UN IMPERIALISME PEUT EN CACHER UN AUTRE (ou la fable de l’humiliation US)
L’armée russe a tiré et bombardé dans le tas, semant la terreur. Le sang giclait partout parmi les civils comme dans la triste école de Beslan… en Ossétie du nord. On n’a rien vu pratiquement et on parle de probables milliers de morts. Pire qu’en 14 ou 40, les caméras sont interdites du champ de bataille surtout que ledit champ de bataille est constitué par de courageux militaires surarmés qui mitraillent de lâches civils sans armes. « Faut les punir » avait hurlé Poutine à Sarkozy. L’ordre russe règne en Géorgie comme il règne en Tchétchénie. Les potentats locaux, conseillés ou pas par la bourgeoisie US, n’ont aucun scrupule à faire prendre des risques à leurs populations pour défier le dictateur rancunier de l’ex-URSS. Ce qu’on peut appeler le « courage nationaliste » : les civils restent les cibles pas les ministres !
Alors que Le Figaro titrait « Les JO tournent à la confrontation sportive entre la Chine et les Etats-Unis », une autre confrontation moins sportive avait lieu en Géorgie. La flamme olympique vacille pour la première fois sous le souffle concomitant d’une guerre-éclair. L’idiot utile européen Cohn-Bendit a comparé les jeux de Pékin à ceux de Berlin en 1933. Le faux premier ministre Poutine a dénoncé un génocide en Ossétie du sud… jusqu’où iront-ils dans les amalgames, pour mieux cacher leur frousse mutuelle ?
L’ensemble des titres de la presse bourgeoise a porté initialement sur la peur de la guerre et une soit disante humiliation des Etats-Unis. Le journal du dimanche titra : « l’Europe redoute l’escalade », d’autres « Risques d’embrasement dans le Caucase », « La communauté internationale impuissante ».
Le 8 août l’armée géorgienne lance une attaque de nuit contre la capitale de l’Ossétie du Sud, Tskhinvali, pour affirmer la prééminence de l’Etat géorgien sur une zone qui désire être rattachée à la Fédération de Russie. L’aviation russe réplique et détruit le port de Poti, site clé pour le transport d’hydrocarbures, situé sur la mer noire. Grande agitation diplomatique et journalistique mondiale. Comment se fait-il qu’une enclave d’à peine 70.000 habitants suscite autant d’articles « géo-stratégiques » et aussi peu de remous concernant les morts civiles de la querelle inter-impérialiste?
Toute guerre, même locale, est protégée par un rempart de mensonges, donc nous ne sommes pas là pour dire qui a commencé, même si le fusible de l’Oncle Sam Saakachvili devra sauter. De toute façon comme la presse bourgeoise n’a cessé de le répéter : « derrière cette guerre il y a une confrontation « à distance » entre Washington et Moscou », nonobstant celle, olympique, entre Chine (si sportive au Darfour pour le tir sur cible vivante) et Etats Unis. Les relations se seraient tendues entre Moscou et Tbilissi (capitale de la Géorgie) depuis 2004 avec l’arrivée au pouvoir du président pro-occidental Saakachvili.
Depuis près de 20 ans que la Russie a perdu son glacis, et surtout le contrôle du Caucase du sud, contrôle politique et économique. Les républiques nouvelles du Caucase en ont profité pour prendre du champ, l’Azerbaïdjan en prétendant contourner la Russie pour exporter son pétrole ; il suffit de regarder la carte pour constater que les oléoducs des hydrocarbures de Bakou en Azerbaïdjan, sur la mer caspienne, transitent via la capitale de Géorgie vers la Turquie.
La Géorgie en prétendant s’annexer définitivement l’Ossétie du sud est venue renforcer ce contournement de la Russie (et non son encerclement comme l’ont dit bêtement les journalistes). La bourgeoisie russe trop occupée à maintenir (férocement) l’ordre en Tchétchénie, avait dû patienter jusque là face aux prudentes velléités d’émancipation géo-stratégiques. En 2006 Poutine avait déjà donné un avertissement à la Géorgie en coupant le gaz et en sermonnant la molle Europe.
L’avancée impérialiste des chars russes a été renforcée dans son interventionnisme brutal non simplement par l’envolée du prix du pétrole, comme le serinent certains journalistes, mais pour répondre à une provocation forcément téléguidée par Washington, toujours en position dominante depuis le projet d’installation des boucliers anti-missiles en Pologne, et surtout, talonné par la Chine comme deuxième compétiteur mondial, l’impérialisme russe ne peut se laisser effacer du jeu planétaire.
Guerre inégale localement où l’avancée pachydermique russe a eu vite raison de l’agneau géorgien avec la comédie du cessez-le-feu, et l’apparent immobilisme US. On nous a laissé conjecturer que l’impérialisme russe avait voulu profiter de la relative faiblesse de la bourgeoisie américaine : fin de l’ère Bush, incertitude des élections, piétinement en Irak et Afghanistan, impossibilité d’aller à la guerre avec l’Iran. Foutaises occidentales : ce n’est plus l’ogre russe brejnévien, et malgré l’arsenal nucléaire, l’armada russe est composée de vieux tacots (alors que l’impérialisme chinois – comme l’américain - dispose de moyens plus sophistiqués). L’incursion en Géorgie peut coûter plus cher diplomatiquement et au niveau du G8 ou permettre en sous-main une avancée géostratégique américaine. Question : les confrères de cette confrérie des puissants, qui ont refusés de poursuivre de communes parades navales avec la Russie, vont-ils accepter de siéger aux côtés du tueur du Caucase sans se déjuger eux aussi face au monde entier, sachant leurs propres tractations secrètes ?
SARKOZY GRIME EN DALADIER
Le président en exercice de l’Europe a fait de la figuration face à l’éternuement du vieil impérialisme russe, pour (sans rire) remédier à « l’immobilisme américain ». Il eût beau parader devant les sunlights avec l’ombre de Poutine, le petit Medvedev (un gosse suiviste de 42 bougies !) pour jouer au redresseur de torts, au faiseur de paix, l’armada russe ne cessa de massacrer dans la population civile pendant les parlotes et après le cessez-le-feu. La presse bourgeoise française a tenté de sauver la mise au blaireau despote (les clercs craignent de perdre leur emploi), aux côtés du servile Figaro, Le Monde ne put s’empêcher de titrer ridiculement : « Comment la France a arraché l’amorce d’une négociation » (14 août, hi hi !) ; Coluche n’est plus là pour nous expliquer comment on arrache une amorce de négociation, mais le sous-titre du Monde était plus claire sur l’amorce (qui n’avait ni allumé ni éteint quoi que ce soit) : « Le cessez-le-feu n’a pu être consolidé qu’aux conditions posées par Moscou » !
