« Il était le premier
homme seul que je voyais dans la Russie des Soviets, où la solitude est tenue
pour un luxe, pour une forme de corruption bourgeoise pour un aspect
intellectuel de la rupture avec le marxisme ». Curzio Malaparte (Le bal au
Kremlin, Moscou 1930)
(essai de psychologie marxiste anti-maoïste)
Pour le Pouvoir
Narcissique dominent le besoin, la capacité et le plaisir de se mettre à l’abri
des conflits internes et en particulier de la révolution jamais advenue en se
faisant valoir au détriment d’un objet manipulé comme un ustensile et un
faire-valoir.
Autrement dit, le Pouvoir Narcissique choisit une proie en fonction des
qualités qu’il admire et qu’il cherche à acquérir. Cette appétence est éclairée
par les propos de Karl Marx : « plus l'industrie moderne progresse,
et plus le travail des hommes est supplanté par celui des femmes et des
enfants. Les distinctions d'âge et de sexe n'ont plus d'importance sociale pour
la classe ouvrière. Il n'y a plus que des instruments de travail, dont le coût
varie suivant l'âge et le sexe. Une fois que l'ouvrier a subi l'exploitation du
fabricant et qu'on lui a compté son salaire, il devient la proie d'autres
membres de la bourgeoisie : du propriétaire, du détaillant, du prêteur sur gages,
etc., etc. »[1].
Une bourgeoise psychologue, Mélanie Klein affirmait superficiellement
que « l’envie
est un fantasme ou un agir d’appropriation, de prédation du bon objet ou de
l’objet idéal admiré et de destruction de celui-ci afin de supprimer l’envie
insoutenable». En effet la perversité de
la domination bourgeoise est défense contre la menace que représente l’être de
la classe ouvrière et conséquemment un refus de lui accorder l’existence
humaine.
Par
ses injonctions médiatiques paradoxales, le pouvoir pervers affaiblit la
conscience de sa victime qui ne sait plus où est la réalité. Alors
disqualifications et projections permettront à l’agresseur de transférer ses
propres conflits dans l’autre, évitant ainsi d’entrer en dépression électorale.
Il y a érotisation des défenses étatiques perverses c'est-à-dire que l’Etat
pervers éprouve du plaisir à la manipulation. L’autre, femme travailleuse
docile, est en pleine confusion, alors que l’agresseur sait très bien où il en
est. Plus il dévalorise la classe ouvrière, plus il se sent bien, plus il
l’intoxique plus il se sent fort. Pour lutter contre une mauvaise estime de son
pouvoir régalien, le Pouvoir Narcissique va utiliser la promesse de résorber le
chômage quoique constamment contrarié par l’épidémie de la surproduction
mondiale :
« Depuis
des dizaines d'années, l'histoire de l'industrie et du commerce n'est autre
chose que l'histoire de la révolte des forces productives modernes contre les
rapports modernes de production, contre le régime de propriété qui
conditionnent l'existence de la bourgeoisie et sa domination. Il suffit de
mentionner les crises commerciales qui, par leur retour périodique, menacent de
plus en plus l'existence de la société bourgeoise. Chaque crise détruit
régulièrement non seulement une masse de produits déjà créés, mais encore une
grande partie des forces productives déjà existantes elles-mêmes. Une épidémie
qui, à toute autre époque, eût semblé une absurdité, s'abat sur la société, -
l'épidémie de la surproduction »[2].
La stratégie de conquête sondagière
des victimes du Pouvoir Narcissique se
déroule en trois étapes. Tout d’abord, nous avons la phase de séduction durant
laquelle il va se montrer séduisant, aimable. Puis vient le temps de la vampirisation
au cours duquel, le Pouvoir Narcissique va les vider de leur substance vitale
afin de se remplir lui-même dans une logique de survie décadente. Enfin, la
dernière étape consistera en l’assujettissement de sa victime après la
vampirisation électorale de la démocratie perverse.
