Singulier parallélisme entre l’aboutissement
de la revue de la Gauche italienne réfugiée en Belgique qui implose face à la
venue de la Seconde guerre mondiale et Marc Chirik qui s’enthousiasme au moment
de la chute de Franco, y voyant poindre une nouvelle vague révolutionnaire
jusque dans les années 1980. Nous nous sommes trompés avec lui et avons été
enthousiasmé au-delà de ce qui était raisonnable face à la capacité d’adaptation
historique de la « démocratie bourgeoise » post-franquiste. Que celui
qui ne s’est jamais trompé nous jette la première pierre. Et il y a tout de
même un grand intérêt à relire les textes de Bilan (scannés intégralement ici)
et ceux de Chirik. Ne serait-ce que pour la passion qu’ils contiennent.
JLR
Revue Internationale n°4 du C.C.I. - janvier 1976
"BILAN"
LECONS D'ESPAGNE 1936
Présentation
Depuis longtemps, nous caressions le
projet de faire connaître ce que fût "BILAN", organe de la Fraction
Italienne de la Gauche Communiste, publié durant la période peut-être la plus
noire de l'histoire du mouvement ouvrier, cette période qui va du triomphe
d'Hitler en Allemagne à la deuxième guerre impérialiste mondiale. Mais toute la
force de notre désir et de notre volonté ne suffisait cependant pas pour venir
à bout des difficultés rencontrées, difficultés qui pour nos faibles forces
numériques et nos moyens très limités se présentaient comme insurmontables.
"BILAN", petite revue des années
30, totalement inconnue du public et à peine moins des militants
d'extrême-gauche, n'ayant pas derrière elle des noms
Plus étonnant et moins compréhensible à
première vue pourrait être le silence complet du P.C.I. (bordiguiste) au sujet
de "BILAN". Si "BILAN" et la fraction italienne d'avant la
guerre de 1940 se réclamaient de la Gauche communiste Italienne dont ils
étaient la continuation, il ne semble pas que le Parti Communiste Internationaliste
(bordiguiste) fondé en Italie après la guerre veuille se souvenir de ce que fût
la gauche italienne en exil après son exclusion du parti et de l'I.C. Il est
aussi fier de cette fraction de gauche dans l'émigration, que l'on peut l'être
d'un bâtard dans une bonne famille bourgeoise. On préfère en parler le moins
possible. Pendant les 30 années d'existence de ce parti et malgré les
nombreuses publications régulières, le nombre d'articles republiés de
"BILAN" peut se compter sur les doigts d'un manchot. Pourquoi cela et
pourquoi ce silence gêné ?
Il suffit de feuilleter un tant soit peu
"BILAN" pour en saisir immédiatement la raison qui réside dans la
différence d'esprit qui sépare l'un de l'autre.
Autant les "balbutiements"
(comme disait "BILAN" de lui-même) de l'un se veulent et sont un
examen critique des positions erronées et des analyses incomplètes ou
incorrectes de la IIIe Internationale - critique vivante faite à la dure
lumière de l'expérience et des défaites du prolétariat, et constituent ainsi
une contribution importante à la compréhension, au dépassement et à
l'enrichissement de la pensée communiste - autant l'oeuvre "achevée et
invariable"du P.C.I. se veut être la "conservation". En vérité,
elle se trouve engagée dans la voie d'un retour pur et simple aux pires erreurs
de la IIIe Internationale (telles les questions
syndicale-parlementaire-libération nationale-dictature du prolétariat
identifiée à la dictature du parti, etc...) que le P.C.I. revendique
intégralement en poussant l'exagération jusqu'à l'absurde.
Là où l'un s'efforçait d'aller de l'avant,
l'autre marche résolument en arrière. Loin de diminuer, l'écart ne fait que
s'accentuer avec les années. C'est uniquement là que réside la raison de la
mauvaise volonté du P.C.I. pour ce qui concerne la réédition des écrits de
"BILAN". Mais rien ne sert de désespérer. Nous sommes convaincus
qu'avec le développement de la lutte de classe et l'activité révolutionnaire,
"BILAN"retrouvera sa place méritée dans le mouvement et auprès des
militants désireux de mieux connaître l'histoire et le cheminement de
l'élaboration de la pensée révolutionnaire. Le peu que nous avons publié de
"BILAN"nous a valu un nombre important de lettres de nos lecteurs
insistant sur l'intérêt certain d'en publier davantage.