Cela a pu rappeler à certains le traité de Munich où Daladier, 1er ministre français de l’époque et son homologue british Chamberlain avaient berné par Hitler. L’histoire se répète mais en farce. Nous ne sommes pas à la veille de la 3e boucherie mondiale. Même si la Russie est encore au 3e rang mondial pour ses réserves de change et son excédent commercial, elle n’a probablement même pas (à elle seule) un potentiel industriel comparable à celui de l‘Allemagne nazie !
L’anti-américanisme nationaliste du PCF :
Le résidu lamentable du parti stalinien qui n’arrive pas à renflouer à coups de pouce de milliardaires L’Huma-incrédible défend en gros une position indépendante de l’impérialisme US avec un clin d’œil humide à l’ex-URSS : « « L’OTAN qui fut pendant la guerre froide, l’organisation militaire faisant face à l’Union soviétique au nom de l’équilibre entre les superpuissances est maintenant le bras armé, partout dans le monde, de la superpuissance américaine » (édito de M.Ulrich du 20/08). Si Sarkozy virevolte sur le mode indépendantiste (la comédie du Munich 2) le PCF hume un bon terrain tricolore convenable : « DE fait l’intrusion de l’OTAN dans la crise russo-géorgienne propulse les Etats-Unis dans la crise du Caucase et rend beaucoup plus difficile l’application de l’accord en six points négocié par Nicolas Sarkozy au nom de l’UE (sic ! quand on sait que ce dernier a fait cavalier seul…ndt). Avec cette position plutôt équilibrée (resic !) destinée à trouver un cessez-le-feu et à avancer des pistes de sortie du conflit géorgien, la France et l’Europe se refusaient à s’aligner sur les Etats-Unis qui avaient pointé du doigt la responsabilité de la seule Russie » (OK çà) (Huma du 20/08).
Comme dans les années 1930, comme pendant la guerre mondiale et celle des décolonisations, le PCF participe à l’effort de guerre, à l’effort pour conditionner à une future guerre… inévitable.
MASSACRES DES DEUX COTES :
En Ossétie du sud comme en Géorgie les populations ont subi les exactions des armées rivales, de la minable armée géorgienne à la grosse artillerie cosaque. Dans une guerre subite qui n’a rien à voir ni avec l’indépendance des peuples ni même avec un nationalisme au petit pied, écoutons la parole d’un réfugié : « Nous avons toujours vécu en bonne intelligence avec les Ossètes. Ce sont les politiques qui alimentent le conflit » (rapporté par le Figaro du 20/08).
Les populations sur le terrain ont été bel et bien soumises aux exactions des soudards géorgiens et russes. La presse bourgeoise s’étendit sur les raisons géo-stratégiques du conflit et sur les éternuements de Sarkozy, mais ne nous livra que quelques photos des crimes de l’armée russe et aucun des mercenaires géorgiens. Personne ne protesta contre ces lâches assassinats en direct de militaires impavides. L’histoire fait marche arrière. On nous exhiba quelques civils tués comme au début de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie. Le film Good by Lénine nous est rejoué à l’envers, mais sans l’humour et avec les vieux blindés en panne une fois sur trois avec un instrumentalisation des minorités russes.
Aucune fraction bourgeoise, ni organisme humanitaire n’a exigé immédiatement de savoir ou compter le nombre de morts, de blessés dans la population civile. Personne ne dira le désarroi des populations spoliées, refoulées et expulsées. La Géorgie c’est dans le Caucase… barbare… N’est-ce pas qu’un retour du refoulé du continent stalinien, une affaire qui ne nous regarde pas ? Quinze jours plus tard la presse reconnaît 128 700 personnes déplacées et on fait donner les ONG (occidentales) qui viennent ainsi épauler les mensonges occidentaux.
La classe ouvrière, elle, se tait. Elle reste spectatrice des jeux olympiques, sommet du crétinisme de la compétition mercantile musculaire et militaire (Coubertin était l’ami d’Hitler, et Samaranch ancien ministre de Franco parade sur un banc olympique avec la reine d’Espagne). On ne peut lui en vouloir tellement elle reste encore assommée par l’idéologie du chacun chez soi, par une politique mondiale qui n’est affaire que de « spécialistes », et batailles de ping-pong diplomatique entre Grands et petits impérialismes qui nous remisent au rang de millions de fourmis et de tubes digestifs.
LA CRISE CONDITIONNE-T-ELLE LA GUERRE ?
On le répète depuis si longtemps au point que c’est devenu une banalité, la crise économique s’aggrave de plus en plus, on prévoit une grave récession incessamment. A force de crier au loup… Poussée par cette crise la bourgeoisie doit apporter une réponse. La plus naturelle serait la guerre puisqu’il n’y a aucune solution dans le cadre du système de compétition mercantile. La guerre doit-elle précéder la crise ? La crise la guerre ? Et si la bourgeoisie attend trop, qui empêchera l’explosion sociale ?
Et si les bourgeoisies engagent tôt ou tard la guerre qui peut croire qu’elle passera sans casse politico-sociale majeure dans les principaux pays occidentaux et les grandes puissances ?
Les tractations entre grands impérialismes ne cessent jamais dans ou autour de l’OTAN. Les guerres locales ou mondiales se déclenchent toujours en été, le temps est le plus propice pour la logistique imbécile militariste. Les « tensions impérialistes » d’été ne sont donc pas nouvelles, elles ont succédé depuis des années aux virtuelles rentrées sociales chaudes promises par la CGT. On a vu plus haut que le PCF faisait de l’OTAN une chose strictement américaine, mensonge de plus de cette secte décatie, car Russie et Etats-Unis officient depuis longtemps dans des négociations « multilatérales » sur les dossiers « ultra-sensibles » tels que l’Iran ou la Corée du nord et la « non-prolifération » (nucléaire). Dans la mesure où la bourgeoisie russe a menacé de rompre sa coopération avec l’Alliance (atlantique) sur l’Afghanistan (qui comporte comme évitait de le mentionner le plumitif du PCF, la mise à disposition du transit aérien), ne peut-on pas considérer que l’embuscade qui a provoqué la mort des dix soldats français n’est que la réponse du berger à la bergère ? (Et que le Pakistan présumé armer les tarés taliban a bon dos ?). Mais l’impérialisme moderne est toujours un jeu de cons à plusieurs, où on ne sait pas toujours précisément qui manipule qui, où se nouent des alliances secrètes momentanées ou cycliques.
