier ma critique des fois que la covid aurait
atteint les neurones du CCI ou ce qu’il en reste.
Les deux auteurs sont deux
anciens responsables de l’organe central, qui ont été exclus, qui restent des
personnes tout à fait estimables, et notoirement cultivées politiquement. Le
premier s’attache à démonter sur six questions l’infatuation et l’incompétence
de l’auteur du texte qui avait fait l’objet d’un congrès en 2004 : « Texte
d’orientation sur la question de la morale » ; il montre que nos
grands maîtres du dix-neuvième, pas si savants, et le congressiste moraliste n’ont
jamais bénéficié ni pu étudier les progrès de la connaissance moderne dans le
domaine de l’anthropologie et de l’ethnologie ; sur les rapports entre générations,
l’esclavage, le vol, le meurtre, etc. Conférer à cette idiotie du théoricien
moraliste : « la noble simplicité des principes communautaires de la
société primitive », il y était ou il a vu cela en BD à la télé ?
Le texte « d’orientation » n’est qu’une désorientation
complète du marxisme, et une plongée dans l’idéalisme le plus navrant. Je ne
lui trouve qu’une faiblesse à notre ami belge, s’appuyer un peu trop sur la
morale de Trotsky qui n’est pas très morale[2].
Le second auteur, probablement Juan, se livre à une démonstration
allégée, qui ne remonte pas jusqu’au chimpanzé. Il souligne justement que la
morale n’est pas invariable au cours des siècles. S’il remarque correctement
que le marxisme a toujours en premier lieu axé sa lutte sur la dénonciation de
la mystification de la morale, il fait lui aussi une théorisation d’une véritable
« morale prolétarienne » mais à l’époque moderne en désignant comme
principaux ennemis l’individu et la nation. Il ne voit pas lui non plus que l’immigrationnisme
détruit l’internationalisme et répète le plus souvent les mêmes formules périmées
apprises dans le CCI. Il confond lui aussi conscience et morale. Il commet la
même hérésie idéaliste du CCI selon laquelle c’est la morale qui impulserait la
lutte de classe et pas les besoins du prolétariat. Enfin il fait lui aussi un
abus de citations du moraliste ambigu Trotsky, ex-général de l’armée rouge pour
qui tous les moyens sont bons puisqu’il a fait tirer sur Kronstadt sans autre
état d’âme que sauver la nation « prolétarienne ».
Au fond pour tous ces auteurs, le marxisme ne serait au fond qu’une
nouvelle « religion morale ». Je ne vais donc pas revenir sur leurs
différentes approximations, quoique certaines ne soient pas dénuées d’intérêt
(vous pouvez les lire sur le web). Je note simplement qu’ils n’ont pas été
choqués comme je le fus à l’époque – je travaillais sur le tome III de l’œuvre non
consentie de Marc Chirik – par le fait qu’une organisation politique, dite
communiste et révolutionnaire, tienne son 17ème congrès sur une
question philosophique. La philosophie que je sache n’est pas un instrument d’action
politique ! J’ai imaginé aussi avec compassion la plupart des militants,
incultes dans ce domaine, venus adhérer à un combat politique où chacun doit et
peut s’exprimer selon sa conscience sur des questions et des orientations
politiques, soudainement plongés dans un débat académique où seuls deux ou
trois beaux parleurs pavanèrent avec quelques néophytes exposant des questions
d’incultes complexés…[3]
J’en avais décrit le déroulement à plusieurs reprises de ces
congrès : « Les congrès c'était la messe. Textes et résolutions déjà
tout prêts, plus qu'à lever la main, comme dans les partis bourgeois. Ciliga,
qu'ils citent, décrit très bien le déroulement des congrès du CCI :
« Les séances étaient moyennement ennuyeuses. Pour les participants, les
séances publiques étaient un pur verbiage. Tout se décidait dans les
coulisses ».
Je découvris - « le rôle
dirigeant de l'organisation dans le développement de la conscience de
classe ». Quoique ne prétendant ni diriger l'Etat, ni personne, je suis
rassuré que le groupe veuille diriger la conscience. Il peut toujours essayer,
personne ne l'en empêchera. Malgré ses crises « l'organisation a toujours
été capable d'élever son niveau théorique et de clarifier les questions ».
Le contraire nous eût désolé.
C'est avec cet ornithorynque « morale
nouvelle » que ma vue s'est troublée en même temps que mon entendement. Il
faudra que je leur envoie mes questions, qu'on m'explique :
· Les origines de la morale dans les instincts sociaux de l'espèce
humaine ? (J'ai demandé à Michel Serres, encore en vie, et à Albert Jacquard,
ils ont été incapables de me répondre).
· La dissolution graduelle des valeurs sociales (lesquelles? )
· L'amoralisme ambiant (lequel? )
· Pourquoi le capitalisme se porte-t-il mieux qu'en 1989 ?
· La dissolution des liens de solidarité à la base de la société
humaine ?
· La dissolution des valeurs morales établies par la société ?
· Quelle morale a été rejetée après 68 ?
· C'est quoi la « perversion de l'éthique du prolétariat » ?
APOLOGIE DU PROGRES ET SUS A L’INDIVIDU !
