« Ma
patronne m'a demandé de voter pour Macron, je lui ai dit merde ».
Une caissière de supermarché
« Ce
ne sont pas les ministres qui gouvernent, c'est le capitalisme ».
Jean Jaurès
L'historique
de la Verrerie ouvrière d'Albi se termine par un curieux constat de
triomphe de l'union rêvée, pacifiste et béate du capital et du
travail ; son raisonnement tient plus du délire que d'une
argumentation rationnelle ; c'est la logique réformiste
électorale du parti socialiste (d'époque) appliquée au système
financier : en devenant actionnaires les ouvriers étaient en
route pour subsumer le capital ! Or, le rédacteur, un peu
inconscient de ce très vieil article a passé souvent plus de temps,
par devers lui, à nous montrer ce qui clochait tellement et
contrastait avec le collage du terme socialiste, déjà depuis 1848
une large partie du prolétariat avait compris que la coopération
c'était du bidon, et une belle arnaque, pour ne pas dire la misère
pour les ouvriers qui adhérèrent à cette idéologie plus propre au
passé anarchiste anti-centralisateur et villageois. L'expérience
coopérative, dans sa mise en route, lors de ses premiers pas s'avère
une grosse arnaque intégrable par le capitalisme et dissolution
lamentable du projet socialiste/communiste. Sauf si l'on prend pour
imitation quelques expériences autogestionnaires dans la Russie de
1917 et dans l'Espagne de 1936, qui ont toutes révélées l'inanité
de la théorie étroite et mercantile de l'autogestion anarchiste
localiste, aussi apolitique – mais finalement récupérées comme à
Albi, par l'Etat, qu'il nationalise ou favorise un partenariat
d'actionnaires ouvriers. Notre rédacteur enthousiaste se base enfin
sur Waldeck-Rousseau, un libéral intelligent qui a oeuvré
intelligemment pour la bourgeoisie en légalisant les syndicats...
c'est comme si moi je comptais sur Macron pour favoriser la
dictature du prolétariat. S'ils rechignent au début, les syndicats,
encore vraiment plutôt partie intégrante du mouvement ouvrier, il
n'est guère étonnant déjà qu'ils succombent au charme vénéneux
de la coopération... des classes. Les coopératives n'ont servi qu'à
subsumer les supermarchés modernes et les syndicats actuels à
subsumer la paix sociale et le maintien de la misère. Jaurès fait
pitié lorsqu'il présente les syndicalistes comme l'élite ouvrière,
ce sont déjà de fieffés arrivistes, et des fainéants, qui
finissent souvent patrons de café ou directeur d'usine « autogérée »
comme la verrerie d'Albi - mais par des administrateurs syndicaux, et
encore « prolétaires » » comme le dit si bien le
juge cité en cours de route, mais pour mieux les faire passer pour
des amis du prolétariat. Cette histoire de gestion par les ouvriers
eux-mêmes est un long mensonge déconcertant qui peut aligner sur
la même place d'infamie bonimenteurs anarchistes, staliniens et trotskistes, qui
tous à leurs époques nous ont enfumé avec pour projet le "contrôle ouvrier" des entreprises
par... les syndicalistes. Drôle de socialisme que celui qui imagine
la vie économique gérée par des militants syndicaux gauchistes ou pas,
heureusement la description des licenciements opérés dès la
construction de la coopérative verrière cathare, nous prémunit contre
toute illusion sur la confiance en des délégués « élus »
du syndicat ou même «élus » des AG ; la notion d'élu
devra d'ailleurs sauter tôt ou tard.
La
coopérative d'Albi on s'en fiche complètement avec les drames du
début du XX e siècle, l'affaire Dreyfus qui va préparer l'Union
sacrée, la guerre mondiale et les bouleversements révolutionnaires
en Russie rendent dérisoire le souvenir d'une micro arnaque
socialiste locale et réformiste. La petite entreprise a subsisté
jusqu'aux années 1980 sous l'aile du très capitaliste trust Saint
Gobain, et passe en ce moment sous le derrière d'un fonds de pension
américain.
Relire
l'expérience malheureuse des ouvriers albigeois à la fin du 19e
siècle, pris dans l'étau de l'impossibilité de recommencer une
expérience aussi sanglante que celle de la Commune et laisser la
bourgeoisie gouverner, nous intéresse cependant toujours par contre, parce
qu'elle confirme la pourriture du mythe de la coopération
capital-travail. Les ouvriers propriétaires de leur exploitation,
quelle fable grimaçante, mais moins drôle que celle d'ouvriers
actionnaires d'un syndicat-patron, pré-stalinien ! Un dicton prolétarien disait depuis toujours:"les patrons ont besoin des ouvriers mais les ouvriers n'ont pas besoin des patrons". Oui mais à condition de ne pas se placer sur le terrain économico-capitaliste des managers, mais à condition de poser la transformation de la société par une révolution politique et sociale. Cette dernière alternative avait été le choix général et dominant après la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, les prolétaires de telle entreprise en faillite ou lâchement abandonnée ne prétendent plus ni autogérer ni espérer une nationalisation, ils attendent un "repreneur"...
