un dangereux révolutionnaire exhibé aux Champs Elysées |
QUAND
L'OPPORTUNISME DIVAGUE...
« Nous
ne permettrons pas qu'on entraîne la classe ouvrière dans une
« défense de la démocratie contre le fascisme ».
Maurice Thorez (15 mars 1935)
« L'opportunisme
et le centrisme constituent une maladie propre au prolétariat depuis
la II ème Internationale. De même, il existe dans la bourgeoisie,
des tendances opportunistes, mais ce n'est pas notre problème.
Le
centrisme englobe un ensemble d'idées. Depuis la naissance des
organisations du mouvement ouvrier, il a toujours plus ou moins
existé trois courants :
- la gauche du parti, celle qui tend vers la cohérence générale ;
- l'opportunisme révisionniste : le but n'est rien, l'immédiat importe, on essaie d'améliorer la condition immédiate de la classe ouvrière ;
- le centrisme qui essaie de réconcilier les deux précédents, tout en critiquant un peu, préoccupé par l'unité à tout prix ; il milite pour le maintien des deux ».Marc Chirik (Opportunisme et centrisme, 1984, in tome 2 Marc Laverne et le CCI, textes réunis par Pierre Hempel, livres consultables à la BNF et à l'institut d'Amsterdam).
« C'est
le propre de ne pas combattre les positions révolutionnaires de
front, mais de justifier leur pratique opportuniste par une
soi-disant situation nouvelle. Bien mieux, on se revendiquera
d'autant plus des résolutions et des positions révolutionnaires du
passé que cela permettra de camoufler l'opportunisme pratiqué dans
le présent ».
Marc
Chirik (Quand l'opportunisme divague, 1945)
« On
se fabrique ainsi un « peuple » à l'image de son propre
militantisme ».
Michel
Pialoux (Enquête sur les métamorphoses de la classe ouvrière)
Que ces quelques citations ne vous égarent pas mes chers lecteurs,
il sera bien question de la nouvelle défaite du « tous
ensemble syndical », mais en direction des minorités
politiques qui posent généralement aux donneurs de leçons de ce
que doit penser et conclure le prolétariat. L'absence de véritable
bilan critique de cette triste et douloureuse « plus longue
grève » en France est assez saisissant. D'abord
concernant les fractions d'extrême gauche de la bourgeoisie, les
syndicats et la petite clique à Mélanchon, et les petites roues du
carrosse des faux-culs LO et NPA. Alors que depuis la fin décembre
les carottes sont cuites, tous ces bateleurs de foire en appellent au
durcissement...dans la continuité vaine, pour une généralisation...
de la défaite ! L'article du CCI sur la complicité du
gouvernement et des syndicats le formule très bien : « Ils
en appellent bien sûr à l'extension du mouvement qui est dans une
dynamique de reflux, haranguant le privé de « prendre le
relais », dénonçant la « lâcheté de la grève par
procuration (…) ils multiplient les actions pour mieux constater
que les ouvriers ne veulent pas renforcer et généraliser la
mobilisation et donc mettre sur leur dos la défaite ».
Ni les faux-culs de la gauche transformiste ni les syndicats ne seront
la préoccupation de cet article, mais bien plutôt l'incapacité du
petit milieu maximaliste à tirer de vraies leçons de cette nouvelle
défaite (cyclique... tous les 25 ans c'est la même chanson), et
même à n'en tirer point du tout avec strictement les mêmes
radotages sur le « tous ensemble » syndical, et les deux
recettes psalmodiées même par la plupart des serviteurs gauchistes
des syndicats : c'est la faute aux syndicats, ils ne nous y
reprendront plus et il suffit de « s'organiser nous-mêmes en
AG et avec nos propres comités révocables »1.
