Quel intérêt, demandera celui-là ; de publier ces
quelques lettres éparses de notre saga de la « Gauche communiste » (à
ne pas confondre avec l’ivraie stalinienne) pour des lecteurs lambda qui n’ont
ni d’ouïe ni de visu entendu parler de l’étonnant mémorialiste et militant Lucien
Laugier, Suzanne Voute, Gaston Davoust, sans compter tous ces djeuns pour qui
Bordiga, Damen ou les Chaulieu et autres multiples révisonnistes de la théorie
marxiste sont d’illustres inconnus.
Etranges lacunes des historiens de la contre
révolution et des intellectuels d’opposition corrompus, l’histoire de la
« gauche italienne », puisque c’est bien d’elle qu’il s’agit ici,
cette gauche révolutionnaire qui a le mieux résistée au temps qui passe, qui a
été capable d’anticipation fabuleuse, reste un mythe ou une caricature. Sous
les terribles décombres humains et sociaux de la deuxième boucherie mondiale, la
grande confrontation entre tendances révolutionnaires dans l’Europe d’après
guerre est figurée en France et en Italie, par le choc entre la tradition
(bordiguiste) et la nouveauté moderniste (Socialisme ou Barbarie) ; S ou B
n’aura été qu’une comète anarchiste comparé au bordiguisme, et c’est une mixture
de S ou B et de parti bordiguien qui surnage après 1968. Nous payons encore les
conséquences de cette parasynthèse ratée, tentée par le CCI, fossilisé hélas
finalement en secte paranaoïaque comme ses dernières fractions lilliputiennes
ou moribondes.
Les quelques lettres internes (dont certaines doivent
se trouver dans les deux numéros de la revue électronique Tempus Fugit,
disparue) font revivre en chair et en os des militants du communisme pas du
tout mystiques. J’ai correspondu avec un certain nombre d’imbéciles
ultra-gauches qui signaient leur courrier d’un ronflant « salutations
communistes », je me marrais, je publierai un jour leurs insanités et
insultes. Pour Bordiga et ses camarades, les courriers se terminent par un
classique « cordialement ». Il ne leur était pas venu à l’esprit
qu’une poigné de main pouvait être « communiste »,
« capitaliste » ou « stalinienne ».
Bordiga a affaire à deux sortes de militants dont la
démarche transparaît dans leur courrier : d’une part les vrais militants
dévoués au combat et au sens de l’organisation comme le postier Laugier (dont
jamais éditeur bourgeois ne publiera l’important travail de mémorialiste), mais
d’autre part des intellectuels comme Dangeville et Camatte qui cherchent des
trouvailles théoriques à creuser « auprès du maître ». Les premiers
se battent jusqu’au sans renier leur foi dans le combat du prolétariat, les autres
renoncent, leur accord de jeunesse était-il basé sur du sable ?[1]
Contrairement à des clichés malveillants, on n’est pas
suiviste ni béni-oui-oui dans la « gauche » des catacombes oubliés
des menteurs officiels. Bordiga est discuté comme les autres figures de proue.
On découvre les capacités politiques d’une Suzanne Voute, au caractère pénible mais véritable fondatrice
du courant bordiguiste en France et combattante politique jusqu’à son dernier
souffle ; et personne pour tresser la biographie de cette longue existence
au service de la révolution. Et Piccino, cet étonnant petit bonhomme, véritable
ouvrier, estimé de tous, jamais rétif aux problèmes théoriques les plus ardus,
qui narrera sa vie et ce qu’il a représenté pour toutes les « fractions »
de gauche maximaliste de l’époque ?
Lettre de
Chazé/Davoust à Chaulieu, Choisy le 1er
décembre 1949
Mon cher Chaulieu,
Je ne sais pas encore ce que vous avez décidé
dimanche, et n’ayant pas pu assister à la réunion de votre groupe samedi, je ne
sais même pas ce que la camarade Frédérique vous a proposé en ce qui concerne
l’ordre du jour des réunions communes. Je t’écris néanmoins pour te faire part
de la situation de notre groupe, situation de liquidation qui place votre
organisation au centre du regroupement à faire.
Il était probable que la tendance bordiguiste de notre
organisation n’aurait pas accepté de se fondre dans une nouvelle organisation
de l’avant-garde en France. C’est maintenant une certitude et cette tendance ne
participera aux réunions communes que parce qu’elle ne peut s’y refuser, mais
avec l’intention bien arrêtée de rester séparée. Il aurait été préférable que
cela apparaisse comme un résultat des discussions. Mais, puisque cela devait se
faire, il importe peu, au fond, qu’on le sache maintenant.