C'est
en Italie vingt ans plus tard que, non seulement les syndicats
confirment comme partout ailleurs qu'ils sont devenus des instruments
du capital, mais que même s'ils se déguisent sous le nom de
« conseil d'usine » - dans la théorie de Gramsci – et
qu'ils confirment leur vocation localiste à « avoir du pouvoir
dans l'usine », c'est qu'ils n'ont pas vocation à renverser
l'Etat bourgeois. A une échelle plus large et plus violente que
l'expérience d'Albi, l'occupation des usines dans le Nord de
l'Italie en 1920 a brièvement fait croire à nouveau que c'était le
but que devaient se fixer les prolétaires : gérer leur usine
et non pas se battre au plan politique pour à terme renverser
l'Etat. Philippe Bourrinet nous résume bien l'enjeu à travers la
polémique Gramsci/Bordiga.
« L'ambiguïté
dans la confrontation Gramsci/Bordiga tenait dans la définition même
du terme de «conseil d'usine». Il pouvait être autant défini
comme un organe de gestion que comme un comité de lutte spontané et
illégal. Et Gramsci de souligner la supériorité de ce qu'il
appelle « conseil d'usine », à la différence des
syndicats toujours liés à la légalité bourgeoise : « Du
fait de sa spontanéité révolutionnaire, le conseil tend à
déchaîner à tout moment la guerre de classe (…) Le syndicat, en
tant que responsable solidaire de la légalité, tend à
universaliser et à perpétuer cette légalité ». Dans sa
confrontation avec Gramsci, Bordiga soulignait l'impuissance d'un
conseil d'usine, directement lié à l'entreprise : « Quand
le conseil sort de la légalité, le patron, au moyen des gardes
royaux le fait (…) sortir de l'usine et alors les ouvriers viennent
au syndicat, à la Bourse du travail ». Au cours de
l'occupation des usines du Piémont à la Lombardie, en septembre
1920, les conseils constitués, surtout à Turin, ne quittent jamais
les postes de travail pour gagner la rue. Avec l'aide des quelques
ouvriers restés « à leur poste », ils organisent la
production de manière autonome. Ce qu'ils font avec une grande
fierté. Pendant un bref laps de temps, l'idéal gramscien
productiviste semble se réaliser. Le syndicat qui « organise
les ouvriers non comme producteurs, mais comme salariés »,
sort de la scène. L'objection faite par Gramsci à Tasca, à savoir
que le conseil « tend, dans ses formes supérieures, à
traduire la configuration prolétarienne de l'appareil de production
et d'échange créé par le capitalisme aux fins du profit »,
semble « validée ». Les ouvriers prouvent qu'ils peuvent
produire dans les « règles de l'art », poussés par
l'amour du « travail bien fait », sans surveillance des
contremaîtres et poussés par une discipline « librement
consentie ». Bons soldats de la production, les ouvriers ne
s'approprient même pas la survaleur (plus-value) puisque, au terme
des occupations, après avoir vainement tenté de vendre leur
production, ils la remettent au patron. L'occupation des usines en
Italie du Nord fut l'acmé du mouvement prolétarien en Italie, son
sommet et le début de son déclin (…) Lorsque, au cours de l'été
1920, les demandes répétées d'augmentations salariales sont
rejetées par les industriels, le syndicat des métallos (et non le
conseil d'usine!) décida, en représailles, de saboter la production
et d'occuper l'usine en réponse à un violent lock-out patronal
(…) Avec l'évacuation des usines par les ouvriers, l'enthousiasme
« spontanéiste » de Gramsci se dégonfla comme une
baudruche. Comme n'avait cessé de le répéter Bordiga, l'heure
était venue non d'occuper les usines et de se laisser occuper par
leur gestion, mais de former des partis communistes, en vue de mettre
fin à l'exploitation capitaliste » 1.
SUITE
...
Les
députés socialistes font leur entrée au milieu d'un vacarme
effroyable. Applaudissements, sifflets et cornets à bouquin font une
terrible cacophonie ; des rixes s'engagent.
M.Pelletan
préside, assisté de M.Millerand.
- « Citoyens..., » commence M.Jaurès, mais le tumulte l'empêche de continuer.On crie « Conspuez Jaurès ! » et « Démission ! ».
M.Millerand
s'adresse au commissaire de police M.Orsini : « Le bureau
vous fait l'honneur de vous demander, lui dit-il ». -
« Monsieur, répond le commissaire, je vous fais l'honneur de
vous dire que je connais mon devoir ».
M.Pelletan
s'écrie à son tour : « Faites donc expulser les dix
siffleurs qui sont là ».
- « De quel droit me parlez-vous ainsi ? Répond M.Orsini. »La bagarre devient générale.« Puisque vous êtes impuissants, reprend le commissaire, à maintenir l'ordre dans la salle, je déclare la réunion dissoute ».Les gendarmes envahissent la salle. Un gendarme y pénètre même à cheval. Un député, M.Chauvin, est arrêté.
* * *
Le
soir M.Jaurès prit la parole à l'hôtel Boyer :
« Nos
adversaires, s'écrie-t-il, prétendent que j'ai perdu votre
confiance. Pourquoi donc s'opiniâtrent-ils à empêcher une réunion
où pourrait se vérifier leur calomnie ? Si je vous ai trahis,
si je n'ai annoncé que des ruines, moi qui ai fait tout ce que j'ai
pu pour vous, ils avaient beau jeu pour m'accabler. Ils pouvaient
venir se dresser devant moi, et m'accuser ! Ils n'ont point osé,
parce qu'ils savaient qu'il sortirait alors de ma bouche une parole
vengeresse, et de la vôtre une parole de confiance.
