"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

lundi 28 juillet 2008

UN CAPORAL ANARCHISTE STALINIEN
(syndicaliste complice)

à la mémoire de Christian Lagant (de Noir et Rouge, suicidé en 1978)

"Toujours dans les mythes : le syndicalisme. Nous y reviendrons un jour plus longuement car la question est complexe : disons tout de suite que nous ne promettons nulle panacée, de ce côté-là non plus. Nous pouvons toutefois affirmer qu’en ce domaine également les anarchistes ont de quoi réfléchir, car entre le sacro-saint anarcho-syndicalisme et sa centrale (sic) qui-résoudront-tout et l’illusion consistant à se laisser doucement embrigader dans les appareils réformistes en place sous le prétexte classique d’y « défendre nos idées » alors que nous devrions savoir depuis longtemps que le boulot de tout appareil est justement d’absorber tout naïf qui s’y laisse prendre, entre ces deux choix, dis-je, nous prétendons que les anarchistes peuvent et doivent trouver une autre voie, et tant mieux s’ils ne s’y retrouvent pas seuls. Nous essaierons, péniblement, de trouver laquelle, en évitant toutefois de bâtir du neuf avec des matériaux usés, archi usés : une « nouvelle » centrale syndicale par exemple. Celles qui existent suffisent déjà à notre malheur et la religion syndicaliste ne nous tente guère, même si nous possédons parfois la carte de « fidèle »... En somme, et je ne sais pas si je me suis bien fait comprendre, nous n’avons pas la foi, nous ne croyons en rien, pas même en l’Anarchie. Nous sommes malheureux car, pour nous, toutes les questions ne sont pas résolues, et ce ne sont pas de grands mots (le mot Révolution par exemple) qui nous donneront la bienheureuse béatitude. Il y a toutefois une nuance : on peut ne pas « croire » à la Révolution mais toujours faire comme « si « », c’est-à-dire envisager la possibilité de ne pas voir la Révolution de son vivant tout en restant disponible dans le cas de son déclenchement, cela évite les désillusions. C’est aussi meilleur pour les nerfs" (Christian Lagant, 1961)


En parcourant le Monde libertaire n°35, je suis tombé sur un article particulièrement affligeant du nommé René Berthier, phraseur d’importance en milieu anarchiste et syndicaliste ignorantin, avant-goût publicitaire pour la sortie de son livre sur la crise du « comité intersyndical du Livre parisien de 1993-2007 ». Dans mon ouvrage – Dans quel « Etat » est la révolution ? – sous-titré en réponse à ce même Berthier, j’avais démonté pas à pas les ficelles grossières de cet ennemi de la révolution bolchevique et sa propension à exalter la démocratie bourgeoise. Je pensais même parfois être trop dur, n’imaginant pas à quel point cet individu était mouillé dans les co-responsabilités à l’intérieur du syndicat CGT du Livre. Erreur, si l’anarchiste moyen n’est en général qu’un figurant ou un porteur de pancarte, on dénombre quelques sous-offs qui officient sans honte ni remord au sommet des bureaucraties anti-ouvrières. Berthier est de ceux-là, et s’en flatte ; j’étais encore trop bon avec sa criminalisation de la révolution en Russie.

Ce "représentant syndical" (ils aiment mieux qu'on les qualifie d' "élus du personnel"), sous couvert d’objectivité, veut nous faire avaler, comme n’importe quel syndicaliste stalinien ou trotskien, qu’il va nous faire des révélations sur « le mouvement ouvrier réel… loin des grands principes » : « Nous sommes dans un registre où le patronat de presse est loin d’être homogène et où se forgent de discrètes alliances que Marx et Bakounine auraient qualifiées de contre-nature. Nous sommes dans un registre où s’affrontent, entre couches sociales à l’intérieur de la classe ouvrière, des antagonismes d’intérêt et de pouvoir dont l’ampleur ne permet pas de les qualifier de « secondaires ». Autour du débat sur des formes d’organisation incompatibles se cristallise un combat pour l’hégémonie de certaines couches sociales – ou de catégories professionnelles – sur le Livre parisien ».

Il faut une sacrée dose de culot pour assimiler d’emblée (carrément à la manière trotskyste)
« mouvement ouvrier réel » et officines de l’Etat en milieu ouvrier qui chapeautent des corporations de salariés corrompus (et surtout de permanents qui n’ont jamais travaillé). Il faut être soi-même complice des flics syndicaux staliniens de leur belle époque des NMPP et du
« Parisien » (au point de regretter leur disparition) pour faire l’impasse sur leur rôle de flics des manifs avec la corpo des dockers et leur aptitude à cogner sur tout ce qui arborait un titre révolutionnaire !

Qu’est-ce qui compose le « mouvement ouvrier réel » ? Certainement pas une masse compacte d’ouvriers innocents et de purs grévistes désintéressés. Lorsque Marx et Engels ou Lénine et Rosa déploraient la division en temps normal des prolétaires, soumis à la concurrence entre eux pour les salaires, ils voyaient très clairement aussi l’existence de petites rivalités et mesquineries entre corporations, certaines plus avantagées que d’autres qu’ils qualifièrent d’aristocratie ouvrière. Loin donc d’imaginer une classe ouvrière pure ils ne faisaient qu’insister sur la nécessité de la lutte collective contre les nuisances sociales et politiques de la bourgeoisie, pour dépasser la guerre de tous contre tous. Historiquement d’ailleurs la classe ouvrière est bien la seule, intrinsèquement, à être apte à dépasser les mesquines divisions dans le sens d’un combat pour la transformation de la société. Souvent, dans les sales périodes, le combat de corporations égoïstes vient desservir la cause de l’ensemble, mais loin d’être le propre de la classe exploitée, cette situation est planifiée par les forces bourgeoises elles-mêmes. Au levier de commande en permanence pour surveiller et miner le terrain de la lutte sociale, sont placés de nombreux lieutenants de la bourgeoisie en milieu ouvrier. Qu’ils aient porté casquette de métallo ou nœud papillon de bonze-chef, qu’ils perçoivent un salaire au même titre que les autres prolétaires, que certains soient l’objet de poursuites judiciaires pour les légitimer, ne change rien à l’affaire : ces lieutenants sont les flics de base de l’ordre bourgeois.

Hier, pour les soit disant partis ouvriers qui soutenaient le colonialisme, Lénine définissaient ces gens ainsi : « C’est la politique des agents de la bourgeoisie dans le mouvement ouvrier (labor lieutenants of the capitalist class) » (cf. Les tâches de la IIIe Internationale); puis il en vint à qualifier ainsi aussi les dirigeants trade-unionistes...

Aujourd'hui, les diverses corporations syndicales trotskystes et de la CNT ont été de plus en plus intégrées aux appareils syndicaux de la FSU, de SUD, de la CGT ou de FO, à mesure que l’influence du PCF régressait. Quand les travailleurs entrent en lutte, les militants de LO, de la LCR et les anarchistes syndicalistes recourent à la « grève reconductible » pour faire porter la responsabilité des échecs aux travailleurs, sans jamais mettre en cause les négociations, les « journées d’action », ni la participation et la cogestion, qu’ils vont jusqu’à pratiquer eux-mêmes. Dans son pamphlet faible et opportuniste - La maladie infantile - Lénine reprenait la caractérisation de « lieutenants bourgeois » à l’intérieur des syndicats, sans s'en prendre à la forme des appareils syndicaux, comme s'il pouvait y avoir des sous-offs sans corps armé... Dans la phase d'échec et de recul de la révolution mondiale, Lénine pensait pouvoir temporiser et conserver à la classe ouvrière la barque vermoulue des syndicats. Il n'était pas à son aise pour contredire l’orientation lucide des communistes allemands et hollandais. Au nom de la nécessité (valable naguère) de ne pas laisser les organismes de défense immédiate des prolétaires aux mains de chefs retors et corrompus, il persistait à maintenir une position dépassée à une époque où les syndicats, devenus de grands appareils ficelés par l’Etat bourgeois ne sont plus réformables ni amendables. Il opposait une étrange lutte contre une soit disant « aristocratie ouvrière » (quintessence des couches moyennes de l’époque ?) qui aurait permis à la « masse ouvrière » de se débarrasser « des milieux de dirigeants syndicaux contre-révolutionnaires », oubliant la maîtrise totale des appareils par ces mêmes « lieutenants de la bourgeoisie » !

« Mais nous luttons contre "l'aristocratie ouvrière" au nom de la masse ouvrière et pour la gagner à nous; nous combattons les leaders opportunistes et social-chauvins pour gagner à nous la classe ouvrière. Il serait absurde de méconnaître cette vérité élémentaire et évidente entre toutes. Or, c'est précisément la faute que commettent les communistes allemands "de gauche" qui, de l'esprit réactionnaire et contre-révolutionnaire des milieux dirigeants syndicaux, concluent à . . . la sortie des communistes des syndicats ! Au refus d'y travailler! et voudraient créer de nouvelles formes d'organisation ouvrière qu'ils inventent ! Bêtise impardonnable qui équivaut à un immense service rendu par les communistes à la bourgeoisie. Car nos mencheviks, de même que tous les leaders opportunistes, social-chauvins et kautskistes des syndicats, ne sont pas autre chose que des "agents de la bourgeoisie au sein du mouvement ouvrier" (ce que nous avons toujours dit des mencheviks) ou "les commis ouvriers de la classe capitaliste" (labour lieutenants of the capitalist class), selon la belle expression, profondément juste, des disciples américains de Daniel De Leon. Ne pas travailler dans les syndicats réactionnaires, c'est abandonner les masses ouvrières insuffisamment développées ou arriérées à l'influence des leaders réactionnaires, des agents de la bourgeoisie, des aristocrates ouvriers ou des "ouvriers embourgeoisés" (cf. à ce sujet la lettre d'Engels à Marx sur les ouvriers anglais, 1858) ».

Or c’est Lénine qui avait tout faux en reprenant la vieille tactique valable au temps de Marx où les syndicats n’étaient pas encore inféodés à l’Etat. On notera au passage ironiquement le
« léninisme » de Berthier en tout point comparable au trotskysme dégénéré, sur la question syndicale, en l’opposant à ses furieuses diatribes contre Lénine et les bolcheviques au moment de la révolution portées par les Conseils ouvriers, mais surtout contre les syndicats substitutionnistes et conservateurs, surtout en Allemagne ! Jamais le travail dans les syndicats officiels n’a permis depuis un siècle un pas vers soit la généralisation des luttes soit vers l’assaut révolutionnaire !

Entrons à présent dans les arcanes de ce « mouvement ouvrier réel » (mais impur) auquel nous convie le caporal syndicaliste Berthier : « Les ouvriers des NMPP sont (étaient) dans l’ensemble des ouvriers non qualifiés qui ont bénéficié pendant longtemps d’un phénomène « d’aspiration » vers le haut grâce à la puissance globale de la CGT du Livre ». Etre non qualifié est le lot de nombre de prolétaires et une faiblesse sur le marché de l’emploi. Ce n’est pas une garantie de conscience ni de capacité à lutter en tant que classe. C’est un moyen pour une composante de la bourgeoisie, le patronat, pour fidéliser, attacher, ficeler à telle corporation – mettons dans des secteurs stratégiques comme le Livre ou l’énergie – des ouvriers plus fragiles face au chômage en leur donnant l’illusion de leur force locale, avec des « garanties » pour mieux les séparer de l’ensemble de la classe, voir les opposer à elle. Tant de grèves, au niveau international, ne se sont-elles pas déroulées CONTRE l’intérêt de l’ensemble du mouvement ouvrier ou pour mieux éteindre préventivement tout incendie d’ampleur ? Nous n’avons pas oublié l’utilisation des mineurs roumains contre la population à l’époque de la chute de Ceausescu, ni les blocages ad hoc et ponctuels des appareils obscurs (et souterrains...) de la RATP en France, ni ces multiples grèves fonctionnariales programmées et conclues d’avance, ni la façon dont les appareils avec leurs lieutenants et sous-offs gauchistes de base ont cassé le mouvement de l’an passé pour les retraites, ou, comme je l’évoquerai tout à l'heure dans le cas de la privatisation de l’EDF !

