Interview
par Max Eastman, publié dans The Liberator, Avril 1921
(traduction: Jonathan)
Le
titre de cet article annonce des nouvelles intéressantes pour ceux
qui ont toujours aimé les I.W.W., et ressentent qu'ils sont la seule
véritable contribution que l'Amérique a apporté à l'histoire
politique depuis 1789. Nous avons été quelque peu attristés de
voir les I.W.W. présenter la rigidité et la léthargie de l'âge
avancé ces dernières années. On dirait bien que toutes les
organisations qui n’atteignent pas le but pour lequel elles furent
créées en dix ou quinze ans commencent à devenir de plus en plus
intéressées par elles même plutôt qu'en leur propre but.
Cette loyauté instinctive et grégaire qui a permis leur existence
au commencement les rend rigides, satisfaites d'elles mêmes, et
finalement inutiles. Scissionner et former une nouvelle organisation
toutes les dix ans pourrait très bien être une règle universelle –
un vingt deuxième point – afin de guider les mouvements
révolutionnaires. Et il semblait bien que les I.W.W. n'allaient pas
échapper à cette règle.
Mais
quelque chose est en train de se passer. Le bras long des ingénieurs
de Moscou est à la main d'œuvre à Chicago. Les éditeurs et les
organisateurs épuisés, découragés, qui portent les sévices de la
prison et du travail, discutent d'un nouveau sujet avec un
enthousiasme renouvelé – un enthousiasme que Bill Haywood décrit
comme 'tranquille et chaleureux'. Le sujet dont ils parlent est une
approbation du Conseil International des Syndicats de Professionnels
et Industriels, d'une appartenance à celui-ci, et de la réalisation
décidée de ses buts dans ce pays.
« J'aimerais
voir un vote unanime pour l'appartenance de la part des I.W.W. »,
m'a dit Bill
Haywood. « Je ne souhaite que de vivre pour voir le rêve de l'Internationale Rouge du Travail devenir réalité. C'est tout ce que je veux. C'est ça les I.W.W. »
Haywood. « Je ne souhaite que de vivre pour voir le rêve de l'Internationale Rouge du Travail devenir réalité. C'est tout ce que je veux. C'est ça les I.W.W. »
Il
avait un tract dans sa poche écrit par un délégué anglais au
conseil J.T. Murphy. Dans ce tract il y avait une note en bas de page
qui disait que les délégués avaient voté pour qu'une requête
soit faite envers les I.W.W., ainsi qu'aux autres organisations de
tendance syndicalistes-révolutionnaires qui n'avaient pas encore
postulé pour l'appartenance.
« Ça
m'a donné à réfléchir, » m'a t-il dit. « que les
travailleurs de plusieurs nations, en particulier d'une de cent
quatre-vingt mille habitants, ont fait qu'une ébauche de requête
soit faite aux I.W.W. ! Ça nous montre bien comment le monde a
changé. Je n'ai pas à attendre leur requête. J'ai lu leurs plans
et leurs consignes, et je sais que c'est enfin quelque chose dont on
peut se servir. Ils portent les buts et les projets d'origine des
I.W.W., et tu peux dire de moi que je pense que tous les véritables
syndicats des États-Unis doivent adhérer au Conseil International
des Syndicats Professionnels et Industriels avec son bureau central à
Moscou. »
Je
lui ai demandé s'il pensait que les I.W.W. y adhéreraient lors de
leur convention en Mai, et il m'a répondu qu'il, « n'avait pas
entendu un mot de l'opposition. »
Bill
Haywood n'est pas les I.W.W., bien sur, et il n'est pas à présent
en position de pouvoir parler de leur politique exécutive. Mais il
représente, plus que n'importe quel autre homme, leur histoire et
leur élan. Il fut le président de la première conférence qui a
constitué leur formation, et le président de la première
convention lorsqu'ils furent annoncés. Il ne fut jamais absent de
ses réunions sauf lorsqu'il était en prison. Et même lorsque les
responsabilités exécutives étaient entre d'autre mains, il était
toujours reconnu comme le chef des I.W.W. au sein de la l'arène
publique. Dans cette arène, il sortait du lot avec la grandeur
impassible d'un véritable monument. Se mouvant lentement, mais
puissamment maître de soi-même et intelligent, Bill Haywood occupe
une position de véritable influence en Amérique parmi ceux qui ne
sont pas assez naïfs pour croire aux journaux. Et j'imagine que ce
présent changement, ou développement, de son discernement à propos
des tactiques de la révolution, est une indication, que non
seulement que les I.W.W. vont retrouver leur place en avant premières
lignes, mais que les syndicalistes industriels américains en général
vont accepter la philosophie politique plus large du communisme.