« Mais
je n'avais pas besoin de cette parole. Elle était écrite d'avance
dans ma conscience, dans la conscience de ce que j'ai fait pour la
mériter. Depuis trois années, vous le savez, je n'ai pas réservé
un jour, pas une heure pour ma satisfaction personnelle. Je vous ai
donné tout mon temps, tout mon cœur, et ma vie tout entière.
« Aussi,
je n'avais pas besoin d'une formule de confiance de votre part. Votre
confiance, je l'ai sentie dans vos serrements de main, je l'ai lue
dans vos regards, je l'ai entendue dans vos acclamations. Et nos
ennemis auront beau disperser nos réunions, ils auront beau lâcher
contre nous une poignée de pauvres ouvriers domestiqués, corrompus
ou égarés, ils ne dissoudront pas du moins la communion des
sentiments qui nous lie ensemble : nous n'avons qu'une pensée,
qu'un cœur, qu'une volonté, et il n'y a pas de police qui puisse
dissoudre cette réunion-là ! »
M.Jaurès
explique ensuite le plan « conçu visiblement par
l'opportunisme capitaliste ». S'il s'acharne sur Carmaux,
c'est parce que sa population limitée à trois ou quatre mille
hommes, lui offre plus de facilités que les grands centres
socialistes. C'est aussi parce qu'il est représenté à Carmaux
par deux complices puissants, le grand mineur Reille et le grand
verrier Rességuier. Le premier, qui s'avouait monarchiste, et le
second, qui se prétend républicain, se sont dit qu'il leur
fallait s'unir contre le péril commun ; l'un s'est rapproché
de la République, l'autre s'est rapproché encore de la réaction.
A la même heure, partout le même rapprochement s'est opéré,
partout les deux éléments autrefois distincts se sont confondus
pour livrer la même bataille.
« Et
vous le voyez ici, poursuit l'orateur, chercher à multiplier les
procès, les renvois. Ils voudraient vous effrayer, briser vos
courages, par la crainte du chômage, de la misère, de la faim. Mais
ils ne réussiront pas, car toute la France ouvrière vous
soutiendra, et puis, vous serez aussi avisés qu'ils seront violents.
Quel enseignement ! Ces hommes si riches et si puissants, qui
peuvent faire manquer de pain vos femmes et vos enfants, ne peuvent
contraindre ces mêmes prolétaires dont ils disposent, à partager
leurs opinions. Et voilà bien pour eux la pire défaite !
« J'y
pensais tout à l'heure en voyant une poignée d'ouvriers injurier
d'autres ouvriers comme eux, leurs camarades et leurs frères. Il y
avait, sans doute, parmi ces insulteurs des hommes qui, jadis, avant
d'être vaincus par la misère, s'avouaient des nôtres. Quel mérite
a le patronat dans ce recrutement apparent et mensonger, et combien
de temps pourra-t-il compter sur de telles adhésions ? Où les
trouvera-t-il demain ? Mais toi,, Rességuier, qui as brisé ton
syndicat pour ne rencontre aucune volonté en obstacle à la tienne,
toi qui a demandé à tes renégats de nous siffler pour toi, c'est
toi, maintenant, qui es leur débiter, c'est toi qui as besoin
d'eux !
« Et
quand tu voudras désormais les commander, qui te dit que ton ouvrier
ne relèvera pas la tête pour te répondre : « J'ai
sifflé pour toi, il faut maintenant que tu paies pour moi ! »
« Oui,
la classe capitaliste est condamnée à disparaître ou à succomber.
Car, de deux choses l'une : ou elle laissera au peuple toute
liberté, et il s'en servira pour instituer pacifiquement un ordre
social nouveau ; ou elle essaiera de grouper autour d'elle, par
la menace, par la peur, par la famine, quelques légions d'esclaves,
et les légions d'esclaves se transforment fatalement en des légions
de révoltés !
« C'est
par elle-même que le peuple apprend tous les jours quel est le
problème à résoudre. Jusqu'ici, il a cru qu'il suffisait de
changer le nom de son gouvernement, de découronner des rois, et
voici qu'il s'est aperçu qu'en changeant les titres, il n'a pas
changé la réalité du gouvernement.
« En
effet, ce ne sont pas les ministres qui gouvernent, c'est le
capitalisme. Ici, c'est Reille, c'est Rességuier ; ailleurs,
c'est Schneider ; ailleurs, un autre. Les gouvernements qui
passent ne font qu'exécuter la volonté des véritables maîtres qui
demeurent, de ceux qui possèdent la propriété et le capital. ».
- - Les dissidents.
Pour les fêtes d'inauguration de la verrerie, des
anarchistes albigeois avaient prié M. Fernand Pelloutier, secrétaire
général de la Fédération des Bourses du Travail, de parler au
meeting.
Grand émoi au syndicat des Verriers : une réunion
spéciale fut tenue par les administrateurs de la Verrerie et la
commission de la fête. M.Pelloutier était anarchiste !
Devait-on aussi inviter Jean Grave, qui avait envoyé des subsides
pendant la grève ? Devait-on laisser parler Pelloutier, qui
faisait partie du comité d'organisation de Paris ? Voilà des
questions bien embarrassantes pour des révolutionnaires devenus
organisateurs, pour des grévistes devenus administrateurs ! La
première réunion n'eut pas de résultats ; une seconde réunion
tenue le lendemain, donna gain de cause aux « partisans de
l'ordre ».