Il sera donc question de l'opportunisme et de ses avatars lorsqu'un
groupe à l'état de secte est incapable de changer de lunettes pour
mieux considérer la réalité de la lutte des classes. Et du
centrisme puisque celui-ci est une des formes de l'opportunisme. Marc
Chirik, qui lui n'ignora jamais le poids de la petite bourgeoisie sur
le mouvement ouvrier au XXe siècle, s'était amusé à balancer à
la figure de nos comètes universitaires outrées, dans leur
simplisme politique (lors du débat interne du CCI des années 1980
sur l'opportunisme), des citations du diable que représentait pour
ces anarchistes déguisés le nom de Trotsky, sur une notion que ce
dernier définissait avec son habituelle plume de Paon :
« Dans le domaine de la théorie, le centrisme est informe et
éclectique, il se soustrait, autant que possible aux obligations
d'ordre théorique et est enclin (en paroles) à préférer à la
théorie la « pratique révolutionnaire », sans
comprendre que seule la théorie marxiste est capable de donner à la
pratique une direction révolutionnaire. Dans le domaine des idées,
le centrisme mène une existence parasitaire (…) Un centriste
occupe entre un opportuniste et un marxiste une position analogue à
celle du petit bourgeois entre un capitaliste et un prolétaire :
il fait des courbettes au premier et n'a que mépris pour le
second ».
Enfin tout cela ne m'empêche pas de vous rappeler ce que vous savez,
dans le sens commun, que l'opportunisme est une politique de
girouette.
TEL EST PRIS QUI CROYAIT
PRENDRE !
Donc si le CCI est opportuniste, le GIGC (Révolution ou guerre, un
individu) est son centriste qui est qualifié de « parasitaire »
(c'est un peu vrai, moi j'aurais dit plutôt perroquet). Si les
gauchistes sont opportunistes (du point de vue bourgeois et de la
propagation du politiquement correct), le CCI serait leur
centriste... parasitaire, qui copie l'original sans admettre qu'il
copie...
Qualifier ce mois et demi de grèves hétéroclites, minoritaires
dans un mouvement interclassiste, de « premier pas pour
retrouver le chemin des luttes massives » est incontestablement
un grand pas dans l'opportunisme. Encenser cette défaite comme
« mouvement de lutte tous ensemble », sans avoir nuancé
ce frauduleux « tous ensemble », c'est, et je l'ai dit et
répété, dupliquer le langage des mobilisateurs gauchistes,
souffler dans les cornets syndicaux bour et bour et ratatam. Sans
aller jusqu'au niveau ultra opportuniste de l'animateur de Matière
et révolution, vieil ami de Laguiller, qui a fabriqué son propre
joujou « Gilets jaunes de Poitiers » et se fait le
représentant de commerce du truisme « gilet-jaunisation des
luttes » et de l'émancipation du « peuple », c'est
le même « bilan » de nos professeurs de « grève
tous ensemble » : « que cette grève nous serve de
leçon » !2
Mais de leçon à quoi ?
L'opportuniste sait mentir aussi. Le CCI, pourtant très provincial
désormais, méprisa gaillardement le mouvement des gilets jaunes,
pourtant très respectable tout au moins à ses débuts, le couvrant
de bave sectaire anti-facho, ce qui ne l'empêche pas d'écrire
doctement un an plus tard : « … la côte de popularité
des gilets jaunes contre la « vie chère » et la misère,
il y a tout juste un an, a été un bon indicateur de la colère qui
grondait dans les entrailles de la société (…) même si la classe
ouvrière ne se reconnaissait pas dans les méthodes de contestation
de ce mouvement interclassiste initié par les petits patrons
asphyxiés par les taxes sur le carburant »3.
On est comme on va le voir plus amplement dans une vision irréelle,
car puriste et dogmatique de la lutte des classes. C'est faux de dire
que ce sont les petits patrons qui ont initié, même s'ils ont
rejoint très vite, ce sont ces catégories que méprisent
sociologues, journalistes et militants qui ont été le fer de lance
de l'indignation en veste jaune, assez imaginative et capable de
bloquer l'Etat mieux que n'importe quelle grève syndicale de deux
mois ! Ce sont les trois catégories suivantes : précaires,
chômeurs et retraités qui ont légitimement porté le mouvement au
début avant de se faire récupérer par diverses factions
bourgeoises, plutôt « identitaires » vu que gauche
bourgeoise urbaine et syndicats bobos les méprisaient totalement4.