Marx et Engels détaillent davantage les manœuvres
perverses et décrivent comment le Pouvoir Narcissique va se moquer
des convictions des masses électorales, de leurs choix politiques, de leurs
goûts, ne pas leur adresser la parole, les ridiculiser en public, les dénigrer
devant les autres, les priver de toute possibilité de s’exprimer, se gausser de
leurs points faibles, faire des allusions désobligeantes et enfin mettre en
doute leurs capacités de jugement et de décision : « L'existence et la domination de
la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l'accumulation de la
richesse aux mains des particuliers, la formation et l'accroissement du
Capital; la condition d'existence du capital, c'est le salariat. Le salariat
repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l'
industrie, dont la bourgeoisie est l'agent sans volonté propre et sans
résistance, (se) substitue à l'isolement des ouvriers résultant de leur
concurrence »[3].
Marc Chiric (1987) d’en conclure qu’« il n’y a
rien à attendre de la fréquentation du pouvoir narcissique, on peut seulement
espérer s’en sortir indemne »[4].
S’il est possible qu’à certains moments de l’histoire
du mouvement ouvrier, nous ayons également cru pouvoir utiliser le pouvoir
narcissique, Jean Malaquais
(1998) affirme que nous nous distinguons des militants pervers dans le fait que
ces comportements, attitudes ou sentiments n’ont été que passagers et ont été
suivis de « remords conseillistes ou de regrets léninistes»[5]. A
contrario, le pouvoir narcissique ne peut en aucun cas ressentir quelque chose
se rapportant à de la culpabilité car il ne peut pas se remettre en cause du
fait d’un affect hollandais déficient. Par ailleurs, c’est en s’appuyant sur
les paroles de Goupil (1987)
lorsqu’il dit que l’on ne rencontre que très rarement les militants syndicaux
narcissiques dans le quotidien en entreprise et encore moins sur le clic clac
du HLM, qu’on a choisi de se concentrer particulièrement sur la femme du pouvoir
pervers trivialisée. Dès lors, la différence essentielle est la non adaptation
à la vie sociale. Tout le monde sait et voit qu’un psychopathe est quelqu’un de
« préjudiciable » pour son entourage. Or, un pouvoir narcissique agit
insidieusement de telle sorte que les personnes de la classe la plus nombreuse
ne se doutent pas de sa manœuvre perverse exercée sur ses proches électeurs
(« ses victimes » !). M.-F.
Hirigoyen (1998) parle d’« agressions
subtiles » ne laissant aucune « trace tangible » p.
21, autrement dit visibles sur le corps électoral.
Dans un premier temps, la classe ouvrière constate
qu’elle vit avec un conjoint pervers narcissique depuis longtemps et ce qui a
motivé une consultation marxiste est « une crise de couple où elle envisage de
s’insurger sans y parvenir. Nous pouvons énoncer les qualités que le
pouvoir narcissique convoite chez ‘‘sa future victime’’. Ainsi, la première
caractéristique qui va susciter son attention lors de leur rencontre c’est
« qu’elle
donne trop à profiter». À défaut d’avoir confiance en elle, elle « se sent
obligée d’en rajouter, d’en faire trop, pour donner à tout prix une meilleure
image d’elle-même » renvoyant à une fragilité narcissique de sa
conscience de classe.
La seconde caractéristique majeure est qu’il s’agit d’« une classe
consciencieuse ayant une propension naturelle à se culpabiliser »[6].
Cela révèle donc une certaine efficience du surmoi sur le moi de cette classe.
Conséquemment, pour se démarquer de son agresseur, elle opte pour une
logique de transparence en tentant de se justifier syndicalement et entrant
ainsi, dans le jeu du pouvoir narcissique permettant à ce dernier, de l’inonder
d’un flot de promesses de croissances incohérentes.
D’autre part, la victime rechercherait un pouvoir
d’Etat à charisme imposant, autrement dit des ministres du parti socialiste
ayant une certaine solidité narcissique à l’instar des élites bourgeoises
classiques. Elle chercherait dans l’assistanat étatique le moyen de se
réassurer narcissiquement, ce que le pouvoir narcissique entretiendrait par sa
façon de lui présenter ses histoires de fesses.