Ce qui n'empêcha pas les anarchistes de venir à Albi
et de se renseigner auprès des mécontents. Et ceux-ci leur dirent
que le « citoyen Baudot gouvernait » à sa guise le
chantier de la verrerie et y édictait les règlements les plus
tyranniques 2.
Pour y travailler, on était obligé d'être membre du Syndicat et de
faire de la « politique socialiste » ; c'est à dire
d'accepter les contributions pécuniaires que pouvait voter le
Syndicat, pour les campagnes électorales.
Les administrateurs du syndicat se seraient laissé
imposer, pour le logement du personnel administratif, une
contribution qui coûterait 65.000 francs3
et sur laquelle il fallait verser des avances, alors qu'ils
ignoraient si le Comité pouvait recueillir assez d'argent, pour que
la fabrication pût commencer en novembre. Le règlement du chantier,
élaboré M.Baudot était applicable à tous, disait-on, sauf à
lui. Enfin les verriers auraient ignoré complètement les statuts de
la société et les actes du Comité d'action, et à toute demande
d'explication il leur était répondu : « L'intérêt
de la verrerie exige le silence ! ».
De retour à Paris, M.Pelloutier saisit le Comité de la
question. Le Comité trouva excessif le règlement du chantier, et
vota les deux résolutions suivantes, la première pour être ajoutée
aux statuts, la seconde pour être notifiée aux administrateurs :
« 1e Aucun employé ou ouvrier de la verrerie ne pourra être
congédié à raison de ses opinions politiques ; 2e le Comité
émet le vœu que les fonctionnaires et le personnel de la verrerie
ouvrières n'oublient jamais les principes de communauté, de
solidarité et de liberté politique, qui doivent animer des
socialistes. »
M.Pelloutier devenait gênant ; certains ouvriers
anarchistes de la verrerie, encouragés par lui, se montraient
arrogants vis à vis du Conseil d'administration. M. Hamelin, membre
du Comité d'action de Paris et en même temps administrateur de la
verrerie, écrivait au syndicat des verriers d'Albi :
« Surveillez les anarchistes de la verrerie ouvrière ;
nous nous chargeons du Comité d'action... ».
Le Conseil d'administration réunit aussitôt le
syndicat (8 et 9 décembre) et fit voter par 40 voix contre 264
la mise à pied de quatre ouvriers (article 6 du règlement) :
MM.Léon Valette, Etienne Guegnot, Guéritat et Victor Sirven. Cette
mise à pied était limitée à une période de huit jours.
Le lendemain les ouvriers sommés de quitter le chantier
refusèrent de s'incliner devant cette injonction et firent signer
par quarante neuf de leurs camarades une protestation.
Le syndicat se réunit de nouveau le 12 décembre. Le
renvoi des récalcitrants fut voté par appel nominal, et non
au bulletin secret, ainsi que le voulait le règlement.
« Réfléchissez bien, dit M.Baudot avant le vote,
car nous reconnaîtrons ceux qui, en votant le renvoi, veulent la
prospérité de la verrerie, et ceux qui, en votant contre, veulent
sa chute ».
Il y eût 117 voix pour le renvoi, 21 contre et 16
abstentions. 60 ouvriers quittèrent la salle au moment du vote et
refusèrent d'y prendre part.
Les renvoyés adressèrent alors la lettre suivante au
Libertaire.
Albi, le 14 décembre 1896.
Camarades,
On vient de nous frapper quatre
de renvoi pour avoir, prétend-on, violé le règlement intérieur de
l'usine. Nous vous rappelons, en passant, camarades, que c'est
également au sujet de règlement intéreur de la verrerie Rességuier
qu'a éclaté la fameuse grève de Carmaux. En effet, Baudot fut
frappé par Rességuier pour avoir manqué plusieurs jours sans
autorisation. Ce fut le prétexte dont on se servit contre lui. Eh
bien ! Aujourd'hui, ce même Baudot et ses collègues,
administrateurs de la verrerie ouvrière, se servent du même motif
pour nous frapper, quatre d'abord ; d'autres suivront sans
doute.
Nous allons maintenant vous dire
pourquoi et comment nous tombons sous le coup du règlement intérieur
de l'usine.
Pour avoir demandé des comptes
sur la gestion de l'usine, le camarade Guegnot (Etienne) s'est vu
frappé d'une mise à pied de huit jours.
Pour avoir dit que le conseil
d'administration coûtait trop cher (soixante-cinq mille francs), et
que l'on aurait pu dépenser moins pour cela, et d'ajouter l'argent
pour mettre les fours en activité, le camarade Valette (Léon) :
huit jours de mise à pied.
Pour avoir déclaré que le
règlement était applicable à tous et que, quand Baudot arrivait en
retard, on ne lui faisait pas d'observation, tandis qu'à d'autres,
pour dix minutes de retard, on leur mettait une heure en bas, le
camarade Sirven (Victor) : huit jours de mise à pied.
Pour avoir exprimé l'opinion
qu'on voulait inféoder la verrerie ouvrière à un parti politique
et que le syndicat, en tant que syndicat, s'ingérait trop dans la
direction de l'usine, le camarade Guéritat (père de cinq enfants) :
mise à pied de 8 jours.
