Sur le
livre : La révolution russe une histoire française
D’Eric Aunoble
par Maël Auroux
Le but de
cette histoire laisse perplexe. C'est pourquoi l'on se pose les deux
questions suivantes :
1/ Pourquoi
il n'est question que de la période révolutionnaire révolution
(1917) ? En réalité il faut voir tout l'arc révolutionnaire
de 1917 à 1921 tout au moins.
2/ Pourquoi
il n'est question que de la France car la situation est semblable
pour tous les pays du monde même si l'on voulait faire un focus sur
la France ?
La division
en 4 périodes, me semble fort juste même si j'estime que 2 périodes
avant la nôtre auraient suffi c'est à dire de 1917 à 1939 ;
de1945 à 1991 puis 1991 à nos jours.
L'idée
avancée pour montrer comment l'historiographie de la révolution
russe doit être dépoussiérée est fort juste. Tout au long des 100
ans après la révolution, l'idéologie a masqué la réalité et ce
qu'elle était en réalité et cela a arrangé la plupart des
protagonistes au sein de la bourgeoisie à l'Est comme à l'Ouest.
I
– Avant 1939.
C'est
peut être la partie la plus faible du livre. Bien évidemment la
bourgeoisie occidentale et ses médias ont eu « une réaction
teintée d'hostilité » (p. 26 - Aunoble). Il ne pouvait pas en
être autrement. Mais pour le milieu révolutionnaire, qu'en est-il ?
On ne sait pas pourquoi, il n'y a pas eu d'études sérieuses sur la
révolution elle-même.
D'abord
Eric Aunoble aurait du dire que les bolchéviks, eux-mêmes, avaient
interdit aux communistes hors de Russie de discuter de la question.
C'était un problème russe. La discussion entre Bordiga et Staline
pour le VI° Exécutif Elargi de l'IC en est l'exemple le plus clair.
A la
demande de discussion de Bordiga, Staline répond : «D'un
point de vue formel et de procédure, il est assurément vrai que le
fait que l'Exécutif Elargi ne décide pas lui-même de ne pas
aborder la question russe ne soit pas tout à fait régulier. Mais il
faut envisager l'essence des choses. La position qu'a le parti
communiste russe dans l'Internationale est telle que l'on ne peut pas
penser qu'il soit possible de résoudre par la procédure les
problèmes qui touchent les rapports entre le Parti russe lui-même,
l'Internationale et les autres Partis. »
(P131-132 Bordiga la défaite et les années
obscures, Editions Prométhée
Et quand
Souvarine avait publié en 1924 Cours
nouveau de Trotsky il se fait sanctionner
avant d'être exclu du PCF et de l’IC. Il se fait même critiquer
par Trotsky pour l'avoir fait.
Ensuite,
il n'est pas fait état de toute la perplexité des Oppositionnels
communiste face à ce qui est en train de se dérouler en URSS. C'est
cette perplexité qui fait hésiter les oppositionnels à revenir sur
le sujet.
Les
Oppositionnels ne connaissent pas les positions des Décistes1
au début des années 20 (gauche du parti en provenance de la
Fraction de gauche du Parti bolchevik de 1918 (Cf. Kommunist
les 4 numéros de la revue éditée chez Smolny). Ces textes
commencent à être édités dans les années 1927-28 par de petits
groupes. La Plateforme des 15
a été éditée par le Réveil communiste
en novembre 1927 (Réédition, in La Gauche
bolchevik et le pouvoir ouvrier, 1919-1927
– Michel Olivier -2012). Les oppositionnels ne connaissent pas les
positions de l'Opposition ouvrière et des autres groupes
oppositionnels en Russie comme La Vérité
ouvrière. Ils ne connaissent surtout pas
le Groupe ouvrier du parti communiste russe (cf. : les textes du
Groupe et de Miasnikov in Le Groupe ouvrier
du parti communiste russe – 1922-1937,
Michel Olivier – 2009).
Ce n'est
qu'avec l'arrivée de Miasnikov que le débat change en France et en
Allemagne. Miasnikov, vieux bolchevik, utilise pour la première fois
le terme de Capitalisme d'Etat déjà utilisé par Lénine et la
fraction de gauche en 1918. Et c'est Albert Treint (ancien dirigeant
du PCF de 1923 à 1927) qui va le populariser en publiant dans son
journal L'effort communiste
en mai 1933 le Programme et les statuts du
Komintern ouvrier. C'est la raison pour
laquelle Treint, défendant le capitalisme d'Etat en URSS, n'a pas pu
assister à la Conférence de regroupement des Oppositionnels de 1933
aboutissant à la création de l'Union communiste. Treint est le
premier qui en France défend la nature capitaliste d'Etat de l’URSS.
Tous
les révolutionnaires étaient perplexes devant l'URSS. Ciliga écrit
son livre Au pays du mensonge déconcertant
publié en 1938 après celui de Miasnikov l'Ultime
mensonge de
1930.
C'est
tout cela qui n'est pas expliqué dans cette partie du livre.
Pourquoi ?
Et l'on
pourrait également parler du livre de Gide de 1936 Retour
d'URSS et de Panaït Istrati sur la
question russe (Vers
l'autre flamme : Après seize mois dans l'U.R.S.S. (premier
volume); Soviets
1929 (deuxième
volume); La
Russie nue (troisième
volume), éditions Rieder, 1929 (édition originale).
Pourquoi tout cela n'est pas cité ? Parce que cela n'a pas été
imprimé dans les salons bourgeois ? Bien évidemment, pour tous
sauf les révolutionnaires, il fallait taire cela.
