Début août
le gouvernement américain décidait le déclenchement d’une
« action humanitaire » limitée – sous forme de
bombardements ! – en Irak, après une campagne internationale
de mobilisation de l’opinion publique à propos des minorités
yazidis et chrétiennes qui auraient été menacées de « génocide »
par l’avancée des rebelles Islamistes de « l’Etat
Islamique en Irak et au Levant » (plus connus sous le sigle
anglais ISIS). Aujourd’hui, personne ne parle plus des Yazidis ni
des Chrétiens, c’est le sort des Kurdes qui est utilisé pour la
propagande belliciste ; l’opération « humanitaire »
s’est transformée en une véritable guerre, pour l’instant
essentiellement aérienne. Les Etats-Unis en sont de très loin la
principale force militaire : ils ont effectué plus de 200
bombardements en Irak, des dizaines en Syrie et envoyé plusieurs
centaines de soldats en Irak (d’où ils s’étaient complètement
retirés en 2011 ) ; mais ils ont réussi à former autour
d’eux une large coalition internationale : selon eux, une
quarantaine de pays en feraient partie, mais comme ils n’ont pas
donné la liste cela jette quelques doutes sur cette affirmation.
Le
gouvernement français, lui, avait tenu à manifester avec le maximum
d’éclat sa participation à l’intervention américaine en étant
le deuxième pays à effectuer des bombardements en Irak contre ISIS
(ce qui a entraîné de la part de cette organisation, qui ne possède
aucun avion pour bombarder la France, un appel à tuer des citoyens
français dont un touriste en Algérie a été la malheureuse
victime). Les gouvernements canadiens, hollandais, australiens,
suivis par ceux de la Grande-Bretagne, de la Belgique et du Danemark
ont eux aussi décidé de participer à la guerre aérienne, de même
que les gouvernements de Jordanie, d’Arabie Saoudite, des Emirats
et du Qatar. D’autres pays qui ont rejoint la coalition
internationale ont annoncé l’envoi d’armes, comme l’Allemagne
et l’Italie. L’Espagne a résolu de ne pas participer aux
combats, mais elle a décidé de fournir une « aide
logistique ». Sans faire partie de la coalition la Russie qui
était invitée à la conférence internationale de la mi-septembre
pour mettre celle-ci sur pied, a annoncé qu’elle fournirait une
« contribution » à l’engagement militaire
international (elle envoie déjà depuis quelques mois des armes au
gouvernement de Bagdad).
Même si à
ce stade il n’est pas question pour les différents Etats
participant à la coalition d’envoyer des troupes combattre au sol,
la France, le Canada, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ont, comme
les Etats-Unis, envoyé, parfois depuis « plusieurs semaines »,
des « conseillers militaires » et autres « forces
spéciales » en Irak pour entraîner et encadrer les
combattants anti-islamistes, Kurdes ou non.
Une
intervention uniquement motivée par de sordides intérêts
impérialistes, non par de prétendus soucis « humanitaires »
désintéressés
L’intervention
militaire a été justifiée par les atrocités commises par ISIS
dans les régions où il est présent (et dont il n’a pas hésité
à publié parfois des vidéos sur internet) : massacre de
prisonniers y compris civils, décapitation d’otages, etc. ;
la terreur qu’il veut inspirer est une des armes d’ISIS, mais
elle est utilisée aujourd’hui contre lui afin de susciter
l’adhésion à l’intervention militaire : toute guerre a
besoin de brandir des victimes innocentes, vraies ou fausses, pour se
justifier.
Mais jusqu’à
la dernière période, tant qu’elles avaient lieu en Syrie (où
ISIS les a perpétrées dès sa création), ces atrocités
n’émouvaient pas la bonne conscience des impérialistes
occidentaux, bonne conscience qui n’est pas davantage émue par les
crimes et les exactions commises par le régime de Bagdad qui
s’appuie sur de véritables commandos de la mort pour maintenir son
autorité par la terreur !
Tout a
changé au début de cet été, quand les combattants d’ISIS,
appuyés par des cadres militaires et des forces Baathistes de
l’ancien régime de Saddam Hussein, ont mis en déroute l’armée
régulière irakienne, et fait peser une menace directe sur Bagdad.
La chute du régime mis en place après la guerre victorieuse de
l’administration Bush et à l’ombre duquel ils ont eu accès au
pétrole irakien, était hors de question pour les Etats-Unis :
c’est cela qui les a décidé d’intervenir militairement, et non
une prétendue pression de leur « opinion publique »
qui n’est jamais autre chose qu’une création des medias.