Guéritat et Guegnot, n'ayant
pas tenu compte de cette décision et ayant continué leur travail
(quel crime!), cette circonstance a amené le renvoi immédiat de ces
deux ouvriers.
Quant à Sirven et Valette qui,
indisposés, ne s'étaient pas présentés sur le chantier, il fut,
en même temps, décidé que s'ils ne se conformaient pas à la
mesure prise contre eux, ils subiraient le même sort ; or, ce
matin, s'étant présentés pour travailler, on leur signifia leur
renvoi et qu'ils ne faisaient plus partie de l'usine.
VALETTE (Léon), avenue de Carmaux à Albi, GUEGNOT
(Etienne), rue Castelnaux à Albi, GUERITAT, rue de Carmaux, 84, à
Albi, SIRVEN (Victor)
Les dissidents réussirent à intéresser à leur cause
les bureaux de la plupart des syndicats ouvriers d'Albi : les
chapeliers, les diverses sections du bâtiment ainsi que le cercle
socialiste. Une démarche fut faite, mais inutilement, auprès de
l'administration de la verrerie, et voici l'ordre du jour voté par
les syndicats, dont quelques considérants valent d'être cités :
Considérant que la décision du Conseil
d'administration de la Verrerie ouvrière, frappant quatre
travailleurs de cette verrerie, est une vraie condamnation à mort
pour les citoyens Guérita,Guégnot, Valette et Sirven ; que
cette condamnation a été demandée et appliquée par celui et ceux
pour lesquels, à l'ombre d'un principe, ces camarades ont tant
souffert ;
Considérant qu'il ne serait pas humain de ne tenir
aucun compte des souffrances endurées par tous les verriers d'Albi ;
que, de plus, parmi ces quatre camarades, il s'en trouve un, père de
cinq enfants en bas âge ;
Il est indispensable, au point de vue socialiste, comme
au point de vue humanitaire, de savoir quelquefois s'agiter au sein
des groupements ;
L'assemblée demande à l'administration de la verrerie
de bien vouloir réintégrer purement et simplement les quatre
ouvriers Guéritat, Guegnot, Valette et Sirven.
* * *
L'assemblée générale des actionnaires de la Verrerie
votait elle-même un ordre du jour de clémence en faveur des quatre
expulsés.
« L'Assemblée générale des actionnaires de la
Verrerie ouvrière, dans sa séance du 16 janvier 1897, délibère :
« A l'occasion de la reprise du travail des
anciens affamés de Rességuier, dans une usine construite par le
Prolétariat tout entier, il ne doit plus y avoir aucune trace des
divisions passées, et tous ceux qui ont lutté contre cet exploiteur
doivent trouver place à l'atelier social.
Néanmoins, l'assemblée reconnaît qu'on ne peut
arriver à aucun résultat s'il n'y a pas d'organisation et de
discipline dans une œuvre commune.
En conséquence, elle déclare que les citoyens
Guéritat, Guegnot, Sirven et Léon Valette reprendront leur place au
travail au milieu de leurs camarades, aussitôt qu'ils auront pris
l'engagement, en assemblée générale, du personnel de l'usine :
1° De faire leur devoir comme tous les autres
travailleurs de la Verrerie ouvrière ;
2° De reconnaître le Conseil d'administration
régulièrement nominé d'après les statuts ;
3° De se soumettre aux règlements qui seront élaborés
et votés en assemblée générale du personnel de l'usine.
* * *
Enfin, contre leurs anciens camarades, les quatre
renvoyés faisaient appel aux tribunaux. Et le juge de paix d'Albi
leur donna raison, par un jugement très discuté, condamnant le
président du Conseil d'administration de la verrerie à payer à
chacun des intéressés la somme de cinq cent francs, à titre de
dommages-intérêts.
Notons les étranges considérants de ce jugement :
« Attendu que nous ne devons pas perdre de vue la
position des parties les unes vis à vis des autres ;
Attendu que nous ne devons pas oublier qu'avant d'être
choisis comme administrateurs, les administrateurs étaient ouvriers
comme les autres ; qu'aujourd'hui administrateurs, ils
redeviendront ouvriers demain, et qu'ils partagent, en tout et pour
tout, les sentiments de leurs camarades ;
Attendu que, dans la situation particulière dans
laquelle on se trouve, nous ne devons pas oublier que
l'administrateur n'est pas autre chose qu'un ouvrier, qui n'est,
comme on veut bien l'appeler, que le « copain » des
autres ouvriers ; qu'il a partagé les mêmes illusions que ces
derniers pouvaient avoir ; qu'ils se sont bercés du même
espoir, en un mot qu'ils ont été pendant tout le temps de la grève
ouvriers grévistes ensemble, exigeant les mêmes revendications ;
que, par voie de suite, et malgré les changements survenus, ils
croient à tort ou à raison avoir conservé les mêmes relations ;
Attendu, en conséquence, que l'administrateur ne peut
pas exiger de son camarade et de son copain plus de déférence,
puisqu'ils sont censés se trouver sur le même pied, que l'un et
l'autre sont toujours ouvriers ;
Attendu que si nous étions en présence d'un patron
ordinaire, nous nous trouverions dans une assez grande perplexité ;
j'aurais à réfléchir et j'hésiterais grandement ; a priori,
je ne crains pas de le dire, mon avis serait même qu'il faut pencher
la balance du côté de l'administrateur et rejeter purement et
simplement cette demande de dommages comme n'étant nullement
justifiée ; mais aujourd'hui il ne saurait en être ainsi... ».
