Inglorious Basterds :
L’antifascisme vengeur enseigné aux jeunes et aux racailles
Nous les politiques maximalistes on nous accuse toujours de ne jamais nous distraire sans vigilance critique, de considérer toujours le cinéma comme un instrument de propagande de l’oligarchie bourgeoise dominante. Comme quoi, fesses serrées et un tantinet paranoïaque (j’allais dire un Tarentino), nous ne saurions aucunement nous détendre, soit en tant qu’intellectuels asexués, soit en tant que bedeau d’une quelconque secte eggregore. Tout cela est faux, nous rions comme tous les publics si le talent est là. Nous nous laissons aller sur le fauteuil et oublions nos soucis journaliers si c’est vraiment délirant. Le dernier film de Tarentino ne peut éliminer les deux dimensions pourtant: le plaisir de se laisser plonger dans une œuvre artistique déjantée mais en même temps - parce que le sujet est au cœur de la plus grande tragédie du XXe siècle - un questionnement ne peut manquer de surgir sur la « leçon politique » qui transparaît quand même et qui explique l’entier soutien des financiers du movie.
Inglorious Basterds débute dans la France occupée où Shosanna Dreyfus (Mélanie Laurent) assiste à l'exécution de sa famille par le colonel nazi Hans Landa (Christoph Waltz superbement cynique mais il ressemble trop à Adamo et du fait de sa subtile perversité, le jeu de l’acteur finit hélas par nous le rendre sympathique). Shosanna parvient à s'échapper et on la retrouve adulte dans un Paris occupé où elle se construit une nouvelle identité en tant que gérante d'un cinéma ; ce qui permet à Tarentino de truffer son histoire délirante de coups de chapeaux aux plus grands cinéastes de Pabst à Lang. Simultanément, ailleurs en Europe, le lieutenant Aldo Raine (Brad Pitt) forme un groupe de soldats juifs spécialisés dans des actions ciblées – qui empêchent Hitler de dormir - qui consistent à scalper les nazis abattus sur leur propre territoire. Le chef du groupe des vengeurs, Aldo l’Apache est le seul non-juif, qui veut « transformer l'antinazisme en guerre sainte », sans cacher sa propre ambiguïté et absence de morale ; avant-guerre il était un « vrai apache » (= voyou en France) membre d’une mafia dans le Tennessee (clin d’œil de Tarentino à la complicité de la mafia sicilienne avec l’armée US ?).
Connus par un Hitler terrorisé sous le nom de The Basterds, Raine et ses hommes vont faire équipe avec l'actrice allemande et agent double Bridget Von Hammersmark (Diane Kruger) pour tenter d'assassiner les leaders du Troisième Reich. Ils vont ainsi croiser Shosanna qui mène sa propre vendetta à Paris pour venger l’assassinat de ses parents exploitants agricoles cachés par un paysan français qui avait fini par les dénoncer.
Il n’y a rien du bon Schwarzenegger chez Tarentino – la série des Terminator est excellente elle en ce qu’elle ridiculise la violence individuelle. Tout à sa volonté de gagner à l’antifascisme les casquettes à l’envers (et la tête aussi) des tarés des banlieues, Tarentino fait lui l’apologie de la violence individuelle (conçue comme rédemptrice): ricanements des Basterds dans des scènes qui recréent plus la zone à la périphérie des villes modernes que les champs de bataille de 39-45 ou les culs de basse fosse des camps d’extermination, joie de fracasser les crânes de nazis à coups de battes de base-ball, jubilation de scalper les victimes pour faire plaisir au chef dans sa guerre sainte antinazie. Nos racailles de banlieue sauront quoi faire si on leur dit qu’il y a un nid de nazis dans le quartier (même si ce n’est pas vrai)… ou s’il faut défendre la patrie, à coups de battes de base-ball ! N’oublions pas que le cinéma continue à s’adresser au 15-25 ans !
Quand la violence fait son apparition, elle est fulgurante, sale, déchirante mais jouissive pour le spectateur (la salle rit en général devant les pires éclaboussements d’hémoglobine). Rien d'étonnant à ce que la véritable vedette de l'histoire échoit à ce colonel S.S. fin lettré, polyglotte, subtil stratège et tenace détective, mais qui est trop humain tant la ressemblance est frappante avec le chanteur belge Adamo.