De plus, car la masse des prolétaires de ces corporations n’est pas responsable ni de son incarcération corporative ni de sa mise en bière, les « avantages » particuliers ont été ou sont supprimés les uns après les autres, grâce à la case retraite pour les années passée mais désormais de plus en plus vers la case chômage à petit feu. La disparition de corporations relativement privilégiées n’est pas un affaiblissement cependant pour l’ensemble de la classe, mais trotskystes et anarchistes participent de la mystification en déplorant ce qu’ils qualifient de combats perdus du « mouvement ouvrier réel ». Berthier nous promène dans les sous-corporations des correcteurs et des rotativistes en reprochant aux divers cénacles syndicaux en compétition, non pas de s’être comportés en « lieutenants de la bourgeoisie » pour mieux diviser et affaiblir les prolétaires, mais leurs « carences », voire un « syndicat qui a les qualités de ses défauts » ! (p.14) Si les appareils font des « erreurs » c’est donc qu’ils ne sont pas des ennemis ! Plus confondant, Berthier esquive la criminalité de la cogestion « le contrôle de l’embauche » ou l’amenuise, c’est « un effet pervers » concède-t-il, quoique « Placé entre de mauvaises mains, celui-ci peut conduire à de réelles pratiques mafieuses » (sic).

Pour protéger encore le « mouvement ouvrier réel » (comprenez le syndicalisme), le caporal Berthier déplore l’affaissement de la corporation du livre, non à cause de l’ancien et persistant travail de sabotage officiel des lieutenants dont se sent partie prenante, mais va jusqu’à regretter que les prolétaires de cette catégorie soient dorénavant qualifiés, c’est-à-dire… petits bourgeois :

« La composition sociale des équipes de correcteurs en presse est maintenant principalement constituée d’éléments qu’on pourrait qualifier d’intellectuels petits bourgeois, individualistes, pour qui les idéaux de solidarité du syndicalisme, à de trop rares exception près, sont incompréhensibles. La génération qui a vécu Mai 68 et le conflit du Parisien libéré a pratiquement disparu. Il devient aujourd’hui presque impossible chez les correcteurs de trouver des candidats pour assumer des mandats syndicaux. Une fois casé en presse, de plus en plus de correcteurs cessent de payer leurs cotisations. Cracher dans la soupe devient une pratique courante. C’est littéralement la fin d’un monde ».

La fin de votre monde: ce syndicalisme de collaboration mis en musique si longtemps par le stalinisme tout au long de la pénible reconstruction! Et tant mieux pauvre Berthier !

Nulle volonté de ma part d’agréer à une telle situation, d’un extrême l’autre, le suivisme des ouvriers non qualifiés remplacé par l’individualisme des qualifiés n’est pas un progrès. Mais une véritable politique de classe n’a pas le droit de faire regretter l’ancien enrégimentement syndical au prétexte de la passivité des héritiers sans laisse. L’anti-révolutionnaire Berthier ne veut pas qu’on lâche les rênes des anciens appareils (pour maintenir les mêmes colliers autour du cou des nouveaux prolétaires "petits bourgeois": « Pourtant, il reste encore des forces vives dans le syndicat. La question est de savoir si elles seront capables de lui faire remonter la pente » ! Laissons-le continuer à se ridiculiser soi-même pour présenter son livre :

« Cette histoire, j’en ai bien conscience, a le défaut de n’aborder que le point de vue des directions syndicales (même un trotkien n’oserait pas dire ça !) ; en sont pratiquement absents les syndiqués « de base ». Bien souvent, les conflits qui opposaient leurs directions restaient incompréhensibles pour les syndiqués mais n’empêchaient pas l’activité militante dans les entreprises, ni la fraternité ni les « A la ... santé de» (tradition des typographes staliniens de sortir la bouteille de Ricard pour aplanir les divergences !).

Avec l’invocation du frelaté et oecuménique « culte de l’unité » (stalinien), Berthier nous joue du violon « léniniste-trotskien : « Peut-être revient-il aujourd’hui aux militants de forcer leurs directions respectives à renouer le dialogue. Car l’une des causes de la longueur de la crise se trouve sans doute dans la carence de l’information sur ces enjeux ». La comédie n’a pas assez durée ? Berthier propose un cautère sur une jambe de bois, des « tribunes libres dans les bulletins syndicaux », et la rotation des mandats dans les appareils ficelés par la bourgeoisie :
« Elle éviterait en particulier aux permanents à vie et qui n’ont parfois pratiquement jamais travaillé, d’élaborer des stratégies syndicales visant moins la défense de leurs mandants que leur survie perpétuelle en tant que permanents… ».

Le PCF est mort, et la CGT gravement handicapée, le docteur Berthier au chevet lance de l’eau bénite : « Ce que j’affirme est valable en particulier pour les correcteurs : leur syndicat, petit par la taille, a été un grand syndicat dont ils peuvent être fiers. Il leur appartient de se le réapproprier et de faire en sorte que son esprit ne disparaisse pas. La CGT du livre dispose d’une réserve exceptionnelle de militants dévoués, infatigables, qui se battent sur tous les terrains pour défendre les travailleurs : dans les entreprises, dans les institutions sociales, dans les associations… C’est à eux que je dédie ce travail ».

L’ESPRIT INFATIGABLE DE DESTRUCTION DE LA LUTTE DE CLASSE PAR LES DEVOUES MILITANTS (l’exemple de l’EDF)

Il ne servirait à rien de continuer à polémiquer dans les méandres de la corporation du Livre pour des intérêts particuliers et nullement d’un quelconque intérêt pour l’ensemble des prolétaires. Avec le cas de la privatisation de l’EDF on va mieux démonter encore les ficelles du berger néo-stalinien Berthier.

Dans la revue trotskyste « Variations » (printemps 2006) titrée ésotériquement : « Mouvement social et politiques de la transgression », on retrouve le même raisonnement servile que celui de Berthier. On dénonce des trahisons ou des mafias mais on leur trouve toujours des circonstances atténuantes. Prenons un certain Adrien Thomas – « En apesanteur, la CGT face à la privatisation d’EDF-GDF » - qui va nous décrire les saloperies fort méconnues (à l’extérieur ) par la plupart des prolétaires et même des petites orgas qui s’en réclament. J’ai décrit moi-même, dans l’isolement et l’autisme éditorial du monde hexagonal, la manière dont la CGT a accompagné et favorisé la casse d’EDF (cf. Des hommes au service d’une entreprise, ed du pavé). A.Thomas m’en a appris pourtant des vertes et des pas mûres dans son article. Ce trotskien ne part pas pourtant du point de vue du prolétariat et barbote dans un langage œcuménique fraternel avec les ordures du syndicalisme officiel : « Le constat est unanime : le syndicalisme hexagonal ne va pas bien. Les indicateurs de la crise sont connus (…) le syndicalisme français s’est toujours davantage retranché dans ses bastions du secteur public. Ce qui a eu pour effet d’aggraver ses difficultés (pas celle des prolétaires ? JLR) (…) Il a aussi renforcé la dépendance d’arrangements corporatistes, hérités du passé, dans lesquels la forte institutionnalisation du syndicalisme et des rapports de coopération étroits avec le management posent des limites à la mobilisation des salariés par les syndicats ».

Que les choses sont dites diplomatiquement ! Voici que le serpent se mord la queue :

« Le processus de privatisation des deux bastions cégétistes EDF-GDF illustre bien les tiraillements du syndicalisme de bastions entre accords de sommets et mobilisation des salariés. Le compromis historique entre management et CGT qui a été à la base du fameux « modèle EDF », a enfermé le syndicalisme dans des routines et structures institutionnelles dépassées. La volonté de perpétuation du communautarisme d’entreprise EDF-GDF n’a pas seulement posé des frontières au déploiement de la solidarité vers l’extérieur, mais aussi au développement de la solidarité interne, renforçant la fragmentation du syndicalisme et du salariat dans les entreprise». J’arrête là un discours eunuque comparable à celui de Berthier où toute la crapulerie des appareils est confondue avec le « mouvement ouvrier réel », où les prolétaires sont destinés à demeurer éternellement les cocus non de l’histoire mais de la dépossession de toute décision quant à leur avenir immédiat, local ou corporatiste.

Passons sur les poncifs bien connus sur le barnum EDF. A.Thomas nous rappelle que l’accompagnement de la casse de la nationalisation n’a été qu’un parcours de santé pour les bonzes Frédéric Imbrecht et Denis Cohen. Ils se sont moqués ouvertement et de leurs syndicalistes de base et des personnels en serrant la paluche aux ministres. Ce qui fût trahison pour les plus énervés des syndicalistes de base, ou vente aux enchères pour l’agent moyen, devient apesanteur pour notre délicat trotskien : « La déconnexion de l’équipe dirigeante de la CGT de l’énergie la rend perméable (la pauvre ! JLR) aux références et finalités des directions d’entreprise. Elle menace de placer le « sommet » de l’organisation syndicale en apesanteur par rapport à sa « base » dans les entreprises ». On compatit :

« Le caractère non public des discussions entre l’équipe dirigeante de la fédération et le management d’EDF-GDF, ainsi que la non-révélation des contre-parties en termes d’institutionnalisation syndicale (gestion de la CCAS) obtenues dans l’échange politique contribuent aux difficultés des équipes militantes au plan local à évaluer les avantages et les désavantages de l’échange politique ». On assiste ensuite à la fragmentation de l’appareil CGT suite à la compromission des « camarades-Judas », mais laquelle fragmentation ne se transcende ni en force de lutte ou de remise en cause et n’accouche même pas d’une souris berthieriste anti-mafia ! On gueule bien de ci de là dans les « unités » de production (mais il ya des « A là » comme chez les correcteurs, les permanents ressortent le Ricard et pleurent sur l’épaule des forts en gueule dépités et égarés de chagrin (Thomas décrit comment ces égarés reviennent manger dans la main des bonzes : « La menace de sanctions peut aussi amener des équipes militantes locales en rupture de ban à rechercher le soutien de la direction fédérale, qui peut faciliter des « arrangements » avec le management ou fournir un soutien juridique » (sic)

Quelques zozos, les « Robin des bois » mènent bien des "actions" indépendantes (maigres coupures ou démontages de compteurs de députés, mais l’appareil syndical est une enceinte de commissariat : « Contrairement au mouvement de 1995, où elle avait laissé faire les équipes militantes les plus radicales, la direction CGT de l’énergie surveille étroitement les formes de la conflictualité ». A.Thomas ne sait pas que des gros bras CGT se partagent le travail avec des vigiles recrutés par la direction pour garder les postes de coupure les plus importants. Comme à la SNCF en novembre dernier, quelques nigauds seront même sanctionnés.

Pour aviver la colère du lecteur et lui laisser soupeser le degré de pourriture du raisonnement complice de ce genre d’analyse des échecs du « vrai ouvrier » confondu avec le lieutenant de l’Etat bourgeois, je me contenterai de livrer sa conclusion, à la Berthier :

« …les dirigeants de la CGT de l’énergie ont fini par glisser vers un accompagnement résigné des évolutions sans vouloir – et sans pouvoir – l’assumer vis-à-vis de leur base militante et d’une partie de leur appareil. Au risque d’une fragmentation (bof !) de l’organisation syndicale mettant en question le ressort même du syndicalisme : la capacité à produire de la solidarité et à agir en commun (…) Le combat perdu d’EDF-GDF montre en tout cas les limites de l’institutionnalisation sans mobilisation ( !?) et de la négociation sans mandat, mais aussi de l’enfermement de l’action syndicale dans des frontières d’entreprise ou de branche ».

En tout cas, la nationalisation avait du bon comparée à la privatisation qui génère une bureaucratie et un cynisme qui furent moindres au temps du "service public": les employés sont de plus en plus précarisés et les "clients" traités comme des débiles dans un univers autiste. Il faudrait écrire un livre là-dessus (pour la plupart des anciens services publics, la téléphonie en vogue et internet cette vaste esbrouffe) mais la fin des services publics ne signifie pas en soi un affaiblissement du prolétariat. On dorlotait ce dernier avec de "prétendus bastions" qui ne protégèrent en rien contre les vagues d'attaques successives de l'Etat bourgeois, au contraire, et ne furent que des radeaux emportés par le courant. Le capitalisme, d'autre part, est bien son propre fossoyeur, il travaille pour nous en supprimant de soit disant privilèges de "bastions fonctionnaires", et en précarisant toujours plus des masses grandissantes de prolétaires, en "unifiant" les conditions d'exploitation!

