Le véritable « ennemi intérieur » sera le prolétariat pas l'islamisme !
« La montée des mouvements islamistes radicaux, qui sont devenus une expression déformée des processus de radicalisation dans la région, ne s’explique pas seulement par des traditions locales, mais fondamentalement par le reflux de la classe ouvrière mondiale au cours des dernières décennies, qui a empêché ses secteurs d’avant-garde, tant dans les pays centraux que dans le monde semi-colonial, de présenter une alternative pour les peuples opprimés par l’impérialisme. » Claudia Cinatti1
« Guerre aux palais, paix aux chaumières, mort à la misère et à l’oisiveté” deviendra le cri de guerre de l’ensemble du prolétariat européen. » (déclaration de Bebel au Reichstag en 1871 en solidarité avec la Commune de Paris). Le pouvoir se mettait en scène comme la victime du mouvement socialiste, qui était non pas l’ennemi de l’État, mais « le pire ennemi du peuple allemand », voire « une maladie qui dévore le peuple de l’intérieur ». « En 1878, Bismarck utilise l’émotion causée par deux attentats successifs contre le vieil empereur, les instrumentalisant pour en accuser à tort le SPD, assimilé à une dangereuse organisation terroriste menaçant la liberté publique. À l’issue d’une campagne très violente, en septembre, Bismarck obtient enfin une majorité pour sa loi d’exception2. ».
« Le paradoxe, que très peu d’observateurs hors d’Espagne ont pour l’instant perçu, c’est que les communistes se trouvaient les plus à droite de tous et étaient plus désireux que les libéraux eux-mêmes d’abattre les révolutionnaires et de proscrire leurs idées. Ainsi, ils sont parvenus à briser les milices ouvrières [...] pour les remplacer par une armée organisée sur le modèle bourgeois. » Georges Orwell (15 septembre 1937).
LA DENONCIATION D'UN ENNEMI INTERIEUR CLASSIQUE PREPARATION A LA GUERRE
Après cette courte amnésie concernant les crimes successifs du régime de Poutine, une atmosphère lénifiante semble s'être emparée de la sphère mondiale bourgeoise : vous êtes tous concernés par « l'ennemi intérieur où que vous soyez, il est partout ». ( qui nous renvoie implicitement au « je suis partout » fasciste) La dictature poutinienne aurait été négligente face au terrorisme djihadiste. Certes on ne saura jamais si les quatre pauvres hères torturés et exhibés au peuple russe crétin, ont participé ou pas au carnage dans la banlieue de Moscou, si le sinistre FSB a dissimulé les cadavres de vrais auteurs manipulés, ou si, ce qui semble probable, le régime sadique de Poutine a été totalement surpris. Sur ce point il faut affirmer que c'est la propagande de guerre, des deux côtés qui se poursuit, façon « c'est toi qui l'a dit, c'est toi qui l'est ». Ce serait une nouvelle preuve de l'affaiblissement de Poutine obligé désormais de lutter sur « deux fronts militaires ». Argumentaire fallacieux car : 1. les deux fronts existent ici aussi en Occident et 2. Poutine n'est pas affaibli car quelle que soit l'origine du crime IL S'EN SERT ! Un grand classique depuis Bismarck, puis Hitler et toutes les démocraties occidentales depuis au moins 50 ans. Tout crime de masse sert avant tout à renforcer l'Etat national qui, immédiatement, enclenche une militarisation de toute la société « pour tous nous protéger » !
Qu'une partie du peuple russe penche pour l'explication d'un attentat islamiste n'évacue pas le mensonge de Poutine le mettant sur le dos de l'Ukraine. Le vrai pas en avant belliciste est que le dictateur ait prononcé le mot guerre et non plus « opération spéciale ». Ce qui n'est pas rien mais suppose une mobilisation totale de la population russe. Qui n'est pas sans risque, les mensonges les plus grossiers du genre de l'idiot porte flingue de Poutine, Medvedev, finissent toujours par s'user face aux tonnes de sang qui coulent sans interruption. Ce qui explique en partie cet irénisme transnational où les pires ennemis affichés de Poutine le décrivent comme victime, de lui-même mais surtout d'un ennemi invisible universel plus incontrôlable que les tonnes d'exactions criminelles du capitalisme ; lui signifiant qu'il est le réceptacle du même danger que ses propres rivaux bourgeois impérialistes.
Depuis cet attentat à Moscou, étrangement la guerre en Ukraine n'est plus au premier plan, il n'y a plus place que pour le terrorisme islamique, - un attentat serait déjoué tous les deux jours - des enfants seraient appréhendés un couteau ou une bombe dans leur cartable. On frissonne. L'Etat bourgeois va-t-il nous protéger ? Au moins jusqu'à la guerre totale ?
