Difficile
encore de se prononcer sur l'ampleur de l'insubordination civile
en train de se dérouler en Iran. Ce mouvement ne semble pas
encore à la hauteur de celui de 2009, tel qu'on peut s'en
rappeler en lisant la prise de position du CCI à l'époque1.
Le mouvement avait été limité de lui-même à la protestation
contre la tricherie électorale, et il put être liquidé
finalement parce qu'il opposait deux factions bourgeoises,
dictateurs religieux contre bourgeois libéraux. Cette fois-ci,
les causes sont plus « prolétariennes » si je puis
dire, et la protestation est partie surtout des villes de
province, comme en Russie en 1917. On oublie que les révolutions
commencent loin de la centralisation étatique ; les
capitales sont en général très embourgeoisées et
« gentrifiées » à outrance. Il est un autre signe
frappant, et si inquiétant pour l'ordre mollahrchique : que
toute la presse occidentale déplore une absence de « dirigeants »
ou même de « leaders » cette fois-ci dans cette masse
qui s'attaque aux institutions de l'Etat, ministères et
commissariats de police.violemment .
Alors
que madame Lagarde nous prédit une bonne et heureuse année
économique pour le capital mondial, et que M. Macron se prend
pour un fabricant de poudre de Perlimpinpin, voilà que la misère
sociale se pointe en fanfare et sans crier gare, sans craindre les
balles – une vingtaine de tués déjà – ni les
emprisonnements par centaines. Ce ne sont plus les simples
étudiants mais bien la classe ouvrière qui entre dans le
combat2,
on le vérifiera bientôt par ses grèves de solidarité
politique. Et ce qui va se passer, dans la douleur, en Iran risque
d'inquiéter autant les oligarques du Kremlin que les banksters de
New York, les petits rigolos d'une Europe sans colonne vertébrale
comme tous les derniers despotes d'Algérie et d'Arabie Saoudite3.
Contrairement
à la presse et à ses suivistes gauchistes, on ne peut pas
soutenir que la cause est due dans le fond à la « corruption »
du régime, laquelle est réelle, 40.000 soudards dits « gardiens
de la
révolution » (bigote et spoliatrice du prolétariat)
s'engraissent sur 80 millions d'habitants. La cause en est l'état
de guerre auquel est soumis le pays, qui inclut le long embargo
américain. Ce qui rend comique le « soutien » de
Trump aux révoltés encore anonymes, ces martyrisés par la
troupe des flics religieux. Trump ne veut pas du changement
radical qui est contenu dans le moment actuel de la confrontation
avec les barbares religieux au pouvoir4.
Une
nouvelle manipulation de la CIA comme lors des « printemps
arabes » est aussi franchement exclue, à moins qu'on ne
considère la misère comme fruit vénal d'un complot torve5.
Les insultes contre les dictateurs d'Etat (que nous ne connaissons
pas toutes) signifient une mise en cause du régime plus grave
qu'en 2009
Les mêmes
mesures de répression que celles de 2009 sont de retour, mais on
va s'apercevoir qu'elles jettent de l'huile sur le feu, car l'Iran
est au carrefour du jeu terrible des impérialismes et de
l'indignation de l'immense prolétariat de la région, avec de
plus l'étiolement de daesch, qui était la créature de plusieurs
Etats de la région. Voici en particulier ce que j'écrivais le 22
juin 2009 dans l'article : Comment
peut-on être persan ?
La
révolution iranienne n’est pas prête de commencer
Iran
: DRAME à double, à triple fond ?
