QUAND
LES BORDIGUISTES PRENNENT LES DELIRES DES WOKISTES POUR DU REFORMISME
Il nous faut tout d'abord saluer cet effort - de la part d'un groupe marxiste a priori centré sur les seules questions politiques et économiques, - pour décrypter une idéologie moderniste très diffusée dans les médias et qui prétend dissoudre les classes au nom d'une morale rigide prétendant réviser (et non pas réformer) toute l'histoire de la lutte de classe tout en dénonçant un capitalisme abstrait, sans fournir de moyens sérieux pour le combattre. Ce très ancien groupuscule ne considère pas la classe ouvrière comme n'ayant qu'une conscience trade-unioniste, contrairement au CCI et à sa secte concurrente qui ne traitent jamais de ces questions, pourtant présentes dans les entreprises, persuadés que le prolétariat n'est préoccupé que par le bifteck à la fin du mois.1
D'emblée le PCI, dans sa revue au titre osé et ringard pour nombre d'ignorants : Programme communiste n°1082dénonce ces innombrables escrocs intellectuels au bénéfice d'un démocratisme niant la lutte des classes comme seule confrontation révolutionnaire sur la base d'' un interclassisme (= équivalence des classes) où tous les chats sont gris. L'article, très long, se propose de décrypter surtout la théorisation d'une juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw qui, la première, vendit le concept d'intersectionnalité vers 1989.
L'article n'est pas signé comme toutes les publications historiques de ce groupe, ou ce qu'il en reste, or cette façon de procéder ne tient pas debout. L'auteur de l'article ne peut exprimer entièrement ou de manière emblématique l'avis de tout le groupement comme une résolution de congrès, un tract ou un communiqué. Il dépend de la culture personnelle et de l'expérience de l'individu. Une telle absence de signature constitue une négation de l'individu qui n'est pas une tare parce qu'il existe comme individu dans une communauté de combat (cette attitude est d'ailleurs contredite par leur propre citation ci-dessous affirmant que le prolétariat n'est pas une masse uniforme). Sinon cela équivaut à l'anonymat stalinien ou de la secte LO.
On peut qu'être d'accord toutefois avec l'ensemble de démonstration que l'on peut trouver résumée ainsi, page 52 :
« le communisme marxiste sait que le prolétariat n'est pas une masse uniforme subissant une même domination unilatérale, mais que l'action du capital, soucieuse de la plus grande extraction possible de plus-value, mobilise au contraire toutes les différences de sexe, d'âge, de religion et de nationalité pour morceler, diviser et jeter les uns contre les autres les membres de la classe ».
« La théorie intersectionnelle aboutit en définitive en un véritable culte de la diversité, au nom d'un plus grand respect porté à la situation des marges ».
« Mais qu'est-ce signifie ce refus de « prioriser politiquement la classe » sinon d'encourager ouvertement la collaboration de classe la plus honteuse, le ralliement de secteurs entiers du prolétariat à des communautés constituées d'individus partageant des « discriminations » communes (par exemple la couleur de peau, le sexe, l'orientation sexuelle) mais aux intérêts matériels absolument contraires aux siens ? Que signifie cette « complexification de l'analyse des régimes d'oppression » sinon le souci de dissoudre les combats spécifiquement prolétariens dans des combats qui ne sont pas les leurs au nom d'une prétendue oppression plus large qui primerait sur les rapports de classe ? »
« … par exemple, la « précarité » s'ajoute au fait d'être une femme lesbienne noire, ou d'être un homme immigré et handicapé (…) le rapport d'exploitation que les marxistes considèrent comme la source de l'accumulation et de la reproduction du capital, devient une simple discrimination parmi d'autres... qu'il faudrait par conséquent combattre en tant que discrimination ! »
EXIT la petite bourgeoisie et le wokisme ?
On ne peut qu'être en accord avec la plus grande partie ce cet article mais approfondit-il vraiment la supercherie ? Pas vraiment car il y manque deux notions centrales : le wokisme comme creuset de ce révisionnisme historique, social et politique, et surtout dissolvant toute pensée politique cohérente et rationnelle.
Le wokisme est devenu une notion floue, fourre-tout, utilisable aussi bien par Trump et Macron3 que concrétisée par les escroqueries intellectuelles d'une extrême gauche dépolitisée posant à une vigilance éthique antiraciste (mais sans s)4 Pourtant même si les toutologues de CNEWS en font leur credo, dans leur sens tout à fait réactionnaire et bigot, nous ne pouvons nier, à notre sens, qu'il s'agit d'une idéologie dissolvante bien réelle, bien que ridiculisée superficiellement par quelques poireaux de bistrot TV5. L'invention du wokisme reste cependant la notion première et contient naturellement l'intersectionnalité ; l'absence de référence à cette idéologie est la première faiblesse du texte bordiguiste Pourquoi ?
L'idéologie woke a explosé vers 2015 par l'entremise de la petite bourgeoisie américaine dans le sillage du mouvement Black Lives Matter. L'intersectionnalité n'en sera qu'un sous-produit et le reste avec la même base : déconstruire pas seulement la sociologie6 mais toute l'histoire de la compréhension du monde jusqu'à nos jours dans ce qu'elle de rigoureuse et de relative dans notre perceptions de terriens lilliputiens.
