À Tunis, des milliers de manifestants marchent "pour les libertés"
Le Point.fr - Publié le 28/01/2012
Ils ont dénoncé "la multiplication des agressions", "le discours fondamentaliste extrémiste" et "la passivité des autorités".
Sur la place des droits de l'homme, à Tunis, des drapeaux tunisiens flottent. Le cortège de cette "marche pour les libertés", organisée à l'initiative de six partis politiques de l'opposition et d'associations et relayée sur les réseaux sociaux, se met en place. Au milieu de la foule, Nejib Chebbi, président du Parti démocrate progressiste (PDP), est aux côtés de Maya Jribi, secrétaire générale du parti. "Nous avons organisé cette marche pour défendre une Tunisie paisible, plurielle, où tout un chacun respecte l'autre", explique cette députée au sein de l'Assemblée constituante élue le 23 octobre.
Des milliers de manifestants sont venus dénoncer "la multiplication des agressions", "le discours fondamentaliste extrémiste" et "la passivité des autorités". Portant un voile pourpre, Jouda, enseignante à la faculté des sciences de Tunis, proteste contre "un certain obscurantisme", faisant référence aux récents évènements de la faculté de la Manouba qui ont secoué le milieu universitaire. Fin novembre, deux étudiantes en niqab (voile intégral) se sont vu refuser le droit de passer leurs examens. Rapidement, un groupe de salafistes les a soutenues en occupant la faculté de lettres, usant parfois de violence. Face à ces intimidations, le gouvernement, dominé par les partisans du mouvement islamique Ennahda, n'a réagi que timidement.
"Touche pas à mon père"
Alors que le cortège descend l'avenue Mohamed V, Jouda rejoint Samia, une de ses collègues. En cheveux et rouge à lèvres carmin, cette professeur estime : "Le gouvernement aurait dû utiliser la force pour déloger les salafistes de la faculté de la Manouba." Le jeudi 27 janvier, le sit-in aurait été levé. Mais ces dernières semaines, les incidents impliquant des jeunes se revendiquant de la mouvance salafiste se sont multipliés, notamment à Sejnane, petite ville du nord de la Tunisie. Pour Yadh Ben Achour, juriste, "cette minorité a une visibilité disproportionnée en ayant recours à la violence". "Le gouvernement ne doit pas forcément utiliser la force mais plutôt la loi face aux agresseurs, estime l'ancien président de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Il commence à le faire, mais la situation est délicate. Le gouvernement est nouveau, n'a pas d'expérience, il faut qu'il se forme au sens de l'État et aux procédures de l'État".
La place du 14-Janvier au début de l'avenue Habib-Bourguiba est noire de monde. Sur le côté, Noor porte une pancarte sur laquelle il est écrit "Touche pas à mon père". "C'est pour dénoncer les violences faites à l'encontre des avocats et des journalistes, explique cette étudiante en architecture d'intérieur. Il s'agit du titre de l'article écrit par Yacine Redissi, fils de Hamadi Redissi, le politologue qui s'est fait agresser devant le tribunal" de première instance de Tunis. Lundi 23 janvier, alors qu'il sortait du tribunal où se tenait le procès de Nessma TV, il a été agressé par un jeune extrémiste. La chaîne de télévision est poursuivie pour "atteinte préméditée aux valeurs du sacré", "troubles de l'ordre public" et "atteinte aux bonnes moeurs" après avoir diffusé, le 7 octobre, Persepolis. Ce film d'animation franco-iranien, contenant notamment une représentation de Dieu, avait suscité une grande vague de contestations dans tout le pays.
Outre Hamadi Redissi, Zied Krichen, directeur de la rédaction du quotidien El Maghreb, a reçu un coup à la tête. Le jour même, le chef du gouvernement, Hamadi Jebali, a dénoncé ces deux attaques, occultant celles perpétrées à l'encontre d'autres avocats, comme Saïda Ben Garrache. Elle a reçu "des coups derrière les jambes". "Ils scandaient des slogans et me disaient c'est fini, Ben Garrache'", se souvient-elle. Alors que les manifestants lancent des slogans appelant à une "Tunisie libre", cette avocate rappelle que le gouvernement a "pour mission de protéger ce pays et ses citoyens" contre "ces extrémistes qui n'arrêtent pas d'agresser et de s'imposer", usant parfois de "violence contre ceux qui ne sont pas d'accord avec eux et leur projet de société".
"Crucifixion"
"Le gouvernement ne réagit pas. Un député appelle à la crucifixion et au meurtre de ceux qui l'ont élu, et personne ne réagit." Ahmed, 27 ans et étudiant en traduction, fait ainsi référence aux propos tenus lundi 23 janvier par le Dr Sadok Chourou. À propos des manifestants qui bloquent des routes ou des usines à travers le pays, ce député a cité un verset du Coran évoquant l'"exécution", la "crucifixion" ou encore le démembrement. "Même la liberté de protester risque d'être remise en cause. Cette marche est un signal fort lancé au gouvernement. Il est nécessaire qu'il mette au coeur de ses préoccupations les problématiques liées à la justice sociale", estime Riadh Ben Fadhel, du Pôle démocratique moderniste.
"Ce silence commence à devenir pesant", accusent Karim et Raja. Avenue Habib-Bourguiba, l'ambiance bon enfant laisse place à des tensions. Le visage de Raja se ferme. Devant le ministère de l'Intérieur, scrutant les manifestants, un homme lance : "Le gouvernement n'est pas provisoire, le peuple oui." Plus loin, une femme brandit une affiche accusant les protestataires de "ne pas laisser le gouvernement travailler". "On a tous conscience que les problèmes sociaux et le chômage sont la priorité et qu'avec ce débat sur les libertés on nous accuse de détourner les problèmes, avoue ce couple. Mais on en marre !"
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