Par absence de mémoire ouvrière (celle des bons prolétaires des
services publics bien au chaud et bien dans leurs certitudes
corporatives et une absence de référence à l'histoire de la lutte
« de classe ») et face au mépris opportuniste de nos
révolutionnaires intermittents, nos pauvres gilets jaunes ne
pouvaient être tués dans l'oeuf que par la mystification
démocratique, mais aucunement épaulés ni aidés par un minuscule
groupe de professeurs convenablement retraités.
UNE ABSENCE DE GENERALISATION
A CAUSE DU DEGOUT DES SYNDICATS
Leur « pas pour retrouver le chemin des luttes massives »5
a été pourtant autrement plus interclassiste que nos pauvres gilets
jaunes. Les élites gouvernementales autrement plus machiavéliques
que le CCI, n'ont pas été simplement « main dans la main avec
les syndicats pour faire la réforme des retraitées ». Elles
ont permis que se mettent en place, comme simples pions d'un
échiquier, une guerre sociale ultra corporative, une grève chieuse
il faut le souligner QUI EST RESTEE MINORITAIRE. Pas simplement parce
que le privé s'en fichait, lui le mal aimé, si souvent déshérité,
mais parce qu'elle resta minoritaire dans les deux entreprises
présentées par CCI et gauchistes comme « exemplaires ».
J'ai obtenu des témoignages intra-muros pour la RATP où une
majorité de personnels non roulant, pas hostile à la nécessité de
grève, ayant en mémoire le sabotage syndical de 86 et 88, a refusé
d'obéir à la mobilisation hystérique et n'a pas cédé au
terrorisme verbal des recruteurs gauchistes, dont certains traitèrent
les non grévistes de traîtres.
Bien sûr on a pu constater que de nombreux manifestants, non
encartés ni encadrés, avaient défilé devant les barnums
syndicaux, mais ce n'est bien connu que le peloton de tête n'est pas
celui qui fait la loi dans le troupeau de cyclistes en compétition.
Le management syndical ne tient pas plus au courant les masses,
massives ou non, de sa « gestion » comme d'ailleurs le
management patronal.
Comme dans toutes les grandes entreprises publiques, SNCF et EDF,
les personnels sont tenus dans l'ignorance des réformes
managériales ; ils ne savent pas si demain ils dépendront de
l'entreprise Truc ou Machin. Ni ce que sera l'avenir de leur statut
propre. Les syndicalistes ne sont pas plus au courant mais jouent sur
cette angoisse pour entraîner dans le spectacle de la protestation
impuissante, aléatoire et répétitive jusqu'à la démoralisation.
Le privé est depuis longtemps sous le régime de la « peur du
lendemain » (Babeuf) et jalouse une sécurité de l'emploi qui
est pourtant en passe d'être détruite dans le secteur public, mais
cette sécurité fonde un esprit corporatif étroit et nullement
solidaire du privé traditionnellement émietté et isolé :
« L'effet
le plus évident de l'appartenance à la fonction publique est, pour
la majorité de ses agents, la sécurité de l'emploi. Celle-ci est
un élément important du bonheur au travail : il s'agit d'une
sécurité que l'on souhaite transmettre à ses enfants »... il
y a « une sorte de « troc » qui consisterait à
acheter la tranquillité du destin professionnel individuel (sécurité
de l'emploi) contre un salaire modeste »6.
La
complicité des médias à la mise en valeur du coup de force des
mafias syndicales – les sondages arrangés - a tu l'épuisement
des centaines de milliers de prolétaires traités comme bestiaux
près de deux mois ; cette longue grève épuisante pour les
grévistes en termes financiers et moraux, ne l'a pas été moins
pour les usagers qui ont dû galérer pour aller au turbin, et qui
n'ont jamais ressenti l'intérêt de se mettre en grève pour des
revendications aussi confuses, de plus en plus obscures dans les
méandres argumentaires des dominants.