Sur le niveau de la crise économique, les simples observateurs militants qui se croient bons analystes oublient une chose : comme la guerre, la crise est noyée sous des tonnes de mensonges et des infos contradictoires. Fin août on apprend que les Etats-Unis sont à l’abri de la récession ! La veille on nous disait le contraire ! Au contraire la France était présumée à l’abri du choc des subprimes, quand on annonce soudain une interruption des vacances des ministres français pour prévenir le marasme économique à la rentrée…
La bourgeoisie parvient à contrôler encore les secousses économiques qui ébranlent la prétendue longévité du capitalisme et à naviguer dans le puzzle d’un monde en compétition violente qui tend à générer une nouvelle formation de blocs impérialistes. Comme pour toutes les autres infos cruciales (avancées stratégiques US sous la provocation géorgienne, assassinats des soldats français indirectement par Poutine), il faut lire entre les lignes ou dans les passages apparemment secondaires dans le langage ésotérique ou franc-mac de la presse bourgeoise ; ainsi dans le Figaro qui laisse balancer au secrétaire général de la défense nationale un certain JM Balencie : « S’il s’avérait que de nouveaux accrochages meurtriers devaient se produire dans les prochains mois, ce qui est vraisemblable, on peut envisager qu’une partie (sic) de l’opinion publique, déjà réticente, face à l’engagement français, devienne de plus en plus critique ».
Or, cette « partie de l’opinion publique », au fond c’est le prolétariat (car même volontaires, les trouffions tués sont toujours des enfants des couches les plus pauvres et illettrées de la classe ouvrière), et par défaut si cela reste bénin les pleureuses patentées du PS, des Verts et les gauchistes.
En filigrane, la crise géorgienne confirme que les grands impérialismes font toujours la loi, que la Russie reste un ennemi dangereux, que la bourgeoisie a peur d’aller à la 3e boucherie mondiale – tout en s’y préparant - non pas par simple humanisme, mais :
1) parce qu’elle sait la casse que cela représente, et qu’elle ne s’en fout pas pour ses fractions les moins débiles,
2) parce qu’une guerre mondiale n’équivaut pas et plus à une guerre locale, et que la classe ouvrière des pays industrialisés (y compris les masses chinoises ou russes) réagirait tôt ou tard « à l’intérieur » et violemment.
PS : un sondage du « Parisien » du 17 août qui prétendait mesurer l’inquiétude des « français », nous indiquant que 70% des couches moyennes tressaillent et croient à un élargissement. Par contre les moins inquiets étaient… les ouvriers et la couche des 30-39 ans. Connaissant la conscience politique des ouvriers en général et ce qu’ils disent de ce conflit, je suis très serein (et pour cause). Par contre il apparaît que – dans une fourchette infime heureusement – « les électeurs PCF » non plus ne sont pas inquiets à 30%... ceux-là espèrent encore leur libération par les chars russes (conditionnés par l’Huma qui excuse toujours les exactions russes)… (on n’a pas sondé les trotskiens).
Dix soldats tués en Afghanistan :
LA COLLABORATION MILITARISTE DE SARKOZY
Même si Poutine via le Pakistan et les taliban a « puni » le donneur de leçon de paix franco-européenne, on peut considérer que Sarkozy et son gouvernement sont responsables de la mort des dix soldats français. Secondaires comparées aux tueries quotidiennes de civils en Afghanistan, les circonstances de la mort des dix jeunes gens obéissent aux « lois » stupides de la guerre moderne : on ne sait plus qui tire sur qui. Les « gamins » militarisés, peu entraînés, peu encadrés, et livrés à eux-mêmes dans le bordel afghan (et dans la multiplicité des commandements « alliés ») ont probablement été plus décimés par les renforts US habitués à tirer dans le tas que par les seuls mitraillages taliban. « L’hommage de la nation » a été certes émouvant, comme peut l’être tout enterrement de jeunes êtres trop tôt fauchés par la mort, et avec l’exhibition des familles éplorées, mais sous une scandaleuse récupération nationaliste bourgeoise – les chefs bourgeois ne vont pas au casse-pipe – le blaireau président a été particulièrement odieux et ridicule : « donner sa vie avec honneur, c’est réussir sa vie » (éloge funèbre aux Invalides). Le même discours sacrificiel que les « barbares » bigots d’en face, qu’on n’oubliera pas tôt ou tard de lui jeter à la face ! Mourir pour la bourgeoisie, mais de mort lente, disait Brassens !
A plat-ventre devant les exigences US, Sarkozy avait opéré il y a quelques mois au renforcement des troupes en Afghanistan pour s’associer à « cette première opération de l’OTAN en dehors des frontières de ‘Europe » (cf. Le Figaro) pour « effacer le conflit franco-américain né pendant la guerre en Irak » et « continuer le combat contre le terrorisme » aux côtés des américains (déclaration de Sarkozy à Kaboul). La lutte « contre le terrorisme, pour la défense de la démocratie bourgeoise et contre le Moyen âge » fait belle figure pour couvrir la fidélité nationale française à l’ancien bloc occidental. Les candidats US Mc Bain et Obama se sont d’ailleurs eux aussi « ressaisis » affichant un langage aussi militariste désormais au cœur des élections ; il suffira de deux ou trois autres massacres pour que les électeurs perpétuent le militarisme de Bush avec son successeur préposé.
Le soit disant combat contre le terrorisme s’avère de plus en plus être une préparation à une nouvelle guerre planétaire. Dixit le député Guy Tessier : « Le terrorisme est partout. On se bat en Afghanistan pour que nous soyons en paix ici » !
Or, si les enjeux géostratégiques et pétroliers maintiennent encore la plupart des attentats éloignés de l’Europe – mais pas tant que cela avec la Géorgie, les crimes récents en Algérie et les piscines de sang au Pakistan – cela ne saurait durer. L’Europe n’a-t-elle pas été deux fois le terrain de bataille des guerres mondiales ? Et dans les pays meurtris la démocratie n’est qu’un leurre car il n’y a ni industrie ni classe ouvrière puissante pour qu’on lui masque le pouvoir bourgeois avec une démocratie tant soit peu tangible. La démocratie figurante d’Afghanistan ne nourrit pas la population, ne la préserve pas des crimes odieux répété par les bandes armées de gangsters mercenaires dit « insurgés afghans » par la presse bourgeoise. Le relatif regain de succès de ces tueurs est plus dû aux bavures de l’aviation de l’OTAN et à la corruption de l’administration de Hamid Karzaï qu’à la croyance aux vertus d’un sentiment national inexistant. L’armée du gouvernement Karzaï ne vaut pas mieux que les guérilleros tueurs, noyée elle-même dans un système corrompu où chacun se vend au plus offrant, trafiquants de drogues ou « saigneurs » de guerre de rapine.