Pour répondre à cette demande, en
attendant qu'une édition complète de "BILAN" puisse voir le jour, la
Revue Internationale entreprend dès maintenant la publication d'un plus grand
nombre d'articles et extraits de cette revue. Dans la mesure du possible, nous
tâcherons de grouper les articles par sujet afin de donner aux lecteurs l'idée
la plus complète de l'orientation, la recherche et les positions politiques
pour lesquelles combattaient la gauche Communiste et la revue
"BILAN".
* * *
La revue "BILAN", ce sont 46
numéros parus (1478 pages). Le premier numéro est de novembre 1933, le dernier
de janvier 1938. Commencée comme"Bulletin théorique de la Fraction de
gauche du parti communiste d'Italie", elle arrête sa publication pour être
remplacée par la revue "OCTOBRE", organe du Bureau International des
Fractions de gauche. Exclue du P.C. et de l'I.C. au congrès de Lyon en 1926, la
Fraction de gauche se reconstituera au début de 1929 et publiera le journal
"PROMETEO"en langue italienne et un bulletin d'information en
français qui bien plus que d'information sera une publication théorique.
Etroitement mêlée au mouvement communiste
international, la Fraction dans l'émigration prendra une part active dans ce
mouvement surtout en France et en belgique, participera de toutes ses forces à
la lutte contre la dégénérescence et les trahisons de la IIIe Internationale et
de ses partis définitivement dominés par le stalinisme. A ce titre, elle sera
en liaison étroite avec tous les courants et groupes de gauche éjectés tour à
tour de ce que fût l'Internationale Communiste, se débattant dans un terrible
désarroi et dans une immense confusion produite par l'ampleur de la déafite de
la première grande vague révolutionnaire et la démoralisation qui s'en est
suivie.
Une tentative de rapprochement avec
l'opposition de gauche de Trotsky devait tourner court, montrant la nature
d'orientations fondamentalement divergentes qui séparaient ces deux courants.
Là où le trotskysme se concevait comme une simple opposition luttant pour le
"redressement"et donc toujours prêt à réintégrer le P.C. en renonçant
à l'existence organique autonome, la Gauche Italienne voyait une différence de
principe programmatique qui ne pouvait se résoudre que par la constitution
d'organismes communistes indépendants: les Fractions luttant pour la
destruction "totale"du courant contre-révolutionnaire stalinien.
La discussion sur l'analyse de la
situation en Allemagne, sa perspective et la position à prendre par les
révolutionnaires devaient définitivement rendre incompatible tout travail en
commun. Face à la menace de la montée du fascisme hitlérien, Trotsky
préconisait un large "Front unique ouvrier"entre le P.C. stalinien et
la social-démocratie. C'est dans ce front unique entre les contre-révolutionnaires
d'hier et les contre-révolutionnaires d'aujourd'hui que Trotsky voyait la force
capable de barrer la route au fascisme, effaçant ainsi le problème fondamental
de la nature de classe des forces en présence et le fait que la lutte contre le
fascisme n'a aucun sens pour le prolétariat, séparaée de la lutte générale de
classe contre la bourgeoisie et le système capitaliste.
Jonglant avec des
images"brillantes", Trotsky disait que le Front Unique pouvait se
faire, même "avec le diable et sa grand-mère", démontrant non moins
brillamment qu'il perdait jusqu'à la notion même de "terrain de
classe" de la lutte du prolétariat. Lancé dans sa virtuosité verbale,
Trotsky, sous le nom de Gourov, allait jusqu'à soutenir que: "La révolution
communiste peut bien triompher même sous la direction de Thaelmann"(sic).
Désormais, il devenait évident que le chemin emprunté par Trotsky devait le
mener d'abandon en abandon des positions communistes vers la participation à la
2e guerre impérialiste, au nom bien entendu de "la défense de
l'URSS".
