Au cœur de
des brigands de Temps critiques
Au cours de sa présentation Jacques W. se démarqua de l’intéressant livre de Vigna (L’insubordination ouvrière) qui limite lui aussi la signification des événements de l’époque au mai français, alors que l’Italie a vu se développer peu après un mouvement autonome étendu dans le temps.
Il évoqua ensuite les particularités de la contestation à l’intérieur du PC italien, mais surtout avec un Negri hors de ce parti, dans le parti socialiste. L’Italie a été marquée par une plus grande radicalité des luttes et le développement du terrorisme. L’intensité du mouvement a été plus forte certes en France mais plus courte. La crise économique a été ensuite plus forte en Italie entraînant de nombreux licenciements dans le triangle industriel bien connu. De nombreux jeunes prolétaires du sud se sont retrouvés sur le carreau. A cette époque, conjuguée avec la répression, l’idéologie bourgeoise aboutit à dissoudre l’identité prolétarienne. Nombre des jeunes prolétaires licenciés sont renvoyés vers l’impasse d’une semi-clandestinité avec leur engagement dans les groupes gauchistes. La lutte prend la tournure d’une vendetta corse (goudron, plumes…). Le présentateur a dû ensuite parler des luttes pour les autoréductions, mais j’ai pas tout saisis dans ma mémoire de moineau. Il exhibait certainement des connaissances précises des particularités italiennes.
Devant cette présentation relativement fermée sur l’Italie, comme Vigna l’avait été sur le cas français après tout, il ne me restait plus – moi le cro-magnon du marxisme périmé – qu’à jeter successivement trois flammèches qui allaient allumer la discussion, voire l’incendier.
D’abord je demandai aux deux auteurs, au sympathique J.Guigou et au glabre J.W. de nous expliquer leur analyse de l’opéraïsme, cette scie qui sert de carburant spéculatif au milieu communisateur pour fleurir la tombe de la classe ouvrière. J’ai rappelé que cet ouvriérisme made en Italie était en fait la théorisation rêvée de l’unité étudiant-travailleur avec le gadget negriste du « salaire étudiant » dit aussi « salaire social », et que ce courant sous-produit du stalinisme prospéra sur le reflux du mouvement « rampant ».
J.W., qui tient le crachoir en public, trouva ainsi matière (ouf) à se lancer dans la description détaillée des particularités italiennes, notamment sur ce qui se passait dans les usines et les actions « extérieures ». Il fût question aussi beaucoup de nouvelles comparaisons avec le mai français par le biais des prises de parole d’autres présents. Il se dégageait tout de même de la démonstration de JW que nous assistions là à la fin d’une certaine classe ouvrière, pour ne pas dire à la fin tout court.
J’allumai donc une seconde flammèche (et qui était un piège incivil de ma part): quels liens faites-vous, vous les communisateurs, entre le mouvement divers d’insubordination en Italie et l’apparition du terrorisme ?
Dans sa longue réponse, JW, après avoir rejeté le qualificatif de communisateur, il commença à révéler que sur le fond il ne différenciait pas la classe ouvrière des partis chargés de l’encadrer. Il évoqua comme causalité du terrorisme, les réminiscences de la résistance chez les ex du PCI, l’apparition de « groupes ouvriers armés », puis la place prise par les groupes armés de Feltrinelli, le débat des brigades rouges avec Lotta Continua. Des SO (services d’ordre) vont se détacher pour former des groupes armés, création des NAP (noyaux armés prolétariens), Prima linea, etc. JW rappela que le principal responsable de l’enlèvement d’Aldo Moro était Mario Morelli, le dirigeant du comité de base Siemens. En gros, le terrorisme est ainsi défini comme lié aux « impuretés » de la classe ouvrière.
Sur cette deuxième partie je m’insurge évidemment contre cette interprétation mais surtout contre l’absence de recul de l’orateur. Il prend plaisir à fouiller les détails de la radicalité « opéraïste », avec la tentative répétée de nous faire partager son émotion de croque-mort du prolétariat. Mais il ne nous dit rien, ou pas grand-chose, du reflux de la lutte générale en Europe et de la politique adoptée EN FACE par la bourgeoisie pour contenir puis vider le mouvement de sa substance. Je rappelle donc que (selon Debord et RI) mai 68 et le mai rampant ont signifié un réveil du prolétariat (un troglodyte poilu et courbé sous le poids des années ricane dans la salle sur le mot réveil), et qui dit réveil dit qu’on va pas à l’insurrection immédiatement, que les ouvriers ont pas envie de verser leur sang ou de se sacrifier inutilement pour de petits partis excités issus de la décomposition du stalinisme et qui se proposent de les envoyer au casse-pipe. En ce sens on ne peut pas dire que le terrorisme est le produit de la classe ouvrière, même « évanescente » pour utiliser un riche mot de nos communisateurs. Mais il y a autre chose que vous n’étayez pas, et pour cela il faut revenir à la politique. Nous avons – nous le prolétariat en tout cas – en face de nous des gens intelligents et armés. Comment pouvez-vous oublier l’affaire du Gladio ?
(ricanement à la tribune, cri dans la salle : « c’est encore théorie du complot ! »)
Le financement de
- sur le net on peut lire aussi bien que dans des livres d’histoire, et plus de vérités que dans les pages de Temps critiques ! Officiellement, je dis bien officiellement le magouillage de l’Etat a été reconnu, et c’est bien normal avec le recul et la trouille que les deux mai, italien et français ont flanqués à la bourgeoisie. Après le réveil vient le reflux, et la bourgeoisie tape.
- ce n’est pas parce que de petits chefs gauchistes se sont laissés embarquer dans le terrorisme qu’il faut en conclure que c’est clean et de classe ! j’ai connu plusieurs délégués CGT salopards prêts à tout pour leur carrière, et cela n’en fait pas une émanation du prolétariat !
- la classe ouvrière a donc disparu depuis l’évanescence de l’opéraïsme ?
- et d’où qu’elle est maintenant la classe ouvrière ? les sidérurgistes ? au XIXe siècle elle transformait, elle produisait, elle a assuré le stakhanovisme après…
- non seulement tu comprends pas ce qui caractérise historiquement la classe ouvrière, mais tu ne la comprends pas dès le 19e siècle où elle ne transformait rien du tout, elle était obligée de travailler, et tu déconnes avec le stakhanovisme qu’elle subissait revolver dans le dos…
JW m’objectait, sans jamais regarder l’auditeur, qu’on ne pouvait assimiler le prolétariat d’aujourd’hui à celui du XIXe et tirait jusqu’à Spartacus pour prétendre que tout est dans tout et rien dans rien. Je répondis que pour l’essentiel le prolétaire du XXIe reste proche de celui du XIXe, et que ce n’est pas la nature du travail qui permet de le comprendre mais le fait (dixit Babeuf) qu’il est l’être qui vend sa force de travail et qui a peur du lendemain, qui est rivé sur l’avenir. Le prolétaire aujourd’hui c’est le claviste mais aussi la vendeuse, le maçon..
On ferraillait dur de tous côtés. JW s’exposa à un moment au ridicule malheureusement pour lui :
- dans ma famille j’ai beaucoup de maçons, et la conscience de maçon c’est pas…
- c’est n’importe quoi ! des maçons on en a eu plein de révolutionnaires, la moitié des militants du FOR en France étaient maçons, des anars sont maçons, j’ai eu plus de maçons que toi dans la famille…
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