"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

jeudi 2 février 2017

TRUMP EMPEREUR REVOLUTIONNAIRE ? (2)



"Ce qui s'est noué le 2 décembre 1851 s'est dénoué le 2 septembre 1870. (…) Il était dans cette destinée funeste de commencer par un drapeau noir, le massacre, et de finir par un drapeau blanc, le déshonneur. (Victor Hugo, Histoire d'un crime)
«  Il (l'empereur) n’a pas manqué une occasion de faire des sottises  » Ludovic Halevy

«  Tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois […] la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce  ». Marx (Der achtzehnte Brumaire des Louis Napoleon).


Après que “L'Administration” sous Obama ait liquidé une série de dictateurs du tiers-monde, allons-nous désormais devoir supporter de véritables empereurs d'un monde capitaliste industriel dominant en phase de repli belliciste? On peut relire comme un calque de la situation présente, lourdes de menaces (guerre en Ukraine, tensions ravivées au Moyen Orient à l'initiative du nouveau pouvoir américain) le 18 Brumaire de Marx, qui faisait suite au pamphlet “luttes de classes en France” (1850) où Marx reprenait l'idée que la république est l'ultime outil de la bourgeoisie. Comme Badinguet qui rêva de reconstituer la grande France de son oncle1, comme son pote (pas forcément pour longtemps) Poutine et son rêve de refonder le glacis soviétique, Trump s'imagine restaurer une Amérique hyper-puissante alors qu'elle est contestée partout.

Il y a des différences (sur une conception libéraliste de l'économie) mais beaucoup de similarités sur les débuts de l'accession au pouvoir de Napoléon III avec la farce électorale qui a abouti à l'intronisation de l'empereur scandaleux Donald Trump. Les difficultés commencèrent pour le neveu de Napoléon Bonaparte dès le lendemain de son élection. Il était politiquement isolé, car le bonapartisme n’avait aucune assise parlementaire et lui-même était totalement étranger au milieu dans lequel il entrait. Comme la campagne avait laissé des traces, les républicains lui refusèrent leur concours et il dut composer, contre son gré, un gouvernement conservateur autour d’Odilon Barrot, l’ancien chef de l’opposition dynastique sous la monarchie de Juillet et du légitimiste Falloux, qui repoussait ses principaux projets qualifiés d’«  élucubrations  » et qui se concertait à l’avance pour lui imposer ses décisions sous forme de quasi-ultimatums. Le président Napoléon bis devait aussi compter avec une Assemblée à majorité républicaine qui lui était hostile, puis, à partir de mai 1849, avec une nouvelle Assemblée, cette fois dominée par les monarchistes et aussi mal disposée vis-à-vis de lui.
Les sobriquets ne manquent pas non plus pour le nouveau président américain: “Dangerous Donald”, “Donald l'ignorant”, Voldemort (le vilain sorcier de la saga Harry Potter), Captain Tantastic, The orange Knight, Droopy Donald... Napoléon III intronisé après le bain de sang de la répression de 1851 est nommé lui Ratapoil par Honoré Daumier, Badinguet par Paul Gavarni, Crapulinsky par Marx2 . Soros prédit l'échec du “dictateur Trump”.