Sarkozy s’est démasqué en Afghanistan. Il a prétendu jouer au faiseur de paix en Géorgie mais en envoyant à la mort les petits soldats à Kaboul.
OU EN EST LA CLASSE OUVRIERE EN France ?
Avec cette nouvelle rubrique, qu’on tiendra ici régulièrement, nous commençons une étude sur l’état de la classe ouvrière qui sera à la fois sociologique, sociale et politique, et qui aura pour but de dégager les lignes de force de cette classe des « sans-réserve » dont le rôle historique au niveau internationale reste plus que jamais crucial.
Etudions le bilan de l’emploi et des salaires de l’Acoss, organisme qui chapeaute les Urssaf (bilan de 2002 à 2007 publié dans le Fig du 20 août).
Le secteur tertiaire reste dominant avec 13 millions de salariés (+ 7,4% en cinq ans = 900 000 emplois créés). Il représente 72% des emplois. Les plumitifs manient curieusement les chiffres pour rendre opaque la proportion des activités sans que la proportion en réfère à la quantité pour une catégorie donnée ; cela donne ceci : « les services à la personne sont particulièrement dynamiques (en paye ?) + 58% de salariés dans l’aide à domicile, + 30% dans l’accueil des personnes âgées, + 29% dans l’accueil de personnes handicapées » ! A croire que 58% des 13 millions du tertiaire torchent le cul des grabataires !
Soulagement du plumitif communisateur du servile figsarko : « A l’inverse, l’industrie poursuit son déclin : 410 000 emplois en moins (-10%) pour arriver à 3,6 millions de salariés ». Ne s’agit-il pas plutôt du déclin du capitalisme industriel ? Mais passons, une contradiction peut en révéler une autre : « Une nuance toutefois : ces évolutions s’expliquent en partie par un phénomène de vases communicants : « Le mouvement d’externalisation de certaines activités par les entreprises industrielles se poursuit, notamment pour l’ingénierie, le conseil, le nettoyage, la sécurité, l’intérim et le transport », observe l’Acoss. Ce galimatias d’activités de merde auquel le journaleux bourgeois du Fig O.Auguste, ne pige rien lui inspire une rectification hors de propos : « Il n’empêche, l’habillement-cuir a perdu 35 % de ses effectifs au cours des cinq dernières années, le textile 32%, l’industrie des équipements du foyer 21%, l’automobile a perdu « seulement » 7,5% de ses effectifs ».
Après les 13 millions du tertiaire (sous entendu secteur où les prolétaires sont si dispersés qu’ils ne représentent aucun danger) le Fig enfonce le clou avec un article complémentaire : « Le poids des services continue à s’accroître dans l’économie française ». Où l’on apprend que les entreprises de service emploient 4,8 millions de salariés et « pèsent plus du tiers de la valeur ajoutée en France » (pas de la classe ouvrière…). Le plumitif sarkozien se félicite de la forte prédominance de la myriade de structures de petite taille : « 90% des entreprises comptent moins de dix salariés ». Ouf ! on revient au Moyen âge comme dirait Sarko : entreprise à échelle « humaine », pas de syndicats ni de grèves sauvages, bien bien… Quoique plus que 94% concerne l’immobilier et les services au particulier.
Le bâtiment va quand bien même tout va mal. Le plus grand nombre d’embauches a eu lieu dans ce secteur, lequel est en crise pourtant…
On nous apprend au surplus que le salaire moyen « dans le privé » s’élèverait à 2140 euros ! Faut le faire ! Trucage éhonté ou réalité provisoire ? Le mensonge est incontestable lorsque l’on sait la pauvreté des salaires dans les services ou dudit tertiaire (avec les tricheries horaires), mais les ouvriers pauvres ne lisent pas les journaux élitaires et savent que ceux qui écrivent dedans font profession de mentir en permanence. Il est incontestable qu’il existe de fortes couches de petits bourgeois (cadres, maîtrises, garde-chiourmes des vigiles et femmes de ménage) qui sont engraissés vers les 2140 euros. Contrairement donc aux mensonges chiffrés de l’Acoss et du Figaro, dans le privé et le public la majorité des salaires sont misérables et le privé (avec le culte du petit entrepreneur) n’est pas plus dynamique que le public, dessous de table, corruption, vilenie hiérarchique et humiliation des prolétaires y prédominent.
(à suivre)
ELOGE ET CRITIQUE DE LIVRE
« Les débuts révolutionnaires du mouvement prolétarien en France : le Babouvisme » par Robert Camoin (auto-édité à 90 exemplaires, juin 2008) 399 pages, 20 euros. Pour toute commande PU transmettra sur ce blog, ou sur mon adresse e-mail.
« Lorsque l’on veut empêcher les horreurs d’une révolution, il faut la vouloir et la faire soi-même ; elle était trop nécessaire en France pour ne pas être inévitable… »
Rivarol (royaliste)
Il n’y a plus grand monde de nos jours pour défendre la révolution française de 1789-1795 comme « un bloc » (cf. Clemenceau). L’écrasante domination dans l’édition bourgeoise des clercs rétribués du système autorise tous les révisionnismes historiques, au point que même des cageots, calotins et cabotins néo-fachos ont ramené récemment leur fraise (poudrée) dans la série compilations idiotes des « livres noirs » pour tenter d’enterrer un peu plus cette horrible et sanguinaire révolution qui mit à bas les privilèges de la noblesse cynique. Quelques historiens probes « laïcards » ont bien tenté de contrer ce révisionnisme de muscadins proches du FN et du gouvernement, mais sans empêcher les étalages des librairies d’être envahis par des dégueulis revanchards de vieux réacs. La bourgeoisie d’édition servile rajoute sans cesse une couche d’interprétations destructrices et nihilistes comme l’actuelle réédition des articles hétéroclites et sans méthode de l’ex-stalinien Furet (« Repenser la évolution française »).
L’important ouvrage réalisé par Robert Camoin, l’écrivain le plus prolixe du mouvement révolutionnaire marxiste depuis 1968, bien que scandaleusement ignoré et tenu à la marge par les lobbies des maisons d’édition se moque royalement de deux siècles de dénigrements et de mensonges sur commande sur cette révolution bien lointaine qui dérange encore la bourgeoisie moderne. Avec un aplomb méritoire, Camoin ignore toutes les fadaises et rancoeurs colportées pendant si longtemps, et il se sert de la méthode marxiste pour analyser les causes économiques et politiques de la révolution. Pour tout dire il fait œuvre d’historien, et d’historien véritable qui se passe des arguties et récriminations des clercs histrions chargés à chaque génération de perpétrer les mensonges conservateurs dans les écoles, contre diplômes honorifiques et généreuses prébendes.
