Jean-Paul Fitoussi est directeur de recherche à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Il répond aux questions de Liberation.fr.
L'accord entre Paris et Berlin vous semble-t-il un bon chemin pour sortir l'Europe de la crise?
Non. Le deal franco-allemand est décalé par rapport à la crise sans précédent que l'on vit en Europe. Il prendra un temps à être mis en pratique quand il faudrait être beaucoup plus réactif. Un accord sur la discipline budgétaire et une union monétaire seraient acceptables s'il existait un gouvernement fédéral et des Etats qui acceptent la règle du jeu. Ce n'est pas le cas. Promouvoir la vertu à tout prix, renforcer encore la rigueur dans des pays qui ont abdiqué toute liberté budgétaire est non seulement incohérent, mais contre-productif...
Pourquoi?
Parce que la crise à laquelle on est confrontés n'est pas la conséquence d'un laxisme budgétaire! L'Irlande, premier pays à tomber, avait un excédent budgétaire de 2,9% en 2006 et une dette publique de moins de 24%! Tout comme l'Espagne, 2,4% en 2006 et 36%. Ce qui a produit le tumulte actuel, ce n'est donc pas la trahison de Maastricht et des critères du pacte de stabilité. Ce sont les flux de capitaux spéculatifs. Ils avaient massivement investi ces pays et les ont fui. Il aurait seulement fallu les empêcher d'y rentrer en taxant les flux à court terme, à l'instar de ce qu'avait fait le Chili dès 1991 avec l'encaje: le pays a été mis à l'abri des dysfonctionnements économiques et financiers. Mais ça, Maastricht ne le permet pas.
Le pacte franco-allemand reposerait donc sur un mauvais diagnostic, entraînant un remède inefficace?
Oui, et on continue à détailler encore plus le traité européen. Plus il est "encadrant", et donc contraignant, plus il empêche la réaction rapide. Et comme il a, en plus, une clause qui tient du pêché originel, on fonce dans le mur. C'est la fameuse clause de non sauvetage (no bail out), qui interdit aux Etats unissant leur monnaie de s'entraider. Avec l'interdiction faite (par le même traité de Maastricht) de recourir à la Banque centrale européenne pour financer leurs déficits, les États ont été contraints d'emprunter sur les marchés. Résultat: ils doivent satisfaire aux critères et exigences de l'industrie financière et des agences de notation. Et les marchés punissent les Etats dits laxistes par des taux d'intérêts élevés sur leurs emprunts...
De Paul Krugman à Joseph Stiglitz, de Jeffrey Sachs à Kenneth Rogoff, beaucoup d'économistes préconisent aussi de voir la BCE devenir beaucoup plus interventionniste...
Que la BCE commence déjà par jouer le rôle normal d'une banque centrale, comme dans tous les autres pays du monde, et achète des nouveaux emprunts d'Etats émis avant de racheter des obligations sur le marché secondaire! Pour se donner de l'oxygène, il faut aussi des eurobonds qui permettront de financer de projets de croissance et de lutter contre le chômage. Or, ces deux options, les seules à même de nous sortir de la crise, sont fermées: c'est une erreur doctrinale fondamentale. Au lieu d'en changer, on la renforce. Conséquence: on entretient de l'austérité généralisée. Aucune politique d'expansion n'est donc possible. Et la récession est annoncée: elle fera beaucoup de malheureux, et quelques heureux, ceux qui achèteront des actifs en chute libre...
Mais comment gérer le risque de l'inflation, qui fait si peur à l'Allemagne? Le rachat direct de la dette d'un Etat par sa banque centrale revient à faire marcher la planche à billet....
Je redoute moins l'hyperinflation que l'hyper-récession. Ce que l'on vit est de l'ordre de la tragédie. L'Europe est coincée et se retrouve à faire de la surenchère sur l'austérité. Les pays multiplient les plans d'austérité pour montrer patte blanche aux marchés financiers et aux agences de notation. Lesquels, après les avoir poussé à faire cela, leur reprocheront d'avoir laissé filer la croissance...
Le retour du débat sur la "règle d'or" va-t-il resurgir et diviser, à l'image du débat sur la constitution européenne en 2005?
Derrière les apparences, ce débat-là fracture les partis à droite comme à gauche. Il va phagocyter les débats de la campagne et c'est un drame. Il va détourner du vrai débat et renforcer notre incapacité à prendre les bonnes décisions.
L'alternative, c'est la sortie de l'euro?
Non. Ce serait un cataclysme économique. La monnaie serait dévaluée, les dettes publiques s'envoleraient. Le protectionnisme rayonnerait. Et la récession ferait exploser le chômage. Un cycle dévastateur et durable.
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