Le gros des
gisements pétroliers irakiens, exploités par des sociétés
américaines (Exxon…), britanniques (BP, Shell), russes (Lukoil…),
italiennes (ENI), françaises (Total) et chinoises (PetroChina…),
se trouve dans le sud, en région chiite, où ISIS et ses alliés
sunnites n’ont guère de chances de pénétrer. Mais une partie non
négligeable est situé dans la région du nord autour de Mossoul,
que les nationalistes Kurdes revendiquent depuis longtemps vis-à-vis
de Bagdad ; agrandissant de près de 40% leur territoire, ils
l’ont en partie occupée en profitant de la débâcle de l’armée
irakienne et ils veulent maintenant la défendre contre les
bourgeois sunnites ralliés à ISIS. Par ailleurs le gouvernement
autonome du Kurdistan avait récemment décidé, contre l’avis de
Bagdad, d’accorder des concessions aux grandes firmes pétrolières
occidentales, notamment aux « majors » américaines Exxon
et Chevron et à la française Total. En livrant des armes aux
combattants kurdes (appuyant de facto l’indépendantisme kurde)
(1), les Américains et les Français protègent les intérêts de
leurs grandes sociétés pétrolières ! (2)
D’autre
part, ni les grands impérialismes ni les Etats de la région, ne
voient d’un bon œil la remise en cause des frontières issues de
la colonisation et du partage impérialiste du monde, par un groupe
« incontrôlé » comme ISIS, qui a repris la vieille
chimère du nationalisme arabe version Baath d’une union entre la
Syrie et l’Irak, en la repeignant aux couleurs de l’Islam
radical.
Recompositions
en cours au Moyen-Orient
L’accord
conclu l’été dernier sous l’égide de la Russie pour
l’élimination des armes chimiques du régime syrien avait marqué
un tournant dans la politique américaine : il signifiait
qu’étant donné son échec à trouver ou mettre sur pied une force
politique fiable parmi les rebelles, la chute du régime El Assad
comportait, pour l’administration Obama, trop de risques pour la
stabilité de l’ordre impérialiste régional.
Les rebelles
syriens sont divisés en multiples groupes armés plus ou moins
autonomes ou plus ou moins regroupés dans des « fronts »
divers, selon les subsides reçus de bourgeois locaux ou des pays
voisins et des impérialistes, certains vivant de rapines,
d’extorsions ou de contrebande. Les pays arabes du Golfe ont au
départ financé les divers groupes les plus islamistes tandis que la
Turquie leur accordait une aide, tout cela sous l’œil de
Washington. Derrière leurs références réactionnaires communes à
la religion et à la loi islamiques, et en s’appuyant sur la haine
suscitée par le sanglant régime de Damas, tous ces groupes ne
défendent en fait que des intérêts bourgeois particuliers et
souvent rivaux ; par exemple ISIS a dû son succès en grande
partie au fait qu’il a réussi à se financer en s’assurant par
divers moyens le contrôle d’une partie de la production et de la
contrebande du pétrole syrien vers la Turquie. Aucun de ces groupes
ne mérite le soutien des prolétaires dont ils sont en réalité les
ennemis tout aussi résolus que l’Etat syrien. Les efforts
continuels (en argent comme en armements) des Américains (appuyés
par les Français, les Britanniques et autres impérialismes) pour
regrouper quelques uns de ces groupes dans une « Armée
Syrienne Libre » à leur botte et pour recruter parmi les
politiciens syriens dans l’immigration une force politique
« islamiste modérée » jouissant d’un minimum de
crédibilité en Syrie, , ont été des échecs répétés. Au point
que la pro-américaine ASL (qui sur le terrain fait figure de
véritable mafia) non seulement a reculé par rapport aux forces du
régime, non seulement a été en butte à la concurrence d’autres
organisations rebelles plus dynamiques, mais pour résister aux
attaques de la nouvelle organisation qui a pris le nom d’ISIS, elle
a passé une alliance avec un puissant groupe islamiste, le Front Al
Nosra, qui se revendique ouvertement d’Al Qaïda, l’ennemi n°1
des Etats-Unis!
Les dizaines
de bombardements des Américains et de leurs alliés en Syrie contre
des positions d’ISIS et aussi d’Al Nosra (3), témoignent que
l’ennemi de l’impérialisme américain en Syrie n’est plus le
régime de Bachar El Assad, pourtant coupable de bien plus de crimes
et des massacres que les Islamistes : nouvelle démonstration
que ce n’est jamais le sort des populations qui détermine l’action
des impérialistes et des bourgeois de tous les pays !
A travers
l’instabilité présente, qui est le fruit tant de la crise
économique que des féroces rivalités inter-bourgeoises, des
réalignements de force sont à l’oeuvre au Moyen-Orient :
l’impérialisme américain esquisse un rapprochement avec l’Iran
qu’il menaçait de bombardements il n’y a pas si longtemps, la
Turquie, après avoir utilisé ISIS (4), se prépare à envahir une
partie de la Syrie pour y établir une « zone-tampon »,
Israël qui refuse toute autodétermination des Palestiniens, se
déclare en faveur de l’indépendance des Kurdes, etc. En raison de
ses ressources en pétrole, mais aussi de sa position géostratégique,
la région est d’importance cruciale pour le capitalisme mondial ;
et tant que subsistera ce dernier elle est condamnée à être le
théâtre de violents heurts d’intérêts débouchant fatalement
sur des guerres, « locales » ou plus générales, dont
les populations sont les victimes. En plus des morts et blessés dans
les combats et les bombardements, des centaines de milliers de
personnes fuyant les affrontements ont dû quitter ces dernières
semaines leur lieu de résidence pour se réfugier en Turquie ou dans
d’autres parties de l’Irak ; ils s’ajoutent aux centaines
de milliers de réfugiés syriens qui ont trouvé un refuge plus que
précaire au Liban, en Jordanie ou ailleurs. Inutile de dire que le
sort tragique de ces réfugiés condamnés à une misère noire ne
tracasse pas les bourgeois…
Seule la
guerre de classe peut s’opposer à la guerre bourgeoise !