La classe ouvrière se caractérise également par sa « trop grande
tolérance » (p. 23) vis-à-vis du pouvoir narcissique. La croyance
sous-jacente est que ‘‘si elle se montre plus soumise, il va changer et lui
montrer qu’il l’aime’’. C’est de cette façon qu’elle pourra ainsi le faire
compatir. Néanmoins, cela ne va de cesse d’alimenter la « haine et le
sadisme du pouvoir narcissique »[7].
Enfin, nous notons que « la partenaire du pervers narcissique a une
‘capacité identificatoire’ à se laisser pénétrer par le message de
l’autre » (p. 16) comme nous le dit M.Roelants (1989). C’est une forme primitive de l’identification
qui est plutôt du registre de l’incorporation de l’autre, qui l’amène à
reproduire son discours, adhérer à ses idées, et se voir elle-même conformément
à l’image que l’Etat bourgeois projette sur elle.
La première chose remarquable est qu’elle se trouve
dans un « état de passivité et d’anesthésie habituel »[8],
c'est-à-dire que, face aux violences de son macho, la classe ouvrière ne
proteste pas. Bien au contraire, elle se défend contre cette destructivité par
un mécanisme d’annulation des vacheries passées. Cela résulte du fait qu’elle
ne croit pas vraiment à son histoire de luttes pour un autre monde et que ses
perceptions et ses opinions sont incertaines. De fait, elle trouve toujours des
excuses aux comportements de son oppresseur, mais s’en attribue la
responsabilité.
Par ailleurs, un type particulier de relation avec son
compagnon peut être mis en évidence. Elle est possédée par le pouvoir
narcissique tel un objet. « Le silence de la classe ouvrière, attestant de sa soumission
imposée et acceptée »[9].
Cette relation se met en place par l’intermédiaire des modalités de communication
et d’emprise du pouvoir narcissique. En effet, un observateur intelligent peut
y percevoir les caractéristiques de la
communication paradoxale. Un paradoxe étant un énoncé contenant deux ordres s’excluant
l’un l’autre, dont la réponse politique est impossible et qui crée un état de
tension sociale interne opaque et des obsessions musulmaniaques.
Lorsqu’elle vient consulter le parti, la classe
ouvrière présente une mauvaise image d’elle-même et une faible estime de soi
induites et/ou renforcées par les comportements du pouvoir narcissique tels que
la disqualification (déni des perceptions inégalitaires que le sujet a de ses
perceptions salariales, de ses pensées sociales ou de ses désirs communistes),
le dénigrement et la dévalorisation d’une presse pipolisée, acharnée à des
querelles ad hominem seule ligne éditoriale du Figaro par exemple.
Au reste, la capacité de cette classe à fonctionner politiquement
est limitée. Son espace mental est envahi par « les discours minables »[10] du
pouvoir marital, comportant des contresens populaires, voire des non-sens
racistes. Elle ne pense plus par elle-même car elle est destituée de cette fonction
politique. Le pouvoir narcissique parvient à lui faire perdre pied, à lâcher
prise afin qu’elle se range à son avis. La classe ouvrière finit par avoir un
sentiment de dépersonnalisation « qui la conduit à une mort politique
ou plutôt à un anéantissement ». Elle devient la chose,
« l’ustensile »
du pouvoir pervers incapable d’imaginer la démocratie directe (Charles Reeve, p.931).
Claude Bitot (2003) évoque par ailleurs, les
problèmes posés par l’inutilité du Sénat, et en particulier la nature de la
mobilisation contre-transférentielle avec le Parlement. Il précise que dans les
rêveries de la classe ouvrière : « il est
impossible d’aborder d’emblée le conflit intra-politique avec la patiente, car
la classe ouvrière – « femme sous influence » - est complètement
prise dans une relation interéconomique aliénante, dont il lui faut se dégager par
l’émeute avant de pouvoir envisager un traitement plus classique d’élucidation
des contenus marxistes inconscients. » (p. 925)
Le docteur Bitot finit son imposant ouvrage en
laissant en suspens une question sur laquelle nous nous appuierons : « Contre quoi
la relation avec le pouvoir narcissique les protège ? » (p.940).
