Avant de vous de vous faire le compte-rendu du deuxième
défilé qui allait « déclencher la grève générale », voire
« l'insurrection », je vais vous raconter une anecdote en préliminaire.
Lorsque j'arrive à la manifestation place d'Italie, je me déplace vers l'avenue
d'où doit démarrer le cortège. Je dépasse le stand frites-merguez, je passe
devant l'étal des « livres révolutionnaires », mais un camion CGT
garé sur le côté plus loin porte un panneau (cf. photo ci-jointe) où l'on peut
lire :
"LA POLICE doit protéger les citoyens et non les frappes",
en dessous se trouve l'écusson des CRS
barré d'une matraque, et au-dessous : STOP A LA VIOLENCE, voisinant avec
un poster de Guevara.
Hilare je dégaine mon appareil photo. J'aperçois à côté de
moi un gars qui regarde comme moi l'affiche, sans savoir que c'était un sous-fifre cégétiste, je le hèle :
–
tu as vu ? Ils crient tous « tout le
monde déteste la police », même Mélenchon, et là elle est sensée « protéger
les citoyens ».
La gars hoche la tête puis m'objecte :
–
tu n'as pas compris, c'est raffiné, ça veut dire
« protéger et punir », protéger l'Etat et punir les
manifestants !
Je ne laisse pas passer l'argutie "raffinée":
– tu rigoles ? D'abord il y a aussi un syndicat CGT dans la police et qui défend la corporation aussi bien que les autres, ensuite la principale police de la classe ouvrière ce sont les syndicats, en 47 la CGT était avec la police contre les ouvriers qui ne voulaient pas se sacrifier pour « la reconstruction", allez bonne après-midi mon gars !
THE TIMES THEY ARE A-CHANGIN'
Je me dirige ensuite vers les organisateurs de la
procession, qui s'annonce maigrelette malgré le bruit des troupes encadrées
syndicalement qui arrivent peu à peu sur la place d'Italie. On aperçoit deux
rangées de bonzes syndicaux avec au milieu moustache entouré d'une nuée de
journalistes et de miros. J'étais bien décidé à secouer le cocotier, tout en me
demandant si j'allais encore une fois encore me faire casser la gueule[1].
Je me lance :
–
ah vous êtes contents de vous ! Vous faites
chier des millions d'ouvriers qui voulaient aller se reposer en vacances !
Vous ridiculisez la notion d'extension !
Stupeur, la foule des journalistes et des bureaucrates se
retourne sur moi, je vois même l'oeil vitreux de Martinez qui me regarde comme
un chat de gouttière sans importance. Puis, aussitôt, sans que je puisse
développer mon argumentation je me retrouve avec un micro sous le nez et la
caméra derrière :
–
qu'est-ce que vous en pensez ?
–
ce que j'en pense c'est que la CGT fait
toujours les sale boulot, elle a laissé les grévistes seuls pendant quinze
jours, ce qui les a épuisés et maintenant elle vient pour soi-disant les
soutenir leur promettre la grève générale et l'insurrection... qui était prévue
pour vendredi dernier... Il nous ont promis la grève générale or celle-ci ne se
décrète pas...
Je ne peux continuer, un jeune bonze a surgi et se met à
morigéner les journalistes :
–
vous n'avez pas honte de donner la parole à
celui-là, il ne représente rien, pourquoi vous ne donnez pas la parole à tous
ceux qui sont là ?
Je l'attrape gentiment par le bras :
– peut-être mais qui te dis que je ne représente pas des milliers qui sont absents ?
Il m'ignore et continue à tancer le journaliste et son cameraman, qui a déjà détourné sa caméra sur le petit chef du SO. Les deux culpabilisent et m'ignorent désormais eux aussi, bien que je hèle l'autre : « si tu veux débattre, je suis près », mais il me repousse du bras. Je les laisse alors entre eux et me retourne derrière où sur le trottoir un groupe de jeunes a suivi attentivement l'incident, et là je poursuis mon argumentation en disant que la CGT sabote depuis 50 ans toutes tendances à une extension réelle, et qu'elle renouvelle cette stratégie en encourageant des grèves minoritaires pas au moment approprié, alors qu'on a besoin du soutien de l'opinion. ». Les jeunes approuvent de la tête. L'un d'eux parle des G étudiantes en ce moment où il y a le souci de la démocratie directe et de pas laisser le AG kidnappée par tel syndicat ou tel parti politique. D'autres me félicitent.
Mais ce qui me marque le plus, c'est que je ne me suis pas
fait casser la gueule, comme je le craignais. Le silence avait été la seule
réaction, pas de mouvement collectif du SO, à part l'intervention de leur petit
chef, évitant de me sermonner ou d'engager la discussion avec moi. Il n'y
aurait donc plus qu'un stalinisme soft, mou du collier ?