Bill
Haywood n'est pas plus enclin à l'idée des campagnes politiques, ou
de ce qui est appelé 'l'action parlementaire', qu'il ne l'était
auparavant – loin de là. Mais il accepte complètement la
nécessité qu'un parti véritablement révolutionnaire forme
l'avant-garde du mouvement révolutionnaire.
« Je
sens comme si j'étais là depuis toujours, » m'a t-il dit.
« Vous vous rappelez la fois où je t'avais dit que tout ce
dont on avait besoin était de cinquante mille vrais I.W.W., et d'un
million de membres environ pour leur servir de renforts ? Et
bien, est-ce que ce n'est pas un peu pareil ? Au moins j'ai
toujours compris que l'essentiel était d'avoir une organisation de
ceux qui savent. On
n'a pas à les appeler les chefs. Moi je les appelle les
ingénieurs. »
Je me suis en effet rappelé la remarque que Bill Haywood m'avait
faite à propos des cinquante mille I.W.W. Je me souviens à quel
point cette idée me semblait folle à l'époque. Mais je me suis
aussi rappelé qu'à cette époque ses cinquante mille ingénieurs
devaient être des syndicalistes industriels purs, et qu'il semblait
concevoir le mouvement dans son ensemble comme d'un combat pour les
magasins à cette époque. Je lui ai demandé qu'est-ce qui avait
provoqué ce changement.
« C'est tout bonnement parce qu'ils ont fait des choses
merveilleuses là-bas que l'on rêvait de faire ici, »
répondit-il. « C'est ce fait, cet exemple, qui est la cause de
tout changement de ma personne qui peut sembler contradictoire. Et
même aujourd'hui j'hésiterais à approuver un tel mouvement si tout
ce qui n'émanait pas de Moscou ne montrait pas qu'ils veulent mettre
les ouvriers au pouvoir, et finalement éliminer l’État. »
Ici Bill Haywood a fait un court éloge de la Révolution
Bolchevique, et ce qu'il a dit étonnerait énormément de gens qui
ne le connaissent qu'en tant que grand méchant de l'Amérique qui
n'a qu'un œil et un grand chapeau noir.
« Max, » dit-il, en serrant l'une de ses mains
extrêmement petites en un geste ferme mais pas très agressif,
« Sans parler de l'expropriation des industries, la question la
plus importante de toutes, ils ont déjà accompli trois choses
là-bas, dont n'importe laquelle justifierait une révolution là-bas,
ici, ou ailleurs à elle toute seule. Veux tu que je te dise
lesquelles ? »
« La première chose est l'éducation des enfants. En Russie
tous les enfants reçoivent de la nourriture, des vêtements, des
livres, des jeux et une véritable éducation. Et, bon Dieu, pour
seulement ça, j'aimerais une révolution dans ce pays ! »
« Et la deuxième chose, c'est la pension qui a été accordée
aux femmes en maternité. Dans ce pays, elle n'existe que pour les
chevaux pur-sang et pour le bétail de race. En Russie chaque femme
est soutenue pendant 8 semaines après son retrait. C'est l’œuvre
d'Alexandra Kollontaï – une bonne amie à moi – et encore une
fois est assez bonne en elle même pour justifier une révolution.
« La troisième chose est le passage des terres aux paysans.
Les paysans ont le contrôle des terres, et c'est bien sûr quelque
chose de fondamental. »
Je lui ai demandé la raison pour laquelle les ouvriers américains
étaient autant derrière les mouvements ouvriers européens
lorsqu'il s'agissait de suivre les russes, et il m'a répondu, « La
raison principale, c'est l'A.F.L.. »
« Crois tu qu'il est possible que les révolutionnaires
capturent l'A.F.L. ? » Lui ai-je demandé.