L’introduction de Jean-Pierre Caro dit l’essentiel en soulignant l’absence de neutralité de l’auteur. Il s’agit bien ici d’un historien partisan, et ce n’est point péjoratif d’autant que Caro laisse le lecteur libre de juger quelle interprétation pourra être la sienne en soulignant que l’auteur souhaite stimuler la réflexion à partir de données brutes, au plus près des « bras nus » de l’époque. Libre aux esthètes de se situer au-dessus de l’histoire des hommes ou de demeurer dans la lune.
Bien qu’il comporte des manques majeurs et des esquives, ce livre est d’importance donc, non seulement par sa méthode discursive rigoureuse, mais parce qu’il y avait carence jusque là depuis 1968 d’une étude approfondie de la révolution de 1789. La plupart des militants révolutionnaires de cette époque se sont contentés des idées préconçues les plus banales sur cette lointaine révolution. Malgré quelques trop rapides questionnements sur la nature de cette paradoxale « révolution bourgeoise » en 1968, la plupart sont restés ignorants ou connaisseurs superficiels des causes de la mise à bas des privilèges nobliaux. Camoin vient combler là une énorme lacune. Le livre très riche en documents, apprendra beaucoup aux jeunes générations, si on le sort un jour du trou à rat de l’auto-édition. Même si vous n’êtes pas d’accord avec ce « parti pris », même si vous trouvez quelques approximations, vous ne pouvez qu’être séduit par la fraîcheur de cette contribution, qui stimule plus qu’elle ne renouvelle la réflexion sur la révolution française ; et c’est bien là le mérite d’un tel livre de ne pas générer l’indifférence.
Après-guerre, hors des historiens appointés et en général hostiles à 1789 (ou caricaturaux comme les stalino-soboulo-mazauriciens) il n’y eût pas grand monde pour s’intéresser de près à cette « vieille histoire ») depuis l’ouvrage ancien du militant anarchiste Daniel Guérin (qui n’avait fait que pomper tardivement les écrits marxistes de la IIe Internationale sur le rôle primordial des masses, par les Jaurès, Deville, et Kautsky). Il n’y eu dans le milieu révolutionnaire depuis 1945 que la Gauche italienne (Bordiga, Maffi, Dangeville) pour produire des textes lumineux sur la révolution française, et… mon humble personne en 2005 (sur le mythe de « La guerre révolutionnaire ») ; et je suis même ignoré par l’auguste Camoin à qui mon propre ouvrage a tant déplu et auquel il aurait été gêné de répondre, on verra sur quoi plus loin.
Robert Camoin fait acte de modestie d’entrée et prévient qu’il ne veut pas tout embrasser de la carrière de Babeuf. En fait il embrasse beaucoup et nous apprend autant, même à moi qui me croyais fin connaisseur. Robert aime les biographies, égrener les noms, polémiquer avec celui-ci ou celui-là en cours de route, remettre à sa place un cabotin. Le texte qui accompagne les citations au début est un peu scolastique au début, avec deux fois le même verbe dans la phrase, mais il devient plus fluide et plus riche à mesure que l’on avance dans la lecture. Camoin finit par nous accrocher par la cravate et ne nous lâche plus. On est pour ou contre mais il faut avancer. La révolution se déroule et n’a que faire du simple spectateur trouillard.
Camoin trace son chemin et il n’est jamais seul. Il suffit qu’il polémique avec un bourgeois d’hier ou un misérable trotskien d’aujourd’hui comme le vulgaire Schiappa pour qu’on se sente dans la carrosse, qu’on n’oublie point que le cocher fouette les chevaux régulièrement. Des pas qui résonnent sur le pavé parisien à la dramatique exécution de Babeuf (dont Walter a mieux souligné le profond dégoût dans la solitude des derniers instants), on est « dedans ». C’est la première fois qu’on approche d’aussi près la préparation d’une insurrection. De même, personne n’avait aussi scrupuleusement étudié le programme des « égaux ».
Camoin n’a pas détaillé toute l’historiographie bourgeoise (ou même marxiste) car elle est immense mais il a travaillé sur des livres rares du mouvement ouvrier que lui seul a su accumuler depuis tant d’années (j’ai fait le vœu d’aller piller en douce sa bibliothèque quand il se rend à Marseille…). La dernière partie, à partir de la page 307 est une mine d’or sur les approximations du mouvement socialiste et communiste quant à cette intempestive et disputée révolution.
Exagérés et exagérations :
Camoin a bien déniché que le nom véritable des « enragés » était les « exagérés », sans analyser en quoi ils étaient vainement… jusqu’auboutistes, voire « surrenchéristes » dans une époque qui ne pouvait être transcendée en « lutte finale ». Il reste ambigu dans son jugement sur les petits bourgeois hébertistes dont il voit les limites, qu’il considère moins représentants d’un prolétariat naissant que les « enragés-exagérés » avec Leclerc ; ce sont bien plutôt des anarchistes issus d’un lumpenprolétariat assez primitif. La critique que je peux porter consistera donc à caractériser cette « exagération » de l’auteur sur la portée immédiate de l’événement 1789.
Examinons d’abord la thèse de ce talentueux « historien-partisan » centrée sur le personnage de Babeuf : « … j’ai rendu évident que Babeuf n’était ni un proto-anarchiste, ni un jacobin attardé (…) ressort d’un parti politique centralisé, agissant pour donner à la société une forme libre, heureuse et paisible. A la Conjuration des Egaux, il assignait pour proche objectif l’établissement du bonheur commun, la société sans classes, le communisme. En cas de succès s’établirait une convention babouviste avec une écrasante majorité de députés ouvriers » (p.13). Même s’il se défend dans les dernières pages d’avoir la moindre illusion sur la possibilité de succès de la tentative babouviste, Camoin laisse à croire néanmoins à sa possibilité, en particulier en surestimant les forces babouvistes et leur possibilité d’action sur le terrain militaire. En marxiste conséquent Camoin ne tire pas en arrière cependant le babouvisme, à la manière d’un Claude Bitot qui a repris les fadaises sur un « communisme grossier », et il voit bien que le projet communiste initiateur de Babeuf suppose l’abondance bien que pour plus tard (en effet). La méthode de RC pêche par défaut quand il révèle qu’il plaque l’analyse de la révolution double de la Russie de 1917 sur 1789-1795 (cf.p.96). On raisonne en général toujours à partir d’aujourd’hui sur hier, mais ce n’est pas parce que les riches ou les bourgeois n’ont jamais assumé de révolutions – qui ont toujours été le fait de masses d’esclaves, de petits bourgeois, de prolétaires – que nous pourrions vraiment outrepasser, comme tend à la faire Camoin, cette révolution de la fin du 18e siècle, dans sa signification bourgeoise. Les écrits marxistes ne sont pas si limpides que Robert veut bien le laisser entendre, et comptent nombre de contradictions sur l’appréciation de cette révolution. Il faudrait que RC nous dise ce que signifie pour lui le concept de « violence illimitée » d’autant qu’il a mis de l’eau dans la théorie avariée de la « terreur rouge » en reprenant une citation d’Engels, que je lui avais fournie, sur les « cruautés inutiles » et « la lie du peuple faisant commerce de la terreur » (p.340). Il faut toujours se demander de quelle violence il s’agit, à quoi elle correspond, et savoir si elle n’est pas un substitut aux besoins sociaux réels.
