"Ce qui
s'est noué le 2 décembre 1851
s'est dénoué le 2 septembre 1870.
(…) Il était dans cette destinée funeste de commencer par un
drapeau noir, le massacre, et de finir par un drapeau blanc, le
déshonneur. (Victor
Hugo, Histoire d'un crime)
« Il
(l'empereur) n’a pas manqué une occasion de faire des sottises
» Ludovic Halevy
«
Tous les grands événements et personnages historiques se répètent
pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la
seconde fois comme farce ». Marx (Der achtzehnte Brumaire des
Louis Napoleon).
Après
que “L'Administration” sous Obama ait liquidé une série de
dictateurs du tiers-monde, allons-nous désormais devoir supporter
de véritables empereurs d'un monde capitaliste industriel dominant
en phase de repli belliciste? On peut relire comme un calque de la
situation présente, lourdes de menaces (guerre en Ukraine, tensions
ravivées au Moyen Orient à l'initiative du nouveau pouvoir
américain) le 18 Brumaire de Marx, qui faisait suite au pamphlet
“luttes de classes en France” (1850) où Marx reprenait l'idée
que la république est l'ultime outil de la bourgeoisie. Comme
Badinguet qui rêva de reconstituer la grande France de son oncle1,
comme son pote (pas forcément pour longtemps) Poutine et son rêve
de refonder le glacis soviétique, Trump s'imagine restaurer une
Amérique hyper-puissante alors qu'elle est contestée partout.
Il
y a des différences (sur une conception libéraliste de l'économie)
mais beaucoup de similarités sur les débuts de l'accession au
pouvoir de Napoléon III avec la farce électorale qui a abouti à
l'intronisation de l'empereur scandaleux Donald Trump. Les
difficultés commencèrent pour le neveu de Napoléon Bonaparte dès
le lendemain de son élection. Il était politiquement isolé, car
le bonapartisme n’avait aucune assise parlementaire et lui-même
était totalement étranger au milieu dans lequel il entrait. Comme
la campagne avait laissé des traces, les républicains lui
refusèrent leur concours et il dut composer, contre son gré, un
gouvernement conservateur autour d’Odilon Barrot, l’ancien chef
de l’opposition dynastique sous la monarchie de Juillet et du
légitimiste Falloux, qui repoussait ses principaux projets
qualifiés d’« élucubrations » et qui se concertait
à l’avance pour lui imposer ses décisions sous forme de
quasi-ultimatums. Le président Napoléon bis devait aussi compter
avec une Assemblée à majorité républicaine qui lui était
hostile, puis, à partir de mai 1849, avec une nouvelle Assemblée,
cette fois dominée par les monarchistes et aussi mal disposée
vis-à-vis de lui.
Les
sobriquets ne manquent pas non plus pour le nouveau président
américain: “Dangerous Donald”, “Donald l'ignorant”,
Voldemort (le vilain sorcier de la saga Harry Potter), Captain
Tantastic, The orange Knight, Droopy Donald... Napoléon III
intronisé après le bain de sang de la répression de 1851 est
nommé lui Ratapoil par Honoré Daumier, Badinguet par Paul
Gavarni, Crapulinsky par Marx2
. Soros prédit l'échec du “dictateur Trump”.
Face
à la protestation universelle des banquiers et des gauchistes
contre le muslim act (interdiction d'entrée aux Etats Unis pour les
ressortissants de 7 pays arabes et en plus pas ceux qui produisent
spécialement des terroristes)3
je réplique, comme je l'ai écrit dans mon livre – Immigration et
religion – que le Capital n'a jamais eu une âme charitable, de la
part des crânes d'oeuf de la Silicon Valley jusqu'aux pires
généraux faucons, car il ne s'agit pas de les intégrer (les
migrants en surnombre) «mais de les domestiquer, de continuer à
les soumettre en les maintenant dans les rets de la religion
d'origine. Car, la bourgeoisie n'a pas oublié que
traditionnellement les nouveaux arrivants du prolétariat pouvaient
être des éléments dangereux, non seulement parce que leur rapide
urbanisation leur faisait mettre de côté les vieilles croyances
superstitieuses, mais les portait à combattre comme classe affirmée
sur le terrain social » (p298).
J'expliquais
que le bonheur universel du multiculturalisme, du « vivre
ensemble » américain n'était que la vitrine permanente de
guerres incessantes et que, contrairement aux thuriféraires de
cette mondialisation heureuse, la bourgeoisie ne pouvait se passer
des frontières nationales malgré un marché décrété enfin «
universel » grâce à l'élimination de l'ours «
communiste » russe. Dans ce cadre national c'est l'idéologie
américaine qui, imposant le « respect » de l'islam,
s'est montrée par après très habile à favoriser aussi un forme
de chaos des classes, où l'islam, à la suite des recommandations
de la CIA et de divers chefs d'Etat suivistes européens tel Giscard
d'Estaing en son temps, sert clairement de ferment d'éclatement et
non d'union de classe exploitée. L'islam sous ses deux versions,
pacifico-démocratique et terroriste belliciste, sert à garantir la
paralysie sociale même si celle-ci, sous les termes de paix
sociale, est devenue en permanence « paix armée »
; dans toutes les grandes métropoles les rues principales sont
balisées désormais par des militaires équipés d'armes de guerre.