NB : Aux côtés des syndicalistes anarchistes veufs du syndicalisme stalinien triomphant, qui ne peut plus apparaître sous un faux nez, on trouve moult ouvrages qui se penchent sur cette pauvre classe ouvrière, des auteurs qui sortent la loupe pour scruter ou retrouver de vieux schémas rassurants pour leurs maîtres. Citons « Sociologie des mouvements sociaux » de Erik Neveu et « Les classes sociales dans la mondialisation » de Anne-Catherine Wagner (ed la découverte). Ces savants ouvrages me font marrer et restent incapables de saisir le réel mouvement ouvrier qui n'a pas changé sur le fond depuis 1848, surtout quand ils tentent de lui attribuer une infériorité culturelle, par ex dans le domaine des langues étrangères, par ce dernier auteur :

« Les classes populaires, à l’inverse, sont fragilisées par l’éloignement des lieux de pouvoir et de décision. Les ouvriers, les employés non qualifiés, une grande partie des petits indépendants et des techniciens ont en commun d’être relativement peu pourvus des ressources linguistiques et sociales qui donnent accès à l’étranger (…) Que sont devenues les internationales socialistes et ouvrières ? ». Marrant non ? Or justement avec l’immigration incessante, la classe ouvrière a toujours une propension plus grande que la petite bourgeoisie à parler plusieurs langues. Les dits sous-développés, eux-mêmes, pratiquent, outre leur langue maternelle, mieux la langue dominante du capitalisme, l’anglais, que les autochtones Et je réponds à cette auteure académique qu’à ma connaissance, même minimes, la plupart des organisations révolutionnaires qui ont été fondées depuis au moins un demi-siècle se sont toujours données une base inter-nationale et ont eu à cœur d’être composées de militants de plusieurs pays ! Et qu'il en sera ainsi à l'avenir pour toutes celles qui voudront prétendre être les linéaments du parti de classe pour foutre en l'air le système.

LA DOCTRINE DU DIABLE

AU CORPS

(Bordiga, 1951)

Ces extraits nous ont été suggérés par le site Bellaciao, qui reprend certains articles de PU sans demander la permission, et tant mieux ; le Mouvement socialiste mondial du Canada a fait la même chose en référençant la critique du dernier livre de Bitot, tant mieux aussi, mais on ne saurait trop conseiller du même coup, en version Gutenberg, la critique percutante de Robert Camoin à la dérive anti-marxiste de C.Bitot (cf. supplément à la revue Présence Marxiste n°69, août-septembre 2008)

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Hier

Avec la disparition des personnes privées qui organisent la production en qualité de propriétaires d'entreprise, la forme fondamentale du capitalisme ne disparaît donc pas ? Voilà, dans le domaine économique, l'objection qui arrête beaucoup de gens.

Marx nomme cent fois " le capitaliste ". D'autre part, le mot " capital " vient de caput signifiant tête, et donc, traditionnellement, est capital toute richesse liée à, mise au nom [3] de tout propriétaire en titre. Pourtant, la thèse (à laquelle nous consacrons depuis longtemps des exposés qui n'apportent rien de neuf mais ne font qu'expliquer) affirmant que l'analyse marxiste du capitalisme ne comporte pas nécessairement la personne de l'entrepreneur, reste vraie.

Les citations de Marx seraient innombrables. Nous conclurons par une seule.

Prenons le prétendu capitalisme " classique " de la " libre " entreprise. Marx met toujours ces adjectifs entre guillemets. Ils n'appartiennent qu'à l'école économique bourgeoise qu'il combat et détruit par ses thèses. Voilà le point qu'on oublie toujours.

On suppose naturellement qu'il existe, aux mains de Monsieur X, premier capitaliste en date, une masse de monnaie. Bien. Des sections entières de l'œuvre de Marx répondent à la question : comment est-ce possible ? Les réponses sont variées : vol, pillage, usure, marché noir et, comme on l'a souvent vu : ordre du roi ou loi de l'État.

Alors X, au lieu de garder sa bourse pleine de pièces d'or et de les faire glisser chaque nuit entre ses doigts, agit en citoyen imbu des idées de civilisation, de libéralisme et d'humanisme : il fait noblement affronter à son capital les risques de la circulation.

Donc, premier élément : argent accumulé.

Second élément : achat de matières premières, les classiques balles de coton brut rencontrées en tant de chapitres et de paragraphes.

Troisième élément : achat d'un immeuble où installer la fabrique et des métiers pour filer et tisser.

Quatrième élément : organisation et direction techniques et administratives ; le capitaliste classique y pourvoit ; il a étudié, circulé, voyagé et imaginé les nouveaux systèmes qui, en façonnant les balles et en fabriquant les filets en masse, les rendront moins coûteux ; il habillera à bon marché les loqueteux d'hier et même les Noirs d'Afrique centrale habitués à aller nus.

Cinquième élément : les ouvriers qui actionnent les métiers. Ils ne seront pas obligés de fournir une once de coton brut ou ne serait-ce qu'une petite canette de rechange, ce qui arrivait aux temps semi-barbares de la production individuelle. Mais gare, en même temps, s'ils emportent un seul bout de coton pour repriser leur pantalon. Ils touchent une compensation, juste équivalent du temps de travail.

Une fois ces éléments combinés, il en résulte ce qui est le mobile et le but de tout le procès : la masse des filés ou des tissus. Le fait essentiel est que le capitaliste seul peut la porter au marché ; et la totalité du gain monétaire lui revient.

Toujours cette vieille histoire. C'est vrai. Vous connaissez la petite comptabilité. Sortie : le coût du coton brut - la somme compensant l'usure des bâtiments et des machines - les salaires des ouvriers. Entrée : le prix de la vente du produit. Cette partie dépasse la somme des autres et la différence constitue le bénéfice, le profit de l'entreprise.

Que le capitaliste fasse ce qu'il veut de l'argent récupéré est de peu d'importance. Il pourrait aussi bien disposer de la somme initiale sans rien fabriquer. L'important est qu'après avoir tout racheté et reconstitué tous les stocks, de valeur égale au premier investissement, il détient une nouvelle quantité de valeur. Il est sûr qu'il peut la consommer individuellement. Mais socialement, il ne le peut pas et quelque chose le contraint à l'investir en grande partie, à la ramener à l'état de nouveau capital.

Marx dit que la vie du capital ne consiste qu'en son mouvement comme valeur en voie de multiplication permanente. La volonté personnelle du capitaliste n'y est d'aucune nécessité et ne pourrait s'y opposer. Le déterminisme économique n'oblige pas seulement le travailleur à vendre son temps de travail, mais également le capital à s'investir et à s'accumuler. Notre critique du libéralisme ne consiste pas à dire qu'il existe une classe libre et une, esclave : l'une est exploitée et l'autre profiteuse, mais toutes deux sont liées aux lois du type historique de production capitaliste.

Ce procès n'est donc pas interne à l'entreprise, mais social, et ne peut être compris qu'ainsi. On trouve déjà chez Marx les hypothèses selon lesquelles les divers éléments se détachent de la personne de l'entrepreneur et sont tous remplacés par la participation à une quote-part du bénéfice réalisé dans l'entreprise productive. Premier élément : l'argent peut être celui d'un préteur, d'une banque et fournir un intérêt périodique. Second élément : de ce fait, les matériaux acquis avec cet argent ne sont pas au fond propriété de l'entrepreneur, mais celle du financier. Troisième élément : en Angleterre, le propriétaire d'un édifice, d'une habitation ou d'une fabrique peut ne pas l'être du sol qu'il occupe ; quoi qu'il en soit, habitation et fabrique peuvent être loués. Rien n'interdit que le soient également les métiers et toutes les machines et outils. Quatrième élément : il se peut que l'entrepreneur n'ait pas les connaissances techniques et administratives de direction ; il loue alors les services d'ingénieurs et de comptables. Cinquième élément : les salaires des travailleurs ; évidemment, leur versement s'effectue aussi à partir des avances du financier.

La fonction stricte d'entrepreneur se réduit à flairer si on recherche sur le marché certaines quantités de produit dont les prix de vente dépassent le coût total de tout ce que nous venons d'énumérer. Ici la classe capitaliste prend les traits plus précis de celle des entrepreneurs, qui est une force sociale et politique, base principale de l'État bourgeois. Mais la couche des entrepreneurs ne se confond pas avec celle des propriétaires d'argent, du sol, des immeubles, fabriques, stocks de marchandises, machines etc.

Deux formes et points sont fondamentaux pour reconnaître le capitalisme. L'un est que ne soit pas entamé ni ne puisse l'être le droit de l'entreprise de production à disposer des produits et du gain tiré de ces produits (prix forcés ou réquisitions de marchandises n'entament pas ce droit au gain). Ce qui protège ce droit essentiel dans l'actuelle société est, dès l'origine, un monopole de classe, une structure de pouvoir, d'où il résulte que ceux qui transgressent la loi sont frappés par l'État, la magistrature et la police. Telle est la condition d'une production par entreprises. L'autre point est que les classes sociales " n'aient pas de frontières fermées ". Elles ne sont plus historiquement ni des castes ni des ordres. Appartenir à l'aristocratie foncière durait au-delà de la vie puisque le titre se transmettait d'une génération à l'autre. La propriété en titre de biens immeubles ou de grands établissements financiers a, au moins en moyenne, la durée d'une vie humaine. La " durée moyenne d'appartenance personnelle d'un individu donné à la classe dominante " tend à devenir de plus en plus courte. C'est pourquoi ce qui nous intéresse dans les formes extrêmement développées n'est plus le capitaliste mais le Capital. Ce metteur en scène n'a pas besoin d'acteurs stables. Il les trouve et les recrute où il veut et les remplace à tour de rôle de manière toujours plus dévastatrice.


Aujourd'hui

Nous ne pouvons démontrer ici que le capitalisme " parasitaire " de Lénine ne doit pas être compris au sens où le pouvoir serait davantage aux mains des capitalistes financiers que des industriels. Le capitalisme ne pouvait se répandre et s'accroître sans se différencier et sans séparer toujours plus les divers éléments qui contribuent au gain spéculatif : finance, technique, outillage, administration. La tendance est à ce que la plus grande part de bénéfice et de contrôle social échappe toujours plus aux mains des éléments positifs et actifs et se concentre dans celles des spéculateurs et du banditisme affairiste.

Nous allons donc voler de Marx à… Don Sturzo [4].

Celui-ci, avec sa prudence habituelle, s'est occupé du scandale de l'Institut National des Assurances. Ses propos sont intéressants : je ne peux pas dire ce qui se passait à l'époque fasciste car j'étais en Amérique et là, ces choses sont à l'ordre du jour et d'une tout autre ampleur ! Nous en étions sûrs. Le parasitisme capitaliste de l'Italie contemporaine surpasse celui de l'Italie mussolinienne et tous deux sont des jeux d'enfant en comparaison des manœuvres de l'affairisme états-unien.

L'INA dispose de fonds colossaux puisqu'il centralise tous les versements des travailleurs aux assurances sociales, comme d'autres instituts paraétatiques apparentés dont les sigles sont connus. Ils paient avec lenteur et une masse énorme de numéraire circule donc dans ses caisses. Il a par conséquent le droit (tout en n'ayant ni tête, ni corps, ni âme : ce n'est pas pour rien que nous sommes dans la civilisation de l'habeas corpus !) de ne pas laisser dormir une si grande richesse ; par conséquent, il place et investit. Quelle aubaine pour l'entrepreneur moderne ! Il est le capitaliste sans capital, de même que, dialectiquement, le capital moderne est le capital sans patron, acéphale.

Le mal, nous dit le sage prêtre sicilien (dont ceux de son bord aspirent tant à faire au plus tôt un éloge funèbre dithyrambique), est la formation, à l'ombre de l'INA, de trop nombreuses sociétés de complaisance.

Que sont, Kaiser, les sociétés de complaisance ? Quelques types versés dans les affaires, qui ont des bureaux luxueux et sont introduits dans les antichambres économiques et politiques, qui n'ont pourtant pas un sou à eux, ni de titre à leur nom ou d'immeubles cadastrés (ni même le loyer d'une maison : ils vivent dans les grands hôtels, connaissent à fond Vanoni [5], mais Vanoni ne les connaît pas), font le " plan " d'une affaire donnée et fondent une société dont le seul patrimoine est ce même plan. L'argent, c'est l'INA ou quelque autre organisme similaire qui le donnera en s'appuyant, s'il le faut, sur une petite " loi spéciale ", disons pour le développement de l'élevage des crabes sur les épaves de navires coulés ; problème qu'on s'empresse de mettre au rang des problèmes nationaux de premier plan, surtout si un parlementaire d'opposition fait un puissant discours contre l'inaptitude du gouvernement.

Naguère, en effet, l'entrepreneur ordinaire allait à la banque chercher des fonds à placer dans l'affaire en projet. Le banquier disait : Bon voilà, quelles sont tes garanties ? Montre tes propriétés, titres ou autres... Mais un organisme paraétatique n'a pas de ces basses exigences : le but national lui suffit et il sort ses sous. Le reste de l'histoire va de soi. Si l'entrepreneur à l'ancienne mangeait la grenouille [6] dans le cadre de son plan et de son projet de production, il était fini : son argent ne rentrait plus et il quittait, tout penaud, la classe patronale.