Engels, défenseur de cette révolution bourgeoise effectuée par des plébéiens (non encore vraiment prolétaires), plus spéculateur que RC déplora que « Babeuf soit arrivé trop tard », résolvait le problème en estimant que « les bourgeois ont toujours été trop lâches » et ne craignait pas de dénoncer les excès primaires des sans-culottes comme des suppôts d’intolérance (cf. mon livre sur la G.R. p.115). Robert exagère l’existence d’un prolétariat urbain et oublie, que même si dans les grandes villes on dénombre des métiers de manufacture et de petits métiers artisanaux, la France du 18e siècle est dominée par les mœurs paysannes, sans compter un illettrisme massif qui contraste avec les discours ampoulés et abscons de la plupart des dirigeants intellectuels petits bourgeois, y compris Babeuf. On se demande bien ce que la majorité des gens saisissaient au juste des textes ou articles dont une infime minorité pouvait prendre connaissance, sinon qu’ils n’en percevaient les échos, comme on se doute, dans le langage bref et sans fioritures de la rue, par des cris autour des termes : misère, guerre aux palais, faim, guerre, etc.
Robert décrit souvent, sans livrer ses sentiments, les têtes promenées au bout des piques. Etait-ce un acte révolutionnaire, autant que celui d’une tribu de cannibales ? Ou l’action parallèle et non essentielle dans cette révolution dite inachevée mais bourrée de complots et destinées à mal finir, d’une couche de lumpen mal embouchés, tout juste issus des campagnes primaires ? Actions terribles, parfois vraiment odieuses, qui terrorisaient les leaders petits bourgeois de la révolution au point qu’ils tombaient dans la surenchère pour préserver leur peau.
A-t-on vu le prolétariat moderne, en 1830, en 1848, en 1871, en 1905, manifester derrière des piques avec dessus des têtes dégoulinantes de sang? Robert manque une occasion là de tirer à vue sur l’historiographie, l’iconographie et la conographie bourgeoises, avec pour but de réduire la tragédie révolutionnaire à ses épisodes sanglants, voire en en exagérant la popularité alors qu’ils signifiaient l’expansion de la terreur opaque et aveuglante.
On eût aimé que Camoin traite de l’épineuse question de la « surenchère » petite bourgeoise - typique dans cette révolution - parfois simplement opportuniste, souvent criminelle, en période révolutionnaire, dans cette course à la mort où chacun peut être accusé du pire et la tête déposée sous le billot, où demain je ne suis pas sûr de ne pas être traité comme le pire contre-révolutionnaire, où tout responsable politique est prié de se mettre à genoux devant les désidératas de n’importe quel émeutier… Où dans mon propre parti je peux être accusé de corruption, de double jeu, où le plus intempérant peut me clouer au pilori sans preuves, etc.
Camoin ne fait pas trop dans la nuance sur les épisodes controversés, il ne se prononce pas sur la question des massacres en Vendée : est-ce que Babeuf est donc devenu « thermidorien » en les dénonçant ? Camoin lui reproche de « forger l’épithète de terroristes » sur les révolutionnaires… comme Carrier ? (p.255) Les historiens officiels peuvent nous être utiles quand même camarade Robert (face à nos carences ou évitements ) ; je reprends mes propres commentaires dans mon livre :
La répression inconsidérée contre des populations civiles, même arriérées, comme la terreur contre les civils urbains peuvent être les prémisses de l’agonie d’une révolution. Premier théoricien du prolétariat moderne, Babeuf proteste énergiquement contre les massacres en Vendée, et (se démarque) des thermidoriens en indiquant que le mouvement de « résistance à l’oppression » (spéculativement) sera formé par des « Vendées plébéiennes ». Le livre de Philippe Riviale, « L’impatience du bonheur , apologie de Gracchus Babeuf », est un bonheur à lui tout seul, il montre à plusieurs reprises comment chez le communiste précurseur Babeuf il n’y a pas d’illusion sur le terrorisme et le militarisme, contrairement à certains de ses compagnons encore imprégnés de la tradition bourgeoise jacobine comme Darthé.
Jean-Paul Bertaud formule l’imbroglio de la méprise parisienne : « A Paris, les Jacobins et les sans-culottes, mal informés par la bourgeoisie locale, assimilent très vite les Vendéens révoltés à des « brigands » contre lesquels ils demandent la plus extrême des répressions. Les Jacobins vivent depuis longtemps dans la hantise du complot aristocratique » (cf. La révolution française, p.198).
Le mythe de la guerre révolutionnaire :
Dans mon livre, j’avais cité la pertinente réponse de Trotsky à Bordiga sur les analogies (non récusée par ce dernier), Robert l’a-t-il vraiment lu ?
