« Nous
avons besoin de l'islam » Giscard d'Estaing (début des années
1970)
« La
lutte exemplaire des foyers Sonacotra » (journal Le Prolétaire,
1977)
« La
révolution ne viendra pas des immigrés » Marc Chirik (1978)
« Les
religions ont un rôle civilisateur » Nicolas Sarkozy (2008)
REVISITONS NOTRE passé
UNE LUTTE
EXEMPLAIRE ? DES MAOS AUX MOSQUEES...
Dans mon
livre sur l'immigration et la religion (musulmane) je faisais
remonter l'invention des salles de prière aux usines Renault aux
années du gouvernement Jospin . En réalité, c'est dès après 1968
que l'aile droite de la bourgeoisie s'était préoccupée de
compléter l'encadrement syndical des prolétaires, par un
encadrement religieux des derniers arrivés, immigrés maghrébins en
particulier, main d'oeuvre abondamment fournie et accélérée par la
politique de décolonisation, et peu glorieuse finalité des
libérations « nationales ». Près de quarante années
ont passé, et l'heure est venue du bilan de ce qui avait été conçu
par certains comme un mouvement libérateur de la vie sociale – la
lutte « immigrée » sous la forme de grève des loyers -
à côté de l'émancipation féminine, régionale, et accessoirement
ouvrière post-68. Après une lutte sur la question du logement, c'est la religion qui s'est "logée" dans l'entreprise. Toute une époque... permissive.
La grève
des loyers a toujours été un combat périphérique et marginal dans
l'histoire du mouvement ouvrier et ne pouvait receler la force et la
cohésion d'une grève classique. Le CCI ne fût jamais emballé par
cette grève de loyers, malgré le bruit et l'agitation des maoïstes
et des bordiguistes, ces derniers taxant le CCI d'indifférentisme
petit bourgeois. Le parti bordiguiste, encore gros d'une centaine de
membres en France, ne cachait plus déjà sa préférence immigrée,
quoique celle-ci existât en pointillé déjà avec sa théorie évanescente des libérations
nationales marchepied de la future (et inéluctable) révolution
prolétarienne de l'aristocratie ouvrière occidentale. Je me
souviens d'une mini fête de LO organisée par le parti bordiguiste,
avec ses grands chefs profs arrogants, à tonalité très folklore
maghrébin avec méchoui et musique, sans discours politique autre
que charitable et vantant l'exemplarité de la « lutte
immigrée » ; toute la « tactique » n'était
pas décrite dans les articles de leur journal.
- « Les résidents Sonacotra... sont un des secteurs les plus combatifs sur le terrain de la lutte » (Le Prolétaire n°243, 7 mai 1977)
- Le PCI attendait que se dégage une avant-garde : « qui devienne un ferment de lutte et d'organisation... ce problème étant celui de toute la classe ouvrière qui aurait dû assumer les leçons générales de cette lutte » (Le prolétaire n°245, 4 juin 1977).
Bien que n'étant pas la première,
en 1975, une « grève des loyers » avait débuté au foyer
Romain-Rolland de Saint-Denis. Elle se propagera en 1976 à
l'ensemble de la région parisienne puis aux autres régions
françaises, rassemblant au plus fort des mobilisations de 20 000 à
30 000 grévistes. Protestant contre la hausse généralisée des
loyers qu'ils jugeaient alors indécentes en comparaison avec la
vétusté qu'offraient ces foyers, les résidents grévistes
dénonçaient également l'état de délabrement précoce des
structures ainsi que les méthodes de répression utilisées contre
leur mouvement, comme les recours auprès des ambassades de leurs
pays d'origine et les expulsions du territoire français.
La lutte perdure jusqu'en 1980,
date d'aboutissement des négociations entre les grévistes et la
Sonacotra. Les résidents obtiennent alors le changement du personnel
d'encadrement et une plus grande consultations des résidents pour
les décisions de règlement intérieur ainsi qu'une réglementation
des augmentations. Mais cette victoire demeure partielle puisque leur
statut de locataires ne sera pas reconnu.