Diamétralement opposé devait être le
chemin de la Fraction de gauche italienne. Le désastre qu'était pour le
prolétariat le triomphe du fascisme rendu possible et inévitable par les
catastrophiques défaites successives du prolétariat que lui ont infligé et fait
subir la social-démocratie d'abord et le stalinisme ensuite, ouvrait largement
la voie à la solution capitaliste à la crise historique de son système: une
nouvelle guerre impérialiste mondiale. Cette perspective, les révolutionnaires
ne pouvaient la contrarier qu'en s'effortçant de regrouper le prolétariat sur
son terrain de classe, en se maintenant eux-mêmes fermement sur les principes
programmatiques du Communisme. Pour cela, il était de première urgence de
réaliser la principale tâche consistant à soumettre à un examen critique
minutieux toute l'expérience de la récente période écoulée débutant avec la
grande vahue révolutionnaire qui avait interrompu la première guerre mondiale
et ouvert d'immenses espoirs à la classe ouvrière pour son émancipation
définitive. Comprendre les raisons de la défaite, étudier les causes, faire le
bilan des acquis et des erreurs, tirer les leçons, et sur ces bases élaborer
les nouvelles positions programmatiques politiques, était indispensable pour
permettre à la classe de repartir mieux armée demain et donc plus capable
d'affronter sa tâche historique de la révolution communiste. C'est cette
formidable tâche que se proposait d'entreprendre "BILAN" - comme son
nom l'indique - et c'est pour se joindre à lui pour l'accomplissement de cette
tâche que "BILAN" invitait toutes les forces communistes qui avaient
survécu à la débâcle de la contre-révolution.
Peu de groupes ont répondu à cet appel,
mais aussi peu de groupes ont réussi à résister à ce terrible rouleau
compresseur qu'était la période de réaction et de préparation à la 2e guerre
mondiale. Ces groupes allaient s'amenuisant d'année en année. Toutefois,
"BILAN", maintenu par le dévouement de quelques dizaines de membres
et sympathisants, avait toujours, dans le cadre strict des frontières de
classe, ses colonnes ouvertes à des pensées divergentes des siennes. Rien ne
lui était plus étranger que l'esprit de secte ou la recherche d'un succès
immédiat de chapelle et c'est pour cela qu'on trouve souvent dans
"BILAN"des articles de discussion et de recherche émanant de
camarades de la Gauche Allemande, Hollandaise, et de la Ligue des Communistes
de Belgique. "BILAN" n'avait pas la prétention stupide d'avoir
apporté une réponse définitive à tous les problèmes de la révolution. Il avait
conscience de balbutier souvent, il savait que les réponses
"définitives" ne peuvent être que le résultat de l'expérience vivante
de la lutte de classe, de la confrontation et la discussion au sein même du
mouvement. Sur bien des questions, la réponse donnée par
"BILAN"restait insatisfaisante, mais personne ne saurait mettre en
doute le sérieux, la sincérité, la profondeur de son effort et par-dessus tout
la validité de sa démarche, la justesse de son orientation et la fermeté de ses
principes révolutionnaires. Il ne s'agit pas seulement de rendre hommage à ce
petit groupe qui a su maintenir ferme le drapeau de la révolution dans la
bourrasque contre-révolutionnaire, mais encore d'assimiler ce qu'il nous a
légué, en faisant nôtre son enseignement et son exemple, et de poursuivre cet
effort avec une continuité qui n'est pas une stagnation mais un dépassement.
Ce n'est pas par hasard que nous avons
choisi pour cette première publication une série d'articles se rapportant aux
évènements d'Espagne. Plus qu'une analyse de la situation proprement espagnole,
l'examen de ces évènements avait une portée générale et constituait la clé pour
la compréhension de l'évolution de la situation mondiale des forces de classe
en présence, des différentes formations politiques en leur sein et leurs forces
effectives, leurs orientations et options politiques, et par-dessus tout
offrait une vision crue de l'immensité de la tragédie dans laquelle était
projeté le prolétariat international et le prolétariat espagnol en premier
lieu.
L'Espagne est de nouveau, aujourd'hui, le
centre de la situation internationale immédiate. S'il est absolument juste et
nécessaire de mettre bien en évidence la différence qui sépare les évènements
d'Espagne des années 30 (lesquels s'inscrivaient dans la suite d'une longue
série de défaites du prolétariat tendant inexorablement à l'intégration du
prolétariat dans la guerre impérialiste) de la période actuelle de reprise de
la lutte et de montée de la combativité ouvrière, il n'est pas moins important
de souligner ce qu'il y a de commun entre les deux situations. Ce
"commun" consiste dans le rôle décisif que l'Espagne est appelée à
jouer dans l'évolution de la lutte de classe du prolétariat mondial. Par un
concours historique particulier, l'Espagne se trouve, pour la seconde fois,
être à la charnière de deux périodes.