C'est étrange que le seul groupe qui a défendu depuis 50 ans que
les syndicats sont pourris et sur le déclin historique des partis
bourgeois, ce qui se vérifie chaque année un peu plus, ait été
opportuniste au point de reprendre le langage des laquais gauchistes
appelant à « tenir des AG », « généraliser au
privé », mots d'ordre creux et d'autant plus creux qu'ils
étaient adressés à la population en général, y inclus nos
derniers gilets jaunes, les avocats, les pompiers, les docteurs, les
agriculteurs, les commerçants, les étudiants (sic) alors que la
jeunesse (heureusement) a été totalement absente et que l'UNEF l'a
eu dans le cul. Encore heureux !7
L'article de tête de leur journal se conclut par ce coup de
clairon : « Le mouvement actuel, malgré toutes ses
faiblesses, porte les germes de cette dynamique future, car il a
remis au devant de la scène sociale le fait que les travailleurs
subissent tous la même exploitation, les mêmes attaques et, surtout
qu'ils peuvent mener ensemble une lutte animée par le besoin d'unité
et de solidarité. Plus que jamais l'avenir appartient à la lutte de
classe ». Et c'est signé Claudine. Hé Claudine l'avenir ne
t'appartient pas ni à la lutte de classe en soi. La menace de
destruction de l'espèce humaine par le coronavirus fait passer en ce
moment cette grève bordélique pour un détail dans la société
française.
Non les travailleurs ne subissent pas tous la même exploitation, ni
le même désir de faire grève pour n'importe quoi, et surtout quand
il n'a jamais été question d'une revendication unitaire. Les
astucieux commis d'Etat n'ont jamais parlé de « la retraite »
mais « des retraites », et en devisant avec morgue dans
un dédale filandreux de conditions particulières et de cas
particuliers à l'infini.
Comme les gauchistes, le CCI a imaginé que la classe ouvrière, dans
ses conditions multiples allait se réincarner « classe
unitaire » voire en « frères de classe », avec
l'emphase globalisante et mensongère de n'importe quel discours de
la secte PCF :
« Voilà la victoire de ce mouvement car le vrai gain de la
lutte, c'est la lutte elle-même ou toutes les catégories
professionnels (sic), toutes les générations (resic) se sont enfin
retrouvées ensemble dans un même combat de rue contre une réforme
qui est une attaque contre tous les exploités ».
Le vrai gain de la lutte c'est la lutte elle-même !? Allez
raconter cela aux gens qui ont vu plus d'un mois de salaire amputé !
pour que dalle ! que pour s'entendre dire que gouvernement et
syndicats vont chercher dans les mois à venir à trouver une dizaine
de milliards8,
pour combler les déficits.
UNE ABSENCE DE GENERALISATION
A CAUSE DES MULTIPLES CORPORATISMES
On n'a même pas assisté à un retour d'une visibilité plus grande
de la classe ouvrière. Les gauchistes félicitant le peuple, les
anarchistes prônant un nouveau 93 « populaire », et le
CCI incluant toutes les catégories sociales, hormis la bourgeoisie
dans sa nouvelle vision de la classe ouvrière assez soixanthuitarde.
Il demande d'ailleurs aux jeunes d'écouter les vieux de 68, qui
seraient une bonne mémoire ! Gardez-vous en ! Ce qu'il en
reste n'est pas de bon conseil, soit les couches intellectuelles ont
sombré dans la guimauve écologique et féministe, soit ils se sont
inscrits au PCF :
« L'évolution
socio-professionnelle du parti communiste français est tout à fait
symptomatique de ce changement : elle dénote pour ce parti
comme pour d'autres un « embourgeoisement notable des
effectifs. Entre 1979 et 1998, la part des cadres supérieurs au sein
du PCF est passée de 5 à 22%, celle des catégories intermédiaires,
de 15 à 32%. La part des ouvriers a, quant à elle, diminué de
moitié, passant de 46 à 21% »9.