Je ne viens pas ici sur le
caractère indéniablement ségrégationniste de ce type de logement
ni sur la gestion néo-coloniale honteuse par d'anciens militaires
pieds-noirs, ni sur les différentes manœuvres des groupes maoïstes
où le PCI ne fût que la cinquième roue du carrosse d'une lutte
dont les côtés sombres ne nous furent pas visibles à l'époque. Le
lecteur peut trouver d'amples descriptions sur le web, hélas en
général menteuses et dithyrambiques. Les revendications officielles
étaient de trois ou quatre ordres et ne pouvaient que recevoir
l'assentiment du public et de la classe ouvrière :
- baisse des loyers trop élevés par rapport aux équipements et services disponibles
- mise en cause des règlements intérieurs,
- reconnaissance des comités de résidents,
- et, dans de nombreux cas, départ des « gérants racistes ».
Mais il y eût d'autres
revendications plus troublantes face à « l'unité ouvrière »
exigée et proclamée par tous les groupuscules extra-parlementaires, pas aux plus importants moments de la mobilisation, ce qui échappe manifestement au sociologue Kepel.
Les années s'étaient écoulées depuis la fin sans gloire de ce
long mouvement pour un logement décent, et on l'oublia. Les petites
sectes révolutionnaires ont un grand défaut, assez indélébile,
outre celui d'avoir toujours raison et de fonctionner en vase clos
(révolutionnaires comme gauchistes) c'est de ne jamais lire vraiment
les publications bourgeoises ni de s'intéresser à ce qui sort en
librairie. Qu'il nous aurait été profitable vers 1987 que certains
d'entre nous lisent le bouquin du jeune Gilles Kepel, à peine âgé
de trente ans. C'est ainsi, mais, comme vous allez le voir, un
enquêteur, même bourgeois, plus fin, peut voir des choses (quoique partielles et peu perceptibles) que le
militant immédiatiste, agité et porté par son propre discours, peut ne pas voir.
Comme le fameux Michel Foucauld, de formation maoïste, qui vit un
nouveau padre révolutionnaire chez le répugnant Khomeini, avant de
se rétracter piteusement.
Dans son ouvrage – Les banlieues
de l'islam (Seuil 1987) – Kepel rappelle qu'une première grève
avait eu lieu en septembre 1973 au foyer de Bobigny, qui avait durée
45 jours, et qui n'avait cessé qu'après avoir obtenu... « poses
de rideaux et ouverture d'une salle de prière ». C'est
seulement en 1975 que la société néo-coloniale Sonacotra va
développer une « politique de mosquées ». Toute la
petite bourgeoisie parisienne accourt en terre de mission :
« Appartenant aux damnés de
la terre, venu du monde pauvre, l'immigré est un prophète de la
révolution, qui doit contraindre le prolétariat embourgeoisé des
sociétés industrielles à redécouvrir le caractère radical,
inexorable des luttes ouvrières que l'ère de la consommation, de
l'automobile et du réfrigérateur a transformées en combats
corporatifs pour le maintien du pouvoir d'achat » (p.133).
L'action du Comité de
coordination régional, immédiatement mis sur pied par les
camarillas gauchistes, qui recrutent bien plus en milieu étudiant
maghrébin et africain que les djihadistes de nos jours,
court-circuite rapidement les pompiers du PCGT et de l'Amicale des
algériens (les trotskiens sont à la traîne et qualifiés de
suivistes par les bordiguistes qui, eux, croient rivaliser avec les
maoïstes).
Pourtant, un autre mouvement, plus
profond et plus discret se dessine à la base, dans les foyers, en
deçà des proclamations maoïstes : l'affirmation de l'identité
islamique :
« Le langage gauchisant et
marxisant utilisé par le comité de coordination a contribué à
occulter l'aspect islamique de ce conflit qui, pour n'avoir jamais
été souligné par les médias qui n'y auraient de toute façon pas
vu, à l'époque, un thème à succès (conjoncture internationale
oblige) n'en était pas moins très présent1
(…) Entre 1974 et 1979 où les conflits sont presque ininterrompus,
cette revendication de lieu de culte est tellement systématiques
qu'elle finit par être devancée par les gestionnaires concernés
qui budgètent dans tous les foyers des travaux pour répondre à
cette exigence. Il faut aussi tenir compte du fait que, pour les
gestionnaires, c'est une des revendications les plus faciles à
satisfaire et que sa satisfaction paraît ramener un semblant
d'ordre » (p.134).
