L’épicerie
Coleman & Cie :
Dans sa boutique hétéroclite, outre ses œuvres complètes
recompilées régulièrement, Y.Coleman aura publié autant ses observations sur
les modes gauchistes en adepte de l’idéologie libertaire démocratique,
libertaire et sermonneuse : Voltairine de Cleyre, un certain Goldner, puis
Munis et enfin Michel Roger. On peut s’interroger sur la trajectoire de sa
boutique « sans patrie ni frontières » comme long monologue « mondialiste »
bcbg, qui finit par être intéressé - en fin de parcours trotskyste puis
gauchiste rangé des voitures – à publier les « sorcières » de l’introuvable
et innommable « Gauche communiste », rangée jadis dans l’ultra-gauche
souffreteuse, et qu’il eût mieux convenu d’identifier plus tôt comme maximaliste
prolétarienne.
Toujours marqué par sa formation à LO (… de rose),
Coleman a commencé en 2002 sa carrière d’épicier marginal du gauchisme décati
en nous promettant de nous concocter un ragoût d’anarchisme et de marxisme. Il
a tant touillé sa pauvre recette marxiste mal apprise, avec une condescendance
hautaine de maître-queue, que la sauce en est devenue peu ragoûtante. Il a
longtemps posé au commissaire politique obsédé par l’antisémitisme (c’est
encore à cette aune qu’il adoube dans son placard introductif le classeur « gauche italienne ») ;
les groupes concernés avaient bien besoin que monsieur le juge es gauchisme
bienséant vienne pardonner des calomnies lointaines ! Il se prend au
demeurant pour un dinosaure du gauchisme sous formol et spécialiste méconnu de
tous les autres groupes hors parlement vitrifiés par son congélateur
néolithique. Il est jaloux du pitre Bourseiller, parvenu qui lui a ravi la
place honorifique de pro de la marge gauchiste à Sciences Po. S’il savait le
pauvre les merdes peu prestigieuses qui sont enseignées par les nuls de cet
antre bourgeoise !
Besoin de reconnaissance ? Ajouter une corde de plus à son arc éditorial
artisanal ? Tout cela certainement mais aussi à ranger cette « gauche
communiste » sur le même rayon que les groupes gauchistes qu’il a épinglé,
parfois avec pertinence concernant leur bêtise, jamais du point de vue
révolutionnaire prolétarien. Dans sa présentation il classe donc cette « Gauche
communiste » dans son bazar pour « lectrices et lecteurs » (n’oubliez
pas l’abonnement…) et ajoutant une insanité de son cru boutiquier, ce zèbre « révèle »
que « les questions qui préoccupent altermondialistes et indignés et
surtout les ouvriers et les exploités en lutte (hic !)… étaient déjà l’objet
de rudes débats ». D’emblée notre épicier du gauchisme en boite et au kilo
rabaisse les questions politiques du mouvement communiste prolétarien du passé
au niveau de l’agitation fougueuse et désordonnée de la petite bourgeoisie
mondiale sans tête et à la queue de toutes les modes contestataires bourgeoises.
Il est vrai que le père putatif de Coleman se nomme S. Hessel !
Michel Roger, pressé de rééditer sa thèse de 1980, n’a
pas réfléchi au deal pervers du boutiquier à géométrie politique invariable de
petit bourge oecuménique qui « vise à faire connaître des individus, des
textes, des groupes… qui ont marqué et qui marquent le mouvement
révolutionnaire» (quelle prétention et fausse modestie!). Franchement, il
n’y a rien à attendre de ce genre de lilliputienne édition à compte d’auteur,
le web et des dizaines de livres, et des centaines d’articles de groupes
politiques sérieux fournissent tout ce qu’il est nécessaire de savoir sur le « principal
courant révolutionnaire marxiste » du XXe siècle ! Coleman ajoute sa
propre confusion et ignorance en qualifiant la « Gauche communiste »
de bordiguiste, façon très… trotskienne d’enterrer encore ce courant
internationaliste qu’il serait dérisoire de limiter à l’apport du seul Bordiga,
comme le démontre par après l’auteur dans sa description vivante des multiples
acteurs de ce courant, pas nécessairement tous italiens ni intellectuels.
Coleman s’est dépêché également de publier Munis de la même manière, et pour
les mêmes raisons, les idéologies gauchistes étant liquéfiées – plus d’essais
ni de comptines ne paraissent en librairie de ces Marie souillon de la
révolution - ; comme l’anarchisme ce ne sont plus que des scories des
modes bourgeoises, alors les fureteurs de politique déviante ou cadenassée
viennent rôder vers les vrais écrits révolutionnaires, toujours subversifs,
pour épicer à nouveau leur commerce.