Les hésitations et pour tout dire l'opportunisme de fractions de la
classe ouvrière « tertiairisée » expliquent d'abord la
faiblesse d'un mouvement minoritaire dans ses secteurs les plus
partie prenante, mais bien encadrés dans la rue et restés
cloisonnés dans leurs diverses entreprises, incapables de poser les
vraies questions politiques ; chose que le CCI évita lui aussi
de poser, se contentant de laisser les questions au niveau de la
lutte contre la « vie chère » et la retraite
« bradée » ; confondant les divers groupes sociaux
et corporations égoïstes dans un mouvement programmé pour aller
dans le mur. La perspective communiste, n'en parlons pas dit
l'opportuniste, cela choquerait les nouveaux jeunes ouvriers. On ne
dénonce pas du coup la muséification d'une classe
« tertiairisée » :
« « Invisibles
politiquement et socialement, laissés pour compte au profit d'autres
groupes sociaux, les ouvriers ont progressivement disparu des
représentations du monde social. La perte de visibilité également
médiatique des ouvriers dans les années 1980 s'est accentuée au
début des années 1990, annonçant la fin d'un monde. Au début des
années 2000, leur retour sur le devant de la scène semblait les
renvoyer un peu plus dans le passé, par la médiatisation d'ouvriers
qui perdaient leur emploi, victimes des délocalisations, ce qui
occultait au passage, la
présence d'un nombre grandissant d'ouvriers dans le secteur
tertiaire.
Eux qui semblaient avoir disparu réapparaissaient ainsi
« muséifiés », semblant appartenir encore un peu plus à
un monde « dépassé »10.
Pourtant même si le management leur a fait croire qu'ils n'étaient
plus ouvriers, ils se rendent compte qu'ils le sont devenus aussi
comme leurs parents :
« « Après
avoir été désouvriérisés, ces jeunes se redécouvrent ouvriers,
mais ce temps de la réouvriérisation peut être long si l'on s'est
construit des « oeillères symboliques »... cela se
situerait trois ans environ après l'embauche (cas de l'EDF) »11.
Il
faut noter la faible présence, voire l'absence des ouvriers dans les
débats télévisés réservés aux spécialistes du bourrage de
crâne et de la lèche. On avait bien exhibé, et à profusion l'an
passé, de curieux gilets jaunes avocats ou routiers, mais depuis
décembre 19 le crachoir télévisuel était réservé à la racaille
des permanents syndicaux et des agités du bonnet trotskien.
Le blabla radoté sur le « tous ensemble » par nos
opportunistes de tous poils au derrière des généraux syndicalistes
a caché une autre réalité de la classe ouvrière où tous les
chats ne sont pas gris, qui montre la toxicité des corporatismes
tout comme la nuisance des catégories reines, tels les aristos
conducteurs de train ou de rame de métro ; des catégories
ouvrières sont très hiérarchisées et font la loi pour leur propre
compte. Personne n'en parle, ni les journalistes bourgeois, ni nos
oecuméniques révolutionnaires de la phrase unitaire, solidaire et
sédentaire, 88 ne fut pas aussi rose que 86 avec ses coordinations
syndicalistes des recruteurs gauchistes :
« « On
est obligé d'en parler un peu aux jeunes parce que 88, c'est une
avancée qui a été énorme. On a obtenu des choses qui sont encore
mises en place aujourd'hui (…) c'était un mouvement ouvrier, pas
dans le sens péjoratif du terme. C'est une grève dans les services
ouvriers de la RATP, c'est à dire que les conducteurs, tout ce qui
est exploitation, ils n'ont pas tellement fait grève. Cà a été un
mouvement de revendication pure des services ouvriers. Ce qu'il faut
savoir – un petit peu d'histoire -, c'est qu'avant 88 un conducteur
de métro et un ouvrier qualifié à la RATP avaient une différence
de salaire énorme (…) çà a pété... nous, on a demandé à être
remis au niveau du conducteur, parce que c'était pas possible »12.
ET
ON PRETE DES VISEES REVOLUTIONNAIRES A UN MOUVEMENT D'ACCOMMODEMENT A
UNE RETRAITE PEPERE GARANTIE JUSTE
C'est
« tous ensemble » « que nous devons lutter »,
bien qu'en luttant séparément sur des objectifs corporatistes. Le
but n'est rien, le mouvement est tout (la lutte est tout). C'est par
ailleurs « un petit pas » et « éviter la grève
par procuration », c'est à dire qu'on reprend l'invention
culpabilisante du bouffon Mélenchon. Les prolétaires du privé
n'ont délégué aucune procuration ni même les milliers qui
refusèrent de participer à une grève piégée.
La
grève fut surtout une grève par obligation pour ceux qui l'ont
rejoint, au milieu d'une course d'obstacles où les plus malins
agirent à saute-mouton avec leurs congés. Les jeunes de la RATP
n'ont pas pu se permettre de faire grève aussi longtemps que les
anciens qui, eux, ont pu se le permettre ayant fini d'acheter le
logement qui fait partie des « facilités » de la
corporation en début de carrière. Pourquoi gâcher plus d'un mois
de salaire pour protester contre une réforme bourgeois qui passe
tous les dix ans de toute façon ? Pour montrer sa fierté
corporative ? Pour améliorer « la condition immédiate »
d'une catégorie de la classe ouvrière ?
Je
comprends l'objection : fallait-il ne rien faire ? Même
avec les syndicats sur le dos, il faut bien sûr être prêt à
engager le combat, mais aussi dire stop si l'enjeu n'en vaut pas la
chandelle et qu'on s'aperçoit qu'il n'y a pas d'extension ou une
fausse généralisation alimentée par n'importe quelle rumeur. En
faisant durer plus que de raison, les syndicats ont certainement
enduré une forte poussée de colère sociale mais ni le CCI ni les
parties de la classe en lutte n'ont été capables de se hausser au
niveau politique. On est resté dans le plus plat économisme. C'est
sans doute à ce niveau que l'échec doit être examiné, pourquoi on
s'est laissé enfermé dans des revendications non unificatrices,
pourquoi il ne sert à rien – s'il n'existe pas une réelle
conscience de débouchés politiques et sociaux – de balancer les
mêmes recettes formelles : AG – coordination directe – et
rejet des encadreurs syndicaux. L'échec doit être systématiquement maquillé sous le "combat continu", avec des journées d'action sans fin, la répétition des mêmes manifestations gnangnans aux cris de "on veut des ronds mais plus du Macron".
La
complexité des rapports entre les diverses couches de la classe
ouvrière ne trouve pas non plus son explication dans la méchanceté
des syndicats. Il manque là un vrai parti révolutionnaire qui ne
flatte pas une classe mythiquement unitaire, autre version de
l'ancien ouvriérisme. La situation réelle de la classe ouvrière
actuellement, en France comme ailleurs ne permet pas de prendre au
sérieux une inflation de proclamations sur une quelconque
« insurrection » ni de se laisser aller à parler de
veillée révolutionnaire, ce que font les anarchistes et les
trotskiens en goguette. On a un décalage encore plus grand qu'en 68
entre un discours hyper révolutionnaires de bobos étudiants et
gauchistes et une protestation des ouvriers jeunes et vieux qui
pensent qu'il faudrait bien « en finir avec le capitalisme »,
mais qui ne savent pas trop comment en l'absence d'un tronc de
référence, c'est à dire d'un parti non opportuniste, ou plus
modestement d'un milieu révolutionnaire maximaliste responsable hostile à tout
romantisme de la phrase, ou inventant une unité de classe qui pourra
être gagnée ultérieurement mais sur des exigences réellement
communes et unitaires. Pas pour améliorer le niveau de vie
(misérable et inégal) mais dans le cadre du programme de changement
de société.
NOTES
1Le
cas le plus caricatural est celui de cet ancien banni du CCI, qui se
nomme groupe mondial à lui seul, qui est resté complètement
suiviste derrière les mobilisateurs gauchistes, et, au lieu d'avoir
le courage de tirer un bilan, même cruel, de ce nouvel échec si
bien planifié par les dominants, nous sort une diatribe contre son
ancien groupe à propos d'un bizarre groupuscule nommé Nuevo Curzo
qu'il défend ardemment alors que celui-ci s'avère être un avorton
troskien, générateur de confusion et de mensonge historique,
emmené par un histrion, auquel le représentant espagnol du CCI a
pourtant offert un tapis rouge en lui écrivant maintes fois pour
demander des explications. Le CCI et son contempteur Juan sont
pathétiques avec leurs querelles de clocher sectaire à un moment
dramatique pour la conscience ouvrière. Je n'ai plus aucune
relation avec tous ces exclus éternellement rancuniers ;
certains se sont arrangés pour s'éclipser discrètement de la
politique et de mon environnement. C'est le lot à chaque époque
des engagements furtifs de nombre d'universitaires petits bourgeois.