UNE IDEOLOGIE AMERICAINE IMPORTEE
Après s’être essentiellement manifestée dans les milieux universitaires, elle s'est répandue dans le monde médiatique et culturel européen, jusque dans les grandes entreprises. Cette idéologie est d'emblée intolérante, comme si elle remplaçait le totalitarisme stalinien. Elle s'équipe d'abord d'aprioris contestables, à commencer par celui d’un « racisme systémique » dont toute personne blanche serait imprégnée. Cela débouche sur l’idée que toute catégorie défavorisée, toute « minorité fragilisée » – quelle qu’en soit la raison –, est victime de discrimination et est habilitée à se retourner contre ses supposés oppresseur « essentialisés » en tant que blancs et colonisateurs Par sa fermeture au dialogue, l’idéologie woke ouvre la voie à de nouvelles formes de domination. Le rédacteur du PCI, au passage, esquive l'utilisation systématique du reproche éternel de la colonisation, vu son ancienne croyance en « l'émancipation des peuples de couleur » ni en moquant la suppression du mot race par la clique à Hollande au pouvoir7, alors que leur pape Bordiga ne niait pas les races « de couleur » mais disait en un mot l'essentiel : « il n'y a qu'une espèce humaine ».
La doxa dominante nous convie à croire que le wokisme est hors sujet et que seule l'intersectionnalité est respectable :
« Ce que mettent en lumière ces différents chercheurs, c’est qu’à l’instar du « wokisme », la notion d’intersectionnalité est reprise par des acteurs politiques et/ou médiatiques de manière souvent outrancière (et électoraliste), et que cela rend par conséquent tout à fait inaudibles leurs travaux sur le sujet. Car au contraire du « wokisme », concept fourre-tout qui n’a jamais voulu dire grand-chose, l’intersectionnalité est quant à elle une notion précise, qu’il faut manipuler avec précaution et méthode. D’ailleurs, il suffit d’ôter ses lunettes polémiques pour se rendre compte qu’il existe autant d’approches et de courants intersectionnels que de chercheurs qui travaillent sur le sujet »(sic!)8
Idéologie manichéenne, le wokisme plus généralement que l'intersectionnalité, est révisionnisme du même ordre que le révisionnisme du génocide juif et de celui à Gaza ! 9En compagnie de l'intersectionnalité il individualise un combat social dans une « concurrence des victimes » non plus simplement comme interclassiste, mais interracial, intersexuel, intercommunautaire, etc. Le réformisme fait parie de l'histoire proprement dite du mouvement ouvrier pas des scories contemporaines de la petite bourgeoisie décomposée, affolée et irrationnelle. Il n'y a rien à réformer à partir de considérations éthiques obtuses, des raisonnements sociologiques sans bases économiques et politiques crédibles.
Le moralisme du wokisme, incluant l'imbécile intersectionnalité (= section et dissection), affiche enfin un sévère moralisme qui a bien des traits commun avec la religion musulmane comme idéologie ultra-réactionnaire et arriérée. C'est pourquoi leur « sectionnement » intègre aussi les catégories voilées... Ce qui constitue une évidente conservation du monde aujourd'hui tel qu'il est déconfiguré dans son chaos capitaliste.
NOTES
1Ce groupe de plus n'est pas sectaire comme le conseilliste-conseillant CCI, et a l'honnêteté de citer sessources comme mes Archives maximalistes.
2Peu chère (4 euros) avec la qualité de ses articles et qui, malgré de faibles moyens financiers, recouvre une formule grand format plus lisible et attrayant que ses petites brochures ronéotées au temps des vaches maigres. (disponible en particulier à la librairie Parallèles et au Point du jour).
3Dans la foulée de la mort de George Floyd aux Etats-Unis en mai 2020, Emmanuel Macron s’attaquait un mois plus tard aux universitaires qui selon lui « encourageaient l’ethnicisation de la question sociale » en utilisant un discours « intersectionnel » ou « racisé ». Et là j'étais tout à fait d'accord avec lui !
4Car il y a un peur partout dans le monde DES RACISMES, le racisme simplifié comme hiatus entre noirs et blancs est un mensonge. Comme me l'expliquait un ami avocat cambodgien (sauvé des prisons khmers rouges) et faisant partie à l'ONU de la commission d'étude des génocides) : en Afrique il y a une multitude de racismes entre les noirs et souvent pires que celui dénoncé en Europe ». Ces racismes ne sont évidemment pas d'être d'être dissous tant que durera la société des classes, quelle que soit l'ampleur des propagandes des curés antiracistes (et anticommunistes).
5Prenons par exemple le terme déviationnisme, il peut être utilisé par n'importe quel camp politique sans en être la propriété exclusive. Ce n'est pas parce que nous l'utilisons ici pour qualifier la gauche révisionniste (et non pas réformiste – ce qu'elle n'a plus les moyens d'^tre – que le terme appartiendrait à la droite bourgeoise).
6« Le concept d’ ”intersectionnalité” qui permet de ”penser l’articulation du sexe, de la race et de la classe” est à mes yeux une régression par rapport aux principes fondateurs de la sociologie » – Gérard Noiriel
7C'est Pap Ndiaye qui a le mieux ridiculisée cette suppression par l'idéologie antiraciste stupide : « Même s’il est évident que la ‘race’ n’existe pas d’un point de vue biologique, force est de constater qu’elle n’a pas disparu dans les mentalités : elle a survécu en tant que catégorie imaginaire historiquement construite, avec de puissants effets sociaux. […] Si l’on veut déracialiser la société – et donc faire de telle sorte que la couleur de la peau n’ait pas plus d’importance que celle des yeux ou des cheveux -, il faut bien commencer par en parler. » .
9Où Netanyahou a assuré vouloir « finir le travail », formule utilisée pourtant pas tant d'admirateurs contemporains de Hitler avec la m^me formule : « il n'a pas fini le travail » (d'extermination des juifs)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire