A
grands sons de trompette nous fut annoncée la bataille générale
pour défendre « la retraite » le 5 décembre. On allait
voir ce qu'on allait voir. Gaffe Macron, tu nous accuses de faire une
« grève corporative », il t'en cuira ! Nous sommes
tous concernés avec ta magouille pour fabriquer la retraite à la
carte, pardon à points ! Tu veux nous rouler dans la farine
d'une « retraite plus juste » face aux « privilégiés »
des régimes spéciaux ! Nous ne sommes pas dupes, tu veux
déshabiller Paul pour habiller Pierre, et piquer à Pierre aussi
pour Raymond ! La CGT et les gauchistes se sont proclamés
généraux d'un mouvement « comparable à 1995 ».
Il
est vrai qu'il y a un réel déséquilibre des retraites, des
gouffres abyssaux pour certaines caisses, des inégalités criantes
entre régimes, une ribambelle de corporatismes pour qui ne se
contente d'en appeler au « père Noël social » en régime
capitaliste ; mais les forts en gueule apparatchiks syndicaux et
gauchistes se fichent de poser le problème autrement qu'en hurlant
« A bas Macron ». Car poser le fond du problème serait
le relier à la crise capitaliste, à un « Etat social » »
en déliquescence, incapable de réguler ses divers systèmes
d'assurance et de protection sociale, dans le maelstrom de la crise
économique mondiale. Poser le problème serait être capable même
pour les minorités révolutionnaires hors des mafias syndicales de
ne pas se contenter d'en appeler à la « généralisation de la
lutte », mais de préciser ce que doit devenir cette lutte
« généralisée » ou « généralisable », et
surtout de dire quelle perspective sociale et historique est
envisageable. On fait tomber le gouvernement ? Oui mais on le
remplace par quoi et par qui ?
Vous
croyez à une autre société mes cocos ? Mais laquelle ?
Revenir aux nationalisations de papa, à papy Brejnev, à la Corée
du Nord, à la mode Cuba ? Et la retraite, une fin en soi? Cette mort sociale haussée au rang de Valhalla syndicrate, quelle dérision de la part de ces professionnels du radotage de la mythique et ringarde "grève généraaale"!
Relisez
le texte de Rosa ci-dessous et surtout ses dernières lignes, il y
avait pour l'aile révolutionnaire de la vaillante et pas encore
traître social-démocratie, un projet de changement de société qui
motivait les masses ouvrières, le socialisme, un socialisme pas
encore défiguré par les socialistes de gouvernement, le stalinisme
et les tiersmondistes gauchistes. Appeler à la généralisation des
grèves dans la période actuelle en espérant qu'elles accoucheront
automatiquement d'un bébé révolutionnaire est comme attendre que
le fer rouillé se transforme en lingot d'or.
Oui
cette grève « pour la retraite », soigneusement
programmée par les arcanes du pouvoir au jour dit avec la complicité
des technocrates syndicaux en pleine période où le consommateur est
roi et où les enfants croient encore au père Noël est une grève
faussement collective (comme le fallacieux "tous ensemble" de 1995, une grève où les poires n'ont rien à voir
avec les pommes et où les bananes sont étrangères aux oranges :
quoi de commun entre prolétaires en général et avocats, dentistes
et artisans ? Et même entre ouvriers du public et du privé où
chaque corporation défend bec et ongles ses petits avantages, qui
sont parfois des privilèges (allons bande d'excités, c'est pas un
privilège pour certains de partir à la retraite à 55 piges?).
Outre
que c'est duraille de perdre une ou deux journées de travail par les
temps qui courent avec des salaires de merde, le comble est de les
perdre pour le grand cirque syndical d'une voire deux journées sans lendemain,
hors du contrôle des masses avec les sifflets des petits perroquets
trotskiens des syndicats, quelle vacuité ! Sachant que par
exemple comme le raconte l'Obs, la dite réforme peut être repoussée
à 2035 et que les enseignants peuvent être épargnés dans
l'immédiat... Une partie des généraux syndicaux appelleront à
cesser la bataille, laissant les agents de la RATP continuer à
foutre la pagaille pour renverser en faveur du gouvernement
« compréhensif » une opinion excédée...
Le
père Noël est une ordure.