En général, toutes les sectes, organisations
ou partis qui se déclarent marxistes vous font toujours, cycliquement un
discours criminalisant l’individu, celui-là même qui s’était forgé contre l’aliénation
religieuse. Avoir le sens du collectif était un des critères pour adhérer au parti
stalinien, et chacun sait désormais de quoi il en retournait[4]. Ce qui domine dans ce
texte qui date d’une quinzaine d’années, devenu objet sacré intouchable, c’est
le mot progrès, utilisé au moins cinquante fois alors que Marx l’a certainement
utilisé moins de dix fois au cours de sa vie de polémiste. Sans oublier les
termes invraisemblables d’« évolution morale » !
En vérité, reliez-le donc, sous le capitalisme il n’y a jamais à proprement de progrès sous le capitalisme, mais le théoricien œcuménique du CCI nous a inventé un « progrès moral ». Chaque phrase chaque ligne de ce galimatias de désorientation aurait fait rire Marx et Engels. C’est l’invention d’une morale dont Marx ne voulait pas du tout. Le dogmatisme stalinien considérait le progrès comme évident, linéaire et mécanique, tout en se méfiant et en « culpabilisant » moralement tout contradicteur intra-muros ; le texte religieux d’orientation sert fort probablement de fléau interne pour terroriser tout impétrant ou futur « policier » qui doute de l’onctuosité de la secte paranoïaque. Le stalinisme « marxiste » avait substitué le mythe à la méthode, quoique cette « morale prolétarienne » débouchât sur des procès en inquisition ! La théorisation de la morale mène au stalinisme mais aussi, comme on va le voir, à la mort politique.
Le pouvoir a toujours besoin de se baser sur le sentiment de culpabilité (c’est bien dans le CCI que j’ai entendu « il faut culpabiliser les ouvriers », celle qui me lit se reconnaîtra), et le CCI, contrairement aux gauchistes, n’hésite pas à humilier la classe ouvrière[5] ; et avec son néologisme répétitif « la progromisation ») il dénonce gilets jaunes et toute couche intermédiaire en révolte comme futurs exterminationnistes[6]. Ce sentiment de culpabilité il faut l’entretenir et le développer. Il est basé sur les mêmes critères de la morale chrétienne et l’investigation policière. C’est le règne de la terreur, bien sûr au même niveau invisible que les petits persécuteurs des réseaux sociaux. La morale « prolétarienne » fait office de discipline pour autant qu’elle empêche de penser. L’aliénation est du même ordre que celle des morales transcendantales. L’initiative est condamnée comme individualiste et vouée au bûcher des vanités. C’est le progrès !
DIALECTIQUE DES BESOINS OU PRIERE OECUMENIQUE ?
L’individu, disait Marx après Fichte, est l’ensemble de ses relations
sociales. L’erreur de Kant est d’avoir fait du « devoir être » une
expérience privilégiée. Le « devoir être » est présent dans tous les
moments de notre existence comme humain, mais sans forcément le sentiment du
devoir : j’ai conscience de moi par la présence des autres en moi,
laquelle se manifeste par le langage et mon implication dans tel ou tel
travail. C’est avec le travail que naît l’homme, dit aussi Marx. L’homme crée
ses valeurs en même temps que ses besoins.
Le besoin n’est pas seulement individuel mais sociale. Il prend la
forme de la nécessité historique sous la revendication. La révolution
prolétarienne devient la valeur fondamentale dans le processus confus de la simple
révolte. La révolution est le champ du possible et pas du religieux. La
nécessité du communisme n’est pas une certitude scientifique. Le possible du communisme
n’est pas un jugement moral mais ce qui sous-tend le mouvement réel de la
volonté d’émancipation. Marx ajoute : « La morale, entendons la
morale qui se justifie par rapport à une valeur idéale, c’est l’impuissance
mise en action ».
Le sens de l’histoire n’est pas une quelconque nécessité théologique,
une fatalité incontrôlable, mais repose sur la lutte du prolétariat. Cette
lutte porte en elle une possible organisation planétaire des besoins et des
espérances de fin de l’aliénation et de l’exploitation. Toutes les morales
dominantes n'ont été jusqu’ici que des formes renouvelées de l’aliénation.
Pédagogues officiels, politiciens moralistes comme militants déçus
d’une classe ouvrière atone, supposée endormie ou dissoute, ne font que
véhiculer des morales périmées.
La décomposition ou l’implosion du capitalisme, tout comme les
failles des religions ne peuvent être suppléées par l’invention d’une nouvelle
morale. Revendiquer une « morale matérialiste » ne vaut pas mieux que
la « morale spiritualiste » pour décerner un brevet de moralité à la
classe ouvrière ou au militant qui en est réduit à être un acteur de clavier.