- - Période de crise : 1896-1897-1898
Le 11 juillet 1896, avait lieu l'assemblée des
actionnaires de la Verrerie ouvrière.
Afin de réunir la somme nécessaire à l'entreprise, il
avait été émis, pour une somme de 500.000 francs, des tickets de
souscription à 20 centimes, donnant droit à l'entrée gratuite aux
conférences organisées par les orateurs du parti socialiste et au
tirage d'une tombola d'ailleurs non autorisée.
(…) A la fin de l'année 1896, les difficultés
étaient toujours pressantes, l'argent rentrait lentement et se
trouvait dépensé d'avance. En décembre, l'usine était achevée,
et l'on pût commencer la fabrication, si le manque de fonds n'avait
encore paralysé les efforts des verriers.
Le Conseil d'administration décida alors de négocier
un emprunt auprès du Sous-Comptoir des entrepreneurs. Le notaire de
la verrerie, M. Frézouls, se rendit à Paris pour toucher les fonds
de l'emprunt consenti par le Sous-Comptoir ; mais on lui objecta
que le Conseil d'administration n'était nommé d'après les statuts
que pour six mois, et que, personne n'étant plus responsable,
l'établissement financier refusait de réaliser l'emprunt. (…)
L'assemblée à lieu : elle réunit quatre mille membres,
presque tous hostiles. Plus de cinq cent femmes sont venues pour
voter contre l'emprunt. Les orateurs hostiles à l'emprunt sont
acclamés et ceux qui sont favorables sont obligés de quitter la
tribune sous les huées.
Cependant M. Hamelin affronte la tempête. Il fait le
récit de la lutte entreprise par les verriers et par le prolétariat
entier. (…) La partie était gagnée et la verrerie sauvée du
désastre immédiat. (…) Les verriers se réjouissaient trop tôt.
Leur dur temps d'épreuve n'avait pas encore pris fin. (…)
Le 13 mai 1897, M.Jaurès disait, dans une conférence à
Toulouse :
« Où en est donc la Verrerie ?
La situation est bonne au point de vue industriel et
commercial ; d'abord parce que le capital étant presque en
entier la propriété du prolétariat, pas n'est besoin de fournir
des dividendes, qui pèsent sur les industries concurrentes. En
second lieu, Rességuier, en chassant les militants, a chassé
l'élite de ses producteurs. Au point de vue de la vente, la
situation est bonne également : la clientèle d'un
établissement nouveau ne se crée pas en un jour, et la Verrerie a
débuté à l'époque où les marchés sont connus. Pourtant voici
déjà pour la vente, des chiffres exacts, accusant les progrès
accomplis (…)
Mais où est la cause des difficultés, où se trouve la
cause des souffrances subies par ces braves verriers ? Au début,
la verrerie n'avait pas de capital de roulement : le prolétariat
avait versé 250.000 francs pendant la grève, il lui était
difficile de faire de nouveaux sacrifices immédiats (…) Eh bien,
le moment est venu de mettre un terme à cette situation difficile.
Les organisations ouvrières de Paris ont décidé, pour le capital
de roulement, d'émettre 100.000 francs d'obligations, par 20.000
obligations de 5 francs chacune. Dès maintenant, il est certain que
plus de la moitié des obligations vont être prises par les
organisations ouvrières de Paris, et que les autres le seront dans
la région. La Verrerie sera ainsi munie de son outillage complet ».
* * *
En réalité la situation des verriers était des plus
misérables. (…) Un pasteur d'Albi, M.Jolibois, écrivait à son
tour qu'après avoir longtemps hésité, il était de son devoir de
« crier famine et de demander du secours » pour les
verriers. Il signalait des « hommes jeunes, ne demandant qu'à
travailler, réduits à toutes sortes d'expédients pour se procurer
quelque menue monnaie, destinée à faire vivre, ou plutôt à
empêcher de mourir de faim leurs nombreuses familles ». (…)
M.Jaurès était lui-même forcé de reconnaître que la
situation n'était pas réjouissante. Il paraissait même désespérer
dans un article intitulé « Cloche d'alarme », publié
par la Dépêche de Toulouse. « J'ai hâte, disait-il, de
sonner de nouveau la cloche d'alarme pour la Verrerie ouvrière. Je
l'ai déjà dit ici. Elle traverse une crise redoutable, la plus
redoutable qu'elle ait encore traversée. C'est péniblement que le
prolétariat, épuisé par les grèves, par les dépenses
électorales, a pu réunir les capitaux nécessaires à la
construction de la Verrerie. Il lui a manqué , dès la première
heure, un fonds de roulement. Et ainsi, en attendant que les
bouteilles fabriquées soient vendues et payées, les ouvriers
verriers sont condamnés à traverser une période terrible. Ils
travaillent sans salaire, et je ne sais s'ils pourront supporter
longtemps la situation qu'ils soutiennent avec héroïsme. Le
prolétariat laissera-t-il ainsi sombrer cette grande œuvre ?
Permettra-t-il au capital qui lui la guette de s'en emparer et de
triompher isolément d'un désastre ouvrier ?