Comme l’argent certains disent que l’édition n’a pas d’odeur.
Ce n’est pas plus vrai que pour l’argent.
Les idées révolutionnaires ne sont pas monnayables au profit de rad-socs,
faux radicaux confusionnistes et hautains, dont le niveau de conscience « mondialiste »
équivaut à celui d’un magazine bourgeois comme Marianne.
REEDITION D’UNE
VIELLE THESE
L’ouvrage qui est reproduit souffre de cet « encadrement »
bien sûr. De plus il est daté, alors que bien d’autres documents et réflexions
sont venus enrichir l’histoire, pour ne pas dire « les histoires » de
la « Gauche communiste », non limitable aux seuls révolutionnaires
italiens en émigration après avoir échappé au fascisme. Dans les premières
pages, l’auteur aurait faire l’effort de rewriter sur la question du
maximalisme, notion qui n’apparaît pas clairement ; celle-ci ne
caractérise pas simplement une aile réformiste radicale du parti socialiste
italien comme le croit certains avec simplisme, mais dépeint la réelle position
intransigeante de la « Gauche communiste historique » de Rosa
Luxemburg à Bordiga.
Dans l’ensemble sur le plan factuel et chronologique,
la thèse de Roger reste valable et la conclusion, apparemment rewritée et
allongée, est excellente. Le livre reste une mine d’or pour néophyte, au
surplus agrémenté de photographies, qui permettent toujours d’éliminer l’anonymat
abstrait et de rendre visage humains à ces « terribles révolutionnaires »,
qui peuvent poser nonchalamment sur l’herbe de la fête de l’Huma (d’une époque
héroïque pas frites-merguez-Lavilliers). M.Roger peut être qualifié comme un
historien de référence pour les nombreux ouvrages qu’il a réalisé sur le
mouvement révolutionnaire moderne (Gauches révolutionnaires belge, russe,
française, etc.). Concernant une approche actualisée, plus en prise sur le vide
révolutionnaire actuel, un autre travail eût été nécessaire en gardant les
paragraphes les plus solides et les documents, mais à partir d’un type
questionnement qui pose d’emblée le pourquoi de l’étiolement de toute cette
école historique alors que ses conclusions n’ont jamais été autant d’actualité
et en perspective pour le prolétariat mondial moderne. La thèse reste valable
contre les racontars concernant Gramsci qui fût longtemps aux côtés de Bordiga
avant de diverger lors de la bolchévisation ; Gramsci est salué d’ailleurs
à sa mort par Bilan comme un compagnon de combat.
J’ai déjà dit les faiblesses du passage sur l’histoire
de l’émigration italienne, qui renvoie à une autre époque du prolétariat (Etat
national faible, dominante agraire, persécutions fasciste et stalinienne,
etc.), causalités qui n’ont plus les mêmes conséquences : dès les années
post 68, ce n’est pas la glorieuse tradition « Gauche italienne » qui
triomphe en Italie mais tous les bâtards du gauchisme et du terrorisme. Et,
malgré une courte embellie dans les 70, les groupes internationalistes italiens
périclitent à un niveau inférieur à celui où ils en étaient du vivant des
Bordiga et Damen.
La thèse comporte des faiblesses (dûes à sa
présentation universitaire) et que l’auteur aurait pu corriger ; ainsi il
ne se prononce pas sur la nécessité de fonder la 3ème
Internationale, ou en tout cas cela reste vague p.57). La thèse présentait déjà
un aspect plus humain que les rébarbatives versions de groupes en s’attachant à
restituer la dimension individuelle des combattants. Ottorino Perrone est ainsi
remis à sa juste place… avec ses ennuis pulmonaires non précisés (tabagie et alcool).
Les approximations pour expliquer le cas Ambrogi – possible balance du GPU et
de la police italienne – trébuchent sur l’incomplétude (p.112) : il faut
savoir que ceux qui eurent « un fil à la patte » étaient l’objet de
chantages cruels (femmes et enfants pris en otages par les sbires staliniens ou
fascistes » ; rien que pour cela, ce furent des années plus terribles
que celles que nous vivons, et qui doivent relativiser les critiques faciles
concernant des militants au glorieux et courageux passé. Il eût été utile de
préciser que le successeur de la Tchéka n’était pas encore un simple organisme
de répression policière mais encore prétendait… défendre la révolution avec l’aide
des camarades étrangers, pour finir par torturer et éliminer physiquement les
opposants au nom de la … défense de la révolution (comme les islamistes
égyptiens et tunisiens… mais sans révolution eux).