QUAND
LES BONZES SYNDICAUX SE LA JOUENT MODESTES (ou comment apprendre à
réfléchir avec Rosa)
(le
titre est de moi, le texte extrait de « grève de masse, partis
et syndicats » de notre chère Rosa Luxemburg)
Dans cette
perspective le problème de l'organisation dans ses rapports avec le
problème de la grève de masse en Allemagne prend un tout autre
aspect. La position adoptée par de nombreux dirigeants syndicaux sur
ce problème se borne la plupart du temps à l'affirmation suivante :
« Nous ne
sommes pas encore assez puissants pour risquer une épreuve de force
aussi téméraire que la grève de masse ». Or ce point de vue
est indéfendable : c'est en effet un problème insoluble que de
vouloir apprécier à froid, par un calcul arithmétique, à quel
moment le prolétariat serait « assez puissant » pour
entreprendre la lutte quelle qu'elle soit. Il y a trente ans les
syndicats allemands comptaient 50 000 membres : chiffre qui,
manifestement, d'après les critères établis plus haut, ne
permettait même pas de songer à une grève de masse. Quinze ans
plus tard les syndicats étaient huit fois plus puissants, comptant
237 000 membres. Si cependant on avait à cette époque, demandé aux
dirigeants actuels si l'organisation du prolétariat avait la
maturité nécessaire pour entreprendre une grève de masse, ils
auraient sûrement répondu qu'elle en était loin, que
l'organisation syndicale devrait d'abord regrouper des millions
d'adhérents. Aujourd'hui on compte plus d'un million d'ouvriers
syndiqués, mais l'opinion des dirigeants est toujours la même -
cela peut durer ainsi indéfiniment. Cette attitude se fonde sur le
postulat implicite que la classe ouvrière allemande tout entière
jusqu'au dernier homme, à la dernière femme, doit entrer dans
l'organisation avant que l'on soit « assez puissant »
pour risquer une action de masses; il est alors probable que, selon
la vieille formule, celle-ci se révélerait superflue. Mais cette
théorie est parfaitement utopique pour la simple raison qu'elle
souffre d'une contradiction interne, qu'elle se meut dans un cercle
vicieux. Avant d'entreprendre une action directe de masse quelconque,
les ouvriers doivent être organisés dans leur totalité. Mais les
conditions, les circonstances de l'évolution capitaliste et de
l'Etat bourgeois font que dans une situation « normale »
sans de violentes luttes de classes certaines catégories - et en
fait il s'agit précisément du gros de la troupe, les catégories
les plus importantes, les plus misérables, les plus écrasées par
l'Etat et par le capital ne peuvent absolument pas être organisées.
Ainsi nous constatons que, même en Angleterre, un siècle entier de
travail syndical infatigable sans tous ces « troubles » -
excepté au début la période du chartisme - sans toutes les
déviations et les tentations du « romantisme révolutionnaire
» n'a réussi qu'à organiser une minorité parmi les catégories
privilégiées du prolétariat.
Mais
par ailleurs les syndicats, pas plus que les autres organisations de
combat du prolétariat, ne peuvent à la longue se maintenir que par
la lutte, et une lutte qui n'est pas seulement une petite guerre de
grenouilles et de rats dans les eaux stagnantes du parlementarisme
bourgeois, mais une période révolutionnaire de luttes violentes de
masses. La conception rigide et mécanique de la bureaucratie n'admet
la lutte que comme résultat de l'organisation parvenue à un certain
degré de sa force. L'évolution dialectique vivante, au contraire,
fait naître l'organisation comme un produit de la lutte. Nous avons
déjà vu un magnifique exemple de ce phénomène en Russie où un
prolétariat quasi inorganisé a commencé à créer en un an et demi
de luttes révolutionnaires tumultueuses un vaste réseau
d'organisations. Un autre exemple de cet ordre nous est fourni par la
propre histoire des syndicats allemands. En 1878 les syndicats
comptaient 50 000 membres. Selon la théorie des dirigeants syndicaux
actuels, nous l'avons vu, cette organisation n'était pas « assez
puissante », et de loin, pour s'engager dans une lutte
politique violente. Mais les syndicats allemands, quelque faibles
qu'ils fussent à l'époque, se sont pourtant engagés dans la lutte
- il s'agit de la lutte contre la loi d'exception - et se sont
révélés non seulement « assez puissants » pour en
sortir vainqueurs, mais encore ils ont multiplié leur puissance par
cinq. Après la suppression de la loi en 1891 ils comptaient 227 659
adhérents. A vrai dire, la méthode grâce à laquelle les syndicats
ont remporté la victoire dans la lutte contre la loi d'exception, ne
correspond en rien à l'idéal d'un travail paisible et patient de
fourmi; ils commencèrent par tous sombrer dans la bataille pour
remonter et renaître ensuite avec la prochaine vague. Or, c'est là
précisément la méthode spécifique de croissance des organisations
prolétariennes celles-ci font l'épreuve de leurs forces dans la
bataille et en sortent renouvelées. En examinant de plus près les
conditions allemandes et la situation des diverses catégories
d'ouvriers, on voit clairement que la prochaine période de luttes
politiques de masses violentes entraînerait pour les syndicats non
pas la menace du désastre que l'on craint, mais au contraire la
perspective nouvelle et insoupçonnée d'une extension par bonds
rapides de sa sphère d'influence. Mais ce problème a encore un
autre aspect. Le plan qui consisterait à entreprendre une grève de
masse à titre d'action politique de classe importante avec l'aide
des seuls ouvriers organisés est absolument illusoire. Pour que la
grève, ou plutôt les grèves de masse, pour que la lutte soit
couronnée de succès, elles doivent devenir un véritable mouvement
populaire, c'est-à-dire entraîner dans la bataille les couches les
plus larges du prolétariat. Même sur le plan parlementaire, la
puissance de la lutte des classes prolétariennes ne s'appuie pas sur
un petit noyau organisé, mais sur la vaste périphérie du
prolétariat animé de sympathies révolutionnaires. Si la
social-démocratie voulait mener la bataille électorale avec le seul
appui des quelques centaines de milliers d'organisés, elle se
condamnerait elle-même au néant. Bien que la social-démocratie
souhaite faire entrer dans ses organisations presque tout le
contingent de ses électeurs, l'expérience de trente années montre
que l'électorat socialiste n'augmente pas en fonction de la
croissance du Parti, mais à l'inverse que les couches ouvrières
nouvellement conquises au cours de la bataille électorale
constituent le terrain qui sera ensuite fécondé par l'organisation.