Dès qu’on reste sur le terrain de la morale, l’équivoque guette. La morale
dominante reste perçue par les dominés comme hypocrisie et corruption. Il n’y a
pas besoin du pasteur Niewenhuis, de Gorter ou de Rosa Luxemburg pour le leur
expliquer. Le terme éthique conviendrait mieux comme questionnement autour de
la question idéologique de la morale. Lénine ne théorise pas vraiment une
moralité « prolétarienne », l’usage du mot qu’il fait renvoie plus à
la notion plus étroite de solidarité [« discipline solidaire et cohérente,
lutte consciente des masses contre les exploiteurs » dixit Lénine] c’est
une morale de combat politique :
« Toute morale… empruntée à des conceptions extérieures à l’humanité,
extérieures aux classes, nous la nions. Nous disons que c’est là tromper, duper
les ouvriers et les paysans et leur bourrer le crâne pour le profit des grands
propriétaires fonciers et des capitalistes. Nous disons que notre morale est
entièrement subordonnée aux intérêts de la lutte des classes du prolétariat.
Notre morale dérive de la lutte de classe du prolétariat ».
La morale suppose de « corriger la faute », là où il n’y
a ni faute ni responsabilité, ce en quoi elle aboutit non à la prise de
conscience mais à la paralysie. Elle reste du domaine de l’aliénation, du
conditionnement intériorisé à obéir. Les hommes restent tous, prolétaires comme
bourgeois prisonniers de la morale dominante comme l’explique Engels :
« En dernière analyse, consciemment ou inconsciemment, les hommes puisent
leurs conceptions morales dans les rapports pratiques sur lesquels se fonde
leur situation de classe dans des rapports économiques dans lesquels ils
produisent et échangent ». Les médiations diverses de l’Etat, partis, syndicats,
clergés divers soutiennent cette fiction d’une morale commune. Il n’y a pas création
d’une nouvelle morale lorsque les classes entrent en conflit, mais une rupture.
Lors de la grève par exemple, à un certain moment il y a rupture de l’ambigu « contrat
moral » ; d’ailleurs le patron ne reconnaît pas une nouvelle morale
en face de lui, ni une anti-morale mais une immoralité, un acte illégal, au
fond une pensée illégale.
La désobéissance de la classe exploitée, par le fait de sa lutte,
n’élimine pas la « morale commune » sinon la concertation ou le compromis
seraient impossible. Des siècles durant les morales successives n’ont pas
progressé vers une désaliénation mais plutôt par accumulation de couches successives
pas toujours confondues, le plus souvent mêlées. Les morales de la classe
dominante se sont ajustées aux étapes successives ; qu’on pense au racisme
convivial au temps du colonialisme et à l’anti-racisme œcuménique au temps de l’immigrationnisme
vertueux plus soucieux de compenser la dénatalité que du sort réel des migrants
et des nationaux. La base de cet immigrationnisme onctueux fait partie de la
digestion de la morale chrétienne féodale, tout comme la fierté islamique de ne
pas s’intégrer au monde moderne fait partie d’une survivance féodale non
digérée. Les deux survivances font la paire pour diviser le prolétariat et
faire passer la classe dominante pour « plus évoluée »… moralement.
Dans sa période de crise historique depuis le début du vingtième
siècle, même si comme les intellectuels belges vous refusez le terme décadence,
le capitalisme ne peut plus assumer une série de valeurs morales classiques (du
type nationaliste primaire ou fasciste), il est donc contraint de s’adosser aux
religions les plus féodales au nom du libéralisme éternel et multiracial. Cette
morale se rattache complètement au passé en ce qu’elle vise à dissoudre la
classe ouvrière dans le peuple indistinct et gadget à démagogue. Aussi en
est-il réduit à mettre en scène deux idéologies, qui excluent toute autre
possibilité de confrontation, l’une sans-frontiériste, qui sert à ridiculiser l’internationalisme
classique du mouvement ouvrier, et l’autre que pour faire simple je nommerai
national-populiste, lequel sert à ridiculiser la population autochtone qui voit
débarquer un autre mode de vie et des contraintes (féodales) et par conséquent
la classe ouvrière autochtone qui a le tort d’y voir des concurrents comme les
ouvriers anglais considéraient les ouvriers irlandais au XIXème siècle ;
et que les révolutionnaires de la « morale prolétarienne » s’efforcent
de « culpabiliser » (c. le CCI et les islamo-gauchistes), afin de
soit combattre le racisme, soit les convaincre qu’ils ne sont que des frères de
classe bienveillants à l’assaut du ciel, d’un côté musulman, de l’autre terre à
terre.
Enfin dans la guerre des citations, ni Marx ni Lénine ne sont de
nouveaux Saint Paul ou Mahomet, ils restent deux des plus grands théoriciens de
l’histoire du prolétariat, mais ils ne sont ni une bible ni des conseillers
infaillibles. Ils ont été eux aussi un produit de l’étonnante histoire du
développement des forces productives comme Voltaire et tant de philosophes. De
même on ne peut pas réduire le marxisme à un simple dépassement des Kant, Hegel
et Feuerbach, dont Marx a beaucoup appris avant de leur retourner sa critique ;
sur certains points il a d’ailleurs encore tort face à Feuerbach sur la
question de la laïcité ; Engels a avoué que dans leur jeunesse, Marx et
lui, furent « feuerbachiens ».