J.M. Kay (2003) propose quelques
pistes de réflexion plus avant (un effondrement dépressif boursier, une
décompensation financière…) qu’il ne développera pas au même niveau que le
docteur Bernstein.
En outre, il est à noter que la femelle prolétarienne fait
preuve d’une fidélité fanatique amenant JM
Kay à la considérer autant comme victime, complice que thérapeute.
On constate effectivement que derrière toutes les formes de violence étatique,
la classe ouvrière s’obstine à voir la souffrance nationale de son agresseur.
Elle ne peut « renoncer
à sacrifier sa vie pour le soigner, c'est-à-dire rembourser les déficits »
(p. 938). Il lui est « impossible de renoncer à la passion réparatrice qui l’anime et
qui, à travers le pouvoir pervers narcissique, s’adresse à une figure
maternelle folle, séductrice, tyrannique et destructrice » (p.
938-939 de l’ouvrage de JMK).
Pourtant, après un certain temps, la victime a
conscience qu’elle souffre mais ne peut pas l’associer à de la « violence et
une agression » (Camoin, 1998, OC p.8127). En effet, la classe
ouvrière a beaucoup de difficulté à reconnaître la perversité du pouvoir
étatique aussi bien au sens d’identification léniniste que dans l’acceptation
stalinienne. De fait, elle va alors s’efforcer de lui trouver des
justifications aux municipales et aux européennes.
Cette classe a beaucoup investi d’elle-même dans sa
relation conjugale. Alors admettre que le gouvernement en qui elle avait
confiance et mis en lui des rêves de nationalisation, des espoirs de retraite
rapide, n’est en fait qu’un ‘‘bourreau’’ qui la détruit peu à peu, est
extrêmement douloureux et coûteux politiquement. Elle peut ainsi continuer à
maintenir cette idée hors de la conscience pour garder à l’esprit l’espoir d’arriver
à changer son exploitation et de reprendre le contrôle du cours historique aux
affrontements de classe. Cette situation peut s’étaler sur des années. Pourtant,
à un moment donné, la classe ouvrière va se rendre compte de la perversité de
son conjoint par l’intermédiaire d’un méta-regard, regard que porte un de ses
proches (le parti prolétarien) sur elle
dans la situation dans laquelle elle se trouve. Le regard d’un représentant du
parti marxiste sur son enfant, la femme du pouvoir narcissique, alitée à
l’hôpital suite à l’agression physique des CRS.
Il s’agit donc d’un méta-regard au sens de méta-communisation
de l’école de Toni Negri et
Robert Kurz c'est-à-dire comme s’il ne suffit pas de percevoir les choses, il
est également nécessaire que cela soit identifié
par un autre (le parti) ayant valeur d’authentification de sa perception
permettant ainsi l’évitement de la disqualification historique. JM Kay mentionne les propos de Jean-Paul Dessertine qui affirme « qu’aucun
changement ne peut se faire de l’intérieur ; si un changement est
possible, il ne peut se produire qu’en sortant du modèle prolétarien-assisté».
Sans intervention externe s’instaure un « jeu sans fin », qui ne pourra se
résoudre que par le recours à la violence, « la séparation, le suicide ou l’homicide »
(Jacques Camate, 1967, p.929).
À partir du moment où la classe ouvrière prend
conscience de ce qui se passe, elle a atteint « un point de non-retour » (Lénine,
OC 56 p.935) : « Une fois qu’elle a pu intégrer ses projections communistes et
réduire les clivages trade-unionistes, une fois que les émotions prolétariennes
ont pu lui être restituées par le parti, à la faveur des mouvements de
transfert grévistes et de contre-transfert répressifs, elle parvient à
construire des frontières de classe qui la protègent définitivement des
manœuvres d’invasion idéologique et d’occupation du terrain médiatique. Une
fois ouverte la porte de sortie de sa position identificatoire masochiste,
celle-ci ne se referme plus » (p.935). Car « comprendre c’est lever le déni »
(cf. Roland Simon p.127).
Y a-t-il répétition d’un traumatisme
antérieur ?