Ici encore, Ce n'est pas l'organisation seule qui fournit les troupes
combattantes, mais la bataille qui fournit dans une bien plus large
mesure les recrues pour l'organisation. Ceci est évidemment beaucoup
plus valable encore pour l'action politique de masse directe que pour
la lutte parlementaire. Bien que la social-démocratie, noyau
organisé de la classe ouvrière, soit à l'avant-garde de toute la
masse des travailleurs, et bien que le mouvement ouvrier tire sa
force, son unité, sa conscience politique de cette même
organisation, cependant le mouvement prolétarien ne doit jamais être
conçu comme le mouvement d'une minorité organisée. Toute véritable
grande lutte de classe doit se fonder sur l'appui et sur la
collaboration des couches les plus larges; une stratégie de la lutte
de classe qui ne tiendrait pas compte de cette collaboration, mais
qui n'envisagerait que les déifiés bien ordonnés de la petite
partie du prolétariat enrégimentée dans ses rangs, serait
condamnée à un échec lamentable. En Allemagne les grèves et les
actions politiques de masse ne peuvent absolument pas être menées
par les seuls militants organisés ni « commandées » par
un état-major émanant d'un organisme central du Parti. Comme en
Russie, ce dont on a besoin dans un tel cas, c'est moins de
« discipline », d' « éducation politique »,
d'une évaluation aussi précise que possible des frais et des
subsides que d'une action de classe résolue et véritablement
révolutionnaire, capable de toucher et d'entraîner les couches les
plus étendues des masses prolétaires inorganisées, mais
révolutionnaires par leur sympathie et leur condition. La
surestimation ou la fausse appréciation du rôle de l'organisation
dans la lutte de classe du prolétariat est liée généralement à
une sous-estimation de la masse des prolétaires inorganisés et de
leur maturité politique. C'est seulement dans une période
révolutionnaire, dans le bouillonnement des grandes luttes orageuses
de classe que se manifeste le rôle éducateur de l'évolution rapide
du capitalisme et de l'influence socialiste sur les larges couches
populaires; en temps normal les statistiques des organisations ou
même les statistiques électorales ne donnent qu'une très faible
idée de cette influence.