« Certaines
parties, » M'a t-il répondu. « Même si je ne parlerai
pas de les capturer, mais plutôt de les éduquer. »
Je lui ai demandé quelles étaient ces parties, et il me répondit
après un instant d'hésitation :
« Les Ouvriers des Mines Unis. C'est déjà un syndicat
industriel, et c'est le corps de A.F.L., les syndicats professionnels
sont ses bras et ses tentacules. Les syndicats professionnels sont ce
qui permettent à l'A.F.L. d'étrangler la moindre amibe de vie ou
d'inspiration qui peut naître au sein des travailleurs américains.
« On pense en général que c'est la bureaucratie officielle
qui est responsable de tout ça. C'est pas vrai. Ce sont les
syndicats professionnels avec leurs taux d'admission élevés, et
leur politiques d'exclusion vis-à-vis des travailleurs
non-qualifiés, voir même d'exclusion des travailleurs qualifiés
qui n'ont pas effectué un long compagnonnage en bonne et due forme.
Une autre chose que les tiers ne savent pas à propos de ces
syndicats, c'est qu'ils sont totalement contrôlés par les loges -
les Maçons, les Moose, les Chevalier de Colomb et j'en passe –
travaillent en leur sein à travers de groupes organisés. C'est ces
loges qui élisent leurs responsables et dirigent leurs politiques,
et c'est à cause de ces groupes en leur sein plutôt qu'aux
syndicats eux-même que les ouvriers reçoivent les bénéfices qu'il
reçoivent.
« Mais si tu dis que les Ouvriers des Mines Unis sont le corps
de l'A.F.L., » lui dis-je, « Et qu'il est possible de les
amener à une attitude révolutionnaire, est-ce que ce n'est pas
presque dire que les révolutionnaires peuvent capturer l'A.F.L. »
La réponse de Bill Haywood à cette question fut immédiate et
brève. « Si les Ouvriers des Mines Unis fassent quoi que ce
soit, » dit-il, « alors l'A.F.L. n'existera plus. »
« Tu veux dire, » lui demandais-je, « que
l'organisation se transformerait en quelque chose d'entièrement
nouveau, ou que les Travailleurs des Mines Unis se retireraient et ne
laisseraient rien ? »
Le mot transformation le fit sourire. « Je ne sais pas avec
quel genre d'insecte on se retrouvera. C'est certainement pas un
papillon qui sortirait d'une telle chrysalide. »
« Non, » continua-t-il, « Tu ne comprends pas ce
qu'est l'A.F.L. L'A.F.L. n'est rien d'autre qu'un comité de
direction, qui perçoit une petite cotisation individuelle de chacun
de ses nombreux membres – une cotisation suffisantes pour
entretenir leur bureau, et payer leurs salaires, et entretenir un
lobby à Washington – un comité de direction qui dans ses trente
neuf ans d'existence n'a jamais fait quoi que ce soit pour la classe
ouvrière américaine.
« Voilà ce qu'est l'A.F.L. Et si les syndicats qui forment le
corps de ses cotisants acquièrent une compréhension
révolutionnaire, l'A.F.L. n'existera plus. C'est la seule réponse à
cette question. »
« Crois tu, » lui demandais-je, « que dans une
pareille situation les Travailleurs des Mines Unis s’associeraient
aux I.W.W. ? »
« Peut-être pas, » dit-il. « Si les Travailleurs
des Mines Unis devenaient révolutionnaires et ne voulaient pas faire
partie des I.W.W., alors les I.W.W. peuvent en faire partie, ou de
quelque autre organisation qu'ils peuvent créer. »
C'était
cette déclaration -qui comme presque toutes les déclarations dans
cette interview est citée telle quelle – qui m'a fait ressentir le
plus vivement l'aspect généreux du communisme mûr dans l'attitude
de Bill Haywood.
« Les
I.W.W. ont tendu la main et attrapé une arme » a t-il dit.
« Ils ont essayé d'attraper le monde entier, mais une partie
du monde a sauté en avant ».
https://www.marxists.org/archive/eastman/index.htm
https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrial_Workers_of_the_World
Max Eastman |
https://fr.wikipedia.org/wiki/Industrial_Workers_of_the_World
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