JM Kay (2003) asserte que « derrière l’Etat pervers narcissique,
se cache bien sûr un autre persécuteur. Figure du passé, auteur d’autres
violences, source de traumatismes antérieurs. C’est quand il réapparaît, que
peut commencer le véritable travail psychopolitique. À partir du moment où le
persécuteur caché est débusqué, l’asservissement au persécuteur actuel tombe,
car la classe ouvrière retourne vers son objet originaire » […].
« Selon les cas, il peut s’agir tantôt de Napoléon tantôt de la reine
Victoria, mais je dirais qu’il s’agit d’une figure parentale archaïque
indifférenciée, autant sadique que séductrice, qui associe à une figure
paternelle totalitaire une image maternelle surmoïque ou idéalisée que la
classe ouvrière intériorise et qui la terrifie de manière quasiment
divine ? Cette figure divine convoque le fantasme de l’Etat prédateur
originel, lié par la scène primitive meurtrière de l’appropriation privée, dans
laquelle l’esclave serait précipité, participant des violences dont à la fois
il jouit et souffre, mais dont il ne peut pas s’extraire » (p.
936 de l’ouvrage de JMK). L’auteur indique là encore l’importance du
méta-regard qui va donner à des souvenirs brumeux et incultes une valeur de
réalité.
En conséquence, « la violence perverse confronte la
victime à sa faille, aux traumas oubliés de son enfance colonisée»
(Mohamed Harbi, 1998, p. 167).
Ceci nous laisse à penser que « la victime n’est pas en elle-même masochiste
ou dépressive [mais que] le pouvoir pervers a utilisé la part dépressive ou
masochiste qui est en elle ». (p. 168). Néanmoins, ce que tient à
préciser Dieudonné M’Bala M’Bala,
c’est que « la
victime, en tant que victime est innocente du crime pour lequel elle va
payer » (cf son spectacle « je suis innocent les mains
pleines »).
L’idée est que rien ne justifie la violence
destructrice faite à l’être de la classe ouvrière par son Etat pervers
narcissique. Autrement dit, la seule critique que l’on puisse faire à la
victime c’est de ne pas avoir été assez vigilante et réactive face aux messages
véhéments du gouvernement à son égard. De même, Jacques Guigou relève « qu’il est
commun d’entendre dire que si une personne est devenue victime, c’est qu’elle y
était prédisposée par sa faiblesse ou ses manques » (cf. Ma stratégie
rupturiste, p. 166). Mais existe-t-il réellement des prédispositions
chez cette classe, qui la condamnerait à subir ses souffrances
politiques ? Ou bien en jouirait-elle ?
Lorsque les classes opprimées
parviennent à s’extraire de l’emprise de leur bourreau étatique, c’est grâce à
un effort politique considérable. Elles ressentent un sentiment de liberté de
même amplitude. Nous pourrions donc supposer que ce qui était premier pour
elles ce n’était pas la souffrance ou le plaisir pris dans la souffrance, mais
plutôt le désir de prouver leur amour à l’Etat pervers. Une explication à ce
long temps de réaction est, qu’avant de décider de s’opposer à son bourreau, la
classe opprimée va y réfléchir à deux fois car elle a en mémoire les moments de
répressions sévères antérieurs et une guerre mondiale pour l’espace vital et
pas pour la seule élimination des juifs. Dans la même perspective, nous avions
cité la présence d’un traumatisme antérieur (écrasement de la Commune de 1871
et goulags staliniens) suivi d’un refoulement (historico-réformiste) qui
pourrait favoriser cette rencontre et le maintien d’un statu quo.
Bien qu’à partir des agissements de pouvoir
narcissique, la classe ouvrière ait la possibilité de se séparer de lui afin de
préserver son intégrité, elle choisit de continuer à bosser et à pointer à Pôle
emploi. Néanmoins pour continuer à vivre avec l’Etat, il lui faudra utiliser le
clivage (le clivage de l’objet bureaucratique) pour maintenir la première
relation idyllique. Si la souffrance
de classe assujettie est indéniable, qu’elle soit source de plaisir
inconsciente ou pas, pourquoi ne pas rompre ce lien mortifère ?
