"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 1 mars 2022

CRISE DE LA GUERRE « TRADITIONNELLE »



La «haute intensité» modifie l’échelle et la nature des engagements militaires où s’exprime la «dialectique des volontés». La guerre d’aujourd’hui se caractérise par l’usage désinhibé de la force par des acteurs étatiques, multichamps et multimilieux - terre, mer, air, spatial et cyber -, n’hésitant pas à recourir à des attaques hybrides dans lesquelles, hors du champ de bataille, les populations civiles pourraient être prises en otage - attaques informatiques contre les réseaux d’énergie ou le système bancaire - et subir une guerre informationnelle de grande ampleur1. Les drones sont devenus aussi une nouvelle variable dans le combat, sans prise de risque comme un pilote d'hélicoptère de combat. La technologie diversifiée, le commandement du matériel à distance par informatique, doit faire croire à la plupart des soldats que l'engagement physique pourra être évité ou diminué, ce qui est un énorme mensonge dans le cas de la guerre de guérilla.

La supériorité aérienne et technologique n’est plus acquise. Les réseaux satellitaires pourraient être détruits. L’exercice Warfighter2 a montré qu’il fallait s’attendre à plusieurs milliers d’hommes hors de combat et l’exercice Polaris à celle de quatre navires en quelques heures. La masse, c’est-à-dire le volume des forces et les stocks, redevient vitale. Alors se pose l’inévitable question: sommes-nous prêts? D’autant que les conflits gelés sont nombreux.

C' est rigolo avec ce genre de mantra néolibéral, nous dépendons de l' atelier mondial chinois, du producteur russe du gaz. La Russie – puissance pauvre comme dit le sociologue du coin - a beaucoup de gaz et de blé mais elle ne fabrique pas grand chose et consomme beaucoup . Les Chinois fabriquent beaucoup mais ils doivent vendre .

L’invasion de l’Ukraine est intervenue à un moment délicat pour l’économie mondiale, qui commençait à peine à se remettre des ravages du Covid. La guerre enclenchée par la Russie pourrait avoir des conséquences économiques considérables, alors que les marchés financiers s’effondrent et que le prix du pétrole s’envole. On peut hasarder une comparaison avec la guerre du Yom Kippour en 1973 au Moyen-Orient qui avait conduit à la première crise pétrolière, ébranlé l'économie mondiale et marqué la fin des trente glorieuses.

Au deuxième jour de la guerre, des spécialistes assuraient que l’Europe serait probablement la première touchée par la tempête économique, en partie en raison de sa plus grande dépendance à l’égard des approvisionnements énergétiques russes, mais aussi en raison de sa proximité géographique avec une guerre à ses portes. La population russe comme les familles qui s'échappent d'Ukraine sont concrètement les premières victimes de la sanction de la guerre.

UNE VRAIE BLITZKRIEG MAIS TENUE EN ECHEC

Les blitzkrieg ne marchent plus dans les pays de type européen avec grande concentration du prolétariat. Poutine misait, comme je l'ai dit dans mes articles précédents, sur une guerre éclair, car, comme en 39-45 toutes les guerres qui s'installent dans la durée – comme les guerres dites de libération nationale – coûtent cher et s'enlisent pendant des années. Poutine a tenté le coup en oubliant que l'Ukraine n'est pas l'Afghanistan.

Toutes les déambulations des bourgeoisies européennes allaient dans le sens du prolongement du conflit en cherchant l'enlisement afin d'éliminer Poutine de l’intérieur. Mais tout cela pouvait prendre des mois et des années et avec les conséquences économiques pour non seulement pour le prolétariat russe mais aussi mondial. Les sanctions économiques, autre aspect de la guerre idéologique moderne ont raccourci les délais.