Le texte du 17ème congrès est une sorte de revanche
sectaire et emphatique pour faire oublier toutes les prévisions qui motivaient
le groupe depuis deux décennies : les « affrontements de classe »
tant fantasmés et désirés n’ayant pas eu lieu, ni grève de masse rédemptrice
(quoique le radotage sur la Pologne 80 soit toujours de mise) ni décadence
finale, pourquoi ne pas prier au niveau transcendantal ? Au point d’inventer
un marxisme prométhéen, science encadrant et enveloppant toutes les sciences,
grâce à la « force morale » de la classe ouvrière ![7]
Ce long plaidoyer fumiste d’une classe ouvrière moralisatrice et
sauveuse de l’humanité tout au long de l’histoire relève évidemment de la
psychologie religieuse ; c’est un catéchisme de secte qui fuit la réalité.
Où est la morale du prolétariat pendant les affres de la colonisation ? Le
prolétariat s’est-il soucié de l’extermination des juifs pendant 39-45 ?
Doit-on faire la morale au prolétariat pour cette apparente indifférence ou
impuissance ?
En réalité ce que notre théoricien moraliste est incapable d’analyser,
c’est que si évolution morale il y a c’est du fait du développement et de la
croissance des forces productives (dont l’Etat-nation n’est qu’une étape
limitée) au cours des deux derniers siècles où ce n’est pas la classe ouvrière
qui directement proteste contre ce qui est immoral ou moral mais cela se
traduit par l’apparition de penseurs courageux qui se font les interprètes de
ce qui serait meilleur pour l’humanité, c’est à travers les découvertes
techniques, médicinales, et même les œuvres d’art que se produit une évolution
qui n’est pas forcément consciente ni maîtrisée. C’est l’exigence des besoins
du prolétariat et même de la bourgeoisie pour un temps qui pose les conditions
d’un progrès qui reste toujours ambigu sous le régime des classes exploiteuses
successives, « dans la boue et le sang », sans qu’on soit sûr, ni
désireux que l’humanité atteigne un paradis béat eschatologique[8].
Tout cela pour réaffirmer que le marxisme ne peut être falsifié ou
réinventé comme un vulgaire idéalisme. J’aurai l’occasion d’y revenir si je
trouve un éditeur pour mon futur livre « Le marxisme est-il un messianisme ?
Si je trouve un éditeur digne de ce nom plutôt que les charlots qui m’ont
contacté.
LE REVISIONNISME « MORAL » EST UNE AGONIE
Bien sûr on
peut encore lire des textes intéressants sur leur site, comme on pouvait lire
même après 1914, des articles lisibles dans la presse de la social-démocratie
réformiste qui levait encore le poing vengeur lors des démonstrations
publiques ; mais la plupart des « déménagés » n’ont pas tort de ne
plus croire à un redressement possible. J’ai écrit : La
décomposition petite-bourgeoise du CCI s’est produite EN VASE CLOS pendant des
décennies (cela fait 25 ans que je les ai quittés !) sous l’action conjuguée
de sa fraction rigoriste, de type néo-stalinienne – à prétention « morale
marxiste» - et de l’aile épicuriste (immorale ?)[9]
des bobos des sixties. Combat de coqs petits bourges qui ne concerna plus en
rien le prolétariat, absent, endormi encore et indifférent aux querelles de
préséance de ses aspirants « guides » ou « conseillers ».
Rosa a vu longtemps avant
sa mort, l’agonie de la social-démocratie dénonçant la « morale du
révisionnisme » qui considère « la masse comme un enfant à éduquer,
auquel il n’est pas loisible de tout dire (…) tandis que les
« chefs », hommes d’Etat consommés, pétrissent cette molle argile
pour ériger le temple de l’avenir selon leurs propres grands projets ».
L’application pratique de cette manière d’envisager les rapports entre la masse
et ses « chefs » est plus visible dans le cas des députés jauressistes
français qui s’émancipent de tout contrôle de l’organisation du parti et
s’égayent dans les salons bourgeois. Rosa a beau menacer du « poing
grossier du prolétaire » et engager fort justement à « l’épuration
parti », ce beau parti de « masse », en dépit de toute morale
tout court, trahira allègrement le « but final » en 1914. Le CCI ne
deviendra jamais le parti rêvé ni stalinien ni conseilliste, survivra-t-il à la
pandémie et à son hérésie ?
En temps normal, la
grande majorité des prolétaires se fiche d’appartenir à un parti politique. Ils
n’ont pas envie qu’on leur serve pendant des heures un discours qui ne flatte
que celui qui s’écoute. Ils n’ont pas envie de palabres hebdomadaires pour tirer
des plans sur la comète avec ces défauts de la politique commune de chaque
engeance de faire mieux que le parti rival, de promettre et de ne jamais tenir.
Ils n’ont pas envie de leçons de morale de leaders sûrs de leur spiritualité et
d’un avenir glorieux pour leur ego. La barque de la vie publique s’est brisée
contre la vie privée courante, surtout dans le métro. Il n’y a plus
d’étanchéité entre ce qu’on est au travail et ce qu’on est dans la société. Pas
plus que les médecins au temps de la pandémie actuelle, les politiques de tout
acabit ne sont crédibles. La méfiance généralisée couplée avec le dégoût du
système n’attend pas une sanctification « morale », une nouvelle
assurance avec une morale anticapitaliste certifiée, et encore moins un parti « directeur
de morale ».