L'ENNEMI INTERIEUR MAIS CONTRE QUI ?
À chaque fois, ces ennemis de l’intérieur sont liés à un ennemi de l’extérieur, évidence lors de la vague révolutionnaire partie de Russie en 1917, à valeur d'exemplarité pour « l'intérieur prolétaire » de tous les pays. Les périodes de guerre et de révolution sont propices à l’émergence du thème de l’ennemi de l’intérieur, dont l’existence est d’autant moins discutée ou relativisée qu'il s'agit d'un danger bien réel, qui a explosé depuis la fin de la guerre froide et a même échappé aux concepteurs impérialistes de cette « administration de la sauvagerie » par l'EL-K (cf. July).
Historiquement, l'ennemi intérieur, communard, bolchevique, membre de la cinquième colonne, boche, responsable d'action anti-américaines, agent du capitalisme, occidental etc. est en partie une réalité mais son mythe le dépasse systématiquement devant la réalité des faits. On lui attribue une réputation de puissance idéologique bien au-delà de ce qu’il représente réellement, qui tient de l'espionnite. Ce bourrage de crâne, cette fake new comme on dit aujourd'hui mais est généralement vite dévoilé (cf. Affaire Dreyfus à la veille de 1914). Elle a toujours eu le temps de contribuer hélas toujours à consolider l'union nationale bourgeoise.La Première Guerre mondiale fut évidemment un moment historique propice à l’invocation de la menace de l’ennemi intérieur, tout comme le tournant des années 1920, avec la peur des agents bolcheviques.
Au début des années 1930, une étude secrète d’état-major sur le risque révolutionnaire en région parisienne exposait en préambule les raisons qui rendaient nécessaires la prise en compte de la subversion comme problème majeur de défense nationale :
« Il était jusqu’ici de saine doctrine de guerre de ne demander la décision qu’à la manœuvre des armées et à leur choc, plus ou moins frontal, dans la bataille. Au cours de la dernière guerre, devant la lenteur de ce procédé, l’Allemagne, la première, imagina de le combiner avec une action à revers consistant dans une propagande défaitiste – voire même révolutionnaire – sur les arrières des armées alliées et contribuant à leur dislocation par ses effets sur leur moral et leur discipline. Leur expérience fut immédiatement concluante3 ».
De ce point de vue, Poutine peut compter sur le RN, LFI et la noria islamo-gauchiste comme dans les années 1930 les ligues d'extrême droite qui avaient défendu en 1914 la guerre pour récupérer les provinces de l'Est, postulaient à servir le nazisme. Ils sont in fine régulièrement accusés de soutenir le dictateur de Moscou mais pas autant que l'islamisme criminel. Cette noria, sans en utiliser les termes, prétend représenter la classe ouvrière, fondue dans le peuple. Et dans le cas d'une déclaration effective de la guerre, cette mouvance restera utile à la bourgeoisie pour canaliser ou vider de tout objectif révolutionnaire un prolétariat européen qui n'a ni envie de crever pour l'Ukraine ou cette vieille histoire de patrie.
LES ETATS RIVAUX FAVORISENT-ILS L'ENNEMI INTERIEUR » ?
L’ennemi intérieur est souvent soit étranger, soit d’origine étrangère; il a en tout cas toujours un lien avec une puissance ou une entité étrangère Au cours d’une intervention radiophonique, le Général Mola, l’un des putschistes les plus puissants, déclara qu’une «cinquième colonne» se lèverait, le moment venu, de l’intérieur du camp républicain pour livrer Madrid aux troupes nationalistes. L’expression «cinquième colonne» était née.
En France dans les années 1930 aussi sévit la crainte d’une cinquième colonne. Alors que les régimes totalitaires d’Italie et d’Allemagne ont provoqué l’exil de nombre de leurs ressortissants vers la France, ceux-ci sont soupçonnés d’être des agents de leurs pays d’origine. On craint les espions, on traque les agents italiens ou allemands. En Allemagne, ce mythe donna libre cours au déchaînement nationaliste des années 1920 puis 1930, celui du «coup de poignard dans le dos».