« Néanmoins, on ne peut s’instruire à la journée d’hier autrement qu’en procédant par analogies. La remarquable brochure d’Engels sur la guerre paysanne est construite d’un bout à l’autre sur l’analogie entre la Réforme du XVIe siècle et la révolution de 1848. Pour forger la notion de la dictature du prolétariat, Marx fait rougir son fer au feu de 1793. En 1909, Lénine a défini le social-démocrate révolutionnaire comme un jacobin lié au mouvement ouvrier de masses. Je lui ai alors objecté d’une façon académique que le jacobinisme et le socialisme scientifique s’appuient sur des classes différentes et emploient des méthodes différentes. Considéré en soi, cela était évidemment juste. Mais Lénine non plus n’identifiait pas les plébéiens de Paris avec le prolétariat moderne et la théorie de Rousseau avec la théorie de Marx. Il ne prenait comme décisifs que les traits généraux des deux révolutions : les masses populaires les plus opprimées qui n’ont rien à perdre que leurs chaînes ; les organisations les plus révolutionnaires qui s’appuient sur ces masses et qui dans la lutte contre les forces de l’ancienne société instituent la dictature révolutionnaire. »
Le fait de plaquer le schéma du parti léniniste sur le parti babouviste est bien évidemment réducteur, et même aboutit à faire du tort à la révolution russe comme « complot néo-babouviste » (plus que de reconnaître la syphilis de Lénine, qui n’était qu’une maladie terminale – laquelle a détruit d’autres grands hommes sans entacher leurs œuvres - controuvée depuis contre les supputations sur un soit disant empoisonnement de Wladimir Ilitch, que RC me reproche p.311). Les masses de 1793 n’ont pas la conscience des masses ouvrières de 1905 et 1917. Le groupement de Babeuf a un aspect comploteur incontestable (Robert le décrit pourtant très bien) qui n’est pas le cas du parti bolchevik, ou alors c’est donner raison aux anarchistes staliniens à la Berthier. Derrière le souci de Camoin de fabriquer un parti pré-léniniste, qui confirmerait sa vision du parti bolchevik made in babouvisme, il y a l’espoir que la révolution ne peut vaincre que grâce à un parti et une armée hiérarchisés. En un sens il n’a pas tort, les armées mexicaines n’ont jamais gagné une guerre. Une armée où tout le monde veut commander n’est plus une armée ; un parti où chacun décide de tout n’est plus un parti. Pourtant, sans parler de l’armée de Zapata, ni des détachements anarchistes de 1936 en Espagne, je me suis tué à démontrer que la « levée en masse de 1789 » n’avait pas cassé des briques et que l’armée rouge de 1918 n’a jamais gagné une guerre, que la révolution bourgeoise comme prolétarienne ne peuvent vaincre sur un terrain strictement militaire. Lorsque l’armée rouge a commencé à gagner des guerres, elle était devenue impérialiste avec son général en chef Staline. En 1918, dans l’organe des communistes de gauche, Radek écrivait : « Le destin de l’armée rouge est étroitement lié à celui de la révolution en général. La structure de l’armée reflète toujours celle de la société qui l’a créée. Si les éléments paysans petits-bourgeois l’emportent dans la révolution, si le gouvernement ouvrier et paysan préfère la voie du compromis avec le capitalisme international et russe, aucune astuce organisationnelle ou aucune mesure de prévention ne sauvera l’armée rouge de sa transformation en un instrument opposé à la classe ouvrière » (in livre à paraître de Michel Olivier).
Sous le titre « Marxisme et guerre révolutionnaire », Camoin ne dit rien de particulier sur le mythe de la guerre révolutionnaire, il nous livre un remplissage anecdotique. Il ignorait jusqu’à présent que la glorieuse « gauche italienne » dont il se réclame avait tiré depuis longtemps un trait sur le mythe de la guerre révolutionnaire (jacobine) « ce truc » (Il Soviet, 1910). A aucun moment il n’évoque les prises de position contre la guerre de Marat, Robespierre et Babeuf, ni n’explique Thermidor comme un coup d’Etat militaire. Page 125 il nous dit que Babeuf était « thermidorien de gauche », sans nous expliquer ce qu’il signifie par là ! Thermidor c’est la réaction bourgeoise, donc le premier théoricien du communisme finit « réactionnaire de gauche » ! Impensable, ou plutôt c’est plus compliqué. En vérité le coup d’Etat de Thermidor n’est pas encore la fin de la révolution. J’ai rappelé plus haut comment Babeuf se démarquait des thermidoriens sur la question de la Vendée. La réalité ne se nourrit pas tous les jours de schémas impeccables, même marxistes ! Les analogies ont leurs limites, et notre encyclopédique historien-partisan aurait pu rappeler à ses jeunes lecteurs que les plus clairvoyants des communards en 1871 tinrent à se démarquer des concepts jacobins ou de leurs formules.
Camoin oublie de nous dire que les babouvistes, à géométrie politique variable (pas du tout cohérents comme les bolcheviks), se plantent finalement complètement en misant sur « l’armée révolutionnaire » puis peu après les dénoncent comme prétoriens (Le Tribun du peuple n’°41, p. 122 de mon livre). Il oublie de rappeler aussi que le développement de la terreur est lié à la menace de guerre, puis à la guerre… ce que contestent les historiens bourgeois qui font tout reposer sur les épaules des « terroristes » jacobins comme ils procèdent pour crucifier aussi les bolcheviks. La guerre n’est pas une question nationale, française, jacobine, et bien que propice initialement au développement économique du capitalisme, elle n’a jamais favorisé les révolutions plébéiennes ni prolétariennes à la fin du XIXe siècle, même si elle a contribué au déclenchement des deux révolutions russes au début du XXe. La guerre des classes est toujours interne. La guerre révolutionnaire externe, même si elle sert à menacer les princes, n’élimine pas la responsabilité interne des masses exploitées face à leurs exploiteurs directs. La guerre révolutionnaire que Robert imagine seulement comme expansion miraculeuse de l’idée révolutionnaire, concrétise un résultat imprévu en 1795, comme je l’ai souligné, les fabrications de guerre rassemblent des masses d’ouvriers qui donnent forme à l’inquiétante lutte pour les salaires, qui effraye jusqu’à Marat, Hébert et Robespierre, et non pas engouement pour aller en masse au front.
Robert Camoin renchérit simplement sur l’analyse de Daniel Guérin qui se fichait lui aussi du mouvement anti-guerre révolutionnaire en 1792, en y ajoutant ses clichés léninistes. Il est ingrat avec l’œuvre de Kropotkine dont Lénine conseillait vivement la lecture de « La grande révolution ». Avec les écrits politiques des babouvistes, avec ce poids considérable de 1789 (dont Victor Hugo a dit qu’il avait inspiré toute la littérature du XIXe siècle), avec les Marx, Jaurès, Kautsky, Kropotkine, Rosa, Guérin, nous disposons d’un puissant et diversifié travail théorique et d’analyse politique sur l’apparition des masses sur la scène de l’histoire. Nous avons eu les moyens de réfléchir sur les bases de cette révolution pour concevoir, et encore plus même longtemps après Octobre 1917, sur les exigences pour la future révolution du prolétariat universel face aux mêmes causes : misères et guerres de la dernière classe régnante.