Macron avait promis pour une guerre longue (pour le temps d'embrigader?), dramatisation du même genre que Poutine menaçant de l'arme nucléaire. Une première offensive contre Kiev, pensée comme une blitzkrieg, qui devait assurer la prise de l’aéroport d’Hostomel puis un raid au centre de la capitale pour y décapiter le pouvoir politique, capturer ou tuer l'ancien clown Zelenski a été contrecarrée par une résistance ukrainienne militaire et civile, téléguidée et encensée par les « amis européens », en particulier Hongrie et Pologne, jusque là considérées comme néo-fascistes mais plus intéressées soudainement à une immigration non musulmane. Quelques tanks russes échoués au bord des routes. Des bombardiers abattus par la défense ukrainienne. De jeunes prisonniers russes démoralisés affirmant ne rien savoir de cette guerre où ils ont été projetés. Beaucoup de matériel mais qui tombe en panne, avec de jeunes russes sans expérience et qui ne veulent pas se battre.

Les deux guerres russes en Tchétchénie n’avaient guère provoqué de réactions aux États-Unis et en Europe. En 2008, la guerre de Géorgie avait été condamnée mais rapidement oubliée. L’annexion de la Crimée en 2014 avait donné lieu à des sanctions économiques modérées, et puis les Occidentaux avaient regardé ailleurs. L’invasion de l’Ukraine a cette fois provoqué des réactions massives, pas tellement des manifestations pacifistes, qui ne révolutionnent rien et n'empêchent pas les guerres de se dérouler. À Moscou, des journaux proches du pouvoir osaient un bandeau noir d’opposition à la guerre. Des manifestations en soutien à l'Ukraine dans tous les pays européens. Des Biélorusses qui chantaient «non à la guerre».

L'Occident sous domination américaine a effectivement réussi à pousser Poutine à la faute, en se parant désormais des vertus des « faiseurs de paix » face au méchant et fou oligarque russe. Il ne pouvait que foncer tête baissée dans le piège de l'Otan. La différence entre Poutine et l’Otan c’est que Poutine assume son rôle de méchant quand l’Otan use de la dissimulation et de la ruse pour nous faire croire que c’est le camp des gentils, le camp de la paix. Allez demander aux irakiens et aux libyens ce qu’ils en pensent de la paix made in USA.

En déclarant, au quatrième jour de la guerre, l’intensification de l’offensive et son élargissement à toute l’Ukraine, en faisant appel à des bataillons de Tchétchènes pour épauler les conscrits russes, Poutine voulait montrer ses muscles, ils sont flasques. On le dit foldingue, il est surtout un stratège failli. Il n'a fait que franchir une nouvelle étape dans sa fuite en avant. Comme beaucoup des oligarques qui l'entourent il a sous-estimé non pas le nationalisme ukrainien mais la volonté de la bourgeoisie ukrainienne de rester arrimée à l'Occident riche même avec sa démocratie trafiquée. En accusant le régime parlementaire véreux d'Ukraine de génocidaire et d'être nazi, Platov3 s'est planté en étant aussi ridicule que nos prétendus révolutionnaires vintage qui s'indignent d'une résurgence du nationalisme ukrainien ; la réaction défensive ukrainienne est à la fois compréhensive (qui voudrait du néo-stalinisme paupérisé face à un libéralisme bourgeois plus avenant?). Les comparaisons simplistes avec le passé sentent la naphtaline. Même l'appel à des légions étrangères « internationales » comme au moment de la guerre d'Espagne en 1936, sont dérisoires et inactuelles4 : Poutine n'est pas un nouvel Hitler ni l'incontinent Franco, il fait plus penser à un Mussolini au bord de sa faillite politique et éjecté en 1943 par le grand conseil fasciste représentant du grand patronat. Le dictateur ne dicte pas, il « est dicté » comme me l'avaient répondu les bordiguistes dans un article il y a une trentaine d'années. Poutine n'est peut-être pas loin d'être jeté à son tour par le « grand conseil » de l'oligarchie mise à poil et dépouillée dans le monde entier, au point que nos médias se permettent de nommer l'union européenne anti-magnats oligarques de « révolution », quoique dans le cadre bien consenti du capitalisme libéral et ultra militarisé.