Et si l'on
sort du domaine franco-français, l'on pourrait citer les ouvrages de
Karl Korsch, Mattick, Pannekoek, etc... pour ne citer que les plus
connus. Dans la Gauche communiste, la branche italienne a eu beaucoup
plus de mal à se déterminer sur la question de la nature de l'URSS.
Par
contre, Eric Aunoble s'étale beaucoup sur la suite après 1945 avec
justesse.
II –
Après 1945.
J'aime
bien la formule de Eric Aunoble page 192 : « La
mystification d'octobre participait somme toute du maintien de
l'ordre dans un monde bipolaire. »
Et oui,
durant la guerre froide, l'Ouest pouvait montrer l'Est comme étant
l'horreur absolue, la terreur rouge, le Goulag, les tueries. Et l'Est
et les staliniens pouvaient se dédouaner en disant que c'était
normal d'être attaqués par l'Ouest, le « Grand Satan »
qui opprimait les peuples du Tiers monde en faisant la guerre de
Corée puis du Vietnam, ou un petit pays comme Cuba, etc.... Et l'on
en restait encore une fois à l'idéologie. L'historiographie sur
l'URSS arrangeait tout le monde. L'on pouvait ainsi s'étriper
tranquillement sur tous les terrains militaires et faire des
affaires!
C'est
là où l'on ne comprend pas la séparation faite après 1968. On se
retrouve devant la même configuration. Même si le stalinisme en a
pris un sacré coup. Tous ceux qui défendent qu'il y a quelque chose
d'ouvrier en URSS empêchent de poser réellement et clairement la
question, sans idéologie.
La question
est qu'est-ce que la classe ouvrière a gagné quand la
contre-révolution est arrivée dans les années 20? La
révolution n'étant pas internationale, il ne pouvait y avoir de
socialisme dans un seul pays. Tous ceux qui avaient la position
inverse, qu'en Russie il y avait un peu de socialisme ou ce genre de
balivernes, ne pouvaient pas être dans une étude dépassionnée de
la révolution d’Octobre.
Mais
en fait, c’est normal car l’on en reste toujours à la même
configuration car l’on ne veut pas voir ce qui s’est passé après
la révolution en URSS. Eric Aunoble n’étudie uniquement que la
révolution russe, puis fait un saut en 1945, en 1968 pour en
arriver, avec les mêmes concepts, à aujourd’hui. Et en fait il ne
voit juste qu’en 1917, en 1945 et aujourd’hui. Tout le reste est
passé à la trappe.
Et
pourquoi, enfin, Eric Aunoble ne parle t-il pas de tous ceux qui
avaient depuis la deuxième guerre impérialiste compris que l'URSS
n'avait plus rien d'ouvrier et qu'il fallait tout remettre en cause.
Quand il parle de la Gauche communiste il ne parle que de Socialisme
ou Barbarie ou de l'IS.
C'est à dire la gauche communiste « à la mode » dans
les salons bourgeois parce qu’ils n’avaient pas de passé et
n’existent plus. Ils ne font pas peur car ils ne se rattachent pas
au passé de l'IC. Ils n'ont pas fait une critique de l'IC depuis les
années vingt. Pourquoi ne parle t-on pas de la Gauche italienne, de
la Gauche germano hollandaise ni de Munis et de Natalia Trotsky ?
Natalia Trotsky a su faire une critique de la nature de l'URSS grâce
à la participation à la guerre impérialiste. Que se devait être
dur pour elle, alors qu'elle avait participé avec Trotsky au pouvoir
ouvrier en URSS !!!! Elle a été capable de se remettre en
cause. C’est une grande dame.
III -
Débâcle universelle ?
Débacle
universelle, nous dit-il en page 195. Pour qui ? Staliniens ?
Trotskistes ? Oui pour ceux-là, c'est un fait. Certainement pas
pour la Gauche communiste. Eric Aunoble ne cite que les anarchistes
qui « tireraient leur épingle du jeu ».
Oui, peut être. Ils ont aussi du travail à faire, notamment pour
les anarchistes d'Etat du style de Federica Montseny.
En réalité
c'est le communisme et l'idéal de la communauté humaine qui en a
pris un gros coup en général et pour longtemps avec ce qui s’est
passé en URSS. C'est la situation dans laquelle nous nous trouvons
et cela durera tant que nous ne saurons pas nous élever au-dessus
des idéologies.
C'est
pourquoi, je salue la volonté d'Eric Aunoble d'aller aux textes, de
décortiquer les faits comme le fait Marc Ferro (même s'il y a
beaucoup d'autres critiques à faire à ce dernier en tant que
défenseur de l’idéologie de la bourgeoisie). Mais il faudra aller
plus loin mon petit Eric.
Nous devons
être capables au moyen d'une critique radicale des cent dernières
années et de ce que nous avons défendu, de développer plus
fermement ce qu'est le véritable contenu du socialisme. C'est un
travail très sérieux qui passe par une remise en honneur des
Conseils ouvriers, la destruction de l’Etat bourgeois et
l’affaiblissement progressif de l'Etat transitoire et non pas son
renforcement comme en URSS, etc...
Tant que
nous n'aurons pas fait ce travail de toilettage pour décrire l'humanité communiste de demain, ce sera encore et toujours la
débâcle.
1 Eric
Aunoble parle des Décistes en page 109 pour dire « Ainsi,
l'Opposition ouvrière ou celle des Décistes (centralistes
démocratiques) sont réduites à la portion congrue »
en parlant des travaux de Broué. Ce n’est pas peu de le dire !
Oui, ils sont réduits à la portion congrue par Eric Aunoble. Ou
bien il ne fait qu'être le psittaciste de ce dernier.
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