(…) A la suite de l'assemblée générale du 18
décembre 1897, quarante-cinq ouvriers verriers avaient abandonné la
verrerie, et lui avaient intenté un procès réclamant leur part
contributive dans les 44.000 francs du fonds de grève, qui avait été
versé à la caisse de l'usine.
Cet exode laissa un peu plus de travail aux ouvriers,
trop nombreux pour les deux fours en fonctionnement.
Les quarante-cinq ouvriers qui faisaient ce procès à
la verrerie ouvrière, s'employèrent dans les verreries de Carmaux,
Montluçon, Rive-de-Gier, Masnières et Frais-Marais (Nord),
Bordeaux, Vals-la-Bégude (Ardèche) et Saint-Etienne. Ils basèrent
leur réclamation sur les considérants suivants :
« Attendu que les assignés (Charpentier,
trésorier de la grève et directeur de l'usine, Bruyas,
trésorier-adjoint de la grève et Bernard, président du Conseil
d'administration de la Verrerie) de concert entre eux, et sans
l'assentiment des grévistes intéressés, ont détourné de leur
véritable destination la majeure partie des fonds reçus et l'ont
employée notamment à la constitution de la société anonyme de la
Verrerie ouvrière d'Albi, au capital de 500.000 francs, divisé en
5000 actions de 100 francs. (…)
- - La réussite (1899) – Conclusion.
Cependant la situation s'améliorait de jour en jour et
l'année 1899 ouvrait la liste des années heureuses. (…)
Les salaires étaient portés simplement pour mémoire,
chaque ouvrier ayant fait don à la verrerie d'une partie de ses
salaires abandonnés, dans les moments de crise, et n'ayant conservé
aucun recours contre l'administration de l'usine, pour éviter à
celle-ci de ruineux procès. Il était cependant convenu que les
premiers bénéfices réalisés devaient servir à solder cette dette
d'honneur. Au 31 décembre 1899, il était dû de ce chef 43.124
francs aux ouvriers. (…)
Nous avons longuement insisté sur cet essai nouveau de
coopération, parce que l'exemple ainsi indiqué n'a pas tardé à
être imité. Les syndicats, qui s'étaient montrés jusqu'ici le
plus rebelles à l'idée de la coopération, se sont lancés avec
entrain dans la voie qui leur était indiquée par cete exemple.
C'est la Bourse du Travail de Paris, qui fonde une
société à capital variable sous le nom de Société des
ouvrier, dont le but est d'arriver pratiquement à la
socialisation des moyens de production. Des ouvriers capitalistes !
Allons donc ? C'est ainsi cependant. Leur Société, organisée
conformément à la loi, est constituée au capital de 1000 francs,
divisé en cinquante parts de 20 francs, libérables par quart.
D'ailleurs le nombre des associés et l'importance du capital sont
extensibles à l'infini.
« A l'heure actuelle, disait M. Baumé, secrétaire
de l'Union de syndicats de la Seine, l'ouvrier n'a pour se défendre
contre le capitaliste qu'une arme : la grève, qui est un moyen
d'action insuffisant. Nous avons résolu d'en employer un autre qui
consiste à porter la lutte contre le capitalisme, chez le
capitaliste lui-même.
« Nous invitons les travailleurs à placer dans
notre société leurs économies, au lieu de les déposer à la
Caisse d'Epargne. Ces fonds, accumulés, seront employés à l'achat
d'actions de vastes entreprises industrielles (mines, établissements
métallurgiques, industries diverses) dont les ouvriers font la
prospérité. La Société des ouvriers deviendra aisni
copropriétaire des ces entreprises ; ce qui lui permettra de
concourir sûrement à l'amélioration du sort des ouvriers, dont
elle sera mandataire.
* * *
C'est chez les employés des omnibus que la coopération
exerce également son influence. Le syndicat s'efforce de créer une
société coopérative pour l'exploitation des ligne sde pénétration.
Déjà les capitaux sont trouvés. Il ne s'agit plus que d'obtenir
les concessions.
En 1919, expire le monopole de la Compagnie des omnibus,
et depuis quatre ans pas une concession ne lui a été accordée,
pendant que plus de trente lignes de pénétration ont été
concédées à son exclusion. Les employés espèrent pouvoir obtenir
quelques-unes des nouvelles concessions, montrer par leur
exploitation ce dont ils sont capables, et recueillir, en 1910, la
succession de la Compagnie des omnibus elle-même. (…) Après
trente ans, la Société financière serait dépossédée de tous ses
droits de propriété, qui reviendraient alors à la coopérative.
Mais même au cas impossible où, les intérêts n'ayant pas été
versés, la Société financière se substituerait à elle, cette
société devrait continuer les conditions de salaires fixées par
les ouvriers et verser l'excédent de ses bénéfices dans la caisse
du syndicat ouvrier.
Et le représentant de la Société financière disait à
une assemblée des employés d'omnibus : « On verra
l'application de cette heureuse formule de M. Waldeck-Rousseau :
« Il faut que le capital travaille et que le travail
possède ! »
* * *
Enfin les ouvriers du gaz songent, eux aussi, à devenir
propriétaires de leur exploitation par la coopération. Il leur faut
deux millions d'abord, dot le dixième à verser est de deux cent
mille francs. ( …) A la réunion où fut discuté le sujet, M.
Claverie, secrétaire du Syndicat, terminait l'exposé de son projet
par ces mots : « Voulez-vous, oui ou non, de votre
émancipation pour 25 fr. ? ».