ABSENCE D’AVENIR POLITIQUE DE LA PETITE BOURGEOISIE
Enfin, l’ouvrage de Robert Camoin, malgré les critiques que nous venons de lui porter, nous interroge sur le rôle de la petite bourgeoisie dans les révolutions. Sa revue est d’ailleurs la seule du dit milieu révolutionnaire à clairement se démarquer (positions de principe au dos) des « couches moyennes » et à souligner l’exigence de sévérité à leur égard (les membres des petits groupes politiques radicaux depuis 1968 sont restés composés de fils de petits bourgeois). Le marxisme a en gros considéré que la révolution de 1789-1795 était une révolution bourgeoise avec une direction politique petite bourgeoise. On peut même considérer que si les leaders « exagérés » et « babouvistes » étaient issus de pauvre extraction, leur statut était aussi celui de petits bourgeois du fait de la faiblesse du prolétariat de l’époque. Dans leurs programmes ils ne pouvaient qu’entrevoir les véritables tâches de transformation de l’avenir. Pour Babeuf, marqué à la culotte malgré tout par une conception élitaire (et pas de parti moderne) la classe des opprimés se définit par la « peur du lendemain », ce que Robert reprend avec la formule de classe « sans réserve ». C’est cette peur du lendemain, comme l’a bien montré l’ex-bolchevik Gurvitch, qui fonde l’action de classe pour la transformation révolutionnaire dans l’avenir. Personne d’autre que cette classe, ni un comité secret babouviste ni un parti minoritaire ne peut assumer cette transformation à la place de la classe ouvrière moderne. N’en déplaise à Camoin, la révolution russe de 1917 est aussi conduite par des petits bourgeois. Dans l’ouvrage considérable à paraître de Michel Olivier sur les Communistes de gauche en Russie avec Boukharine en 1918 (première traduction en Occident des textes et articles de ce courant opposé aux dérives de l’Etat « national ») on découvrira que la lutte contre la petite bourgeoisie est primordiale et permanente dans la révolution. Smirnov dénonçait « les petits bourgeois utopiques qui veulent construire un capitalisme d’Etat » (sic). Dès le premier numéro de « Kommounist », est décrit « un cadre national qui a un ordre économique en transition et un ordre politique ‘petit bourgeois’ » !
Dans son article « De la construction du socialisme », Ossinsky écrit :
« Il ne faut même pas songer à un travail organique paisible sous les directives des petits-bourgeois. Avant tout, cela est impossible à cause de la situation extérieure, de l’offensive tous azimuts et puissante de l’impérialisme. Si ce que nous construisons est le socialisme, cette construction sera inévitablement liée à la lutte, à la résistance aux ambitions de l’impérialisme étranger. Et même pour cette construction en tant que telle, il ne suffit pas de simples directives petites bourgeoises et d’un travail mécanique scrupuleux commandé par n’importe qui. Ce ne sont pas les anciens serviteurs du capital qui doivent faire mouvoir les ouvriers comme quelques marionnettes inanimées ; les masses ouvrières doivent développer elles-mêmes leurs initiatives et leurs activités. Au cours de cette construction les ouvriers doivent organiser et développer leur force. Le socialisme aura ainsi une base ferme et il ne sera pas possible de l'éliminer si l’économie nouvelle est mise en oeuvre par le prolétariat, si elle lui est soumise comme à un maître, s’il la maîtrise et si son organisation est assumée par les ouvriers eux-mêmes.
Il ne s'agit pas d'une activité passive faite sous la direction des anciens serviteurs du capital et par l'instauration du « socialisme » par eux à la manière de celles des trusts, mais une construction volontaire du socialisme par les ouvriers avec le concours technique de l’intelligentsia et un combat du prolétariat pour le socialisme contre les ennemis extérieurs et intérieurs (parfois défensif parfois offensif – ça dépendra de la situation) – tel est notre point de vue ».
Avec les Communistes de gauche, on ne sait pas toujours très bien si la petite bourgeoisie est seulement la paysannerie, les intellectuels déclassés, ou aussi les membres du parti dans l’appareil d’Etat ; il faut en permanence combattre une influence délétère :
« …la détresse est si grande que toute heure de retard, toute indécision freine le travail créatif futur. En dernier lieu, la construction intérieure (si elle est menée dans le bon sens) assurera le terrain pour le prolétariat et réduira le chômage, la désagrégation de classe et l’influence des éléments petits bourgeois sur le prolétariat ». (Ossinsky)
Même prolétarisés, les éléments petits bourgeois cherchent encore à prédominer avec leurs idées fumeuses ou même des pratiques dignes du lumpenprolétariat (et il y a « des courants petits bourgeois AU SEIN du prolétariat »:
« Non seulement, nous ne sommes pas opposés à la lutte ferme contre ceux qui « pillent », même au sein de la classe ouvrière, mais encore, ce sont nous, les communistes de gauche qui menons la lutte la plus impitoyable contre les courants petits bourgeois au sein du prolétariat. Et si le camarade Lénine a fait allusion aux communistes de gauche en les caractérisant comme des « éléments hésitants et nuisibles parmi nous » qui osent « désorganiser la discipline du travail » (), soit il se trompe, soit il veut tromper ses interlocuteurs.
Nous sommes opposés à ceux qui « pillent » et sèment le désordre. Mais nous devons souligner le plus clairement possible qu’éliminer les courants petits bourgeois et restaurer la discipline de travail au moyen de l’introduction du salaire aux pièces et de primes, veut dire lutter contre le diable à l’aide de Belzébuth. Or, cela résume à prononcer de belles paroles creuses sur la lutte contre les appétits petits bourgeois, tout en développant en réalité dans le milieu ouvrier la débauche petite-bourgeoise, la poursuite aux kopecks, les méthodes de négociation qui détournent les ouvriers des tâches politiques et réduisent leur combativité et leur conscience de classe.
Pour éliminer les tendances petites bourgeoises, et les intérêts égoïstes, il ne suffit pas de la dictature des organisations ouvrières. Les conditions extérieures et objectives doivent liquider les bases de la « foire d’empoigne ». Ici, il faut ajouter que, d’un côté, l’introduction des primes et du salaire aux pièces crée les conditions objectives les plus favorables à la spéculation petite-bourgeoise. De l’autre côté, l’enlisement de l’organisation de la production, même dans la clarté programmatique, transforme toutes les discussions sur la lutte contre l’ennemi petit-bourgeois en causeries agréables, mais inutiles. (Ossinsky, Réponses claires).
La révolution n’est donc pas une simple élimination du capitalisme et une dépossession d’une petite minorité de « riches », elle exige une probablement longue action sociale et politique du prolétariat « en permanence » comme le souligne bien Robert Camoin dans la première partie de son livre. Car on ne fera pas tomber la bourgeoisie et son idéologie comme la tête de Louis Capet.
JLR
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