En 1936 - dernier soubresaut d'un
prolétariat dont le massacre marquera le point culminant de la longue chaîne de
défaites du prolétariat international et ouvrira toute grande la voie à la
guerre mondiale.
Aujourd'hui - ouvrant la perspective de
grandes convulsions sociales dans les autres pays de l'Europe. L'Espagne se
trouve donc à nouveau être une plaque tournante de la situation, un point de
départ, et sera probablement aussi décisive aujourd'hui pour la période à venir
qu'elle le fût dans les années 30. Banc d'essai, l'espagne va servir de test de
la plus haute signification. Le capitalisme mondial, et en premier lieu les 9
de l'Europe, fera peser de tout son poids son intervention dans la situation en
appuyant à fond les forces de l'ordre "démocratique", seules forces
aptes à faire barrage à l'irruption de la classe ouvrière. Dans cette stratégie
de classe, le capitalisme fera avancer son aile gauche à la tête de laquelle se
placeront les différentes forces politiques agissant dans la classe ouvrière:
PC, PS et autres gauchistes. Déjà les batteries de la gauche sont mises en
place et les préparatifs fiévreusement organisés.
Le prolétariat trouvera de nouveau face à
lui, dans les semaines à venir en Espagne, les mêmes forces qui en 36 ont
magistralement réussi à le dévoyer d'abord et à le saigner à blanc ensuite. Ces
forces utiliseront à fond leur expérience acquise des évènements de 36 comme
arme contre le prolétariat, arme qu'ils n'ont fait que perfectionner depuis.
Leur plus grande tromperie consiste à prêcher hypocritement aux ouvriers, au
nom de la "réconciliation nationale", "d'oublier le passé".
C'est à dire oublier les leçons de la sanglante expérience faite par les
ouvriers.
L'histoire de la lutte de classe ouvrière
est jalonnée de défaites. Parce qu'inévitables, ces défaites sont la
douloureuse école par laquelle le prolétariat passe obligatoirement. Dans un
certain sens, et jusqu'à un certain point, elles sont la condition de la
victoire finale. A travers elles, la classe prend conscience d'elle-même, de
son but, de la voie qui y mène. Le prolétariat apprend ainsi à corriger ses
erreurs, à reconnaître les faux prophètes, à éviter les impasses, à mieux
s'organiser et mesurer plus exactement les rapports de forces à un moment
donné. Classe dépourvue d'autres pouvoirs dans la société, son expérience est
l'atout majeur de son pouvoir et cette expérience est constituée en grande
partie des leçons assimilées de ses défaites.
"BILAN" constatait amèrement
l'état d'isolement auquel il était réduit chaque jour davantage, et qu'il
considérait à juste titre comme une des manifestations de la tragique défaite
du prolétariat, alors que l'hystérie guerrière gangrenait de plus en plus le
corps et le cerveau des ouvriers. Comme tous les grands évènements décisifs, la
guerre d'Espagne ne laissait pas de place à des attitudes floues. Le choix
était tranché et franc: avec le capitalisme dans la guerre ou avec le
prolétariat contre la guerre. L'isolement auquel était condamné
"BILAN" était alors le prix inévitable de sa fidélité aux principes
du communisme et c'était aussi son mérite et son honneur, alors que tant de
groupes communistes de gauche se sont laissés happer dans l'engrenage de
l'ennemi de classe.
A l'encontre de"BILAN", nous
avons aujourd'hui la ferme conviction qu'en reprenant les mêmes positions de
classe, nous n'aurons pas à aller , mais à nous trouver dans le
flot de la nouvelle vague de la révolution communiste et de pouvoir contribuer
à sa montée.
Marc Chirik
PS: la compil en fac-similé peut être envoyée à quiconque en fera la demande. Sinon sur le site Smolny, les bagnards de l'historicisation du joyau de la Gauche communiste oubliée de l'histoire officielle libérale, stalinienne et anarchiste ont bien avancé dans le grandiose projet de publication de l'intégrale (l'histoire du maximalisme est un combat éditorial désormais!).
http://www.collectif-smolny.org/rubrique.php3?id_rubrique=31
http://www.collectif-smolny.org/rubrique.php3?id_rubrique=31
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