Notre société de complaisance, avec son brillant état-major, n'a pas ce souci : si elle attrape des grenouilles qui sont achetées par des gourmets à des prix rémunérateurs, c'est de l'argent gagné. Si par hasard elle n'en attrape pas, ou si personne n'en mange, pas de problème : des jetons de présence, des indemnités, des participations ont été encaissés et c'est l'INA qui paie pour la faillite du plan-grenouilles.

Avec ce petit exemple banal, nous avons expliqué ce qu'est le capitalisme d'État ou l'économie centralisée dans l'État : il faut préciser que la perte de l'INA est celle de tous les pauvres malheureux qui laissent dans ses caisses une nouvelle fraction du salaire quotidien.

Le capitalisme d'État est la centralisation de la finance par l'État, mise ainsi à disposition de ceux qui, momentanément, manœuvrent l'initiative des entrepreneurs. Jamais l'initiative privée n'a été aussi libre que depuis qu'elle conserve le profit et que tout risque de perte lui a été épargné en le reportant sur la collectivité.

Seul l'État peut battre autant de monnaie qu'il le veut tout en châtiant les faussaires. C'est sur ce premier principe de force que repose, dans les formes historiques successives, le procès progressif d'expropriation des petits propriétaires et de concentration capitaliste. Nous avons bien souvent dit, à juste titre, que toute économie où les entreprises ont des bilans, et où les échanges se mesurent en monnaie, ne peut échapper à ces lois.

Le pouvoir d'État prend donc appui sur les intérêts convergents de ces bénéficiaires profiteurs de plans spéculatifs d'entreprises et de leur réseau à forte liaison internationale.

Comment ces États ne prêteraient-ils pas de capitaux à ces bandes qui ne paient jamais leurs dettes envers eux mais la font payer de force aux classes exploitées en les réduisant à la famine ?

La preuve, ou si vous voulez la nouvelle preuve, que de tels États " capitalisateurs " se trouvent dans cette position de débiteurs chroniques de la classe bourgeoise, est qu'ils sont contraints d'émettre des prêts en continuant à accepter son argent et en versant des intérêts.

Une administration socialiste d'" économie centralisée " ne donnerait son aval à aucun " plan " venant de l'extérieur, de même que, d'autre part, elle ne verserait aucun intérêt. Et d'ailleurs, elle ne manipulerait pas d'argent.

Le capital centralisé dans l'État ne l'est que pour rendre plus aisée la conduite de la production en vue de la survaleur et du profit, qui reste " à la portée de tous ", c'est-à-dire à celle des représentants de la classe des entrepreneurs, lesquels ne sont plus de simples capitaines d'industrie mais des brasseurs d'affaires déclarés ; on ne produit plus de marchandises, disait déjà Marx, on produit de la survaleur.

Le capitaliste en chair et en os ne nous sert plus à rien : le capital vit sans lui, avec la même fonction mais centuplée. Le sujet humain est devenu inutile. Une classe privée des individus qui la composent ? L'État au service non plus d'un groupe social mais d'une force impalpable, oeuvre de l'esprit saint ou du diable ? Nous manions l'ironie à la manière de notre vieux Maître Karl. Nous vous offrons la citation promise :

" Le capitaliste, en transformant l'argent en marchandises qui servent d'éléments matériels pour un nouveau produit, en leur incorporant ensuite la force de travail vivante, transforme la valeur - du travail passé, mort, devenu chose - en capital, en valeur grosse de valeur, monstre animé qui se met à " travailler " comme s'il avait le diable au corps. " [7]

Il faut prendre le capital par ses cornes.

Notes

[3] It. : intestata, verbe dont la racine est " testa ", tête.

[4] Luigi Sturzo, prêtre sicilien, fondateur en 1919 d'un parti catholique, le parti populaire italien.

[5] Politicien démo-chrétien. Il fut commissaire gouvernemental de la banque régionale d'agriculture.

[6] It. : prendere granchi, litt. : " attraper des crabes " (voir plus haut), c'est-à-dire : faire des bêtises.

[7] Souligné par Bordiga. Le passage original est le suivant : " Indem der Kapitalist Geld in Waren verwandelt, die als Stoffbildner eines neuen Produkts oder als Faktoren des Arbeitsprozesses dienen, indem er ihrer toten Gegenständlichkeit lebendige Arbeitskraft einverleibt, verwandelt er Wert, vergangne, vergegenständlichte, tote Arbeit in Kapital, sich selbst verwertenden Wert, ein beseeltes Ungeheuer, das zu "arbeiten" beginnt, als hätt'es Lieb' im Leibe. " En transformant la monnaie en marchandises qui servent de matériaux à la formation d'un nouveau produit ou de facteurs du procès de travail, en incorporant à la choséité morte de ces dernières de la force de travail vivante, le capitaliste transforme de la valeur, travail passé, réifié, mort, en capital, valeur se valorisant elle-même, monstre animé qui se met à " travailler " comme s'il avait le diable au corps. "

jeudi 17 juillet 2008

UN RASTIGNAC COMMUNISATEUR

« Depuis cent ans, nous rétrogradons furieusement, et nonobstant les éloquences de la tribune ou du journal, jamais la pauvreté et le travail n’ont été plus méprisés. Et de tous. Même des travailleurs. Et la meilleure preuve, c’est l’accroissement continu des classes moyennes. M. Jules Lemaître a pu écrire un jour : « Il faudrait combattre aussi le préjugé stupide qui, en pleine démocratie et après dix-neuf siècles d’Evangile, pèse encore sur les métiers manuels ; préjugé partagé par ceux-là mêmes qui font ces métiers. Un notaire, un receveur de l’enregistrement, un rat de cave, se croit d’un autre monde qu’un entrepreneur de charpente ou un maître serrurier. Pareillement un artisan, un laboureur, croit hausser sa fille en faisant d’elle une institutrice et en l’envoyant grossir le troupeau lamentable des diplômés sans place. Cela est absurde. Je dis des professions manuelles ce que je dis des professions « libérales » : elles valent ce que vaut celui qui les exerce. Tout homme qui n’est pas indifférent à l’étiquette sociale est, dans le fond, un imbécile » (cf. Georges Deherme, Les classes moyennes, étude sur le parasitisme social, librairie académique Perrin, 1912).

Selon la nullité politique Sartre il y avait deux catégories de gens « les cons et les salauds » ; lui considérait faire partie d’une autre catégorie, celle des intellectuels au-dessus de classes, sorte de sages raisonneurs dispensés des contraintes matérielles. Or la plupart des philosophes et des sociologues modernes se sont toujours mis au service des princes de ce monde. Il n’existe de ce fait patent plus de « maître à penser ». On trouve quantité de maîtres à conceptualiser, à délibérer, à corroborer, à encenser, à stipuler, à délirer et à déféquer. La plupart des revues à prétention d’étude sociale et/ou politique ont vu chuter leur nombre de lecteurs. Par contre elles pullulent. Chaque réseau d’écrivains ou de groupuscules politiques produit sa revue. Au total ces revues sont plus nombreuses que le lot de lecteurs qui se penchent sur chaque édition des unes et des autres. On retrouve régulièrement des stocks d’invendus dans la filiale des librairies « Mona lisait » avec les traditionnels épaisses et invendables (au prix d’origine) revues d’art et de photographies. La revue des fans de Negri « Multitudes » figure en bonne place en tête des invendus ; on peut ainsi trouver encore les premiers numéros de l’an 2000 mal fagotés avec pagination décalée. C’est dommage pour les forêts mais excellent pour les broyeuses du pilon. C’est dommage pour leurs intellectuels arrivistes mais une superbe poubelle pour ces amis verbeux de la bourgeoisie occidentale.

Rien de bien nouveau avec les affligeants pensum du marais communisateur, vieille scorie traditionnelle du pan dilettante de l'anarchisme traditionnel, qui a toujours été hostiles à la lutte des classes avec cet humanisme bourgeois libertarisant orienté vers le pacifisme et la soumission.

Prenons par contre la nouvelle revue de la communisation affichée, dont le tirage est ridicule (1000 exemplaires) et que le rebut est considérable. Le format A4 reprend celui de La Banquise de Dauvé, agrémenté de photos froides d’usines fermées, de grues, de feux rouges ou de clichés de manifestations de totos masqués et armés de bâtons. Ce genre de décorations était typique des revues modernistes des années 1970-80. Cela illustre de façon sous-entendue un radicalisme oculaire. Je me suis farci la lecture des quatre premiers numéros, chose que je déconseille à quiconque ne veut pas perdre son temps ni son sens de l’humour. A l’évidence c’est un coup… monté pour valider l’existence d’un milieu de déshérités de la révolution, aigris et vindicatifs. Mieux encore, le principal rédacteur de cette revue feuilleton de considérations diverses, suivant l’incursion d’éventuels interlocuteurs sur les webzines marginales de ces gugusses, n’est autre que Roland Simon. Mi-Posadas, mi-Staline, cet auteur (publié aux éditions sinononestzero) s’est aperçu (ou on l’a prévenu) que signer de son nom les trois quarts de sa revue faisait mauvais effet (cf. le numéro 2), depuis il ne signe plus (cf. numéro 4). La pub pour le mirage communisateur désormais en 4e de couv comporte cinq points (plateformistes… copiés à l’envers de ceux de Présence Marxiste) totalement nihilistes, y compris le point deux (pour appâter l’anarchiste ignorant) sommet de cuistrerie universelle : « La conviction que la seule perspective révolutionnaire actuelle est celle de la destruction du capitalisme et indissociablement de toutes les classes » ; tout beau tout creux, un couteau sans manche auquel manque la lame

On trouve intramuros encore des contributeurs au nom à la con : « un asymétrique », Calvaire, Patloch, etc. convoqués pour faire valoir le gourou de la revue plat de nouilles.

Pour amorcer la pompe, RS. n’hésite pas à convoquer, pour les rabaisser au rang de disciples deux ex du CCI (Maxime et le niveleur). Voici comment ces pauvres hères vont à Canossa :

« Si, hier nous pensions que la révolution communiste consistait en la prise du pouvoir par le prolétariat afin de faire triompher le monde salarié et réunir de ce fait même les conditions de l’abolition du salariat par la généralisation de ce statut à toute l’humanité, nous en sommes aujourd’hui revenus ». Pauvres apostats qui disposent, heureusement de l’abreuvoir communisateur (les moutons ne vont pas au Sahel) : « Au fur et à mesure que nous avancerons dans notre abandon du « programmatisme » (voir à Précis de communisation) – ce en quoi vos textes nous aideront certainement -, nous prendrons une plus large part à la discussion. Il est encore possible que nous comprenions imparfaitement les positions « communisatrices ». Ne vous gênez pas pour indiquer nos éventuels contresens ».

Admirable génuflexion d’inférieurs ! Ils font ainsi honte à tant d’années de militantisme qu’ils ne passèrent pas pourtant assis dans un fauteuil comme l’anachorète R.Simon (23 ans assis cela donne des escarres pourtant… mais ce ne sont heureusement pour lui que des escarres théoriques).

Si l’attaque vient de l’extérieur, non servile et du point de vue du prolétariat révolutionnaire, Simon-Posadas (vieux trotskar qui rédigeait seul son journal) se mue en Simon-Staline. Il a raison en tout et peut bluffer contre ceux qui mettent « les communisateurs dans le collimateur ». Il commet une bévue, habituelle avec ses phrases alambiquées dont il perd le sens si elles deviennent trop longues. Les luttes « étant théoriciennes » selon ce cuistre, ceux dont il va esquiver les critiques, en sont tout de même le produit (hé hé !) :

« plus généralement, les caractéristiques du cycle de luttes actuel, tétanisent le milieu théorique issu de l’Ultra-gauche, de l’autonomie, de l’opéraïsme et du mélange à des doses diverses des trois. A tel point que certains s’égarent dans des attaques aussi vindicatives que pitoyables contre les « communisateurs ». Qui sont ces contradicteurs ainsi mélangés ?

- des « fossiles vivants » (où a-t-on jamais vu des fossiles vivants ?) et « palmés » « rescapés de l’inénarrable CCI comme Présence Marxiste de Robert Camoin et Michel Olivier.