Entre parenthèses, il me semble qu’il y a une
confusion à deux reprises sur les noms de Virgilio Verdaro et Arnaldo Silva (p.
105).
La deuxième partie sur l’espoir de régénérer les
partis communistes souffre aussi de son absence d’actualisation, notamment
parce qu’il y a eu de nombreux débats (en particulier dans le CCI) qui ont
approfondi cette question. Concernant « le paon » Trotsky, les choses
ne sont pas très claires. Michel qui nous avait fait connaître l’excellent
livre de Verreken (qui défend la thèse d’un Trotsky mal entouré) penche plutôt
pour un Trotsky autocrate, magouilleur et infâme, ce qui n’était pas son avis
après les années 80. Du reste je m’interroge par contre encore comment un
ministre d’Etat « prolétarien », fusilleur à Kronstadt, a pu
connaître une telle célébrité et une telle admiration par la jeunesse petite bourgeoise
occidentale. En tout cas il se comporte comme un salaud de mauvaise foi avec
les italiens qui l’ont pourtant courageusement soutenu face à Staline ; « le
paon » était-il plus « nationaliste » donc que les italiens en
se couchant devant Staline les premiers temps ?
Le comportement outrancier des oppositionnels
trotskystes vis-à-vis de la « gauche italienne », très « grands-russiens »
au fond pose le problème de l’attitude d’un groupe dominant aux époques de
dispersion du parti mondial de la révolution, l’argument d’autorité qui veut
imposer la sujétion n’est que le signe avant-coureur de l’opportunisme
organisationnel trotskyste qui précède le soutien aux positions bourgeoises
(front unique avec la social-démocratie, antifascisme, etc.). M.Roger aurait pu
être explicite sur « le groupe juif » oppositionnel, qui avait
déchaîné l’ire des communistes italiens, ce groupe apparaît incongru (pourquoi
pas un groupe de barbiers ?) mais il a une histoire et des positions
politiques étonnamment claires (cf. mes ouvrages sur Marc Laverne).
La troisième partie sur la création de la fraction
émigrée avec Bilan est confuse, (p.184 en particulier), pas très claire, plutôt
du genre conseilliste attardée sur la question de la conscience apportée de l’extérieur,
faisant dire à Lénine ce qu’il ne dit pas, et Michel avait eu l’occasion d’éclaircir
cette question dans le CCI encore valide. Sur le moment de la guerre d’Espagne,
il n’y a rien à redire, tout est bien analysé ; y compris cette excellent
remarque, contre tous les cinglés accrocs aux armes, que l’échec était certain
sur le plan militaire et que les armes ne remplacent pas la lutte prioritaire
sur le « front de classe ». La description de la militarisation des
anars et des ouvriers par l’Etat bourgeois républicain est une douche froide
pour tous les fans de la mythique « guerre révolutionnaire » !
Enfin la quatrième partie souffre plus encore du
manque d’enrichissement des travaux parus depuis trente ans, d’abord l’Histoire
de la Gauche par Bordiga soi-même (indispensable et très éclairant), le livre
de Damen, différents mémoires de maîtrise et surtout l’excellent travail de
mémorialiste de Lucien Laugier sorti du caveau par la revue Tempus Fugit (et d’autres
textes concernant la « Gauche » italienne et internationale). Idem
sur les RKD, M.Roger disposait d’une documentation plus riche qu’en 1980.
Enfin, comme le constate Daniel Mothé (interview in
Tempus Fugit), il n’y avait pratiquement pas d’ouvriers à la direction des
partis oppositionnels, trotskystes et italiens. M.Roger sanctifie parfois un
peu trop, il ne sert pas la vérité historique du mouvement révolutionnaire en
disant que la « Gauche italienne » n’était constituée que d’ouvriers.
Les soldats ouvriers furent nombreux des années 30 aux années 40, après guerre il
resta plus de chefs, intellectuels professionnels, que de soldats ; la
rédaction de Bilan n’était constituée que de grands intellectuels et de
collaborateurs aux développements souvent adipeux. Et c’est toujours le cas
pour les héritiers. Hélas.
Le livre peut-être commandé directement à yvescoleman@wanadoo.fr, ou en particulier à la librairie Le point du jour, 58 rue Gay-Lussac, 5e Paris.
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