Des salles de prière existaient
déjà avant 1975, jouant un rôle modérateur : « ...gérées
par les pratiquants eux-mêmes qui désignent un responsable en leur
sein, elles rythment la paix sociale par les appels du muezzin
montant du sous-sol cinq fois par jour ». En réalité, Kepel
saute là le moment de la lutte et ment par omission, car, pour
autant que je m'en souvienne et de par mon suivi aléatoire de ce
mouvement, jamais on n'entendit parler de demande de salle de prière
dans les AG publiques où j'ai pu me trouver en tout cas, sinon, moi
en particulier, je les aurais vigoureusement contestées.
« En 1987, la quasi-totalité
des foyers de travailleurs qui hébergent des musulmans est pourvue
de salles de prière, que les résidents appellent souvent
« mosquées ». Dans ces lieux sur plusieurs dizaines
d'années s'est affirmé un processus d'affirmation islamique, bon
pour les « opérateurs islamiques » et leur prosélytisme
suivant le gang impérialiste auquel ils sont rattachés dans les
pays arabes « libérés ».
Un des objectifs de la création
des foyers Sonacotra à la fin des années 1950 était, outre de
fournir une main d'oeuvre taillable et corvéable à merci (logée à
proximité des usines, il en reste encore autour de l'île Seguin) de
soustraire ces travailleurs à l'influence du FLN, déjà en
s'appuyant sur la religion et de réguler leur arrivée en France.
Les foyers qui disposaient de mosquées depuis longtemps sont restés
imperméables à la grève de 1975.
Le gouvernement giscardien
comprend la nécessité, dans un souci d'intégration
communautariste, de favoriser l'accès à la télévision d'une
émission musulmane, de la création de cimetière musulman, mais
plus particulièrement il est demandé aux patrons de faire un
effort. Le secrétaire d'Etat Dijoud adresse une circulaire aux
patrons pour les inciter à respecter les trois principales fêtes de
l'Aïd al Kébir, à mettre en place des lieux de prière en
entreprise correspondant aux heures de ladite prière, de tenir de
l'état physique des travailleurs musulmans en aménageant les
conditions de travail, enfin, pour les cantines, de permettre le
respect des règles coraniques d'alimentation (p.142) ; quoique
le journal Le Monde trouve que ce n'est déjà pas assez. Une
circulaire du 29 décembre 1976 d'aide à l'implantation définit une
liste de règles à vocation d' « encadrement des jeunes
immigrés », en tant que « promotion culturelle ».
Aucune des circulaires successives n'encourage des temps
compensatoires pour toutes les autres religions ou les athées en
bonne santé physique et mentale. En 1976 comme en 1926 avait été
célébré la création d'une grande mosquée à Paris : « …
l'épanouissement éventuel des travailleurs immigrés musulmans par
l'affirmation de leur « identité culturelle », et
notamment par la pratique de leur culte, est l'un des moyens de parer
à des risques sociaux qu'illustre la grève des loyers à la
Sonacotra ». On fait appel aux gouvernements des pays d'origine
pour qu'ils envoient de la littérature pieuse. Les adhérents du
CNPF réagissent moins pieusement quand il leur est proposé de faire
des fêtes musulmanes des jours chômés !
Les premières salles de prière
dans l'île Seguin seront revendiquées à la suite d'une pétition
d'un marabout africain, puis tout s'enchaîne malgré le cambouis (la
prière suppose la propreté du corps) : « Au département
74, l'imam est un OS qui, après avoir travaillé à la chaîne
pendant quinze ans, a été muté par la direction (avec l'appui de
la CGT) sur un poste fixe, afin qu'il gère son temps plus souplement
et puisse exercer au mieux ses fonctions de prédicateur. (…) Les
mosquées n'ont pu se faire qu'avec l'aval – sinon la bénédiction
– de la hiérarchie (…) elles se sont transformées et
développées ensuite, avec l'appui du syndicat CGT majoritaire et
qui entendait le rester ».
« La mise en place d'une
structure islamique à l'intérieur de l'usine présente pour la
direction plusieurs avantages, dans la perspective à court terme du
maintien de la paix sociale et de la productivité, en attendant que
les OS cèdent la place aux robots. Cela renforce l'adhésion des
travailleurs musulmans à l'esprit de l'entreprise, à laquelle ils
se montrent reconnaissants de leur permettre de pratiquer leur culte,
et cela crée un nouveau type d'interlocuteurs, de médiateurs entre
direction et ouvriers, ce qui relativise le monopole de la
représentation syndicale » (p.151).