Notre potentiel chef de file de la communisation mondiale et apostolique, après avoir cité les remarques cinglantes de vérité de ces vilains contradicteurs « fossiles vivants » ne trouve rien à répondre, tel Jacques Duclos face aux révolutionnaires anti-staliniens : « Quand les bornes sont dépassées, il n’y a plus de limites ». Ah bon ! C’est tout ! Pas fortiche comme argument d’autorité ! Mais c’est très culotté et typiquement stalinien de mentir sur la filiation historique de ces vieux militants honnêtes et déterminés de la cause du prolétariat : ils n’ont rien eu à voir avec le marais ultra-gauche moderniste (que Simon a rejoint et continue), ni avec les totos anars, ni avec ses amis et concurrents du maoïsme des Negri et Cie. Holà, ! Un peu de modestie et de respect Roland Simon ! Le peu que tu as appris en politique révolutionnaire, tu le dois à ces vieux militants que tu conchies avec le mépris du petit maître devant son tableau noir, noir comme le drapeau que tu agites devant une salle vide !

Tu retombes sans cesse dans une glose spéculative qui radote tous les trois paragraphes une variante de ce qui suit : « L’abolition de la condition prolétarienne est l’auto-transformation des prolétaires en individus immédiatement sociaux ». Outre que les prolétaires sont réellement socialisés eux au sens de l’obligation au travail et conditionnés à envisager un autre monde politique et économique, on ne peut pas en dire autant de notre instituteur provincial. Dieu qu’ils sont cons(ternants) en général ces enseignants ; toute leur vie ils prennent les autres catégories de la population pour des enfants ! Est-ce le hasard si plus de 80% de la profession n'est composée que de progénitures de la bourgeoisie et de sa petite bourgeoisie?

"Changez-vous vous-mêmes avant de prétendre changer le monde" ce genre d’argutie ne vous rappelle-t-elle pas le credo du petit com ou du hippie : « la révolution prolétaire il faut que tu l’as fasse en toi d’abord ! ». C’est bien là d’où provient le fond théorique de cette mouvance intellectuelle paumée, de cette petite bourgeoisie qui hait la révolution comme le péché puisqu’elle signifie arrêt des fournitures d’électricité et des cartouches d’encre pour les imprimantes des bobos, prise d’armes, combat politique sans discontinuer, etc.

Le petit boutiquier n’a jamais eu que mépris pour le prolétaire, et tel le grossier Bigard n’a de cesse de lui faire la leçon sur ce qu’il doit penser. Les classes moyennes ont toujours été caractérisées dans le mouvement ouvrier « programmatiste » comme effrayées par la condition prolétarienne.

Contre les futurs disciples de Staline, Mao et Althusser (mélange à des doses diverses des trois), Jules Guesde écrivait :

« Le prolétariat n’est pas limité à ce que vous prétendez, c’est qu’il embrasse toutes les activités les plus cérébrales comme les plus musculaires, ingénieurs, chimistes, savants de toute nature devenus eux aussi de la chair à profit, et en mesure d’assurer le fonctionnement de la production supérieure de demain… Ouvert de droit à tous ceux qui travaillent du bras et du cerveau, le parti socialiste est essentiellement un parti de classe, plus complet que ne peut l’être le syndicat lui-même ».

Jaurès a vu très lucidement que les classes moyennes avec leurs artisans bornés, les ploucs et les intellectuels d’extrême gauche (et leurs avortons communisateurs) nous emmerderont jusqu’au bout :

« Ils (les ouvriers) auront beau avoir planté leur drapeau sur la citadelle de l’Etat, il restera en dehors de la classe ouvrière, cette classe moyenne, il restera ces millions de petits paysans, de petits commerçants, de petits industriels… Avec ceux-là, au lendemain de la révolution et si les ouvriers veulent qu’elle ne leur échappe pas, il faudra bien négocier, adapter un régime, des procédés d’adaptation au collectivisme nouveau, sinon ce serait « la confusion et l’impuissance » (cf. congrès national de Limoges).

Le réformiste Jaurès était néanmoins un représentant de ces couches moyennes laïques qui peuplaient le parti socialiste de l’époque, avocats, instituteurs et fonctionnaires. Il était combattu par l’aile gauche et les syndicalistes révolutionnaires pour sa continuité idéologique avec la notion de peuple français de 1789 à 1900. Or le renforcement historique de la classe ouvrière avait remis en question cette notion de peuple que vous ressortez des placards poussiéreux de la bourgeoisie vous les communisateurs avec Negri et sa « multitude laborieuse» ! (Lire l’excellent décryptage de Patrick Cingolani : « Destins de la multitude ou événements de la politique » (revue Variations, printemps 2006).

L’aile gauche avec un Jean-Baptiste Séverac contre l’ami de Jaurès, le futur fasciste Déat, définissait qu’un socialisme trop sensible aux intérêts des classes moyennes (c a d la révolution tout de suite sans violence et sans armes) mènerait tout droit à un simple aménagement du capitalisme. Comme le tord-boyau des Simon et Cie de nos jours, l’aile gauche combattait les « approximations terminologiques » qui révèlent les incertitudes de l’argumentation. Plus tard Schumpeter définira les couches moyennes comme « couches protectrices » de la bourgeoisie. Contrairement à la fixation dérivative sur la question juive, l’affaire Dreyfus a constitué la dernière tentative d’inventer un intellectuel moderne plus conscient que la masse ; Louis Pinto a très bien vu ce phénomène : « ‘L’intellectuel’ est l’élément constitutif d’une vision du monde social marquée par la hantise d’une montée des ‘masses’ ou des ‘foules’ dans la forme spécifique qu’invente le nationalisme ». Dans la IIe Internationale, le débat sur les classes moyennes se constitue à partir de l’opposition entre catastrophe et évolution. La « nouvelle classe moyenne » a horreur des « mystères de la conscience de classe » et préfère s’abandonner à la diversité empirique du monde de l’à-peu-près.

Après la seconde Guerre mondiale, ce qui caractérise la petite bourgeoisie traditionnelle, c’est son anticommunisme politique. Elle veut préserver son sentiment d’indépendance et de supériorité par rapport à la classe ouvrière. Comme je l’ai expliqué dans mon Précis de communisation on retrouve chez les pré-fascistes en Italie comme en France le même type de nivellement historique que chez notre poignée de modernes communisateurs. Jacques Soustelle ne raisonnait pas autrement que Maurras, qu’un Négri ou un Simon : « … Nous vivons dans un monde très dur et en pleine transformation, où l’apparition bouleversante de la machine et l’évolution de la technique poussent de plus en plus les nations vers des formes d’organisation totalitaire » (assises du RPF 1948). Il se gardait bien d’expliciter la part de responsabilité du mode de production capitaliste dans ce phénomène de prolétarisation. Il pouvait alors réduire la lutte des classes à un simple slogan politique post-bolchévique !

Je développerai ultérieurement comment le PCF, après 1945, a mené un combat destructeur, avec divers revirements, pour liquider la notion de prolétariat, après la main tendue en 1936 aux catholiques, en définissant une « alliance ouvriers-intellectuels », puis le « bloc historique » de Garaudy. Il ne fût plus question que du « peuple de France » contre les divagations dangereuses de la bipolarisation hitléro-trotskyste, flattant électoralement les petits commerçants et inventant un prolétariat encagé dans des « forteresses ouvrières ».

C’était un petit aperçu pour révéler combien les petits instites à la R.Simon (ces inférieurs dans la hiérarchie de l'Eduque naze), promoteurs d’un idyllique et pacifiste communisme de pacotille, n’ont pas les moyens de leur prétention ni historiquement ni culturellement. En dépit d’un apparent niveau d’instruction plus élevé et une surinformation virtuelle, les intellectuels petits bourgeois manifestent une volonté de ne pas savoir ; comme Negri et Hart ils s’efforcent d’éviter de penser aux rapports de domination que subissent journellement les « multitudes » prolétaires. C’est pourquoi, des communisateurs aux membres de sectes comme le CCI, ces gens sont marqués par des malaises de gravité variable, une fissuration de leur moi intime et une clientèle dispendieuse pour psychiatres et autres préposés psychologues qui contribueraient plus sûrement à leur guérison en mettant fin à leurs divagations apolitiques.

Dans la période, catastrophique, qui vient, de plus en plus de cadres et d’intellectuels vont basculer dans la paupérisation, cela ne signifie pas une prolétarisation automatique. Le mécontentement et la haine de ces « intermédiaires déchus » peuvent être fort bien dérivées dans un premier temps vers une nouvelle sorte de fascisme avec les idées élitaires et abstraites de négation des classes sociales par nos communisateurs (Kurz l’a en partie ressenti dans les discours de Negri). De plus, l’entretien récurrent de la question de l’antisémitisme, comme seule définition réductrice du fascisme, par l’accouplement des exhibitions fastueuses et népotistes de l’oligarchie sarkozienne avec les milieux d’affaires juifs (cf. le scandale Siné monté en mayonnaise par le principal organe antifasciste pour la jeunesse Charlie Hebdo), peut aussi durablement façonner à nouveau une idéologie contre-révolutionnaire (cf. Bonald) pour mieux séparer les couches moyennes du prolétariat lors des affrontements (violents) à venir.

Rassurez-vous, Roland Simon - vieux routard retombé dans l'enfance de la spéculation idéaliste - restera dans la juvénilité sénile de ses galipettes communisatrices; il ne sera ni chef de rang fasciste ni chef d’école novatrice néo-debordienne (dont il rêve endosser la pelisse), il finira comme les autres les Camatte, Dauvé et Cie par cultiver son vrai jardin à la campagne ; c’est en tout cas ce que nous lui souhaitons candidement car il n’est pas possible de discuter politiquement d’égal à égal avec lui, il bafouille autant oralement en public que dans ses écrits ennuyeux, et surtout il s’est placé hors de la politique

Par-dessus les petits rigolos communisateurs, les prolétaires ne sont pas démunis et peuvent déjà dire ceci aux éléments des couches « déchues » et déçues : pour qu’il y ait lutte des classes, il faut que l’individu fasse plus confiance à la solidarité du groupe qu’à la particularité de ses efforts, il faut que la classe importe plus que la communauté nationale et plus la violence que la négociation.

PS : D.Bensaïd a beau être prof et trotskien, je lui tire mon chapeau pour sa réponse à Negri « Multitudes ventriloques » : « Nous sommes tous pauvres ! proclament Hardt et Negri ! Il y a quelque indécence, au regard des pauvretés extrêmes et matérielles, de prétendre communier ainsi dans une pauvreté universelle. Le recours envahissant au jargon théologique finit par servir de bouche-trou, masquant mal la disproportion entre la révolution philosophique annoncée et la pauvreté (bien réelle celle-là) des réponses politiques ».

Et voir sur mondialisme.org l'article de Y.Coleman:

"A propos d’un article de Meeting : Roland Simon a beaucoup d’imagination…mais bien peu de rigueur !" Je suis OK avec la plupart des réponses précises de YC (non YC je ne t'insulte pas sur mon blog) et il est encore trop gentil avec notre aspirant prince de la communisation. YC reste marqué par son expérience à LO, on peut ne pas être OK avec certaines de ses analyses ou bévues, mais il reste un politique relativement lucide, ce qui n'est pas le cas de notre marchand de communisation qui pinaille de façon véhémente contre toute critique de ses billevesées (pardon escarres théoriques). La réponse de Coleman comme celles de bien d'autres camarades montre que RS et sa potiche "Meeting" est la risée de tout l'arc politique plus ou moins révolutionnaire, et de toute manière ne peut plus être pris au sérieux comme la confrérie voisine des négristes.

mercredi 9 juillet 2008

EN AVANT VERS LA GAUCHE anticapitaliste à 200% !

(la pénible gestation du NPA par la LCR)

Ont été consultés et analysés pour cet article les ouvrages et article suivant :

- La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981) Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ? par Jean-Paul Salles (ed Presses universitaires de Rennes, 2005)

- Qu’est-ce qui fait courir les militants ? d’Yvon Bourdet (ed Stock, 1976)

- Hebdomadaire Rouge n°2254 (résolution des chefs LCR pour le Nouveau parti anticapitaliste) 29 mai 2008).

Hourrah, masses hexagonales ! La blogosphère a vu se lever un vent nouveau, de multiples courants d’air virtuels vont donner naissance à une tornade guévaristo-libertaire : le « site national du NPA ». C’est quoi ce sigle à la connotation inquiétante (NSDAP ?), négative (nosocomaniaque ?)… Ne tergiversons pas car les masses télévisuelles sont déjà au courant ce soir, Besancenot l’a déclaré lors d’un après-midi chez Michel Drucker : c’est le nouveau parti anticapitaliste cuisiné par la LCR. Nos trotskistes néo-tiers-mondistes, post-bréjnéviens, ex-soutiens électoraux de la bande à Mitterrand, ex-cavalier seul 100% à gauche, peuvent-ils apporter quelque chose de nouveau, ou au moins de vraiment anticapitaliste avec cette volonté sentimentale de « rassembler la gauche » ?

