La casse exagérée de l'hôpital
« pour enfants malades » semblait déjà loin au terme du
défilé pépère Bastille- Bastille. Une innovation hollandesque.
Pendant des siècles syndicaux on avait gratté le pavé parisien
Bastille-Nation, Nation-République, République-Bastille. A quand
Nation-Nation, et Réublique-République (mais y a déjà les
dormeurs de nuit debout!)... Tout le monde pouvait être satisfait.
Les braves bonzes défenseurs du droit de manifester (sans faire
prendre des risques politiques inconsidérés à leurs SO). Sérénité
du côté de l'Elysée et Matignon. Sérénité des gendarmes, le top
de la répression (pas la piétaille du 14 envoyée au casse-pipe
pendant de longues minutes) pouvait s'octroyer une bière dans les
rade attenants, car l'uniforme de Du Guesclin par 31 degrés à
l'ombre est une étuve.
Bref commentateurs et commentatrices
transgenres pouvaient au soir de ce 23 juin rasséréner les 30% de
français supposés d'accord avec une loi que même Tonton Mitterrand
n'aurait pas osé faire voter par les minoritaires planqués des
assemblées de fainéants de la république bourgeoise.
Parmi la piétaille je dois témoigner
que j'avais rarement vu une telle souricière. Rues adjacentes
cloisonnées par les véhicules de police, double rangée de cognes
harnachés comme à la veille de n'importe quelle guerre civile.
Vosins, passants du quartier priés d'aller se faire voir chez les
grecs. Lorsque j'arrive en vue de la Bastille, un premier manifestant
se fait dépouiller de son citron et de sa paire de lunettes de
piscine. Un des flics l'humilie en lui rendant son citron plastique
vidé du contenu et garde les lunettes. De colère le gars jette au
sol le citron vide, le flic lui ordonne de ramasser. Cela sent la
poudre, je me joins à ce jeune homme et je lui dis d'obtempérer et
je l'entraîne plus loin avec moi. Pas besoin qu'il se fasse coffrer.
La foule du manège octroyé par le
gouvernement est encore clairsemée. Le SO des syndicats avec
casquettes rouges ne se fait pas trop remarquer. Pas besoin,
pensé-je, vu que la plupart des potentiels casseurs ont été
dépouillé comme mon malheureux manifestant, pourtant pourvu de
simples objets défensifs.
Les manifs les plus nulles permettent
aux vieux grigous de se retrouver. J'ai entendu siffler, mais c'est
Jean-Marc, notre postier de choc à la retraite. Il est assis sur le rebord du trottoir, mais il a toujours été du genre propre, pas comme les générations d'aujourd'hui qui posent le cul par terre n'importe où; non lui il était assis sur le dernier numéro de RI, qu'il range d'ailleurs soigneusement dans son sac en se relevant. On s'embrasse. Il ressemble plus à
Belmondo désormais qu'a John Travolta, mais toujours aussi
dynamique, intelligence vive et sagacité politique inchangée (le
CCI fût
une école de formation à la pensée révolutionnaire
maximaliste). Nous étions tous deux les plantons du CCI dans la
plupart des manifs parisiennes des années 80, bien connus des
services de police les deux hommes sandwichs du journal Révolution
Internationale. Ah la la on les a arpentés les boulevards parisiens,
Nation-République, République-bastille, et on se retrouve 30 ans
après pour un Bastille-Bastille. Génial ! Et le père il
analyse bien la situation merdique, la gauche prend une mesure dont
même la droite ne se sentait pas cap. Les violences dans les manifs
actuelles le font rire : « hé ho ils rigolent les jeunes
et les journalistes, c'était autrement violent dans les années 50
où des ouvriers étaient tués par la police, et faut pas oublier
Charonne, et... tu te souviens dans l'attaque du commissariat à
Longwy... ». Et puis on a évoqué ceux et celles dans nos
rangs si vite emporté(e)s par le cancer : Martine, Michelle,
Claude, Bernadette, Michel Pi... Et puis il est aussi capable de vous fournir avec un débit vocal rapide une analyse fluide de l'utilisation du terrorisme contre la lutte de classe.
Salut mon pote à la revoyure. Il est
allé défilé avec ses potes actifs de la Poste, et moi j'ai foncé
en tête de la manif.
La stratégie policière était la même
que le 14, l'accordéon, start on, start stop. Mais j'ai distingué
au milieu de nous les manifestants un type avec un talkie-walkie qui
pilotait la rangée de flics en avant : si la pression montait :
go. Sinon : stop. Il fallait laisser se tasser derrière le SO
des syndicats et le cortège contenant les bonzes gouvernementaux. A
l'approche qui quai de la Rapée, les manifestants poussant tellement
que cela devenait un trot mais pas un galop. Curieusement les
policiers laissèrent filer une quarantaine de casquettes rouges (SO
syndical) pour à nouveau stopper la progression. Nous vîmes le SO
aller rejoindre près du pont d'Austerlitz les camions de la
gendarmerie. Alors que nous croyions que c'étaient nos amis en tête
avec nous. Nos surveillants avaient anticipés ce qui était de
l'ordre de l'évidence, pour sortir de la nasse du tour de piscine de
l'Arsenal il n'y avait que cet endroit bien que barré par deux
camions de gendarmes + le fameux camion moto-pompe (qui avait servi
le 14 juin) avec ses pompes tournées vers nous comme des bites en
berne. Il y eût bien quelques bousculades, avec une nuée de
photograpes et caméramen qui filmaient comme s'ils allaient sasir un
événement important. Beaucoup de manifestants inorganisés étaient
très jeunes et à part un ou deux excités avinés personne n'avait
envie de se coltiner la rangée de gendarmes entre les camions.
Par contre ce fût un beau tollé
lorsque se pointèrent les cortèges des divers syndicalistes qui
prirent le virage sans hésiter autour du bassin malgré les appels
des jeunes manifestants à venir tenter de forcer le barrage de la
police. Sifflets et quolibets : collabos, etc. s'adressaient aux
divers FO-CGT-SUD-Solidaires, et tralalère, dont les sonos
scandaient miséablement « ça va péter », mais tout
cela vous pouvez le voir sur mon film. Je n'en ai retenu que les deux
slogans les plus originaux : « une manif c'est pas fait
pour tourner en rond », et « policiers fatigués allez
vous coucher ! ». Pour le reste ils vont encore nous
balader longtemps syndicats et gouvernements ?
Pauvre manif encasernée qui passait
comme par hasard boulevard Bourdon.
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