Un
autre aspect oublié du bonapartisme était sa volonté de
redévelopper l'expansion coloniale (de façon plus égalitaire en
Algérie par exemple), sans s'embarrasser des théories
assimilationnistes, et, comme on le rappellera, il a été à
l'origine de la dernière grande guerre du 19e siècle : la
guerre franco-allemande de 1870, qui aura tracé le sillon pour la
première grande boucherie du siècle suivant. Question d'une
orientation dramatique qui peut se poser légitimement avec
l'arrivée au pouvoir de « Dangerous Trump ».
La
politique coloniale du Second Empire en France (1852-1870), plus
animée par le libéralisme effréné que par le retour à
l'aristocratie terrienne (ou un protectionnisme à la Trump), avait
consisté en une modernisation de la marine de guerre française
pour améliorer la capacité d'intervention des troupes coloniales.
La superficie du domaine d'Outre-mer triple durant cette période
jusqu'à atteindre un million de km² pour cinq millions
d'habitants. Le Second Empire s'opposait à l'assimilation au nom
de l'autonomie nécessaire de ces contrées en lançant une nouvelle
série de conquêtes coloniales en Asie et en Afrique Noire. A une
époque encore dominée par l'esclavage, les populations colonisées
restaient « colonisées » dans leurs contrées, et
leur excursion en pays colonisateur ne concernait qu'une poignée de
personnes exhibées dans de honteuses foires. Si l'on veut comparer
la démagogie de Trump avec son muslim ban avec celle de Napoléon
III, on peut évoquer les visites aux pauvres de Badinguet, dernier
empereur français populaire et très paternaliste en matière
sociale ; ou encore, dans un esprit autrement plus ouvert que
le repli national de Trump, la volonté de créer un Etat en Algérie
où les arabes et les français auraient été égaux, mais qui a
été méprisée comme une utopie par les Pieds noirs et la
camarilla militaire occupante qui se satisfaisaient très bien du
système d'exploitation coloniale en place. Indépendamment de sa
doctrine peu républicaine, Napoléon III eût une politique très
libérale à l'international, l'inverse de Trump.
Le
populisme de Trump s'apparente en effet plus à un bonapartisme
bâtard (alliance virtuelle du Chef de la Nation et de la plèbe)
qu'à ce concept vague et confusionniste de populisme agité par les
élites politiques bourgeoises pour désigner comme proto-fasciste
meilleur démagogue qu'eux.
Trump
peut toutefois s'inspirer de la manière « ouvriériste
» avec laquelle Badinguet soignait sa popularité, en se rendant
dans les écoles, les hôpitaux et les casernes, mais aussi en
province ; et de sa manière de se jouer des institutions
bourgeoises classiques ; le 30 octobre 1849, Napoléon
le petit se sentit suffisamment fort pour renvoyer son gouvernement
et le remplacer par un autre, composé de parlementaires de moindre
envergure, des « seconds couteaux ». La majorité fut
mécontente, mais elle ne protesta pas. Elle appréciait peu les
hommes qui partaient et le président n’avait fait qu’user de sa
prérogative. Cependant, si l’Assemblée était d’accord avec
celui-ci pour retirer le droit de vote aux plus pauvres devant la
progression de l’extrême gauche aux élections partielles (loi du
31 mai 1850), ou encore pour chercher à moraliser les masses
(lois Parieu et Falloux sur l’instruction), elle ne comprenait pas
qu’il s’autorisât à gracier les transportés de juin 1848, à
réclamer l’élévation de la solde des sous-officiers ou à
proposer la création d’une banque d’honneur pour les
travailleurs sans ressources. Elle rechigna à augmenter les soldes
des trouffions.4
La proclamation de
la Deuxième République le 24 février 1848 avait marqué la
victoire de la bourgeoisie républicaine soutenue par le journal Le
National (écrivains, avocats, fonctionnaires d’esprit
républicain…) Son accession au pouvoir ne se fit cependant pas
comme elle avait pu l’espérer à travers une révolte libérale
contre le trône mais à la suite de l'affirmation du prolétariat
au moment de la révolution de 1848 qui avait vu le triomphe des «
républicains bourgeois » de juin 1848 à la victoire de
Badinguet du 20 décembre 1848.