Avant 1976 la CGT se refusait à
reprendre la revendication de salles de prière : « Par
ailleurs la CGT s'est livrée à ce que certains de ses rivaux
n'hésitent pas à appeler de la « surenchère islamique ».
En effet, elle redoutait que la direction ne fût le principal
bénéficiaire de l'émergence d'un islam consensuel. A cette fin,
elle a systématiquement mis en avant des syndiqués croyants,
organisé un « collectif mosquée », composé d'imams
sympathisants encadrés par des leaders pratiquants pour « sauvegarder
la mosquée de toute déviation ».
LE DRAMATIQUE CONFLIT A TABLOT ET
LE FOLKORE A AULNAY
En 1982, à l'époque de la
« révolution iranienne » où les tchadors commencent à
se pointer partout, on se rappelle ces terribles bagarres où les
ouvriers se jetaient des pierres les uns sur les autres, et de ces
visages hagards et ensanglantés :
« Dans ce dernier
établissement la direction poussera très loin le souci
d'encadrement du champ religieux en recrutant au Maroc des imams dont
la fonction à l'usine sera essentiellement de servir de courroie de
transmission au syndicat maison, la CSL, auprès des OS immigrés ».
Dans sa contre-offensive au
syndicat-maison la CGT emprunte le langage de l'islam et flatte
carrément l'intégrisme musulman: « Les propriétaires de
l'organisation CSL veulent exterminer tout musulman pur et notamment
celui qui revendique les droits et les intérêts des musulmans (…) ;
ils sont le premier microbe qui fait la guerre aux musulmans et à
l'islam (..) En fait, qu'est-ce que la CSL ? Il s'agit d'une
bande fasciste sioniste qui s'oppose contre tous ceux qui proclament
la vérité. Cette bande accuse la CGT d'être contre les musulmans
(…) alors que plusieurs de ses responsables mangent publiquement
pendant le ramadan ».
En avril 1982, la grève à Aulnay
est très médiatisée. En 1980 on avait vu les ouvriers polonais
agenouillés en train de prier en AG, cette fois-ci nous voyons des
centaines d'ouvriers en bleu de travail avec au dos marqué Citroën,
prosternés sur un parking en direction de la Mecque, écoutant un
imam-ouvrier. La CGT d'époque a inscrit parmi les revendications
spécifiques pour travailleurs immigrés « le droit et les
moyens d'exercer son culte ». dans le récit des événements,
« L'Humanité » fait à nouveau dans le genre « à
chacun son boche » : « ...la provocation (patronale)
est allée jusqu'à fournir comme seule nourriture (…) aux
délégations syndicales composées de nombreux travailleurs de
confession islamique... du porc et du vin ! La direction n'avait
pas prévu que ces vivres seraient refusées par tous les
syndicalistes français et immigrés ». Question de dignité !
Conclut le journal stalinien.
Depuis « l'identité
musulmane » en entreprise a fait son chemin, à EDF, à la RATP
où des « frères de classe », sombres barbus comme le
père Noël, peuvent refuser de serrer la main à des non-soeurs de
classe et jusqu'à l'extérieur de l'entreprise, où dans des
boutiques, rue Jean-Pierre Timbaud à Paris par exemple, il vaut
mieux savoir parler arabe, ne pas se permettre d'interrompre la
conversation entre deux barbus, et, si l'on est une pauvre femme,
accepter de se laisser doubler par un homme dans la queue. Ne parlons
pas des cafés dans le 9-3 où seuls, les hommes croyants et Benoît
Hamon ont le droit d'entrer... (45% de la population du 93 est
musulmane d'après le Préfet, cette région est considérée comme
le bastion des starts up de l'avenir et un... gisement d'emploi non
conflictuel). Une bonne classe ouvrière est une classe musulmane,
n'est-ce pas ? C'est à dire soumise corps et âme.
1Kepel
ajoute une note savoureuse, à la lecture du « Quotidien du
peuple » : « Pour les maoïstes qui s'efforcent
d'être « comme des poissons dans l'eau » en milieu
immigré, la référence musulmane est instrumentale et doit
faciliter leur insertion. Ainsi, ils n'hésitent pas à distribuer à
Belleville de stracts intitulés : « Avec les
travailleurs immigrés maghrébins fêtons l'Aïd al Kébir »
(la fête du mouton) ce qui susciste des réactions horrifiées chez
leurs rivaux trotskistes, qui ont la fibre plus « laïque ».
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