Le « Travail » dans la société ne reste plus le seul lieu où on peut réfléchir à l’avenir de la société. Des assemblées de rue seront nécessaires comme en 1917 et le conseillisme d’usine restera au musée de l’anarchisme.
LE TRISTE HERITAGE DU SPIRITUALISME DE LA GAUCHE HOLLANDAISE
Le CCI s’est toujours réclamé de la gauche « germano-hollandaise » (la tête théorique étant attribuée aux hollandais), et il semble se finir avec. Le texte religieux du CCI ne trouve pas mieux que de s’inspirer de l’idéaliste Joseph Dietzgen et ses « idéaux moraux », en laissant de côté la religion. Comme pour l’immigrationnisme œcuménique et du fait que le pape Marx a dit que la religion est l’opium du peuple, le CCI s’aligne sur les gouvernements démocratiques et leurs obligés gauchistes. Pannekoek et Gorter ont été influencés par le pasteur Domela Nieuwenhuis qui a fini anarchiste.
En premier lieu la tâche de réels révolutionnaires, marxistes ou
pas est de ne pas cesser une critique radicale de la morale au lieu d’en
réinventer une autre ou de s’apitoyer. Dans le « texte d’orientation cette
tâche est totalement absente, on nous promène dans un historicisme ouvriériste
de « l’évolution » ( ?) d’une morale abstraite au-dessus des
siècles, se perfectionnant par magie de façon linéaire avec une classe ouvrière
immanente ; on reste dans le monde virtuel d’une religiosité « prolétarienne »,
« fraternelle », « gentiment éthique ». Rien sur l’héritage
du christianisme (plus ou moins masqué) et son utilisation par exemple pendant
les colonisations, les acquis du siècle des Lumières, la laïcité, rien sur l’invraisemblable
coran, rien surtout sur le poids différent des religions dans les régions du
monde. Rien surtout sur le cynisme en politique plein d’égards pour chaque
religion ; on subit encore le sabre et le goupillon. Avec cette fabrique d’une
morale hors du temps d’un prolétariat pèlerin d’une bonne conscience
universaliste et secouriste, on lui fait prendre la place de dieu en oubliant
le langage marxiste et la révélation des conséquences du développement des
forces productives et non pas d’une « force morale » d’un prolétariat
muet la plupart du temps, sauf cycliquement et inégalement dans ses grandes
révoltes, ou s’exprimant par la médiation d’avocats politiques non fiables.
Ce qui concerne et motive le prolétariat, depuis Mandeville, c’est
la question des besoins matériels. Cette question est aussi mise de côté que la
notion du développement des forces productives, c’est la morale qui a des
besoins ! Et cette même morale exprime « les besoins de la société
dans son ensemble » !?
C'est paradoxalement Trotsky qui, au faîte de son rayonnement
politique, a bien souligné les faiblesses idéalistes du courant de la gauche
hollandaise même si celle-ci menait une critique juste du syndicalisme et du
parlementarisme. En assemblée plénière à Moscou, Gorter se fait remonter les
bretelles :
« Gorter soutient qu'on ne peut pas commencer la
révolution, tant que les chefs n'auront suffisamment élevé le niveau mental de
la classe ouvrière pour que celle-ci comprenne bien sa mission historique. Mais
c'est là de l'idéalisme le plus pur ! Comme si le commencement de la révolution
pouvait en réalité dépendre du degré d'éducation de la classe ouvrière et non
d'une série d'autres facteurs - intérieurs et internationaux - économiques et
politiques et, en particulier, des besoins des masses laborieuses les plus
déshéritées, car - n'en déplaise au camarade Gorter - le besoin demeure le
ressort le plus important de la révolution prolétarienne »15.
Le besoin, voilà ce que nos moralistes petits bourgeois du CCI
ont oublié ! Pas la solidarité en soi, éthérée ou évanescente mais le
besoin. Pas le soutien oecuménique à l'arrivée de tous les malheureux du monde
mais le besoin du prolétaire qui pue, qui fume et qui pollue sur place !16
Notre historien le plus spécialisé de la gauche
germano-hollandaise, Philippe Bourrinet, très haï par le CCI, avait depuis
longtemps révélé cet idéalisme qui a tant caractérisé le CCI intra-muros pour
se différencier à tout prix de la gauche maximaliste italienne :
« C’était surtout un appel à l’énergie et à l’enthousiasme de la
classe ouvrière dans sa lutte contre le régime existant, lutte qui exigeait une
volonté conscience, esprit de sacrifice a sa cause, bref des qualités morales
et intellectuelles. Cet appel à une, nouvelle éthique prolétarienne, les
marxistes hollandais le trouvèrent ou crurent le découvrir dans l’œuvre de
Dietzgen . Par la critique du matérialisme bourgeois classique et du
marxisme vulgarisé et simplifié, les théoriciens hollandais développaient en
fait une nouvelle conception de la « morale » prolétarienne et de la conscience
de classe. Dietzgen ne fut pour eux qu’un révélateur de sens du marxisme,
dont les concepts avaient été faussés par la vision réformiste. Dans la Gauche
hollandaise, cependant, l’interprétation qui était donnée du rôle de «l’esprit»
dans la lutte de classe divergeait. L’interprétation par Roland Holst de
Dietzgen était rien moins qu’idéaliste, un mélange d’enthousiasme et de morale,
une vision religieuse minimisant le recours à la violence dans la lutte contre
le capitalisme. . Chez Gorter, beaucoup plus «matérialiste», ce qui
l’emportait c’était une interprétation plus volontaire, axée sur les conditions
subjectives, dites «spirituelles» : «L’esprit doit être révolutionné. Les
préjugés, la lâcheté doivent être extirpés. De toutes les choses, la plus
importante, c’est la propagande spirituelle. La connaissance, la force spirituelle,
voilà ce qui prime et s’impose comme la chose la plus nécessaire. Seule la
connaissance donne une bonne organisation, un bon mouvement syndical, la
politique juste et par-là des améliorations dans le sens économique et
politique.» Et Gorter, qualifié parfois d’idéaliste et «d’illuministe» ,
prenait soin de donner surtout un contenu militant au terme de «spirituel», en
excluant tout fatalisme ».