Les
gouvernements appellent la population en général et les prolétaires
en particulier à une « union nationale » en soutien à
l’intervention militaire en cours, reprenant presque mot pour mot
les vieux discours utilisés il y a un siècle, lors de la première
guerre mondiale. Chacun sait que ces appels grandiloquents à
l’ « union sacrée » pour défendre la « patrie »
ne servaient qu’à appeler les travailleurs à se sacrifier pour
défendre les sordides intérêts de « leurs »
exploiteurs, de « leur » capitalisme national. Les
révolutionnaires bolcheviks dénoncèrent le mensonge de la
« défense de la patrie » ; appelant au « défaitisme
révolutionnaire », ils reprirent le mot d’ordre du
socialiste allemand Liebknecht : le véritable ennemi des
prolétaires est dans leur patrie, c’est la classe des
capitalistes ; c’est contre eux qu’il faut lutter, c’est
le capitalisme qu’il faut abattre par la révolution.
De ce point
de vue rien n’a changé aujourd’hui. L’ennemi des prolétaires
n’est pas un nébuleux « terrorisme» dont il faudrait se
protéger par des interventions militaires et des guerres (pendant
des années selon le Premier ministre britannique Cameron) sur
d’autres continents et par des mesures répressives ici ;
c’est « leur » propre bourgeoisie, « leur»
propre capitalisme, cent fois plus coupables et criminels que tous
les « djihadistes » réunis. Depuis son apparition, le
capitalisme a mis la planète à feu et à sang, semant la misère et
la destruction pour satisfaire sa soif de profits, provoquant des
morts par dizaines et dizaines de millions dans des guerres, tout en
menant sans interruption une guerre sociale contre ses prolétaires.
Aujourd’hui il leur inflige des politiques d’austérité, il les
jette à la rue et les livre aux brutalités et crimes policiers,
pour tenter de restaurer sa santé économique chancelante ; les
appels à l’union nationale pour la guerre, ne sont que le pendant
des appels à l’union nationale pour la guerre économique. Et si
le prolétariat ne réussit pas à l’arrêter avant, le capitalisme
plongera inévitablement l’humanité dans une troisième guerre
mondiale, encore plus destructrice que les précédentes, pour
surmonter ses contradictions internes qu’il a de plus en plus de
difficultés à contrôler.
Pour
l’arrêter, il n’existe qu’une seule voie, celle indiquée par
le marxisme et par toute l’histoire du mouvement ouvrier : la
voie de la reprise de la lutte de classe, de l’organisation
indépendante de classe, de la constitution du prolétariat en
classe donc en parti (Le Manifeste Communiste) pour
diriger la lutte prolétarienne jusqu’à la victoire de la
révolution communiste internationale et l’instauration du pouvoir
dictatorial du prolétariat, étape nécessaire pour éradiquer le
capitalisme mondial.
C’est
cette voie qu’il faut préparer en commençant par refuser toute
union nationale avec les capitalistes et leur Etat, tout sacrifice
pour les intérêts de l’économie bourgeoise, toute renonciation à
la défense exclusive des intérêts prolétariens, tout appui aux
interventions militaires, toute participation aux campagnes de
mobilisation impérialistes, même et surtout quand elles se
camouflent derrière des alibis « humanitaires ».
A bas la
nouvelle intervention impérialiste au Moyen-Orient !
Non à
l’unité nationale en soutien de l’impérialisme !
Pour la
renaissance de la lutte de classe anticapitaliste !
Pour la
révolution communiste internationale !
Parti
Communiste International
5/10/2014
www.pcint.org
(1) La
politique américaine est jusqu’ici la défense de l’unité
irakienne ; c’est pourquoi ils s’opposent à l’évacuation
du pétrole kurde par un oléoduc turc et à sa vente sur le marché
mondial. Les intérêts turcs sont juste l’inverse.
(2) Les
autorités françaises justifient aussi leur intervention militaire
par le fait que des négociations sur de gros contrats d’armements
sont en cours avec l’Arabie Saoudite. On croit mourir pour la
patrie, on meurt pour les marchands de canon (Anatole France),
disait-on déjà lors de la première guerre mondiale…
(3) Des
groupes rebelles pourtant financés par les Américains ont condamné
publiquement ces attaques. Quant à Al-Nosra, qui accuse ISIS de ne
pas vraiment combattre le régime de Damas et de ne pas suivre avec
suffisamment de rigueur les principes islamistes ( !), il
revendiquait d’être retiré de la liste américaine des
organisations terroristes, c’est-à-dire d’être reconnu par les
Etats-Unis.
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