La bourgeoisie occidentale, prête à envoyer au casse-pipe des millions de jeunes prolétaires si son opulence avait été véritablement menacée, a compati soudainement face aux vidéos des soldats russes faits prisonniers par l’armée ukrainienne, et leur faible moral militaire, sachant que la Russie et l’Ukraine restent, historiquement, un seul et même peuple, un seul et même pays, plutôt mondialistes que nationalistes? Ce que Poutine a essayé d'inverser en demandant aux recrues militaires russes de faire la guerre à des « nazis », imagerie aussi vaine que le prouve son utilisation par les gauchistes occidentaux. Autre aspect oublié par ce pauvre Poutine bouffi (et que j'ai sous-estimé) la contre-offensive de guérilla, impossible à contrôler totalement ; se souvenir que pendant la guerre froide, l’Ukraine occidentale avait résisté pendant douze ans à l’occupation stalinienne, jusqu’en 1956.

Autre faiblesse de la bourgeoisie russe, ses services de désinformation poutiniens tardent à mettre en ligne la traditionnelle bombe (en l' occurrence ""ukrainienne"" ) qui tomberait sur une école ou un hôpital (pro)russe, car personne n'a oublié les faux attentats tchétchènes en 1999. Ce n'est pas tant de crise du capitalisme qu'il faudrait parler mais de crise de la guerre « traditionnelle », qui ne peut plus être menée « comme avant ».

C'était couru d'avance, Poutine n'aurait jamais eu les moyens de tenir un pays aussi grand que l'Ukraine moderne sous sa botte.

Un autre élément est venu confirmer qu'il ne s'agit pas d'une guerre comme les autres, une volonté évidente de ne plus tuer des masses de civils. D'abord un choix de cibles stratégiques : silos militaires, centrales électriques, matériel militaires, centre de communication ; les médias occidentaux passent en boucle une seule tour d'habitation détruite sur un flanc (erreur balistique?). L'orchestration de la fuite des populations (500.000) évitant surtout à l'armée russe de se discréditer par un massacre trop voyant de civils. Ces dernières heures, l'armée russe a assuré que les civils pouvaient quitter "librement" Kiev et accusé le pouvoir ukrainien de les utiliser comme "bouclier humain" (ce qui n'est pas faux), laissant planer le spectre d'un assaut de grande envergure. Si massacre de civils il y a, Poutine pourra toujours le mettre sur le dos de la bande de tchétchènes de Kadyrov, ou les exactions de la bande Wagner. Autre aspect de la guerre moderne criminalo-électronique, des bandes de tueurs suppléent au manque d'engagements des recrues non volontaires.

Pourtant, l'ouverture des négociations augure mal, vu les exigences ukrainiennes de rattachement à l'UE et de Poutine de désarmement de l'Ukraine et reconnaissance de la Crimée, d'une fin rapide. Une seule chose est sûre la guerre éclair a fait flop. Il ne faut pas s'attendre à une réaction autonome du prolétariat dans le croisement des propagandes nationalistes, mais à la fois à un enlisement et à de graves problèmes sociaux en Russie, voire son renversement, puisque les médias occidentaux plus les sanctions vont faire réfléchir...

Les nombreuses destructions de villes entières et la question du retour des populations fuyant la guerre vont pourrir la situation et peser politiquement et socialement en Europe.

Le nombre réel de victimes reste un silence de guerre. L'Ukraine a fait état de quelque 200 civils tués et de dizaines de militaires morts au combat, mais n'a pas publié de bilan précis dimanche. L'ONU recensait samedi au moins 64 morts parmi les civils et des centaines de milliers de personnes sans eau ou électricité.L'armée russe a, de son côté, pour la première fois dimanche reconnu des pertes humaines, sans les chiffrer. L'Ukraine affirme que plus de 4300 soldats russes ont été tués.

LA FAUTE AU CAPITALISME ?