Jean Barrot prend l’exemple de « certaines
des classes immigrées battues qui quittent leur nation violente par voie maritime,
[qui] deviennent perdues, comme pourraient l’être des mères désespérées et
coupables d’avoir abandonné leur méchant petit
garçon alors qu’il est incapable de se passer d’elles » (p. 203 de son ouvrage
« Pourquoi toujours attendre ? »). Pourrions-nous retrouver cela
dans le vécu des classes ayant voté pour un pouvoir narcissique ? Cette
impression de ne pouvoir le quitter sans craindre qu’il ne meure, renvoyant à
un fort sentiment de culpabilité, pourrait constituer une des explications de
ce maintien du lien marital Etat/prolétariat.
Par ailleurs, Karl Nézic soulève également la question
de « la
nécessité de reproduire la violence que la classe de fabrique a vécue dans sa
famille d’origine paysanne. Soit celle dont elle fût elle-même l’objet, soit
celle dont sa mère, Flora Tristan, fut l’objet » (p. 25) le rapportant à
une « compulsion
à la répétition des échecs historiques ». Finalement, rompre le
lien avec l’Etat pervers socialiste serait se désolidariser de la conquête du
pouvoir social-démocrate dans cette situation de souffrance partagée. Ce à quoi
elle ne peut se résoudre.
Quelles raisons font que la
femme prolétarienne du pouvoir narcissique reste aussi longtemps avec son mari
alors que leur relation est destructrice ?
Hypothèses théoriques
Je les conçois comme des hypothèses explicatives
énonçant deux raisons (parmi d’autres) qui renseigneraient sur le fait que la
classe ouvrière soumise au pouvoir narcissique reste aussi longtemps attachée
aux liens électoraux matrimoniaux alors que les rapports sociaux lui sont si
néfastes. Ma première hypothèse
est que la classe ouvrière resterait aussi longtemps dans cette relation
mortifère parce qu’au départ elle aurait choisi son Etat en fonction d’une
problématique qui leur serait commune : lutte pour le pouvoir d’achat
manifestée dans une faille narcissique. Son couple aurait (eu) une valeur
consumériste permettant d’atteindre un certain équilibre alimentaire et toute
remise en question de l’achat de matériel électronique et automobile garant de
cet équilibre représenterait un danger vital.
Ma
seconde hypothèse est que la classe ouvrière serait prise dans une
logique inconsciente de reproduction d’un schéma intériorisé vécu dans le
passé, d’endurance à la souffrance des communards pour réparer les dégâts des
Versaillais sous couvert d’un sentiment de culpabilité si l’objectif n’était
pas atteint.
Méthodologie de ma recherche
Une défaillance du narcissisme ouvrier aurait
été présente avant la rencontre avec le pouvoir narcissique. Ainsi, nous
considérerons comme une faille narcissique tout ce qui pourrait se rapporter à
une mauvaise image du mouvement ouvrier, une mauvaise estime de sa conscience
et un manque de confiance en son parti intrinsèque aux travailleurs avant leur
rencontre avec le Pouvoir Narcissique.
En ce qui concerne notre seconde hypothèse
énonçant que la classe ouvrière serait dans une « compulsion » à la
reproduction d’un vécu passé, nous nous attacherons à trouver lors des
entretiens, tous les éléments se rapportant au désir de réparation de l’Etat
mais également les éléments en résonance avec la relation primitive à la classe
primaire et à la relation idéologique de ses théoriciens petits bourgeois
enseignants. L'idée sous-jacente est que ces tendances masochistes (endurance à
la souffrance sociale) auraient été acquises au cours de l'histoire du Sujet
prolétariat et qu'elle ne ferait que se réactualiser dans le présent.