Pour ceux qui réfléchissent il y a par contre un autre clin d’œil de l’anar Tarentino. Tout est ambigu dans les guerres capitalistes, surtout celles qui se proclament antiracistes après coup. Pour traverser ces sales guerres, il faut obéir aux consignes les plus inhumaines des Etats en guerre, mais tout criminel galonné sait qu’il doit se préparer une sortie au sein du camp victorieux. En croyant devoir se comporter comme les ennemis dont ils ont une vision tronquée, ces commandos juifs emmenés par le métis texan revanchard (Brad Pitt) sombrent dans la pire caricature. On pourra même imaginer à la fin que ce sont eux qui vont se la couler douce dans une île à la place du colonel SS Adamo qui croyait avoir bien négocié son recyclage.
Une guerre consiste avant tout en un conflit politique déguisé dans lequel s'embarquent de belliqueux bourrins avides de sang et assurés de défendre la vérité nationale et raciale. Cela ne nous gêne pas que Tarentino viole l'Histoire (que nous ne contrôlons pas en général), mais l’ambiguïté demeure d’une logique infernale où l'action, même complètement déjantée, reste éminemment plausible. Il fait se confronter en permanence le prévu et l'imprévu. Si l'impression de ne pas tourner rond se fait parfois ressentir, c'est précisément parce qu’il faut maintenir la tension. On ne sait jamais qui va l’emporter entre les méchants trop caricaturés et les gentils antifascistes qui finissent par employer les mêmes méthodes que les fascistes. Les maquillages outrés des personnages historiques ont leur sens, n’introduisent pas une dimension grotesque : ils reflètent la représentation fantasmatique du nazisme que le bourrage de crâne bourgeois a imprimé dans nos têtes. La salle de cinéma où l’état-major hitlérien va être carbonisé recrée l'espace concentrationnaire et en compile toutes les déclinaisons : chambre à... feux, fosse d’exécution sommaire, labo d'expérimentation. A la représentation fantasmatique des méchants nazis, succède comme seules causes de la guerre une vengeance avec les méthodes nazies mais pour rappeler que, dans la réalité, chambres à gaz, fosses d’exécution sommaire, ont bien été la réalisation des nazis, délaissant les vagues de bombardements alliés et Hiroshima.
Dans cette improbable vengeance historique des races flouées et exterminées, Tarentino associe la directrice juive du cinéma à un technicien noir, Marcel qui déambule en pleine rue et vient travailler au cinéma comme un ouvrier (antifasciste) lambda alors qu'il fait partie d'une frange de la population qu’on imagine mal en liberté sous le régime pétainiste et nazi et encore moins mener un combat « antiraciste » à l’époque.
La vengeance des « peuples de couleur » et des juifs nous réjouit d’un côté par son aspect « naturel » et « mérité » mais nous attriste de l’autre : elle n’est qu’un remake de la grande vadrouille avec Bourvil, et de tous ces films franchouillards d’après-guerre où les héros faisaient les malins et se moquaient des occupants, pour donner bonne conscience à la population de l’hexagone si accommodante et si frissonnante peu avant sous l’œil du brave Maréchal cire-pompe d’Hitler. Seule différence avec nos navets revanchards, la vengeance posthume est beaucoup plus gore avec Tarentino. Les méchants nazis sont facilement caricaturés et on va les brûler aussi facilement que les juifs dans un remake d’OSS 117 et des vieux films d'espionnage de guerre avec les mêmes codes, les anglais déguisés en allemands qui se font baiser sur des détails d’accent ou de quantité de whisky. Tarentino va convaincre les racailles des banlieues qu’il faut s'abaisser au rang de brute pour combattre les brutes. A la fin on en est à se demander qui sont les basterds entre le nazi qui se fait étriper et le "bon apache" antifasciste sadique qui en sort sans un remord pour reprendre ses activités de maquereau dans le Tennessee.
Avec Tarentino, ce qui importe dans son cinéma est que le spectateur sorte secoué, pas qu'il réfléchisse. N’est-ce pas là le fin fond de la de la distraction ?
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