Cet aspect idéaliste philosophard, présent également chez
Pannekoek, permet de comprendre ce qui a conduit ce dernier à nier toute nécessité
du parti, comme si le combat des classes n'était qu'un combat d'idées entre
forces et institutions équivalentes, avec uniquement des professeurs et des
étudiants... (je reproduis ici en partie ce que j’ai déjà écrit il y a
longtemps dans mon livre « Dans quel Etat est la révolution ?).
A première vue, la dialectique des
besoins a interrogé tardivement une partie du mouvement révolutionnaire des
années 1930, mais pas le CCI ni les groupes soixante-huitards qui voulaient
vivre sans temps mort. Pourtant, dès 1913, Gorter, dans sa brochure sur le
matérialisme historique, avait longuement développé sur les besoins sociaux. Mais
il y définissait le besoin comme prioritairement « spirituel », mais
provenant de la « nature corporelle de l’homme », pour la production
et la reproduction de la vie. Il parlait de « désir social » comme du
« besoin social ». Les besoins n’y étaient pas séparés du but
communiste, mais avec une approche intellectuelle. Sans se rattacher à cet antécédent,
ou en l’ignorant volontairement, l’Ecole de Budapest avec Georg Lukacs et Agnès
Heller reprendra les mêmes arguments mais sur le plan matérialiste pas
seulement spirituel. La question des besoins est souvent référencée par exemple
dans les textes de la revue Bilan puis dans ceux de «Socialisme ou Barbarie». Cependant,
excepté Mitchell, on semble s’y contenter des généralités sur les revendications
immédiates et du but final généraliste.
C’est dans la période de transition que toute morale est supprimée :
·
A.Heller, p.178-179. De même la morale
disparaît avec l’esprit universel qui régente les rapports humains. Dans
« La sainte famille », Marx entrevoyait que chacun pourrait éprouver
le besoin moral d’agir au niveau générique et s’infliger lui-même une sanction
s’il pèche contre les autres. La justice bourgeoise a disparu et n’est pas
remplacée par une « justice prolétarienne » dans la mesure même ou le
conflit entre morale et légalité est supprimé.
QUELQUES CITATIONS
QUI MONTRENT QUE MARC CHIRIK LE FONDATEUR DU CCI AURAIT rigolé en lisant les
thèses moralistes du CCI à l’agonie
« Seuls des
moralistes petits-bourgeois, pour qui la conscience est une affaire de
morale, de sentiments de chaque individu, et non un produit de l'expérience
vivante de la lutte de classe, peuvent se lamenter et se désespérer de
l'humanité ». (in Défense du caractère prolétarien de la révolution d’octobre,
réponse à un camarade, Internacionalismo, Venezuela, novembre 1965).
« En ajoutant le
terme de "comportement" à celui de "mode de vie", nous
avons voulu renforcer cette vision globale. Notre souci n'est pas l'individu en
tant que tel. Ce n'est pas une question de morale qui nous préoccupe
mais uniquement l'intérêt de l'organisation, de sa santé interne et de la façon
comment elle se présente à et dans la classe. (bulletin interne international, Mode
de vie et de comportement 1983)
« Oui. Mais je n'ai
que faire d'une "femme", ni toi d'un "mari". C'est comme si
on nous proposait de nous établir commerçants. Il n'y a pas de place dans notre
existence pour y planter des choux, faire souche, et nous y ancrer. Je
veillerai à ce qu'il n'y ait pas de telle place. Non pas à cause de quelque
principe d'éthique ou de morale, mais simplement parce que nous ne devons pas.
Nous n'en pourrions pas assumer la charge. C'est trop onéreux : en temps, en
énergie, en santé. La grossesse, l'allaitement, les langes, les coqueluches,
les soucis matériels, t'éloigneraient du mouvement - et de moi. Des années
d'illégalité nous attendent, Anne-Marie ; des années où chaque jour portera sa
menace de mort. Je me suis fait révolutionnaire, j'ai décidé d'y consacrer tous
les instants de ma vie, et tel je dois continuer. (Marc Laverne selon Malaquais
dans Planète sans visa)
« La mise en place
par étapes des bases du communisme futur est fixée de la sorte par Marx et
Engels, outre la "socialisation des moyens de production et d'échange",
ils envisagent peu à peu l'abolition des rapports mercantiles, la disparition
de la prostitution familiale, l'abolition de l'exploitation d'une nation par
une autre nation, la suppression des vérités éternelles (morale, religion,
etc). Il en est de même pour la
production des armements » (non là je ne suis pas sûr, ce doit être de moi
dans « Programmes et perspective
communiste »).