En page centrale de l’hebdomadaire Rouge (n° 2254, organe du vieux groupe), pleins feux sur la résolution du bureau politique, pardon de la « direction nationale de la LCR » : « Pour un anticapitalisme et un socialisme du XXIe siècle » ! Remarquons d’abord qu’au niveau de la sémantique les grands chefs du petit parti LRC ne sont pas fortiches, pourquoi accoler ainsi cette curieuse et vague notion d’anticapitalisme (anti-quoi et antique…) à celle d’un socialisme du XXIe siècle en laissant de côté donc celui présumé carbonisé des XIXe et XXe siècles ?

La résolution du futur feu bureau politique – gageons que ce caméléon restera dans la besace du fier facteur Besancenot – ne brille ni par son génie ni par ses nouveautés. On verra plus loin que la principale mystification réside dans la « mise en orbite du facteur prolétarien » par une organisation néo-stalinienne dirigée par des « docteurs » et des membres des professions libérales peu crédibles comme tels, non seulement par leur programme politique bidon, mais par leur situation sociale d’hommes aspirant au pouvoir, que leur profession intermédiaire ou marginale fruste. Le contenu de la « résolution » est aussi pauvre, médiocre et désespérant que tout ce que la LCR a pu produire depuis des lustres. Qui miserait un kopek ou un euro sur un tel vieux cheval sans tête qui court dans tous les sens? Les médias bourgeois ont bien fait monter la mayonnaise. Pas un éditorial d’hebdo ou de quotidien qui n’ait soupesé les chances du nouveau parti de « rassembler à gauche », de « doubler » un PS déconfit et déségolénisé, de faire oublier le lamentable survivor stalinien. Il ne s’agit pas d’une manœuvre ou d’un simple amusement médiatique pourtant, il existe la crainte d’un remake de 2002, bien que face à la droite pas grand-chose et à la gauche plus rien, le FN ait pu jouer les trouble-fêtes alors qu’à présent il est inexistant. Sarko n’est pas Badinguet et Besancenot n’est pas Victor Hugo.

La bourgeoisie est bien inquiète en catimini, avec les attaques incessantes portées par l’Etat du blaireau Sarkozy contre les conditions de vie des millions de prolétaires, de ne pas pouvoir compter sur un véritable parti d’opposition crédible. Et puis les sondages sont là, et reflètent malgré leur arrière-cuisine peu appétissane le rejet des vieux caciques politicards. Comment la masse anonyme ne serait-elle pas séduite par le petit Besancenot qui est le seul jeune, au milieu des vieux requins, et qu’il a une gouaille et un sens de la répartie qui en laissent plus d’un sur le cul ? Même s’il radote lui aussi des mots creux bovéïstes et boboïstes...

Le PS et le PCF sont les partis bourgeois qui ont le plus contribués à atomiser la classe ouvrière, ils ne voudraient tout de même pas que celle-ci leur dise merci ! Il ne faut pas oublier par contre que la LCR comme LO et les pétés lambertologues, eux, ont contribué à semer des illusions sur ces partis, et que nombre d’anciens de la LCR se sont retrouvés ministrés, ministrables et membres du club des dirigeants bourgeois du PS. Gageons que c’est là le seul avenir au facteur du 16ème, à la suite des ex Weber, Dray, Cambadéchu et Mélandéçu et compagnie.

FLASH-BACK : un peu d’histoire dans le magma de l’édition en faillite. L’édition est en faillite non pas parce que les gens achètent d’abord pour bouffer, ou parce qu’il y a trop d’éditeurs mais parce que la plupart des petits éditeurs comme les dominants ne publient que de la merde pipole et que les discours des râclures d’Etat valent qu’on reste illettré. Prenons tout de même mieux que « histoire d’une nuit à l’Elysée avec Nicolas », l’ouvrage d’un membre d’une école historienne trotskienne, « les amis de Dissidence » : « La Ligue communiste révolutionnaire : (1968-1981) instrument du grand soir ou lieu d’apprentissage ? » par Jean-Paul Salles (aux Presses universitaires de Rennes, comme le book de Vigna). Sans lien avec l’histoire révolutionnaire du XXe siècle (que ces thésards d’obédience trotskienne connaissent peu ou ignorent) ni une appréciation quelconque pour savoir en quoi cette ligue est révolutionnaire ou pas – l’auteur ne se demande même pas ce que peut être la révolution – on va nous entraîner dans la sociologie électorale et les petites cuisines des cénacles trotskiens de l’après-guerre, dont on a été saturé en 2002 (vous vous souvenez ? non, ah oui c’était surtout la hideuse peur lepéniesque qui avait ravi la vedette à nos « trotskysmes » hexagonaux lesquels avaient servi brièvement à animer la campagne électorale catastrophique pour le PS et son Jospin pour s’aplatir dans un « vote utile » pour « gangster Chirac ».

Pour l’heure, l’objectif est le même qu’en 2002 : se servir du trotskysme relooké en façade pour mesurer la possible consistance d’un parti de gauche se réclamant des masses exploitées et non pas des « multitudes électorales », ou aider le PS à se repositionner. La LCR par sa nature éclectique, par son salmigondis de prétentions du clientélisme bobo n’a aucune chance de devenir un parti de l’envergure du PS ni d’illusionner sur la nouveauté de son « ouverture large » guévariste, libertaire et écologique.

L’étude précise et bien informée de la trajectoire de la LCR ne peut pas être méprisée, elle est une indication, une réflexion approfondie de ce qui caractérise ou effraie face à toute organisation alternative, révolutionnaire ou pas, pleine de promesses et férue de machiavélisme au XXIème siècle. Pour cela elle nous intéresse et elle ne nous est pas étrangère. Ses militants ne sont pas des martiens ni des grands bourgeois, ils ont cru longtemps à la révolution, pas la nôtre certes, mais tromper perpétuellement sur la vraie nature de la bourgeoisie n’est pas un certificat de bonne conduite ni un brevet de révolutionnaire authentique. En outre ces post-léninistes ont mis de l’eau dans leur pastaga : ils prétendent ne pas souhaiter parvenir seuls au pouvoir sinon on sera encore obligé de dire que si ces « libérateurs » du capitalisme y parvenaient on dirait ensuite : comment se libérer de nos libérateurs ?

La présentation de la thèse de JP Salles montre quand même l’intérêt d’une étude sociologique des organisations. Le militant pur et dur antiparlementaire et antisyndicaliste vous daubera en martelant qu’on ne juge une orga que sur son programme ! Et s'ils n'ont pas ou plus de programme? Et quand les orgas ne sont composées que de bourgeois et de petits bourgeois qui prétendent parler au nom de… ? On verra plus tard, mais le hic n’échappe pas au présentateur qui lâche : « Toute nouvelle est la façon dont est traité le problème de l’origine sociale des dirigeants et militants de la Ligue, moins bourgeois dans l’ensemble qu’on ne l’a dit ; souvent d’origine juive, ses dirigeants rejettent l’antisémitisme comme le sionisme. L’auteur montre très bien comment pour toute une génération, la Ligue a été une formidable école de formation politique et professionnelle et pas seulement dans le journalisme ».

On laissera à d’autres le soin de s’interroger pourquoi dans la même phrase on nous parle de bourgeois et de gens d’origine juive. Au moins les dirigeants de la LCR ne soutenaient pas l’Etat d’Israël contrairement à ceux du PS en plus pro-américains. Mais il est malséant de parler de la composition communautaire des partis ; Henri Nallet s’est fait virer du gouvernement Jospin pour avoir estimé qu’il comportait trop de juifs et de protestants. Sarko en a tiré la leçon qui a su si bien doser la représentation gouvernementale des origines diverses.

Post 68 on savait que la ligue comptait nombre de juifs dans ses rangs et on s’en foutait ; Marchais n’a jamais dit que Cohn-Bendit était un « juif allemand », bien que sa diatribe ait instillé le soupçon, car la contre-révolution voit des juifs partout surtout dès qu’il est question d’ébranler l’Etat bourgeois apostolique et romain. Mais je jubilais moi aussi en chantant avec la foule « nous sommes tous des juifs allemands ».

On se disputait dans les lycées au contact du lilliputien milieu révolutionnaire renaissant, non sur l’origine communautaire des uns ou des autres, mais sur l’hystérique soutien à la Chine, aux « libérations nationales » donc sur les divers terrorismes tiers-mondistes (estafettes pour créer de nouveaux Etats) que tous les anciens récipiendaires « pablistes » nient avoir exalté et encouragé. La ligue fût certainement le groupe gauchiste le plus visible, le plus dynamique dans ses cordes, le plus remuant avec ses versatilités. Etait-ce un groupe vraiment révolutionnaire, un avorton opportuniste, un nouveau parti de type stalinien, une bande d’étudiants excités destinés à se calmer dans leur future vie active de cadres ? Les appréciations s’entrechoquaient. On avait du mal à crucifier cette ligue agitée face au paisible PSU et aux imbéciles maoïstes. De jeunes militants d’origine juive, en avance sur nous par leur esprit « apatride » avaient gagné notre estime sans que nous lions cette origine à une malfaisance quelconque (j’admirais le futur dessinateur de la LCR Piotr, compatriote du lycée Buffon, qui fût arrêté rue Gay-Lussac et en photo assis par terre en une de la presse le lendemain de l’émeute). Tous « juifs allemands » ? non : « D’autres militants connus – R.Prager ou P.Barsony (Piotr) - , sont nés de pères juifs hongrois, mais de mère allemande pour le premier et corse pour le second. Quant à écrire comme le fait A.Kriegel que les « jeunes aschkenazim se retrouvent plus volontiers trotskystes, les jeunes sephardim plus volontiers » maoïstes », nous lui laissons la responsabilité de cette affirmation » (p.308).

IMPOSSIBLE D’ESTOMPER LE PASSE DE LA BRANCHE TROTSKYSTE LA PLUS CAMELEON

Excepté l’organe du PS, le Nouvel Obs comme on va le voir, les journaleux en général n’ont pas de mal à répandre le mensonge d’une ligue pacifiée en 2008 puisque un grand nombre d’ex-militants trotskiens sont dans les bonnes places de journalistes à mouliner la fredaine de ce bon gauchisme rangé des voitures qui va (peut-être) blanchir à nouveau les vieux drapeaux de la gauche caviar qui ont servi de nappes aux conseils ministériels. Reconnaissez que la ligue en voie de NPA cultive l’ambiguïté avec son retour à un anarchisme bon teint couplé avec la gloire posthume du « terroriste » Guevara !

L’auteur de la thèse manifeste une complaisance intéressée à excuser la LCR de sa responsabilité dans la propagation de l’idéologie terroriste (p.263 et suiv.) à la traîne de la théorie fumeuse de « l’Etat ouvrier dégénéré », pourvoyeur lui aussi de gangs terroristes. Il présumait que, sous forme de livre, sa thèse n’avait de chances de succès de librairie qu’en flattant la nouvelle ligne électoraliste avec son Besancenot trop lisse pour être révolutionnaire, en amenuisant le fond de leur ancien discours pro-terroriste à distance. Or on ne peut pas oublier les affiches avec mitraillettes et discours vantant les divers guérilleros d’Afrique en Amérique du sud. Avec son salmigondis guévariste-libertaire, le prétendu nouveau parti anticapitaliste s’est de toute manière tiré une balle dans le pied avec le fameux déjeuner Besancenot-Rouillan (de l’ex Action directe). La presse bourgeoise de gauche a sauté sur l’occasion. L’organe théorique du PS, le Nouvel Obs, ne se gêna point pour indiquer qu’il ne voyait pas ce qui différencie un militant trotskiste, même relooké, d’un réactionnaire du FN, d’autant qu’ils se copient les uns les autres pour mieux se combattre… dans la façon de coller leurs affiches (je sais de source sûre qu’il y eût souvent des conciliabules entre chefs trotskystes et chefs du FN pour éviter de faire se rencontrer les colleurs d’affiches). Début juillet, avec son article « Besancenot, un Le Pen à l’envers », le lâche Claude Askolovitch fait dire à un autre qu’on devrait interdire l’extrême-gauche anti-capitaliste au même titre que l’extrême-droite. Le populisme louche de Besancenot ne se vérifie-t-il pas dans le fait que celui-ci a soupé avec l’assassin non repenti du PDG de Renault et du général Audran ? (non il était amiral, le Nouvel Obs a l’habitude des à peu près) : « de là à monter un parallèle avec les ex-tueurs passés de l’Algérie française au FN… ». L’hypocrite Askolovitch fait parler l’ex-LCR Weber, parvenu sénateur PS, pour relativiser sur cette « demi-secte » et mieux pourfendre un rival épisodique du parti gauche caviar mal en point. De la merde de journaliste corrompu…

Sans patauger dans les comparaisons glauques et déplacées de ce con d’Askolovitch, il faut voir l’invitation à déjeuner non comme une bêtise mais comme le souhait du comité central de la LCR en transition vers un espoir œcuménique de repriser la vieille union de la gauche mitée, une volonté de faire radical à bon marché sur le gentil plateau électoral. Peine perdue : Rouillan a largement payé d’années de réclusion mais n’est ni un exemple de révolutionnaire ni un « bon plan » pour rassurer les durs anti-élections sur une conservation en catimini de l’insurrectionnalisme de naguère!