Une fois que vous avez affirmé cela, vous faites quoi ? C'est le radotage du CCI qui, comme au début du mouvement des gilets jaunes attend plusieurs jours avant de prendre position. Leur prise de position sur cette guerre, cinq jours après, est titrée « le capitalisme c'est la guerre, guerre au capitalisme ». C'est assez plat, non pas que ce soit faux, mais sans souffle, monotone et simpliste comme un tract gauchiste ou syndicaliste. « L'Europe est entrée dans la guerre » !? Rien n'est moins sûr, et de quelle guerre s'agit-il ? Une guerre capitaliste pour sûr, mais causée par qui et pour quoi ? Par le méchant capitalisme ! Deux très vieux arguments sont ressortis du grenier – supposés « réveiller les masses » : des milliers de vie civiles et militaires fauchées (des preuves SVP) et la terrible hausse des prix en vue (= horrible baisse du pouvoir d'achat) ; et un troisième aussi peu convaincant « comme toujours c'est la classe ouvrière qui va payer au prix fort... les menées guerrières des maîtres du monde », exclusivement la classe ouvrière ?

Cette « tragédie guerrière », « est une manifestation claire de l'enlisement du monde dans la barbarie », plus que vague comme explication. Quant aux mensonges de la propagande, celle de Poutine est plutôt minable comme exemple, ceux de l'Otan et Cie auraient dû être rappelés en priorité. Que Poutine ait la tête d'un criminel est de l'ordre de l'à-peu-près. On n'explique en rien pourquoi Poutine « a dégainé le premier ».

Considérer la classe ouvrière à l'Est comme « particulièrement faible » reste subjectif, mais le plus grave est le passage stupide qui déclare que l'effondrement en 1989 de régimes prétendus socialistes est un « coup très brutal porté à la classe ouvrière mondiale »... laisse entendre, sans l'explication nécessaire, que la chute du stalinisme était déplorable pour le prolétariat !

Enfin les tirades finales (on connaît la chanson) c'est pour se faire plaisir :

  • tous les Etats, tous les partis sont nationalistes !

  • Vive partout les luttes massives et conscientes !

  • Les prolétaires n'ont pas de patrie ! Sauf pour s'entretuer ;


Et fin du fin : Pour le développement de la lutte de classe du prolétariat international !

Très abstrait mais on peut vous l'offrir avec un cornet de frites.

NOTES

1https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/briant_florant_pesqueur_masse_2021.pdf

2https://www.defense.gouv.fr/terre/exercices-d-entrainements/exercice-warfighter/warfighter-une-simulation-dopee-a-l-intelligence-artificielle-en-appui-des-evaluateurs

3Surnom de Poutine lorsqu'il était étudiant pour devenir espion, et nom d'un célèbre général cosaque.

4Le président clown d'Ukraine Volodymyr Zelensky a salué la formation d'une "coalition anti-guerre" internationale pour soutenir l'Ukraine et appelé les étrangers à venir se battre "contre les criminels de guerre russes" dans une "Légion internationale" en formation. Pas folichon, comme sa rétention des pères de famille pour « défendre la patrie ».


CELA DIT NOS GRANDS REVOLUTIONNAIRES DU PASSE FURENT A CHAQUE FOIS DEMUNIS FACE AU DEBUT DE LA GUERRE

« Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » est devenu « Prolétaires de tous les pays, entretuez-vous ! ».

Lisant la nouvelle dans le Vorwärts dans son exil en Autriche, Lénine croit d’abord que ce numéro du quotidien social-démocrate de Berlin est un faux produit par l’Etat-major allemand. Le futur dirigeant du Parti communiste allemand, Hugo Eberlein raconte ce mardi 4 août dans ses souvenirs :

« Au sortir du travail, je me dépêchais d’aller chez la camarade Rosa (Luxemburg). Elle était couchée sur le divan et pleurait. “Je vais me tirer une balle dans la tête, ce sera la meilleure protestation contre la trahison du Parti et cela ramènera peut-être quand même les masses des travailleurs à la raison.”

Naturellement, je lui ai déconseillé un tel geste. Nous avons parlé de notre position sur la question, si nous devions démissionner du Parti ou protester publiquement contre la décision du Parti, etc. mais nous n’arrivions à aucun résultat. Elle revenait toujours à ses pensées de suicide.

Ce soir-là, je suis encore allé chez Franz Mehring, qui de rage contre la trahison du Parti, n’arrêtait pas de marcher à grandes enjambées d’un bout à l’autre de la chambre. Je lui ai demandé d’aller chez Rosa et de la détourner de son projet. 




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