Je continuais à remonter le boulevard en ruminant la
« censure » du petit chef CGT, et je me disais soit tu passeras à la
télé ce soir mais juste un petit bout pour te faire passer pour un
anti-gréviste primaire, soit rien du tout, comme en 1995 où FR3 m'avait
interrogé – RI en placard – et qui n'a jamais projeté le militant
homme-sandwich.J'aperçois plus loin un groupe de SUD, rail ou PTT peu importe.
Ils jouent avec leurs banderoles, rigolent, sont contents de leurs slogans. Je
me glisse au milieu d'eux :
–
salut les radicaux !
Certains se retournent sur moi et prennent cela pour un
compliment, peine perdue, j'ajoute :
–
vous êtes contents vous aussi de participer à la
division des ouvriers au cul de la CGT ? A quoi ça sert de faire durer une
grève minoritaire au moment des vacances scolaires ?
Ils ne réagissent pas méchamment et me font signe de m'en aller,et je leur dis regretter qu'ils ne veuillent pas discuter ; et je m'en vais.
ASSIS AU BISTROT
Je n'allais pas faire le traîne-savatte d'une manif artificielle, dont je file au final. Je vais m'asseoir à la terrasse d'un bistrot à côté de la tour Montparnasse pour assister à la fin du carnaval qui fait rire les garçons dudit bistrot, et me reposer, j'ai près de 8 kilomètres dans les pattes. C'est bon pour la santé des vieux, mais j'ai mal aux pattes à cause de mes vielles boots.
Lorsque la manif arrive devant le bistrot, je jette un œil sur ma montre. La manif durera une heure, certes moins freinée que celle de Mélanchon, moins massive et clairsemée. Ce calcul d'une heure correspond à peu près à moins de 5000 personnes, et je peux le démontrer. Derrière près de cinquante cuisines syndicales, c'est malingre. Les tambours des anars sont toujours en tête et aussi chiants. Il n'y a pas 200 blacks bloc comme l'a dit la presse bourgeoise, des marginaux déguisés, quelques voilées mais pas de quoi faire une émeute, toujours une forte proportion de manifestants qui ne veulent plus défiler aux ordres d'un syndicat ou d'un parti Arrive donc le flot des syndicrates et leurs ridicules ballons : SUD SOLIDAIRES, CNT (c'est le cortège le plus nombreux de la file, au moins deux cent personnes), les lycéens (nombreux eux aussi et je les regarde la larme à l'Oeil), mais derrière : CGT 93, SNCT, Finances publiques (10 manifestants) c'est la Bérézina ! Une moyenne de 20 à 70 militants encartés, encadrés et porteurs du drapeau de leur agence commerciale syndicule.
Conclusion : dans le match de la mobilisation c'est
Mélanchon qui a gagné. La CGT peut toujours radicaliser à perpète son échec est
inquiétant pour le pouvoir. Je rappelle, comme je l'ai dit aux jeunes, que la
CGT a été depuis 68, la principale police du pouvoir en France et la plus apte
à empêcher toute extension réelle et à systématiquement « voler
l'initiative » aux ouvriers, comme j'ai répercuté cette parole d'un
ouvrier dans mon article précédent.
Les barouds d'honneur ne sont plus ce qu'ils furent, me
direz-vous. La CGT a réussi à rendre impopulaire la grève et le gouvernement,
qui s'est révélé inutilement arrogant et inattentif, a réussi à rendre
inutilement impopulaire la CGT, quand, en effet, une bonne partie de la classe
ouvrière, en souffrance pourtant, n'a pas envie de critiquer ouvertement cette
grève (au contraire de moi parce que je serai toujours là pour combattre la
naïveté car je n'ai aucun statut à protéger ni à me soumettre aux desideratas
de la gauche bobo et bourgeoise.
Au total, ce charivari des Martinez et Mélanchon contribue à désarçonner la classe ouvrière, qui, même si dans son ensemble elle ne se sent pas représentées par ces appareils, elle pense soit que « il n'y a qu'eux », soit « il faut bien faire quelque chose ».
Il faut cependant prendre conscience que, quelle que soit la suite de la pagaille régnante (les appareils de la gauche bourgeoise règnent aussi par le chaos), la question sociale est revenue au premier plan un peu partout. Les plaintes sur les salaires (ridiculisées par la formule « lutte contre vie chère ») et la foutaise « contre l'inaction climatique » sont dérisoires, à un niveau gréviculteur et dérisoire quand la guerre qui perdure ferait cesser ces plaisanteries syndicalistes et écologiques.