Nul mieux qu’Yvon Bourdet, ex-membre de S ou B et cofondateur d’ICO (et moi plus modestement avec mes « trotskiens ») n’a aussi bien décrypté l’image agitée de la LCR première manière, concédons que la plupart n’étaient pas encore à l’âge où on vous octroie le droit de vote :

« On se forme en faisceau dans les rues, têtes uniformisées par des casques de moto, on chante, on crie, on hurle, éventuellement on frappe. L’ « idée » qui résonne sous les casques moutonnants est simple : montrer la puissance du groupe (auquel, souvent, on aura adhéré par hasard, et en tout cas rarement par connaissance de la théorie des autres groupes et du sien propre). (…) L’insignifiance de fait du but prétendument visé se manifeste par la versatilité : on pourrait évoquer, en caricaturant, ces « militants » et « militantes » qui ont successivement épousé la cause des Vietnamiens, des Algériens, des Palestiniens. Ensuite est venue l’heure des Chiliens expulsés ou émigrés ; enfin, il a fallu voler vers le Portugal. Cette inconstance et cette jubilation pour la cause « nouvelle » sont du même type que Don Juan : on n’aime personne, on s’aime aimant. L’arrivée de Pinochet au pouvoir ne rend aucunement périmée la cause des Palestiniens, et la révolution au Portugal ne résout pas la question chilienne, mais ces « militants » quelques jours, n’ont plus d’yeux que pour Lisbonne… Je le dis sans précaution : les militants libidinaux de ce type ne sont pas des militants, même s’ils constituent la majorité flattée par les « dirigeants » ; leur activisme excité par la nouveauté immédiate n’a rien de spécifique et ne se distingue guère – sauf par le goût de la violence au moins verbale – de celui des amateurs de jazz, des fanatiques du sport, voire des collectionneurs de timbres (…) l’expérience d’un demi-siècle n’a que trop prouvé que les militants de type léniniste (en tant que corps) constituent une nouvelle classe dominante »

(« Qu’est-ce qui fait courir les militants ? ed Stock 1976).

UNE RIVALE DU PARTI STALINIEN ?

Ce n’est pas pour rien que l’entrisme trotskiste dans le parti stalinien a produit son meilleur fleuron en la personne d’Alain Krivine. Le jeune Krivine, tarabusté par le vieux Pierre Frank, qui lui demande d’agrafer des brochures lors de leur première rencontre alors que l’autre se sentait gonflé par son aura de leader étudiant vu à la télé, signifie bien qu’il n’y a pas retour à la case départ (le trotskisme d’avant-guerre, réel courant prolétarien en lutte contre le stalinisme). Les « jeunes » passé à l’école du parti stalinien (avec l’excité Goldman et tutti quanti) veulent régner sur les brisées du parti stalinien, modèle et école. Singerie lamentable. JP Salles le note : « De la même manière que la Ligue, incarnation du vrai communisme, dispute au PC la direction de la classe ouvrière, elle tente de s’imposer dans ce lieu sacré de la mémoire ouvrière qu’est le mur des Fédérés. » Les lambertistes ont porté souvent leurs chrysanthèmes dans les mêmes lieux, eux aussi avec leurs amis francs-macs et Bergeron. La ligue n’a jamais démenti non plus son soutien au régime totalitaire de Cuba, incarnation de la lutte « anti-impérialiste » des sixities au deuxmillies : « les révolutionnaires n’en défendent pas moins Cuba socialiste (sic) contre ses ennemis » (p.70). C’est ce que le trotkysme nommait « soutien critique », comme aujourd’hui leur soutien à la gauche en « état critique ».

Dans la « saga de classe » oubliée des bougistes LCR, on peut se souvenir que la ligue ne désespérait pas de s’incruster en milieu ouvrier en dépit de ses références tiers-mondistes rédhibitoires pour les prolétaires européens sevrés par l’orgie « armée » de 39-45: « Les militants essentiellement étudiants de l’ancienne JCR se donnent pour objectif « d’aller aux masses », ouvrières surtout, et de renouer par-delà quarante années de « trahisons staliniennes » avec la tradition de Lénine et Trotsky » (p.71).

La tâche était rude pour ne pas dire insurmontable : « La place centrale donnée à la « classe ouvrière » est une idée unanimement partagée à l’extrême gauche. Avant mai 68, les militants maoïstes de l‘UJCml avaient déserté les facultés pour les usines, et les trotskystes de Voix ouvrière sont organisés autour des « feuilles de boites » qui leur permettent de stabiliser leurs contacts, procédant à une patiente « accumulation primitive » de militants » (p.74).

Les références politiques ne sont pas différentes des maoïstes, la position chinoise est jugée positive car « elle attribue une importance primordiale au mouvement des masses » (p.91).

Quelle différence entre maoïstes et trotskystes ? « Chez ces derniers (les maoïstes) il (l’établissement en usine) doit permettre d’extraire les idées justes des « masses », alors que les trotskystes se perçoivent comme les « éclaireurs » des « masses » (p.127).

Avec son insertion électoraliste dans la vie politique française, la ligue connaît un début de prolétarisation à la fin des années 1970, mais très « fonctionnaire » : « Bien sûr, beaucoup sont des enseignants, et les employés (agents des PTT et de l’EDF) sont plus nombreux que les véritables ouvriers de l’industrie » (p.153).

La ligue est la championne de la prise en compte de toutes les révoltes, de la facétie autogestionnaire des LIP au bucolique Larzac, de la jeunesse scolarisée au « travail armée », et du « travail femme » à celui des « enfants » et à la libération « homosexuelle », sans oublier la lutte foucaldienne pour les « malades, fous, handicapés ».

J’ai eu l’occasion de décrire par le menu dans mes « trotskiens » la versatilité de la LCR et ses modes successives sans éprouver le besoin de m’appesantir encore en détails sur ce caméléon politique moderne de la bourgeoisie libertaire assez unique dans l’histoire pour refléter tout de même notre époque de confusion des genres, de mixture de toutes les théories fumeuses d’une société décadente. L’intérêt du bouquin de Salles, bien qu’il ignore apparemment la critique incisive faite à ce courant aussi bien par le milieu révolutionnaire glorieusement méconnu, que par les anarcho-situationnistes et les lambertistes, est de révéler que la LCR est bien une organisation bourgeoise, non pas seulement par son programme caméléon stalino-libéral, mais par la direction sociologique de ses dirigeants. A pisser de rire. Bravo d’aborder les questions qui fâchent la plupart des orgas politiques qui se proclament radicales. Page 294 est évoquée « une lutte de classes à l’intérieur de la Ligue ? ». Ebouriffant ! Fuyez, fuyez prolétaires et ne votez surtout pas pour un tel organisme dirigé par… des bourgeois ! Sous l’inter-titre « Origine sociale des dirigeant(e)s de la LCR » on lit :

« Dans l’immédiat après-mai 68, les communistes rouennais sont excédés par l’activisme des militants de la Ligue. Ils s’emploient à les discréditer en rappelant que l’un de leurs dirigeants, JM Canu, « terriblement rrrrévolutionnaire » (sic) est un « enfant de bourgeois »(p.294). Plus loin : « Mais un certain nombre de militants parisiens en vue, les frères Krivine, P.Rousset, M.Recanati ou les frères Cyroulnik appartiennent à la petite bourgeoisie cultivée. Le père des frères Krivine était Stomatologue (…) Nous n’avons pas rencontré de très grands bourgeois parmi les ascendants des dirigeants de la ligue mais un certain nombre d’entre eux appartiennent à la catégorie cultivée de la population. Par les métiers qu’ils exercent – médecin ou dentiste – sans atteindre l’extrême richesse, ils sont à l’abri du besoin » (p.296).

Une dirigeante du comité central, dans sa lettre de démission fait état de « l’écoeurement des militants de province lorsqu’ils vont à Paris et dorment chez des copains dans des appartements très chics avec des chaînes à 1 et 2 millions » (p.297).

« En septembre 1975, la cellule de la LCR d’Avignon est composée à sa naissance de 4 professeurs, 3 internes en psychiatrie ou médecine, un ingénieur de l’Equipement et un jeune chômeur. Un des rares ouvriers locaux, sympathisant, est laissé en groupe taupe rouge du fait de ses « nombreux problèmes individuels » (p.297). Toujours le pauvre con de service.

Une organisation de la petite bourgeoisie et des couches flagada : « Les listes de souscription pour Rouge quotidien confirment cette image d’une organisation qui puise une partie importante de ses ressources dans son milieu originel, chez les étudiants et les enseignants » (p.298). « La présence à la LCR de médecins et surtout de leur implication dans la vie politique locale sont moins apparentes. En comptant les militants qui se consacrent à la direction nationale de l’organisation, comme le docteur Antoine Grimaldi, nous en avons dénombré une dizaine. A Paris, le chirurgien JM Krivine, le professeur de médecine MF Kahn ou le psychanalyste M.Hassoun sont très actifs dans les années soixante-dix ». Voici donc qu’un groupe longtemps extra-parlementaire se composait donc, à son commandement, de bourgeois docteurs, chirurgiens… comme le personnel des partis officiels du Parlement !

Puis, on apprend que la classe ouvrière (objet désiré et fantasmé de la révolution) est inexistante dans l’appareil qui se reproduit surtout dans le milieu interlope de l’Eduque naze : « Au cœur de la Ligue : enseignants et étudiants » : « Ainsi, après 1968, ce sont les étudiants toulousains devenus enseignants qui créent de nouvelles sections dans les villes du Sud-Ouest » (p.303).

L’étude de Salles est honnête concernant les « drop out », les échoués du système qui vont peupler nombre d’organisations contre le système mais pas forcément pour un autre monde débarrassé de l’arrivisme : « nombreux sont ceux qui interrompent leurs études avant leur terme, sans obtenir de diplôme professionnel. Ils se reclassent ensuite dans la fonction publique, les PTT, l’Inspection du travail ou l’enseignement » (p.305).

Ces échoués du système, de milieux défavorisés, sont souvent aussi lucides que les opposants dits ultra-gauches sur les tares de l’orga : « De nombreux textes dénoncent l’absence de fraternité entre militants : « les rapports cadre-militants n’ont souvent rien à envier aux rapports hiérarchiques bourgeois, écrit ce militant marseillais. La prise de parole est moyen d’affirmation, de domination sur les autres camarades » (…) « Il existe dans l’organisation une catégorie de militants – une race de Seigneurs (sic) - qui peuvent continuer à échanger en dehors des périodes de congrès, ce sont les membres du CC . Confirmant le constat du Montpelliérain, dans un texte public, Verla dénonce un « climat de suffisance » instauré par certains. Nous n’avons pas tous eu, poursuit-elle, « les mêmes conditions de départ, la même formation, les mêmes tâches familiales», aussi tant qu’on n’aura pas pris conscience des problèmes posés par ces inégalités, « les rapports de domination, d’oppression » existeront aussi dans l’organisation » (p.324).

Remise en cause du schéma léniniste d’organisation : « On trouve un écho de ce malaise dans le compte-rendu d’un débat de la cellule enfance inadaptée de Rouen qui pointe le doigt sur le fait que « pour beaucoup, l’organisation est devenue un but d’existence, réinstaurant par la même des phénomènes substitutifs de ce qui se passait à l’extérieur (hiérarchie, volonté de puissance) » (p.334).(…) « Y sont relevé plusieurs défauts couramment répandus, héritage de « nos déformations estudiantines après Mai 1968 » : langage codé, arrogance, verbiage, terrorisme verbal… ». Il demande que « les femmes et les ouvriers soient promus dans les directions ; cela passe par la création de crèches et un fonctionnement moins activiste » (pp. 334 et 335).