Nous avons vu
qu'en Russie, depuis à peu près deux ans, le moindre conflit limité
des ouvriers avec le patronat, la moindre brutalité de la part des
autorités gouvernementales locales, peuvent engendrer immédiatement
une action générale du prolétariat. Tout le monde s'en rend compte
et trouve cela naturel parce qu'en Russie précisément il y a « la
révolution », mais qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut
dire que le sentiment, l'instinct de classe est tellement vif dans le
prolétariat russe que toute affaire partielle intéressant un groupe
restreint d'ouvriers le concerne directement comme une affaire
générale, comme une affaire de classe, et qu'il réagit
immédiatement dans son ensemble. Tandis qu'en Allemagne, en France,
en Italie, en Hollande, les conflits syndicaux les plus violents ne
donnent lieu à aucune action générale du prolétariat - ni même
de son noyau organisé - en Russie, le moindre incident déchaîne
une tempête violente. Mais ceci ne signifie qu'une chose, aussi
paradoxal que cela puisse paraître, l'instinct de classe dans le
prolétariat russe tout jeune, inéduqué, peu éclairé et encore
moins organisé, est infiniment plus vigoureux que dans la classe
ouvrière organisée, éduquée, et éclairée d'Allemagne ou de tout
autre pays d'Europe Occidentale. Ceci n'est pas à mettre au compte
d'une quelconque vertu de « l'Orient jeune et vierge »
par opposition avec « l'Occident pourri »; mais c'est
tout simplement le résultat de l'action révolutionnaire directe de
la masse. Chez l'ouvrier allemand éclairé, la conscience de classe
inculquée par la social-démocratie est une conscience théorique
latente : dans la période de la domination du parlementarisme
bourgeois, elle n'a en général pas l'occasion de se manifester par
une action de masse directe; elle est la somme idéale des quatre
cents actions parallèles des circonscriptions pendant la lutte
électorale, des nombreux conflits économiques partiels, etc. Dans
la révolution où la masse elle-même paraît sur la scène
politique, la conscience de classe devient concrète et
active. Aussi une année de révolution a-t-elle donné au
prolétariat russe cette « éducation » que trente ans de
luttes parlementaires et syndicales ne peuvent donner
artificiellement au prolétariat allemand. Certes, cet instinct
vivant et actif de classe qui anime le prolétariat diminuera
sensiblement même en Russie une fois close la période
révolutionnaire et une fois institué le régime parlementaire
bourgeois légal, ou du moins il se transformera en une conscience
cachée et latente. Mais inversement il est non moins certain qu'en
Allemagne, dans une période d'actions politiques énergiques, un
instinct de classe vivant révolutionnaire, avide d'agir, s'emparera
des couches les plus larges et les plus profondes du prolétariat;
cela se fera d'autant plus rapidement et avec d'autant plus de force
que l'influence éducatrice de la social-démocratie aura été plus
puissante. Cette oeuvre éducatrice ainsi que l'action stimulante
révolutionnaire de la politique allemande actuelle, se manifesteront
en ceci : dans une période révolutionnaire authentique, la masse de
tous ceux qui actuellement se trouvent dans un état d'apathie
politique apparente et sont insensibles à tous les efforts des
syndicats et du Parti pour les organiser s'enrôlera derrière la
bannière de la social-démocratie. Six mois de révolution feront
davantage pour l'éducation de ces masses actuellement inorganisées
que dix ans de réunions publiques et de distributions de tracts. Et
lorsque la situation en Allemagne aura atteint le degré de maturité
nécessaire à une telle période, les catégories aujourd'hui les
plus arriérées et inorganisées constitueront tout naturellement
dans la lutte l'élément le plus radical, le plus fougueux, et non
le plus passif. Si des grèves de masse se produisent en Allemagne ce
ne seront sûrement pas les travailleurs les mieux organisés -
certainement pas les travailleurs de l'imprimerie - mais les ouvriers
les moins bien organisés ou même inorganisés - tels que les
mineurs, les ouvriers du textile, ou même les ouvriers agricoles -
qui déploieront la plus grande capacité d'action.
Ainsi nous
parvenons pour l'Allemagne aux mêmes conclusions en ce qui concerne
le rôle propre de la « direction » de la social-démocratie
par rapport aux grèves de masse que dans l'analyse des événements
de Russie. En effet, laissons de côté la théorie pédante d'une
grève de démonstration mise en scène artificiellement par le Parti
et les syndicats et exécutée par une minorité organisée, et
considérons le vivant tableau d'un véritable mouvement populaire
issu de l'exaspération des conflits de classe et de la situation
politique, explosant avec la violence d'une force élémentaire en
conflits aussi bien économiques que politiques et en grèves de
masse alors la tâche de la social-démocratie consistera non pas
dans la préparation ou la direction technique de la grève, mais
dans la direction politique de l'ensemble du mouvement.
La
social-démocratie est l'avant-garde la plus éclairée et la plus
consciente du prolétariat. Elle ne peut ni ne doit attendre avec
fatalisme, les bras croisés, que se produise une « situation
révolutionnaire » ni que le mouvement populaire spontané
tombe du ciel. Au contraire, elle a le devoir comme toujours de
devancer le cours des choses, de chercher à le précipiter.
Elle n'y parviendra pas en donnant au hasard à n'importe quel
moment, opportun ou non, le mot d'ordre de grève, mais bien plutôt
en faisant comprendre aux couches les plus larges du prolétariat que
la venue d'une telle période est inévitable, en leur
expliquant les conditions sociales internes qui y mènent
ainsi que ses conséquences politiques. Pour entraîner les couches
les plus larges du prolétariat dans une action politique de la
social-démocratie, et inversement pour que la social-démocratie
puisse prendre et garder la direction véritable d'un mouvement de
masse, et être à la tête de tout le mouvement au sens politique
du terme, il faut qu'elle sache en toute clarté et avec
résolution, fournir au prolétariat allemand pour la période des
luttes à venir, une tactique et des objectifs.
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