Et il essayait de calmer les appréhensions de ses
camarades épouvantés en songeant à la lourde responsabilité
qu'ils allaient assumer :
Que risque—t-on ? Rien.
Si la combinaison n'est pas agréée par la ville, on
aura fait 25b francs d'économie, puisque les fonds seront
intégralement remboursés, et voilà tout !
* * *
Ainsi le succès de la vaste entreprise de la verrerie
d'Albi donnait aux ouvriers syndiqués l'idée de se lancer dans la
coopération. D'ailleurs le projet de M. Waldeck-Rousseau, qui amende
la loi de 1884, est orienté dans cette nouvelle direction.
Après la destinée malheureuse des sociétés
coopératives de 1848, la masse ouvrière s'était écartée de la
coopération, dont elle n'avait vu que les dangers, sans s'apercevoir
que la coopération n'est dangereuse que si elle n'est pas établie
sur la discipline de l'atelier et sur la force du capital. Le succès
d'Albi modifia ces opinions des ouvriers, et les voilà devenus des
apôtres de la coopération, dont ils avaient tant médit. Les chefs
socialistes eux-mêmes sont devenus de fervents coopérateurs !
La construction de la verrerie d'Albi marque donc une
étape dans la tactique de ceux qui cherchent à s'émanciper.
Révolutionnaires jusqu'ici, la plupart d'entre eux semblent devoir
délaisser les moyens violents dont ils ont reconnu l'inanité, pour
la voie coopérative où ils voient la possibilité du succès.
Et c'est pourquoi nous avons analysé longuement la
création et le fonctionnement de la verrerie ouvrière, qui, selon
nous, indique une voie nouvelle dans les destinées de ce que l'on
est convenu d'appeler « le prolétariat ».
Le Directeur-Gérant : LEOPOLD MABILLEAU
NOTES
1http://www.left-dis.nl/f/GramscismeEtBordigisme.pdf
2Le
Conseil d'administration de la Verrerie ouvrière rappelle à tout
le personnel employé à la construction de l'usine que, pour
assurer la réussite de l'oeuvre que le prolétariat édifie pour
les victimes de Rességuier, il est urgent que toutes les bonnes
volontés se manifestent dans l'exécution du travail. Devant la
lourde responsabilité qui incombe au Conseil d'administration pour
mener à bien la construction définitive de la Verrerie ouvrière,
il ne saurait trop engager les « camarades » à faire
tous leurs efforts pour entretenir la bonne harmonie dans le
travail. Le Conseil recommande en outre le respect entre tout le
personnel, et croit de son devoir de lui rappeler qu'il se doit
mutuellement appui et solidarité et
que, travaillant à une œuvre commune qui doit lui donner l'abri et
l'indépendance, les efforts doivent être communs et continus pour
la réussite. Le Conseil espère que chacun, comprenant l'importance
de cette entreprise sociale, lui facilitera sa tâche et qu'il
n'aura à sévir contre aucun camarade dans les cas prévus par
ledit règlement ; mais néanmoins, il prévient tous les
intéressés qu'il n'hésitera pas à intervenir avec toute
l'énergie nécessaire pour réprimer tous les abus qui porteraient
atteinte et entraveraient le bon fonctionnement de l'oeuvre.
REGLEMENT
ART 1er . -
Tous les ouvriers doivent prendre leur travail et ne le quitter
qu'aux heures indiquées.
ART 2. - Tous
les ouvriers doivent tenir compte des observations qui leur sont
faites par les syndics et les membres du Conseil d'administration et
exécuter les ordres qui leur seront donnés par MM les conducteurs
de travaux. Tout refus et toute insulte de leur part les rendraient
passibles pour la première fois d'une mise à pied de un à huit
jours ; en cas de récidive, renvoi.
ART3. - Tout
ouvrier pris en état d'ivresse sur le chantier sera remplacé dans
son travail. En cas de récidive, il sera mis à pied pour une
période de un à huit jours.
ART 4. - Tous
ceux qui provoqueraient des querelles sur le chantier seront mis à
pied de un à huit jours ; en cas de récidive, renvoyés.
ART 5 .
- Tout ouvrier qui se rendra coupable de vol dans l'usine, soit
d'outils, de bois ou d'autres matériaux de quelque nature que ce
soit, sera immédiatement renvoyé.
ART 6. - Tout
ouvrier qui, par indiscipline, mauvaise volonté ou par toute autre
manœuvre, cherchera à entraver le bon fonctionnement de l'usine
sera une première fois mis à pied de un à huit jours ; en
cas de récidive, renvoyé.
Lu et
approuvé en assemblée générale du syndicat des anciens ouvriers
verriers et similaires de Carmaux à Albi, séance du 2 avril 1896.
ARTICLE
ADDITIONNE. - Tout ouvrier, qui quittera le travail pour un motif
quelconque, ne pourra le reprendre que le lendemain. Tous ceux qui
arriveront en retard de plus de cinq minutes perdront une
demi-heure.
« Et
voilà, disait l'ouvrier, qui a transcrit ces articles, le règlement
établi par des socialistes qui préconisaient des idées
d'émancipation ! ». Et il ajoutait avec ironie :
« Ce règlement ne concerne pas Baudot ».
3Ce
chifrre, fort exagéré, n'était en réalité que de 30.000 francs.
4Le
syndicat se composait de 230 membres.
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