Par l’intermédiaire de nos premiers échanges par
mail avec Jean Jaurès et Antonio Labriola, nous apprenons qu’à l’adolescence,
la classe ouvrière désirait conquérir l’Etat à travers soit l’insurrection,
soit la conquête parlementaire. Néanmoins, de par son exploitation désirable,
on lui réservait un avenir d’un tout autre ordre. Nous apprenons dès lors, que
Mme la classe ouvrière a été victime d’abus verbal très subtil de la part de
Lénine et de son entourage. Elle relate des phrases assassines qu’elle a
entendues à Kronstadt, lui faisant « naître les plus profondes blessures
identitaires ». Il est à noter que lorsque la classe ouvrière a rencontré
son Etat en pleine union nationale, ce dernier s’adressait déjà à elle avec des
paroles dévalorisantes. Elle dit ne pas s’en être souciée car elle vivait déjà
la même chose depuis son grand-père Bismarck. On perçoit une certaine tolérance
aux discours négatifs des autres à son propos qui pourraient aller dans le sens
d’une mauvaise conscience de classe. Quand on reprend son histoire sociale, Mme
la classe ouvrière se présente, de prime abord, comme une enfant non désirée,
niée par ses gouvernants. On remarquera par ailleurs que son Etat a également
été mis de côté par Lénine au profit de son oncle Staline.
La relation de la classe ouvrière aux hussards noirs
socialistes a toujours été conflictuelle. Psychiquement trade-unioniste elle les
décrivait comme « très autoritaires », « sévèrement
pré-léninistes », « restrictivement marxistes » et « qui ne
vous causent pas » ou « ne finissent pas leurs phrases » ni
leurs programmes. On y voit une imago léninienne toute-puissante et
castratrice. C’est en introduisant un peu d’anarchisme dans la conversation
qu’elle pourra dire avoir trouvé un parti à l’image de la social-démocratie
allemande. Cette engeance tient une place importante dans son histoire. Elle
lui apporte un précieux soutien électoral moral. A contrario, la théorie marxiste était perçue par la classe
ouvrière comme une femme soumise à l’autorité de Wladimir Ilitch, dédaignée
dans son altérité et ne pouvant prendre plaisir en dehors d’un socialisme de
caserne.
Nous avons compris par la suite que
derrière le refus de l’Etat paternaliste, se cachait le fantasme de
toute-puissance de l’ex-gouvernement pervers narcissique (qui voit tout et qui
entend tout). Nous avons alors laissé
plusieurs semaines de réflexion à la classe ouvrière avant de la recontacter.
Entre temps, le conseiller syndical Henri Simon lui a parlé afin de
désensibiliser cette situation (stage « Echanges et mouvement »). La
classe ouvrière lui a alors proposé une solution alternative, qui l’a amenée à
accepter, au grand dam de Simon, de s’entretenir non avec Gérard Bad mais avec
le parti invariant et supra-historique.
Aujourd’hui, Mme la classe ouvrière,
âgée de 150 ans, a été mariée pendant 80 ans avec l’Etat libéral. Elle le
considère comme une engeance égocentrique et manipulatrice. S’il est vrai qu’il
peut paraître au premier abord un démocrate agréable, gentil et serviable, la
classe ouvrière sait qu’il est alors dans sa phase de séduction préparant sa
« victime » pour la manipuler. C’est ainsi qu’elle interprète ce qui
s’est passé pour elle pendant deux siècles d’union conflictuelle avec seulement
trois demandes de divorce (1848, 1871 et 1917). Leur rencontre s’est faite
place Tahrir par l’intermédiaire d’un cousin sans papier. Au tout début de leur
rencontre, la classe ouvrière ne considérait pas l’Etat comme un potentiel
« petit ami ». Au fil du temps, il est devenu un confident, un ami
qui a su lui montrer de l’intérêt, une capacité d’écoute. Il se montrait gentil
et affectueux à son égard. Plus âgé qu’elle, Mme la classe ouvrière percevait le
gouvernement de gauche comme son prince charmant.