Face à la protestation universelle des banquiers et des gauchistes contre le muslim act (interdiction d'entrée aux Etats Unis pour les ressortissants de 7 pays arabes et en plus pas ceux qui produisent spécialement des terroristes)3 je réplique, comme je l'ai écrit dans mon livre – Immigration et religion – que le Capital n'a jamais eu une âme charitable, de la part des crânes d'oeuf de la Silicon Valley jusqu'aux pires généraux faucons, car il ne s'agit pas de les intégrer (les migrants en surnombre) «mais de les domestiquer, de continuer à les soumettre en les maintenant dans les rets de la religion d'origine. Car, la bourgeoisie n'a pas oublié que traditionnellement les nouveaux arrivants du prolétariat pouvaient être des éléments dangereux, non seulement parce que leur rapide urbanisation leur faisait mettre de côté les vieilles croyances superstitieuses, mais les portait à combattre comme classe affirmée sur le terrain social  » (p298).
J'expliquais que le bonheur universel du multiculturalisme, du «  vivre ensemble  » américain n'était que la vitrine permanente de guerres incessantes et que, contrairement aux thuriféraires de cette mondialisation heureuse, la bourgeoisie ne pouvait se passer des frontières nationales malgré un marché décrété enfin «  universel  » grâce à l'élimination de l'ours «  communiste  » russe. Dans ce cadre national c'est l'idéologie américaine qui, imposant le «  respect  » de l'islam, s'est montrée par après très habile à favoriser aussi un forme de chaos des classes, où l'islam, à la suite des recommandations de la CIA et de divers chefs d'Etat suivistes européens tel Giscard d'Estaing en son temps, sert clairement de ferment d'éclatement et non d'union de classe exploitée. L'islam sous ses deux versions, pacifico-démocratique et terroriste belliciste, sert à garantir la paralysie sociale même si celle-ci, sous les termes de paix sociale, est devenue en permanence «  paix armée  »  ; dans toutes les grandes métropoles les rues principales sont balisées désormais par des militaires équipés d'armes de guerre.
Un autre aspect oublié du bonapartisme était sa volonté de redévelopper l'expansion coloniale (de façon plus égalitaire en Algérie par exemple), sans s'embarrasser des théories assimilationnistes, et, comme on le rappellera, il a été à l'origine de la dernière grande guerre du 19e siècle  : la guerre franco-allemande de 1870, qui aura tracé le sillon pour la première grande boucherie du siècle suivant. Question d'une orientation dramatique qui peut se poser légitimement avec l'arrivée au pouvoir de «  Dangerous Trump  ».
La politique coloniale du Second Empire en France (1852-1870), plus animée par le libéralisme effréné que par le retour à l'aristocratie terrienne (ou un protectionnisme à la Trump), avait consisté en une modernisation de la marine de guerre française pour améliorer la capacité d'intervention des troupes coloniales. La superficie du domaine d'Outre-mer triple durant cette période jusqu'à atteindre un million de km² pour cinq millions d'habitants. Le Second Empire s'opposait à l'assimilation au nom de l'autonomie nécessaire de ces contrées en lançant une nouvelle série de conquêtes coloniales en Asie et en Afrique Noire. A une époque encore dominée par l'esclavage, les populations colonisées restaient «  colonisées  » dans leurs contrées, et leur excursion en pays colonisateur ne concernait qu'une poignée de personnes exhibées dans de honteuses foires. Si l'on veut comparer la démagogie de Trump avec son muslim ban avec celle de Napoléon III, on peut évoquer les visites aux pauvres de Badinguet, dernier empereur français populaire et très paternaliste en matière sociale  ; ou encore, dans un esprit autrement plus ouvert que le repli national de Trump, la volonté de créer un Etat en Algérie où les arabes et les français auraient été égaux, mais qui a été méprisée comme une utopie par les Pieds noirs et la camarilla militaire occupante qui se satisfaisaient très bien du système d'exploitation coloniale en place. Indépendamment de sa doctrine peu républicaine, Napoléon III eût une politique très libérale à l'international, l'inverse de Trump.