Le talon d’Achille
du système républicain mis en place par la classe bourgeoise
résidait dans le dualisme entre l’Assemblée nationale et le
président : celui-ci n’avait aucune autorité sur
l’Assemblée qui pouvait, en revanche, l’écarter. De plus, les
membres de l’Assemblée sont rééligibles, ce qui fera dire à
Marx que l’Assemblée est incontrôlable, indissoluble,
indivisible, toute puissante. De l’autre côté, le président de
la république nomme les ministres, distribue les emplois en France,
révoque les élus locaux et régionaux. Et c’est l’élection
directe du président qui permet d’abolir la Constitution. Alors
que les suffrages des Français se répartissent sur 750 députés,
ils se concentrent sur un homme, le président, qui représente, dès
lors, l’intérêt supérieur de la nation, au-delà de tel ou tel
parti. Il existe dès lors un lien personnel entre le peuple et le
président, tandis que le lien unissant le peuple à l'Assemblée
est qualifié de « métaphysique ». Ce qui est défini
comme populisme, le régime présidentiel français depuis 1945
l'incarnerait plutôt à la perfection...
« La France ne
semble donc avoir échappé au despotisme d’une classe que pour
retomber sous le despotisme d’un individu, et, qui plus est, sous
l’autorité d’un individu sans autorité [...] L’État
semble s’être rendu indépendant de la société, de l’avoir
subjuguée ». Marx nuance cependant ce jugement en expliquant
que le pouvoir sert avant tout les paysans à parcelles. Le paysan
(comme le peuple électoral de nos jours) ne peut se représenter
lui-même, il se doit d’être représenté par des gens qui
apparaissent comme ses maîtres, et non ses représentants.
L'équivalent du paysan à l'époque d'un Trump est cette grande
masse des couches moyennes paupérisées aux Etats-Unis, mais pas la
classe ouvrière blanche, hispanique et noire. La foi des couches
moyennes américaines est la foi en l'Etat centralisateur soi-disant
garantie contre les élites de la bande des voleurs de Goldman Sachs
et des parasites d'Hollywood.
Si Napoléon le petit
avait été finalement une réaction bonapartiste au dangereux
prolétariat du début de l'année 1848, Trump n'apparaît pas après
une tentative révolutionnaire, ni face à une montée de la
xénophobie, il vient – en prolongement de la politique hypocrite
d'Obama – continuer à endiguer la colère sociale (mêlant certes
chômage et immigration) mais dans l'autre sens. Si Obama se faisait
l'apôtre d'une ouverture à l'immigration (tout en ayant fait
reconduire à la frontière des millions de refoulés, dont le camp
démocrate ne s'est pas vanté), Trump – qui récuse l'accusation
disqualifiante de racisme5
– tout en se vantant de construire un mur, veut marquer un coup
d'arrêt – qui fait sensation - qui n'a pas pour but à moyen terme
de faire cesser totalement le flux traditionnel d'une immigration
nécessaire. De même Trump ne remettra pas en cause l'attribution de
lieux de culte musulman, vu que la population d'origine arabe aux
Etats Unis est infime. Comme Obama il laissera « la vieille
Europe » se débrouiller avec les migrations massives qui
servent – au plan impérialiste puis au plan humain- à foutre le
bordel.
Trump comme Obama ne
sera en rien révolutionnaire pour le prolétariat mais un prévisible
jouet de graves événements qui se profilent.
NOTES:
1 Après
s'être fait connaître en 1844 par un ouvrage hâbleur : «
L'extinction du paupérisme » (« idées
napoléonniennes », sic), dans le genre utopie à eau de
boudin comme le petit Hamon et son assistanat universel, quoique ce
récipiendaire des bobos parisiens n'ait aucune chance de devenir
président mais de rester simple empereur des bobos, et Fillon roi
déchu des apaches.
2
lire ou relire son génial “18 Brumaire de Louis Bonaparte:
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum3.htm
3 Après
avoir exprimé ses réserves, la high-tech passe à l'action. Donald
Trump a signé vendredi un
décret interdisant pendant 90 jours l'entrée sur le territoire
américain aux
ressortissants de sept pays majoritairement musulmans : Iran, Irak,
Syrie, Somalie, Soudan, Libye et Yémen. La Silicon Valley, qui
dénonce un frein au recrutement, a exprimé son désaccord dès ce
week-end :
Décret
anti-immigration : les réponses de la Silicon Valley à Donald
Trump. Une fraction de la
bourgeoisie américaine en lien avec l'élite européenne risque de
faire payer cher à Trump son coup de barre protectionniste
(qualifié de raciste) : Le
Mexique et l'Union européenne (UE) réagissent à la pression de
Donald Trump. Mexico et Bruxelles ont fait part de leur volonté
d'accélérer la conclusion de leur accord de libre-échange. Deux
séances de négociations sur ce sujet se tiendront avant l'été, a
affirmé la Commission européenne. Rappelons toutefois le fiasco de
la conquête du Mexique en 1863 par les troupes du prince
Badinguet...
4 Sur
l'histoire du fameux coup d'Etat de Badinguet :
https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-24.htm
5
« Hillary Clinton va essayer d'accuser cette campagne et les
millions d'Américains décents qui soutiennent cette campagne
d'être racistes », avait prédit Trump lors d'un
rassemblement à Manchester, au New Hampshire en 2016.
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