Ainsi il y a 35 ans déjà lors du (féroce) débat sur
l'opportunisme, j'avais remarqué que c'étaient « les plus
petits bourgeois d'entre nous » qui n'y avaient rien pigé,
d'augustes docteurs membres fondateurs belges et américains. Mon
texte sur l'opportunisme et le centrisme (p.351 du tome II de Marc
Laverne et le CCI) est un assez bon résumé de ce débat et m'avait
valu les félicitations des camarades qui avaient gardé une tête
marxiste. La « direction » d'alors du CCI était
nettement oppoortuniste et centriste, c'est pourquoi mon article –
Le passage du PCF à la contre-révolution – avait été refusé
par le comité de rédaction. Le PCF devait être considéré comme
bourgeois de a à z. Je tiens ces textes à disposition de qui veut
en faire la demande, sous forme de fichier. J'ai relu moi-même ces
tomes qui restent une mine d'or pour la pensée révolutionnaire
moderne et la question du parti. Le premier tome a connu de
singulières aventures. Henri Simon, le pape de Echanges, en réalisa
des photocopies qu'il vendit pour son propre compte, ce qui n'était
pas très honnête, vu que je commençais à le vendre. Quant au
CCI, à l'époque de ma démission (1996), je leur avais porté le
dernier carton des invendus en réunion publique à Paris, et ces
crétins l'ont égaré. Le CCI a toujours montré un dédain total
pour ce travail de compilation de son principal fondateur et
« âme » d'emmerdeur, qui m'avait occupé plusieurs mois
et coûté de l'argent. J'ai sauvé des textes de valeur de l'enfer
d'une littérature de rabâchage.
2Cf.
son tract : « Les directions syndicales contre la
Révolution et l'insurrection ». Il m'avait d'ailleurs demandé
mon avis. Et je lui avais répondu ceci sur face bouc alors qu'il
s'apercevait du final syndical :
« Tant
mieux, mais on le savait depuis belle lurette! quant à tes vestes
jaunes "terrain de la révolution"! tu rêves mon ami. Des
petits canards jaunes ignares et courant après une démocratie
nunuche (le RIC golo). Quelle révolution ou insurrection ce jour?
Que dalle! Prédomine le discours éteignoir jusqu'auboutiste des
connards de l'appareil CGT et ses coupures de courant clownesques
par les bureaucrates du coin. Le nouveau concept (trotskien) de
giletjaunisation me fait marrer (inventé par le NPA). en gros le
joyeux bordel ambiant jusqu'à la fin du règne de Macron, mais un
chaos où la classe ouvrière ne peut retrouver ni ses petits ni ses
enfants. En résumé: la contestation impuissante si utile au
pouvoir vu la disparition des cons intermédiaires! Cela a été
aussi la fonction du gauchisme post 68 et n'a aucunement préparé
une quelconque révolution ».
3RI
n°480.
4Vu
le temps libre dont disposent ces trois catégories, par ailleurs
assez chenues, elles semblent avoir pris goût à une contestation
aussi permanente qu'impuissante et tomber dans la « la
trilogie interclassisme, revendication démocratique, violence
aveugle, c'est à dire dans l'excellent article : « Les
révoltes pôpulaires constituent une impasse ».
5Lesquelles ?
Du « peuple » ? Des aristos de la RATP et de la
SNCF ?
6Cf.
Thibault p.49.