Le populisme de Trump s'apparente en effet plus à un bonapartisme bâtard (alliance virtuelle du Chef de la Nation et de la plèbe) qu'à ce concept vague et confusionniste de populisme agité par les élites politiques bourgeoises pour désigner comme proto-fasciste meilleur démagogue qu'eux.
Trump peut toutefois s'inspirer de la manière «  ouvriériste  » avec laquelle Badinguet soignait sa popularité, en se rendant dans les écoles, les hôpitaux et les casernes, mais aussi en province  ; et de sa manière de se jouer des institutions bourgeoises classiques  ; le 30  octobre 1849, Napoléon le petit se sentit suffisamment fort pour renvoyer son gouvernement et le remplacer par un autre, composé de parlementaires de moindre envergure, des «  seconds couteaux  ». La majorité fut mécontente, mais elle ne protesta pas. Elle appréciait peu les hommes qui partaient et le président n’avait fait qu’user de sa prérogative. Cependant, si l’Assemblée était d’accord avec celui-ci pour retirer le droit de vote aux plus pauvres devant la progression de l’extrême gauche aux élections partielles (loi du 31  mai 1850), ou encore pour chercher à moraliser les masses (lois Parieu et Falloux sur l’instruction), elle ne comprenait pas qu’il s’autorisât à gracier les transportés de juin 1848, à réclamer l’élévation de la solde des sous-officiers ou à proposer la création d’une banque d’honneur pour les travailleurs sans ressources. Elle rechigna à augmenter les soldes des trouffions.4
La proclamation de la Deuxième République le 24 février 1848 avait marqué la victoire de la bourgeoisie républicaine soutenue par le journal Le National (écrivains, avocats, fonctionnaires d’esprit républicain…) Son accession au pouvoir ne se fit cependant pas comme elle avait pu l’espérer à travers une révolte libérale contre le trône mais à la suite de l'affirmation du prolétariat au moment de la révolution de 1848 qui avait vu le triomphe des «  républicains bourgeois  » de juin 1848 à la victoire de Badinguet du 20 décembre 1848.
Le talon d’Achille du système républicain mis en place par la classe bourgeoise résidait dans le dualisme entre l’Assemblée nationale et le président  : celui-ci n’avait aucune autorité sur l’Assemblée qui pouvait, en revanche, l’écarter. De plus, les membres de l’Assemblée sont rééligibles, ce qui fera dire à Marx que l’Assemblée est incontrôlable, indissoluble, indivisible, toute puissante. De l’autre côté, le président de la république nomme les ministres, distribue les emplois en France, révoque les élus locaux et régionaux. Et c’est l’élection directe du président qui permet d’abolir la Constitution. Alors que les suffrages des Français se répartissent sur 750 députés, ils se concentrent sur un homme, le président, qui représente, dès lors, l’intérêt supérieur de la nation, au-delà de tel ou tel parti. Il existe dès lors un lien personnel entre le peuple et le président, tandis que le lien unissant le peuple à l'Assemblée est qualifié de «  métaphysique  ». Ce qui est défini comme populisme, le régime présidentiel français depuis 1945 l'incarnerait plutôt à la perfection...
LE BONAPARTISME FAIT CROIRE QUE LE REGIME DE L'EMPEREUR PRESIDENTIEL EST AU-DESSUS DES CLASSES
«  La France ne semble donc avoir échappé au despotisme d’une classe que pour retomber sous le despotisme d’un individu, et, qui plus est, sous l’autorité d’un individu sans autorité [...] L’État semble s’être rendu indépendant de la société, de l’avoir subjuguée  ». Marx nuance cependant ce jugement en expliquant que le pouvoir sert avant tout les paysans à parcelles. Le paysan (comme le peuple électoral de nos jours) ne peut se représenter lui-même, il se doit d’être représenté par des gens qui apparaissent comme ses maîtres, et non ses représentants. L'équivalent du paysan à l'époque d'un Trump est cette grande masse des couches moyennes paupérisées aux Etats-Unis, mais pas la classe ouvrière blanche, hispanique et noire. La foi des couches moyennes américaines est la foi en l'Etat centralisateur soi-disant garantie contre les élites de la bande des voleurs de Goldman Sachs et des parasites d'Hollywood.
Si Napoléon le petit avait été finalement une réaction bonapartiste au dangereux prolétariat du début de l'année 1848, Trump n'apparaît pas après une tentative révolutionnaire, ni face à une montée de la xénophobie, il vient – en prolongement de la politique hypocrite d'Obama – continuer à endiguer la colère sociale (mêlant certes chômage et immigration) mais dans l'autre sens. Si Obama se faisait l'apôtre d'une ouverture à l'immigration (tout en ayant fait reconduire à la frontière des millions de refoulés, dont le camp démocrate ne s'est pas vanté), Trump – qui récuse l'accusation disqualifiante de racisme5 – tout en se vantant de construire un mur, veut marquer un coup d'arrêt – qui fait sensation - qui n'a pas pour but à moyen terme de faire cesser totalement le flux traditionnel d'une immigration nécessaire. De même Trump ne remettra pas en cause l'attribution de lieux de culte musulman, vu que la population d'origine arabe aux Etats Unis est infime. Comme Obama il laissera « la vieille Europe » se débrouiller avec les migrations massives qui servent – au plan impérialiste puis au plan humain- à foutre le bordel.
Trump comme Obama ne sera en rien révolutionnaire pour le prolétariat mais un prévisible jouet de graves événements qui se profilent.


NOTES:

1 Après s'être fait connaître en 1844 par un ouvrage hâbleur  : «  L'extinction du paupérisme  » («  idées napoléonniennes  », sic), dans le genre utopie à eau de boudin comme le petit Hamon et son assistanat universel, quoique ce récipiendaire des bobos parisiens n'ait aucune chance de devenir président mais de rester simple empereur des bobos, et Fillon roi déchu des apaches.
2 lire ou relire son génial “18 Brumaire de Louis Bonaparte: https://www.marxists.org/francais/marx/works/1851/12/brum3.htm
3 Après avoir exprimé ses réserves, la high-tech passe à l'action. Donald Trump a signé vendredi un décret interdisant pendant 90 jours l'entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays majoritairement musulmans : Iran, Irak, Syrie, Somalie, Soudan, Libye et Yémen. La Silicon Valley, qui dénonce un frein au recrutement, a exprimé son désaccord dès ce week-end : Décret anti-immigration : les réponses de la Silicon Valley à Donald Trump. Une fraction de la bourgeoisie américaine en lien avec l'élite européenne risque de faire payer cher à Trump son coup de barre protectionniste (qualifié de raciste)  : Le Mexique et l'Union européenne (UE) réagissent à la pression de Donald Trump. Mexico et Bruxelles ont fait part de leur volonté d'accélérer la conclusion de leur accord de libre-échange. Deux séances de négociations sur ce sujet se tiendront avant l'été, a affirmé la Commission européenne. Rappelons toutefois le fiasco de la conquête du Mexique en 1863 par les troupes du prince Badinguet...
4 Sur l'histoire du fameux coup d'Etat de Badinguet  : https://www.cairn.info/revue-parlements1-2009-2-page-24.htm
5 «  Hillary Clinton va essayer d'accuser cette campagne et les millions d'Américains décents qui soutiennent cette campagne d'être racistes  », avait prédit Trump lors d'un rassemblement à Manchester, au New Hampshire en 2016.

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