« Quand les Communistes
Internationalistes écrivent : « Le deuxième moyen pour réaliser (la
construction du Programme), c’est la restauration d’une morale, d’un climat
digne de la société que nous voulons. La crise de l’avant-garde est aussi
une crise des méthodes qui se ramène à une morale, à une psychologie, à un état
d’esprit en voie de dégénérescence. » Ils manifestent bien qu’ils ne
comprennent pas plus le véritable problème que ceux qui perpétuent le climat et
les méthodes encore en question aujourd’hui. Bien avant les éclectiques, la
Fraction a dénoncé et combattu ce danger sur son véritable terrain qui est
politique et non pas moral, en opposant à la position des faiseurs du parti
trotskiste et à leur méthode d’espionnage, de noyautage aussi bien que leurs
fusions et scissions sans principes, le travail fractionnel conséquent pour la
reconstruction du programme. (A PROPOS DU PROGRAMME Internationalisme n°2
février mars 1945
MC pour La CE de la GCF)
« Je voudrais citer
un extrait d’un PV de décision de la commission de récupération et d’enquête.
1) Sur la récupération des machines : « Nous n’agissons pas pour faire de la
morale, ni pour nous plaindre, ni pour protester, nous agissons avec la
ferme volonté de récupérer effectivement notre matériel (matériel divers, BII
et archives). 2) Nous n’allons pas en victime réclamer justice, mais en
militants défendant l’organisation contre les attaques tendant à l’anéantir ;
c’est pourquoi nous agissons de manière décidée pour restituer à l’organisation
les moyens de son activité qui lui ont été dérobés ». INTERVENTION
COMPLEMENTAIRE A LA CONFERENCE EXTRAORDINAIRE. Conférence pour la défense et
la sécurité de l’organisation, 16-17 janvier 1982 à Paris. Marc Chirik intervient
après le rapporteur JJ pour livrer quelques éléments de la Commission d’enquête
sous la responsabilité du B.I. à la suite de l’affaire Chénier, avec divers
complices dont Juan Mac Iver.
1 Le
prolétariat universel: Résultats de recherche pour une secte fait la morale
(proletariatuniversel.blogspot.com)
[2]
Proposé comme participation au débat, ce texte a été évidemment refusé par la
secte monolithique et farouchement haineuse face à ses anciens militants, bien
que parmi les meilleurs.
[3] Je commente à l’époque en m’interrogeant sur le démocratisme puant de la présentation de la conversion moraliste du CCI. La discussion dans le CCI a, en réalité, directement démarré à partir du « texte d’orientation » : « Depuis plus de deux ans, le CCI mène un débat interne sur la question de la morale et de l’éthique prolétarienne à partir d’un texte d’orientation dont nous publions ci-dessous de larges extraits ». Voilà le lecteur interloqué, le texte publié comme ayant ouvert le débat dans le CCI est à la fois présenté comme constituant « quelques pistes de réflexions » devant « ouvrir un grand débat » et « permettre à l’ensemble de l’organisation d’approfondir un certain nombre de questions fondamentales », mais également comme un « texte d’orientation », achevé dès le départ, et qui a servi pour démarrer un débat qui serait « arrivé à maturité » sur son contenu. En d’autres mots, ce qui nous était présenté par le CCI comme n’étant PAS « une élaboration théorique achevée » était en réalité un texte ACHEVE de quinze pages et NON PAS « quelques pistes de réflexions ». Le lecteur se pose alors la question suivante : quelle est la réelle conception du CCI de la culture du débat ? Élabore-t-il ses analyses à partir d’une réflexion de départ, et en s’appuyant sur les résultats de la discussion collective, ou bien la discussion ne sert qu’à homogénéiser l’organisation sur une position achevée élaborée au préalable ? Autrement dit, est-ce que la discussion collective constitue le terreau pour préciser, enrichir, corriger, et amender « quelques pistes de réflexions ». Rien à foutre oui.
[4]
J’ai toujours sous la main ces deux citations que j’avais glissées en
introduction/
« Les
deux problèmes de l'industrialisation et de la misère du peuple se trouvent
liés à cette époque et les analyses basées sur la seule morale ne suffisent
plus ». Introduction à « L'état physique et moral des ouvriers »
de Louis-René Villermé (1837)
« L'individualisme est l'enfer des individus. Il n'en tient nul compte et se fonde sur leur destruction systématique. L'immolation des individus est toujours en relation directe de la prépondérance de l'individualisme. Il signifie à leur égard extermination, et communisme implique respect, garantie, sécurité des personnes ». Blanqui
[5] Dans une série de quatre articles – Migrants et réfugiés
victimes du capitalisme – on apprenait récemment que : « le sort
tragique des réfugiés pose désormais un vrai problème moral pour la classe
ouvrière (…) la classe ouvrière doit
désormais assumer des responsabilités croissantes, il lui faudra nécessairement
bannir les discours haineux qui considèrent d'un côté qu'il faut « jeter dehors les immigrés » et ceux qui, dans leur
élan patriotique et démocratique, pensent qu'« on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Il faut déjouer les pièges de la propagande
officielle, les contraintes qui font obstacle à l'affirmation de la nécessaire
solidarité comme expression consciente de ce combat moral. Si le chiffre des
migrants explose, traduisant toujours plus de souffrances, il ne représente
pourtant que 3% de la population mondiale »[5].