Lastérade et moi avions envoyé une lettre au parti
italien demandant une discussion internationale sur les questions essentielles
du programme révolutionnaire. Le groupe était d’accord pour que cette
discussion ait lieu mais le CE du parti la repousse. Ce refus est accompagné de
tels développements qu’il implique la rupture. Celle-ci sera consommée avant
donc que nous discutions avec vous et l’U.O.I.
D’autre part, quelques camarades n’attendent que ces
discussions aient lieu pour rompre également avec le courant bordiguiste. Ce
sont aussi des léninistes 100% mais qui pourront, je crois, évoluer
suffisamment pour que leur appartenance à la nouvelle organisation ne soit pas
un boulet pour celle-ci.
Voilà donc où nous en sommes et pourquoi votre
responsabilité dans la refonte de l’avant-garde en France, va se trouver
accrue.
Toutefois, il ne faudrait pas que cela vous fasse
commettre des blagues. Si nous voulons réussir il faut envoyer au diable les
préoccupations de boutique. Or je crains qu’avec l’U.O.I. vous vous laissiez
entraîner les uns et les autres dans ce genre de bêtises. J’espère vivement me
tromper.
Tu sais fort bien comme moi que la question
essentielle qui nous différenciera sera celle du rôle du parti. Or, si nous
voulons que cette différenciation se fasse dans la clarté, il faut que la
question vienne en discussion comme conclusion de nos débats et non au début.
C’est après avoir essayé d’établir les grandes lignes
du programme révolutionnaire de l’époque actuelle, autrement dit après avoir
étudié le contenu de la révolution prolétarienne tel qu’il pourrait être en
fonction de l’évolution du monde et des expériences révolutionnaires passées,
que nous pourrons clairement discuter du rôle du parti et de ses tâches.
En somme, il y a deux façons de concevoir nos discussions
prochaines. La première, vers laquelle la tendance bordiguiste cherchera à nous
entrainer, consistera à discuter de ce qui peut immédiatement nous diviser.
Nous aboutirions alors à une confrontation sans aucun fruit qu’une perte de
temps, regrettable.
La seconde qui_ consiste au contraire à considérer,
dès le départ, que nos discussions seront celles d’un Congrès de fondation de
la nouvelle organisation. C’est la bonne, car la maturation des problèmes à
résoudre est suffisante. L’ordre du jour qui en découlerait serait donc :
-
Analyse de
l’évolution du monde et perspectives,
-
Situation du
mouvement révolutionnaire,
-
Programme
révolutionnaire (contenu de la révolution prolétarienne dans la phase
historique actuelle) ;
-
Parti et
organisation de masse – rôle du parti – ses rapports avec les organisations de
masse – syndicats, comités de lutte, etc.
-
Tâches du parti
et perspectives.
Bien entendu, ne vois-là que des propositions que je
te soumets parce que je ne peux pas participer activement aux préparatifs des
discussions qui vont s’ouvrir.
J’espère que tu me comprends. Je pense que nos
discussions pourraient n’aboutir qu’à constater que nous pouvons créer une
nouvelle organisation. Car je crois possible qu’elles devraient avoir pour
résultat de donner tout de suite à la nouvelle organisation ses documents de
base.
A la prochaine occasion, je te documenterai sur nos
discussions avec la tendance de Bordiga, qui, dans le parti italien, semble
étouffer toute discussion générale.
A bientôt – salut fraternel aux camarades de ton
groupe.
Cordialement,
Davoust
BORDIGA A
LUCIEN LAUGIER juillet 1953 (l’orthographe italianisée et les
fautes de frappe sont conservées)
Ing.Amadeo Bordiga
Corso Garibaldi
412
Napoli 2 luglio 1953
NAPOLI
Mon cher Lucien,
Bruno t’a peut-être renseigné sur ma proposition
d’élaborer una traduction à l’usage des français des trois derniers Filo del
Tempo qui contiennent une critique des positions de « Socialisme et
Barbarie ». Il ne suffit pas de taduire materiellement mais il faut mieux
rédiger tout le texte en clarifiant certains passages, et donner des
expressions correspondantes aux frases en argot. C’est pourquoi je pense que tu
peux commencer le travail et m’envoyer ce que tu aura écrit en me signalant les
endroits dont l’acception doit être perfectionnée. Le textes de la revue aux
quels je me réfère par les diverses citations sont dans le Nos I (S.ou B.,
editoriel) ; I0 :Sur le programme socialiste,et : La direction
prolétarienne (Chaulieu et Montal-Chacal), II ; L’expérience
prolétarienne. Je pense que tu possèdes une collection de cette
anvergure !