Puisque les ouvriers ne venaient pas au parti trotskien, il fallut engager les militants petits bourgeois à se transformer en ouvriers. Le « tournant ouvrier » eu rapidement du plomb dans l’aile pour les plus lucides : « Quant à Laurence Rossignol, elle explique que cette décision du congrès l’a amenée à quitter la ligue. Elle ne se voyait pas annoncer à ses parents modestes qu’après six ans d’études, elle allait s’embaucher chez Renault : « Pour aller s’établir, il fallait vraiment être des fils de bourgeois (…) C’est un truc d’aristocrates et de petits bourgeois » (p.336).

La LCR est bien décidément un lieu d’apprentissage pour passer corps et âme au service d’un parti bourgeois : « Beaucoup d’autres partent en groupe, Julien Dray et ses amis de Questions socialistes en 1982, Paul Alliès et ses camarades de Montpellier en 1986. Le passage au PS permet à ces militants de réinvestir le capital politique acquis à la LCR. Comme l’explique PH. Juherm, ils y ont appris à s’exprimer en public, y ont contracté de l’assurance et manient parfaitement les « thématiques politiques. A défaut d’avoir acquis un cursus scolaire prestigieux ou d’avoir conquis une position élective locale, ils sont devenus tout au long de ces années d’activisme des militants efficaces » (p.337).

JP Salles reste neutre, il ne tire pas vraiment les leçons de « l’école LCR ». Il laisse le soin à JF Sirinelli de considérer que : « la victoire de la gauche en 1981 a permis « le recyclage politique » des militants de la génération baby-boom : « l’extrême gauche rentre à gauche » (p.338). Mais il a une intuition géniale tout de même, les Pierre Frank et Cie malgré leurs confusions étaient quand même les héritiers d’une tradition révolutionnaire bafouée par la prégnance du stalinisme (et érodée par leur suivisme) ; le post-stalinisme, les Krivine et Cie s’y sont conformés en réintégrant le cirque électoral et en râclant les fonds de tiroir du stalinisme municipal: « Par contre, du fait d’une pyramide des âges non-conforme à celle du pays, la ligue n’a pu être le terrain de rencontre entre les diverses générations. Les anciens, ou très anciens, très minoritaires, ont été submergés par les baby-boomers, qui les ont parfois regardés avec condescendance » (p. 346).

Le vétéran et dynamique Michel Lequenne (80 ans), dans l’interview qu’il m’avait accordée en 2002, n’avait pas été explicite à ce sujet, mais j’avais bien eu l’impression qu’il était marginalisé lui aussi comme « vieux de la vieille ».

RIDICULISER LA CONSCIENCE DE CLASSE OU LES MILITANTS AGITES DU BONNET?

Les cocus de l’histoire restent des cocus. A défaut d’être reconnus par leurs dirigeants bourgeois (médecins ou ingénieurs) les militants « de base » ne sont plus que de petits arrivistes déçus ou qui compensent leur infériorité sociale : « A défaut de réussir dans la société, certains ont tendance à se satisfaire de leur « réussite » dans l’organisation. N’est-il pas plus valorisant d’être distingué par ses pairs plutôt que par une société dont on refuse les règles ? (…) La LCR ne peut-elle également apparaître comme une structure d’accueil pour « intellectuels déclassés » ? (…) Déjà, en 1895, Kautsky fustigeait les « prolétaires intellectuels » nombreux dans le mouvement social-démocrate, qui avaient tendance « à se servir du mouvement ouvrier pour y trouver un pouvoir politique ou idéologique que la grande bourgeoisie refuse dans ses institutions légitimes ». Comme quoi les « docteurs » et « maîtres de conférence » de la direction ont la base qu’ils méritent.

Yvon Bourdet, s’appuyant sur son expérience à Socialisme ou Barbarie estimait que tous les groupes vivent des mêmes mystifications :

« Au moment de se dissoudre, au printemps 1967, le groupe « Socialisme ou Barbarie », fort d’une expérience militante de près de vingt années (il exagère le groupe s’était effiloché depuis la fin des années 1950, ndt), dressait, sans indulgence, un bilan de son activité (au moins dans les derniers temps) : « Notre expérience a été que ceux qui sont venus chez nous – essentiellement des jeunes (il ne précise pas « étudiants ») – l’ont fait à partir , sinon d’un malentendu, du moins de motivations qui tenaient beaucoup plus d’une révolte affective et du besoin de rompre l’isolement auquel la société condamne aujourd’hui les individus, que de l’adhésion lucide et ferme à un projet révolutionnaire ». Dans ces conditions – et compte-tenu des circonstances économiques et politiques générales – le groupe (et c’était pourquoi il se dispersait) ne pouvait « au mieux (que) tenir un discours théorique abstrait ; au pire, produire ces étranges mélanges d’obsessionnalité sectaire, d’hystérie pseudo-activiste et de délire d’interprétation dont par dizaines, les groupes « d’extrême-gauche » offrent encore aujourd’hui tous les spécimens concevables ».

Bourdet était envahi par le doute sur l’intégrité des militants en général, s’appuyant sur le célèbre passage de Rousseau contre la prétention élitaire et Max Weber pour qui tout homme qui fait de la politique « aspire au pouvoir ». Il tentait tout de même de séparer le bon grain de l’ivraie par rapport aux « excités libidinaux » : « le militant est celui qui combat avec persévérance pour atteindre un but, général et généreux (qui dépasse en tout cas la sphère de ses intérêts propres et n’est pas l’effet d’un défoulement, même s’il éprouve « félicité » d’accompagnement, souvent d’ailleurs absente). Mais si se trouvent ainsi éliminés ceux pour qui « le mouvement est tout » il reste encore à faire un tri parmi ceux qui visent un but. Quel but ? ». Bourdet définira ce but « le premier stade du militantisme révolutionnaire comme une adhésion active et subordonnée à la cause de l’auto-émancipation du prolétariat ». Tout ce à quoi tournait le dos la bientôt ex-LCR et bien entendu sa nouvelle parure NPA comme on va le découvrir maintenant.

UN PROGRAMME ELECTORALISTE ATTRAPE-TOUT

La résolution du CC pour un anticapitalisme du XXIe siècle n’a aucune envergure et est très mal écrite. Comme tout le monde il est facile d’annoncer la catastrophe avec la crise bancaire, d’égrener les misères du monde, les émeutes de la faim, la crise énergétique qui fait frémir les conducteurs de 4X4, les obscurités de la lutte anti-terroriste, en notant au passage l’inévitable « crise globale et profonde du mouvement ouvrier » (en se gardant de révéler que c’est surtout de la crise de représentation de la gauche bourgeoise qu’il s’agit plus qu’une perte d’espoir en un avenir radieusement socialiste qui n’a jamais été très précis).

Où est la classe ouvrière dans cette ouverture théâtrale ?

« Notre anticapitalisme, notre volonté (sic) d’une transformation révolutionnaire de la société qui soit portée par l’immense majorité des travailleurs des villes et des campagnes ne tombent pas du ciel ». Non mais du comité central !

Qui va s’occuper de ce nouveau « socialisme réellement émancipateur » ?

« Le plus grand nombre dans une logique de satisfaction des besoins de la population ». Nos vieux trotskars seraient-ils devenus « communisateurs » ?

On retrouve ensuite pêle-mêle le même galimatias sociétal habituel : la lutte pour légalité des droits des sans-papiers, le droit des femmes, etc. On apprend que « la social-démocratie est en train d’achever sa mutation » et que celle-ci « transforme encore davantage le PS en gestionnaire fidèle du système » qui se social-libéralise « rompant les derniers liens historiques avec le mouvement ouvrier ». Et alors ? Vous vous apercevez seulement maintenant que le PS s’éloignerait du bout des ongles de Ségolène de ce bon vieux socialisme metterrandisé ! La « crise du mouvement ouvrier » se réduit à nouveau à la crise de la « direction révolutionnaire », pardon au déclin des PS et PC que vous soutenez toujours électoralement !

En s’adressant aux masses électorales, nos trotskiens pas très filous veulent les couper de « leurs directions » vieille rengaine usée jusqu’à la corde par le pater noster PCF dans les années 1950. Les enfants du néo-stalinisme radote le discours du père : « Nous voulons changer de gauche, pas changer la gauche ; reconstruire du neuf à gauche en rupture avec l’orientation prônée par les directions du PS et du PCF ».

On pourrait dire de la même manière « nous voulons changer de droite » ou « changer de gouvernement » que ce serait aussi ridicule. Le prolétariat est toujours absent de ce projet à facettes multiples où tout est mêlé de façon invraisemblable et incohérent : qu’est-ce que les prolétaires ont à foutre de « régler la crise climatique », « la crise alimentaire » et de « combattre les multinationales » ? En quoi le prolétariat devrait-il se mêler de « la lutte écologique, antiraciste et anti-impérialiste »? Est-ce sur ces plans idéologiques politicards qu’il va trouver sa force pour renverser le capitalisme ? Ou dans ses grèves économiques et politiques ?

Qui va s’occuper de coordonner « ces (tartignoles) luttes de résistance à l’échelle mondiale » ? Qu’est-ce qu’on se fiche d’une « Europe des travailleurs », vieux brouet trotskiste dont Lénine s’était moqué d’ailleurs !

Ils nous ont déjà fait le coup du parti qui ne prend pas le pouvoir, rebelote : « Nous ne souhaitons pas le pouvoir pour nous-mêmes, mais comme instrument pour un mouvement d’en bas ». Que les choses sont dites de manière raffarinesque ! On devine qu’ils sont prêts à nous refaire le coup de « l’Etat prolétarien » au service de la population d’en bas !

Le nouveau membre Rouillan sera-t-il le prochain Antonov-Ovsenko de la prise du Palais de l’Elysée ? Non car toute idée de violence est esquivée, oubliée l’exaltation de la mitraillette vietnamienne. Est supposé une sorte de nouveau mai 68 « qui commencerait à contrôler la marche de l’économie ». Et ce disant on fait l’impasse sur tout affrontement de type guerre civile puisqu’on sous-entend que la victoire sera électorale. Mal fagoté le raisonnement du CC se mord la queue. S’il parle d’un parti de rupture, non pour unir la gauche mais en rêvant se passer de ses « directions » sociales libérales, et hop « la question du pouvoir sera posée » !

Oui et alors ? Et quoi ? Il se passe quoi avec cette question ? Rien. Réponse immédiate, lamentable, courtelinesque et marchaisienne : «Un parti, c’est, pour nous, une force collective et démocratique. Un rassemblement de militantes et de militants (tu parles d’un rassemblement !) unis autour d’un programme commun » (hips !). Puis blabla sur « l’indépendance des équipes syndicales », « construire une force qui vote » (lamentable !). Mais qui vote les gens ou le parti ? ce parti, cette « force qui combine activités nationales et déclinaisons locales » !? Les mannes du NPA ne sont-ce pas des syndicalistes, des associatifs, des altermondialistes, des militants antiracistes et de la diversité ( ?). Le CC veut nous faire le coup de la pyramide à l’envers avec tous ces bœufs ficelés à l’avant de son char NPA, auréolé du même charivari trentenaire trotskien éclectique, marmelade de la somme des revendications des néantissimes et divers courants d’agités petits bourgeois et de bobos avec résidences secondaires chauffées avec panneaux solaires.

C’était la LCR. C'est le NPA sans programme et amnésique.

Continuité dans la simili rupture, le NPA hérite des mêmes tares de la LCR, qui n'illusionne pourtant personne avec son ravalement de façade. Laissons la conclusion au fin Yvon Bourdet: "Les gauchistes consolident objectivement le statu quo; leur critique du possible-imparfait contribue à rendre impossible tout changement".

Hors du remue-ménage de ces clowns officiels, hors des radotages des minuscules sectes paranoïaques de révolutionnaires petits bourgeois engoncés dans un raisonnement circulaire, il faut miser sur un nouveau véritable parti révolutionnaire, avec un PROGRAMME REVOLUTIONNAIRE qui laisse respirer le prolétariat et qui ne se substitue pas à lui dans ses tâches de réorganisation de la société future, qu'il est le seul à pouvoir mettre en oeuvre par sa place même dans la société bourgeoise d'aujourd'hui.

Vive Rosa Luxemburg!

Vive le prolétariat universel!

"Bien dit, vieille taupe, eh eh! tu creuses vite! Fameux pionnier! "

Hamlet (I, 5)