Avec du recul, elle se voyait comme une jeune fille en
quête de l’affection d’un père. Son ex-gouvernement de droite était là, dans un
sens, pour combler ce manque. Elle rêvait de fonder un quartier : avoir un
supermarché à côté, des femmes voilées en string et plus de bourrage de crâne
sur la shoah à l’école. Avec l’impression de ne pas avoir une
personnalité marquée, la classe ouvrière dit également avoir toujours eu
des difficultés au niveau de sa capacité de compréhension politique et
d’analyse des situations sociales. Elle a le sentiment que l’Etat s’est
servi d’elle (et de ses faiblesses) à ses propres fins. Il la disqualifiait et
la dévalorisait subtilement en public. Elle a donné à son gouvernement de
gauche sa confiance, sa jeunesse. Il s’en est servi pour la couper du monde et
la mettre sous son emprise.
Puis, après tant d’années d’hymen, elle a commencé à
se poser des questions sur la fidélité de ce dernier jusqu’à ce qu’elle
découvre qu’il avait une « maîtresse », la finance internationale.
Mme la classe ouvrière est passée par des moments de dépression durant laquelle
elle a fait des tentatives de suicide (mélange d’émeutes stériles de shit et
d’alcool). Pendant cette période, la violence de son ex-gouvernement est
devenue manifeste : harcèlement moral accompagné de violences physiques
dans une logique d’intimidation. C’est à ce moment-là qu’elle a décidé de
stopper ce rapport social. Nous avons alors l’impression qu’elle expulse l’idéologie
de collaboration nationale hors d’elle, se séparant de ce qu’elle avait
introjecté du Pouvoir Narcissique en elle. De surcroît, la classe ouvrière
s’est rendue compte une fois les démarches du divorce insurrectionnel lancées,
qu’elle ne connaissait pas son Etat, au vu de toutes les difficultés qu’il lui
a causées jusqu’à son renversement.
En outre, il est intéressant de remarquer que les classes
ouvrières qui semblent avoir pris position face à leur Etat présentent des
points en commun. Premièrement, elles ont toutes les trois la même croyance en
un « Parti suprême » qui serait là pour les aider à traverser les
moments difficiles de leur sujétion et exploitation. Nous pourrions envisager
la relation qu’elles entretiennent avec le parti prolétarien qu’elles
considèrent comme une personne à part entière, tel un mécanisme de défense qui
les aiderait à « aller de l’avant ».
Deuxièmement, nous entrevoyons une certaine gêne dans
l’expression de leur colère face à l’injustice des manœuvres perverses de l’Etat
à leur égard. Pourtant, lorsqu’elles intègrent et gèrent cette agressivité
politique, ces classes inférieures parviennent à délimiter leur territoire social
pour se protéger de leur Etat narcissique et autiste. Il leur est alors
possible d’envisager la poursuite d’un projet de communauté communiste grâce à
une réflexion sur les choix de société et une perspective de rupture radicale
avec le capitalisme.
Enfin, nous relevons qu’elles se sont toutes orientées
vers « l’aide au prochain soulèvement ». Nous pourrions alors faire
un parallèle avec ce que nous dit Bordiga
(1950) sur la pulsion de parti qu’il conçoit comme « un destin alternatif de la pulsion
conseilliste » (p. 205 de « Espèce marxiste et vieille croûte
bourgeoise ») et qui « n’irait pas de soi d’un point de vue
batrachomyomachique » (p. 48). En effet, il la décrit comme étant à
l’origine de la manifestation de « la violence, la robustesse, l’orthodoxie
marxiste et le dévouement de parti ». Nous pouvons alors nous
interroger sur l’enjeu de la pulsion de parti comme moyen par lequel la classe
ouvrière du pouvoir narcissique pourrait se saisir, afin de sortir de ce
« cercle infernal » que constitue la reproduction d’un schéma
masochiste bourgeois intériorisé.
[1]
Manifeste communiste de 1848.
[2]
Ibid.
[3]
Ibid.
[4]
Archives virtuelles Marc Chirik.
[5]
Jean Malaquais, OC tome 23, p.125.
[6]
Page 87 de « Moi et la classe ouvrière » par Ottorino Perrone.
[7]
Page 222 de « Comment ils nous baisent » par Michel Roger.
[8]
Guy Sabatier : « L’Etat et moi », p. 567.
[9]
Raoul Victor, page 3 de sa brochure : « Que ne pas baiser ».
[10]
Karl Dauvé et Paul Bastos sur Radio Cramoisie.
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