Véhiculé depuis l’état-major allemand, cette théorie laissait évidemment s’installer l’idée que l’armée allemande n’avait perdu que parce qu’elle avait été frappée de l’intérieur même du pays. Un de ces vecteurs fut encore l'antisémitisme, qui est encore présent et développé grâce au sadisme de l'Etat israélien de nos jours inquiétants. La haine antisémite fanatique des groupes nationalistes allemands a été la principale motivation de la terrible répression anti-spartakiste de janvier 1919. De 1938 à 1940, la Troisième République française met en place des systèmes de surveillance, de répression et de détention tendant à combattre « L’ennemi intérieur » qui peut prendre les figures du communiste, de l’étranger, du germanophile, du fasciste. Le statut de réfugié politique disparaît au profit de méthodes concentrationnaires.
La « chasse aux sorcières » ou « red scare » du maccarthysme a été une des premières armes dans la guerre froide, non contre un réel danger communiste, mais pour contrer un impérialisme stalinien qui était un vrai danger intérieur, non pas social mais militaire.
En France, plus que le constat désabusé d'une immigration disproportionnée, alourdie par l'idéologie islamiste, la focalisation principalement sur l'immigration de la part de l’extrême droite se traduit par un discours l’assimilant à un ennemi de l’intérieur. Feu Dominique Venner décrivait les immigrés comme étant un moyen utilisé par le « communisme » pour détruire l’Occident. À la fin des années 1970, Jean-Marie Le Pen évoquait «la cinquième et la sixième colonne» qui auraient «réussi leur jonction». Pour Le Pen, l’immigration est une sorte d’armée révolutionnaire de substitution. Au début des années 1980, Jules Monnerot sociologue passé de l’extrême gauche au Conseil scientifique du Front National, estimait que l’immigration est une armée de subversion à la solde de l’islamisme iranien. Plus comique, au lendemain du 21avril 2002 (choc de la présence du FN au second tour), un Marc Knobel, essayiste ami d'Israël dénonçait l’extrême gauche et des Verts, estimant que ceux-ci veulent confier aux immigrés la fonction révolutionnaire dont le prolétariat serait dépossédé. Ce qui est tout à fait vrai – le trotskisme déjanté ayant cru pouvoir parier sur une alliance avec les islamistes - mais en leur attribuant la notion d'ennemis de l'intérieur tout de même.
Remplir d'ennemis intérieurs serait la formule la plus adaptée actuellement. Par exemple pour répondre à la question de ce chapitre, la Turquie, la Russie, voire la Chine sont accusés régulièrement d'encourager l'immigration massive vers l'Europe. Quant aux espions ils font leur boulot et font partie du paysage bien connu ; c'est un job respectable comme ambassadeur ou avocat. Les joueurs de foot ne seraient-ils pas les vrais ennemis de l'intérieur lorsqu'ils se vendent pour une autre équipe nationale ?
La guerre mondiale, historiquement, nécessite un modèle de contrôle censé protéger la population contre la prolifération, en son sein, de " nouvelles menaces " : islamisme, terrorisme, immigration clandestine, violences urbaines, cartable des enfants d'immigrés... Et, pour justifier cet arsenal sécuritaire, on a partout – de Paris à Moscou - ressorti du grenier : « l'ennemi intérieur ". La focalisation sur tel ou tel « ennemi intérieur », même s'il n'a pas de visage précis ou est fabriqué, légitime le policier et le militaire.
Pour la période à venir, incluant l'événement mondial, les JO à Paris, la crainte voire l'attente d'attentats sert à terroriser la population et la classe ouvrière . Sert surtout enfin à éliminer cette classe, principale chair à canon, de l'équation guerre/révolution au profit du duo capitalisme/islamisme. Preuve que la mondialisation de la guerre sera ardue . Preuve aussi que si guerre il y a, l'islamisme passera au second plan et que le véritable danger « intérieur à la bourgeoisie » pourra bien être une nouvelle fois, et pour le bien de l'humanité, le prolétariat.
NOTES
1Il faut lire ce long article de 2006 publié par Révolution permanente, qui fournit l'historique essentiel sur la montée moderne et l'instrumentalisation de l'islamisme, sas diversité et absence d'homogénéité partout (contrairement à la propagande bourgeoise mondiale) , dont les origines remontent à la victoire d'Israël en 1967 et dont la fabrique idéologique fût avant tout américaine. Vous ferez la part des débilités sur la fable des libérations nationales mais lirezavec une intéressante réflexion sur les conséquences de la passivité de la classe ouvrière : Islam politique, anti-impérialisme et marxisme (revolutionpermanente.fr)
2Bismarck part en guerre contre « l’ennemi intérieur » : la social-démocratie. Anne Deffarges p. 81-93
3L'ARMÉE FRANÇAISE ET L'ENNEMI INTÉRIEUR (1917-1939) Enjeux stratégiques et culture politique
Georges Vidal (Presses universitaires de Rennes de Rennes)
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