«La
pièce dramatique se joue en cinq actes. Au cours du premier acte,
depuis 2005, la
stratégie nord-américaine au Proche et au Moyen-Orient briguait
un changement de régime en Iran, soit par une guerre soit par une
agitation interne quelconque. Le Monde diplomatique du 14 janvier
2005 l’exprimait parfaitement de la façon suivante : «
Flatter, encercler, isoler ». Pour l’oligarchie iranienne il ne
faisait aucun doute que le pays, sans arme atomique, ne peut être
une puissance hégémonique régionale et est démuni face à la
menace des Etats-Unis et d’Israël. La question était seulement
de savoir le prix à payer pour détenir l’arme atomique
(embargo américain, guerre). Les pressions économiques et
géostratégiques (les Etats-Unis ont des troupes stationnées
dans presque tous les pays voisins) ont démontré qu’à long
terme la république islamique ne peut pas jouer le rôle de
puissance dominante régionale sans l’accord politique des
Etats-Unis. L’Iran a évité la confrontation avec ces derniers,
tant durant la guerre en Afghanistan qu’en Irak et a misé en
vain sur la coopération avec l’Europe dans sa politique
atomique. L’Union européenne, la Chine et l’Inde sont des
acteurs importants dans cet acte. L’Union européenne est le
principal partenaire commercial de l’Iran. 40 % des importations
iraniennes proviennent des pays de l’Union européenne et 35 %
des exportations (le pétrole comptant pour 80 % de celles-ci)
vont dans l’Union européenne. Dans la question de l’énergie
atomique, le triangle Chine, Russie et Iran se pose en rival des
Etats-Unis. La Chine et la Russie livrent le matériel et le
savoir-faire, et 13,6 % des importations chinoises de pétrole
sont dès aujourd’hui couvertes par le pétrole iranien. En mars
2004, une entreprise pétrolière chinoise a conclu un accord pour
l’importation de 110 millions de tonnes de gaz naturel iranien.
Et l’Inde a engagé à son tour des pourparlers avec l’Iran au
sujet de livraisons à long terme de gaz naturel. Ces deux pays
veulent investir dans l’exploitation de champs pétroliers
iraniens, malgré les menaces de sanctions des Etats-Unis qui
veulent aussi empêcher la construction d’un pipeline pour dans
l’exploitation de champs pétroliers iraniens, malgré les
menaces de sanctions des Etats-Unis qui veulent aussi empêcher la
construction d’un pipeine pour le transport du gaz naturel de
l’Iran vers l’Inde via le Pakistan. On ne s’étonnera donc
pas du silence des divers Etats concurrents des Etats-Unis au
cours de l’acte 3 de la fraude électorale, ils ont tous intérêt
au maintien du statu-quo de l’oligarchie intégriste, de Chavez
à Poutine.
Au cours du
second acte, assez long et poussif, la bourgeoisie arrogante
américaine n’eût de cesse de proférer menace sur menace
concernant la prétention nucléaire iranienne, avec pour
résultat de cimenter le nationalisme interne dans ce pays,
vivant d’un importante rente pétrolière mais aussi
exploitant une classe ouvrière expérimentée dans un jeu de
classes qui n’est pas binaire vu la masse petite bourgeoise
assoiffée de placements extérieurs et qui réclame une plus
grande part du gâteau d’hydrocarbures ».
Avec le
récent réchauffement des relations internationales vis à vis
de l'Iran, l'impérialisme américain a compris que la menace
ne suffisait plus, et pense d'une certaine façon que la
révolte intérieure lui tend les bras. Ce qui par contre va
permettre aux mollahs d'en appeler à la « défense
nationale », mais au souvenir de la terrible guerre avec
l'Irak, et de la mobilisation militaire de la vie civile depuis
tant d'années avec des privations sans fin, il est douteux que
l'argument fonctionne.
Dans les
grands moments d'ébranlement des sociétés, on peut toujours
gloser sur les doubles ou triples fonds, mais ce qui nous
intéresse est d'abord l'expression des masses, les formes
qu'elles donnent à leur lutte pour se sortir de l'ornière. Il
fallait commencer bien sûr par la violence, laquelle est
forcément limitée et coûte cher en vies humaines. Le mouvement devra tôt ou tard s'organiser, se doter d'organismes éligibles et révocables...