7On
lit aussi, consterné : « la multiplication des luttes
des universités, sont la force du mouvement, le poumon de la
lutte ». Je l'ai déjà proclamé : ils seraient
pitoyables ces jeunes qui s'engageraient à l'âge tendre pour la
fin de vie d'exploité en vue de la révolution qui est tout sauf
une retraite programmée ou une sinécure. Le CCI est d'ailleurs
tombé depuis longtemps dans la sociologie anti-marxiste. On est
sidéré de lire ou d'entendre dans ses RP que avocats et étudiants
sont des prolétaires. Le statut d'étudiant est celui
d'un arriviste, même si beaucoup échouent de nos jours, il ne faut
pas parler de statut d'ouvrier, et ceux qui suivent les cours du
soir sont de beaux fayots en général. Cf. Le témoignage d'un
enquêté dans le superbe ouvrage de Martin Thibault : « Une
face étudiant et une face ouvrier. On oublie complètement l'un
avec l'autre. Ouais j'étais très fier en fait. On rattrape... En
fait... ce qui fait mal un peu, c'est le manque d'estime. Quand on
est ouvrier, ben, on est mal estimé et, quand on est étudiant, on
est un peu mieux estimé puisqu'on est en pleine... en pleine
ascension intellectuelle ». Il y a une souffrance à se
considérer comme simple ouvrier, mais qui fait que certains sont DJ
à côté, ou surtout militants de tout acabit, comme notre
génération de 68, ouvrier et militant cela a plus de
panache : « Les moins scolarisés sont ainsi
beaucoup moins soumis à des représentations négatives
d'eux-mêmes. Ils se pensent ouvriers et ressemblent plus aux
anciens qu'aux jeunes plus scolarisés de leur génération. (…)
Une partie des OQ, au contraire, sont plus proches de la porte de
sortie vers les classes moyennes, davantage soumis au regard des
autres milieux et pris dans des comportements de mimétisme ».
« Les anciens, eux, semblent, comme les OS, beaucoup moins
perméables au « chant des sirènes » de l'ascension
sociale et, comme les jeunes OS, sont très souvent incrédules
quand on leur explique que certains jeunes se vivent difficilement
ouvriers. Leur condition, eux l'assument, la portent avec fierté,
et ils revendiquent souvent leur appartenance à la « classe
ouvrière ». Leur lecture de leur position sociale apparaît
marquée par des instruments idéologiques permettant de se protéger
de représentations de soi dépréciatives. » (Ouvriers malgré
tout, ed Raisons d'agir, 2013).
8
Témoignage d'un agent RATP lors de 2003, et qui doit être la même
amertume aujurd'hui : « Il a participé activement au
mouvement du printemps 2003, contre la réforme des retraites dans
le public, qui s'est soldé par une « défaite » malgré
des mobilisations importantes. Cette « défaite » lui a
fait, là aussi, constater une situation d'impuissance et de
domination dans les rapports sociaux » (…) « J'aurai
toujours l'envie de me mobiliser. Mais, quand je vois comment j'ai
été dans la merde financièrement, ça me donne pas envie de
recommencer, aussi. Ça a duré sur presque trois mois. Donc, le
premier mois, j'ai dû faire deux ou trois jours de grève. Ça
s'est pas trop vu, j'ai perdu à peu près 250-300 francs. Le
deuxième, alors là j'ai commencé à faire une semaine à peu près
de grève. J'ai perdu presque un tiers de mon salaire. Et le
troisième mois, à peu près pareil... Ben j'ai mis six mois à
m'en remettre au niveau financier ». (cf Thibault, p.210)
9Martin
Thibault, op. Cit. Cet auteur pourfend aussi le cliché d'un FN
« ouvrier » : « Il
n'est pas vrai que le FN serait le premier parti ouvrier, le
premier parti ouvrier c'est l'abstention...
La centralisation du débat sur le vote ouvrier pour le FN occulte
l'importance de ce vote dans d'autres groupes sociaux. Par exemple,
les «agriculteurs » ou les commerçants, artisans et patrons,
ont en 2002, chacun voté à près de 22% pour le Front national. De
même alors que le vote ouvrier était stable entre 1995 et 2002, il
connaissait une « progression fulgurante chez les cadres et
professions intellectuelles » passant de 4% en 1995 à 13% en
2002 ».
10Il
faut ajouter aussi ce constat lucide de Martin Thibault :
« Moins
représentés dans les partis et les syndicats, les ouvriers ont
ainsi progressivement perdu « le pouvoir de définir
conformément à leurs propres intérêts les principes de
définition du monde social (…) Ce ne sont pas seulement les
enfants d'ouvriers qui ont été désouvriérisés, mais bien la
société tout entière. Cf. l'évolution socio-professionnelle de
la CFDT ou la sous-représentation des ouvriers et des bas niveaux
de qualification au sein de l'union syndicale Solidaires ».
11Cf.
Thibault.
12Témoignage
recueilli par Martin Thibault.
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