« Les prolétaires doivent absolument agir de manière
consciente et rejeter les réflexes de peur conditionnés par les médias, prendre
conscience que les réfugiés sont avant tout des victimes du capitalisme et des
politiques barbares de ces mêmes États. C'est ce qu'a tenté de montrer notre
série d'articles. La classe ouvrière devra, à terme, être capable de percevoir
que derrière la question des migrants se pose l'unité internationale du combat
révolutionnaire contre le système capitaliste. « Si notre classe parvient à retrouver son
identité de classe, la solidarité peut être un important moyen unificateur dans
sa lutte. Si par contre, elle ne voit dans les réfugiés que des concurrents et
une menace, si elle ne parvient pas à formuler une alternative à la misère
capitaliste, permettant à tout individu de ne plus être contraint de fuir sous
la menace de la guerre ou de la faim, alors nous serions sous la menace d’une
extension massive de la mentalité pogromiste, dont le prolétariat en son cœur
ne saurait être épargné »[5].
Avec cet esprit de clocher, on s'en va prêcher aux paroissiens la charité et l'abnégation, on ressert, à cette masse (impure) à moraliser, la morale des statistiques bourgeoises qui faussent le réel problème et on fait reprendre du service, avec des trémolos, à la martyrologie juive comme si elle était l'échelle de référence universelle des crimes du capitalisme. D'où la porosité des sectes à l'idéologie dominante. Avec ce truisme où tout le monde est victime du capitalisme la question des migrants est devenue le stade suprême de la lutte anticapitaliste, incluant la division entretenue de la classe ouvrière (qui est le secret du maintien au pouvoir de la bourgeoisie selon Marx), à condition de concevoir les migrants comme partie intégrante de cette même classe ouvrière ; il faudra alors nous expliquer pourquoi les millions de migrants fuyant de partout la venue de la guerre mondiale dans les années 1930 n'ont aucunement renforcé socialement et politiquement la classe ouvrière, mais au contraire contribué à exacerber les divers nationalismes . J’ai rappelé un Marc Chirik dubitatif qui m’avait confié en aparté il y a trente années : « je ne crois pas à la révolution des immigrés ».
[6]
Ce qu’ils appellent « une
extension massive de la mentalité pogromiste » sans doute pour se
rapprocher de de Lives Black Matter. Juan dans son texte présenté comme
alternatif à la somme d’âneries du comité central (lutte pour le pouvoir… de la
fraction !) se laissait lui aussi à la diabolisation classique dès qu’on
rue dans les ornières de la morale « prolétarienne », il citait le
Trotsky démocrate en 1940 et immoral à Kronstadt en conclusion de son texte « alternatif »,
présomptueusement, car plutôt inculte sur le thème, « la dernière
ressource de la bourgeoisie est le fascisme ». C’était le tube du 20ème
siècle, qu’on se le dise.
[7] Les formules ridicules s’accumulent :
évaluations morales ( ?), questions morales qui touchent les profondeurs
de l’existence humaine (qu’en pense le commandant Cousteau ?), la morale reflète
fréquemment les changements cachés sous la surface de la société ; la
richesse de l’expérience morale de la société , mûrissement moral de l’être
humain (ou séjour à Charenton ?), science philosophique, appréhender l’histoire
de la morale (tout un programme !), l’éthique scientifique de l’humanité, etc.
Ou aussi « la tyrannie fanatique, dogmatique de tout système moral » !
le résumé a-t-il été coupé au mauvais endroit et la morale prolétarienne ne
sera-t-elle pas du même ordre ? Des trouvailles osées et inventées sur la
morale prolétarienne imaginaire possédant un « caractère essentiellement
démocratique », en lisant cela mes derniers bordiguiens vont s’étouffer !
Au fond, encore une fois, cette morale « prolétarienne » a remplacé
le prolétariat qui se fiche de morale comme de sa première blouse.
[8] Hors des clous, notre théoricien
moraliste se trompe en estimant que c’est « le nihilisme ambiant qui
alimente le besoin de religion » - encore la faute aux laïcards ! – C’est
faux, c’est l’absence de perspective de société plus juste, c’est l’incapacité
du politique marxiste à répondre à la question de la fin de vie, à l’angoisse
de la mort qu’il dénigre en « peur démesurée de la mort » ou « aspiration
pathologique à mourir. C’est toujours le même mépris des prolétaires « racistes »
ou « progromistes », qui devraient après une vie de merde mourir
enfin heureux ! Preuve que le marxisme « moraliste » se fiche du
monde ! Cyniquement.
[9] Encore heureux que je ne dise pas
tout ce que j’ai su de la « moralité » des vainqueurs de la moralité « prolétarienne » !
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