C'est le
constat au plan social qui est le plus subversif, et qui est
commun à la plupart des Etats capitalistes surarmés de la
région : une énorme partie de jeunes diplômés est sans
emploi ou ne trouve que des jobs minables et le budget de
l'Etat en sa majeure partie bénéficie à l'armée et aux
gangs religieux, sous l'égide du guide de suprême,
l'ayatollah Ali Khameini, faiseur de promesses électorales
mais aussi de misère massive. Le suprême guide barbu comme le
père Noël est sorti de son silence olympien ce
mardi pour accuser ce qu'il qualifie les "ennemis" de
l'Iran de s'être unis pour porter atteinte au régime de
Hassan Rohani, considéré comme un libéral par les capitales
occidentales. Un dictateur bigot qui salue un autocrate
libéral, on aura tout vu.
L'ancien président, le réformateur
Mohammad Khatami, a condamné les violences de ces derniers
jours, mais il a aussi dénoncé la "profonde duperie"
des Etats-Unis. Il appelle les forces de sécurité à la
retenue mais assure que le gouvernement est déterminé à
"régler les problèmes de la population".
"Depuis presque 40 ans, ce sont les ayatollahs,
les islamistes qui sont au pouvoir en Iran. Et d'ailleurs,
c'est une sorte d'Etat islamique. On n'a jamais eu une
vraie République en Iran. Le type de pouvoir politique en
Iran, même si il y a des élections, ce sont une poignée
d'ayatollahs qui le décident", déplore Irène Ansari de la Ligue des femmes Iraniennes
pour la Démocratie. Elle dénonce également les
discriminations à l'égard des femmes votées au parlement
iranien. Cette aile bourgeoise compte bien servir à arrimer les révoltés sur un terrain de classe à un simple changement de régime "plus libéral", et prouve encore que le féminisme ne signifie en rien une libération de la femme en général. Et que l'exhibition d'un voile ôté en public peut servir bien plutôt de provocation pour laisser les autres enfermées dans leur voile et... leur pauvreté. Le mouvement social qui s'annonce sera-t-il affaibli par les revendications partiales et parcellaires de la bourgeoisie "émancipée"? Le fait divers fait diversion quand le voile fait dispersion...
à suivre...
à suivre...
1https://fr.internationalism.org/icconline/2009/manifestations_massives_en_iran_tankstballes_gardes_rien_ne_peut_nous_arr%C3%AAter_dunya_devrimi.html
2Ce
sont souvent les petits bourgeois qui tirent les premiers dans les
grands mouvements sociaux, on avait vérifié cela en Pologne dans
les années 1970, mais aujourd'hui les enjeux de généralisation
sont autrement plus prégnants et avec des prolétaires en première
ligne qui en ont marre des curés de toute obédience et plus du
tout envie de se mettre à genoux.
3Contrairement
à leurs homologues iraniens, les dictateurs saoudiens semblent bien
avoir anticipé le mouvement de fond qui gronde dans les tréfonds
de ces sociétés encasernées par les vieux carcans religieux, même
avec timidité on lança la « révolution » du permis de
conduire pour les femmes... ce qui reste très pingre.
4En
même temps, l'oppression islamique vole en éclats. Non pas que la
population, en se débarrassant du voile (au moment de la fin de
daesch), rejette la religion, mais elle réclame la séparation de
l'Etat et de la religion, non la destruction de l'Etat (faut pas
rêver frères en marxisme!), ce qui sera certainement un ponton
d'endiguement du mouvement par les « démocrates »
bourgeois républicains dans une phase ultérieure, s'ils
parviennent à éjecter mollahs terroristes et leurs gardiens... de
la corruption. Dans ce combat, il faut remarquer qu'on se fiche
aussi de la division entre chiites et sunnites. Tout est possible,
en octobre 1917 en Russie des prolétaires moins nombreux suivis par
des millions de paysans ont bien réussi à ficher en l'air
l'aristocratie capitaliste corrompue.
5On
peut aussi intégrer un complot d'une faction bourgeoise, ainsi
certains affirment que les manifestations auraient été initiées
en sous-main par les conservateurs qui contestent la politique
libérale du président Hassan Rohani. Peu importe, c'est comme
l'affaire Gapone en Russie, car très vite elles ont échappé à
tout contrôle pour déboucher sur des revendications économiques
et politiques qui visent le cœur du pouvoir iranien, qui ne peut
plus être endiguée par une simple répression sanglante.
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