Une chronique du journal Le Monde titre :
« Faute
d’anticipation sur la question sociale, les syndicats, la gauche et le
gouvernement se retrouvent sous pression »
L'article n'illustre pas du tout ce très bon titre. Hélas
pour eux les journalistes ont tellement été au service du pouvoir qu'ils n'y
comprennent plus rien et nous emmerdent sur toutes les chaînes à discuter du
secte des anges ou à répercuter des bruits de chiottes.
Par contre il faut absolument lire l'interview du génial Michel Wieviorka[2] :
« Le même énervement peut être présent, mais ce sont
des causes et des luttes très différentes. Les revendications en matière
d’écologie par exemple peuvent entrer en contradiction avec des thèmes sociaux
comme la lutte contre la hausse des prix des carburants. (…) On assiste
aujourd’hui à une dégradation de la conflictualité. Dans le passé, les mêmes
luttes ouvrières avaient un sens plus élevé. Aujourd’hui, ceux qui se
mobilisent veulent convaincre l’opinion que ce qui est bon pour eux est bon
pour le pays tout entier. En 1995 par exemple, les grèves massives contre des
réformes dans la fonction publique et les services publics ont recueilli la
sympathie d’une grande partie de la population, ce qui a joué en leur faveur.
Ça a aussi été le cas pour les Gilets jaunes. La question qui se pose
aujourd’hui est donc de savoir si la mobilisation va obtenir autant de
sympathie. On entend déjà beaucoup de critiques quant aux revendications des
grévistes donc on peut penser que, s’il y a un mouvement d’ampleur, ce ne sera
pas celui qui est en train de naître ».
CE SOIR AUX INFAUX: gros plan sur la seule émeute picrocholine en fin de manif, deux flics poursuivis par une poignée de marginaux adeptes du feu de poubelle qui éclaire tant nos bobos parisiens sur la voie de la révolution de pacotille débile; sur BFM la pimbêche de service a décrété que c'était le seul événement notable de la journée, aussi elle ne cesse de faire causer syndicrates flics et journalistes policiers; en prime désormais sur les plateaux trône une ou un bureaucrate CGT qui vient mentir avec les autres. De réflexions sur le bide de cette journée, comme des remises en cause sur le terrain de la tartufferie syndicale ou de ma modeste intervention, il n'y a point eu. Enculés de journalistes:
PS : je ne vous ai pas raconté des bobards concernant
les cris à la fin de la manif à Mélanchon, ainsi qu'on peut le lire sur France-info :
« Le camion de la Nouvelle
alliance populaire et sociale a ainsi été hué par plusieurs
manifestants, alors que des membres du service d'ordre tentaient de maintenir
un cordon de sécurité autour du véhicule. Dans une vidéo du journaliste Clément
Lanot, on entend des individus décrits comme des Gilets jaunes crier
«cassez-vous !» ou bien encore «collabos !». Dans une autre vidéo, on peut voir
le député écologiste Aymeric Caron descendre du camion de la Nupes et repartir
à pied sous les quolibets ».
[1]La dernière fois remontait au siècle dernier en 1979 lors d'une manif de défense de la sécurité sociale.J'étais au début de l'avenue Dauménil en train de vendre « Révolution Internationale », lorsque, sans crier gare, un groupe de dockers de Marseille, tous plus petits que moi, m'agressent, l'un d'eux bondissant soudain pour me filer un coup de boule qui me fend l'arcade sourcilière . Le sang se met à pisser sur mon visage. Je suis tétanisé et incapable de réagir violemment à mon tour. Mais le plus grave vint après. En général quand on est victime on l'est au moins deux fois ! Mes présumés camarades, plus lâches qu'utiles à a cause – Michel Pi (dcd) et le « petit Marc », me prennent chacun par le bras pour m'entraîner (en riant) vers l'hôpital 15-20. Je vis cela, hébété, comme une fuite, quand les manifestants (même avec badges CGT) autour de moi commerçaient à s'indigner de voir dans quel état ces brutes m'avaient mis ; c'était une occasion de faire honte au SO de la CGT. Pendant qu'une infirmière me recousait, les deux « camarades » poltrons continuaient à rire dans la salle d'attente. Le pire allait s'ensuivre. Lorsque je me présente à la réunion de section de l'orga le mercredi suivant, je m'assieds. On me regarde un peu narquoisement. La "camarade" Maiella remarque : « je ne comprends pas, on sait que Jean-Louis est du genre agressif ? ». Je reste bouche bée, et l'orga passe à l'ordre du jour. Idem au boulot, un collègue, connu pour sa bêtise, s'approche de moi : « et bien moi je te mettrais bien un coquard sur l'autre œil ! ». Bon re bouche bée! Avec le recul je me suis longtemps reproché de ne pas avoir quitté la salle de mes « camarades » ou giflé Maiella, et mis mon poing dans la gueule à ce connard de Richard.
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