Piccino pourra t’aider à comprendre les quelques
idiotismes souvent employés dans les Fili pour se mettre dûment à la Hauteur
des ces grands théoriciens ! Pour répandre un tel travail on se servira je
pense de votre Bulletin, ou on se mettra d’accord sur la voie meilleure.
Je t’envoie des salutations bien cordiales
amadeo
BORDIGA A
LUCIEN LAUGIER Naples 1er décembre 1953
Cher Lucien,
Je te dois des précisions sur la presque rupture de
notre liaison depuis un long temps, par manque de loisir entre beaucoup de
travail. Je vais essayer une récapitulation.
I.
On avait dit à
Gênes che vous auriez envoyé en Italie votre materiel avant de le publier.
D’abord vous ne l’avez pas fait, après nous ne l’avons pas examiné en temps
utile.
II.
Lorsque votre
Bulletin a été publié des critique ont circulé ; légèrement du côté Paris
ou feu Demetrio, plus sérieusement dans les impressions d’Otto de Bruno de
Faber.
III.
A Trieste on a parlé
de çà : malheureusement la blessure d’Ottorino avait dérangé le programme
de travail pour le « vacances » e le dossier France n’a pas été
entamé.
IV.
D’après vos
communications et les explications qui ont reduit toute la question à quelque
malentendus di formulation, j’ai pensé y faire front en globat le chapitre que
tu sais dans le fatiguant compte rendu de Trieste, et pensè che la chose soit
réglée.
V.
Ta lettre du 5
octobre inséré dans le dossier susdit meritait toutefois une réponse ; et
également le materiel Paris Marseille Bruxelles reçu via Bruxelles : on y
reviendra.
VI.
La révision de la
traduction Otto du capitre répeté, et de votre traduction d’une part de la
Batracomiomachie, reste à faire de ma part.
VII.
Je regrette
d’apprendre de Bruno qu’aucun de vous ne sera à Florence le 6-7 : on
aurait pris en considération le tout dans una réunion spéciale. C’est pourquoi
j’ai pensé suppléer au silence trop prolongé par l’actuelle squelette de
lettre. On y reviendra.
A toi et aux autres salutations cordiales
Amadeo
Grand merci du livre de Trotsky : il sera rendu.
LETTRE DE
BORDIGA AU GROUPE DE MARSEILLE Naples le 20
septembre 1955
Chers camarades,
J’ai reçu : la lettre di Christian ; la
lettre de Lucien, le texte Einstein.
Après une corespondance urgente avec Bruno – qui
probablement est en ce moment à Paris pour question di travail mais ne vous
verra pas – je suis chargé de vous répondre.
I.
Réunion à
Marseille : en principe la chose est arrêtée, mais la date du II novembre
est trop proche. Il faut une préparation plus longue de notre côté pour vous
donner le nombre de ceux qui viendront d’Italie, après une nequête interne, et
de votre coté pour la logistique. Je pense alors qu’il faut renvoyer au
printemps, et en décembre avoir une réunion en Italie comme d’ordinaire. Il
s’ensurgit la question du théme. On avait prevu la question de tactique de
l’I.C. en Europe en 1919-26 et les différents avec la gauche, ce qui avait un
certain intérêt international et allait bien en France. Si nous traitons ce
théme en Italie, le prochain sera d’après notre programme d’économie pure, sur
le capitalisme actuel d’Amérique (rattaché au théme d’économie pure), le
bienêtre, l’automation etc.
Ce théme est peut-être un peu moins
convenable chez vous, et une bonne idée pourrait être un exposé général de
notre plateforme théorique et politique. Nous soumettons tout cela à votre
examen. Donnez-nous votre avis.
II.
Traductions.
Toute la série sur les questions russes n’est pas trop longue ? Les séries
Dialogato e AntiChaulieu suffisent a donner les premières trois ou quatre
issues (fair preceder deux textes continuant en plus ces numeros, et suivre une
paire d’articles autonomes, déjà choisis).
La méme observation vaut pour Race et Nation. On
pourrait envisager la possibilité de donner les résumés existant, et pour la
Russie mes deux derniers fils en ajoutant peut-être les Thèses d’Avril (issue précédente).
Pour le moment votre plan serait peu modifié.
A vous tous salutations cordiales
Amadeo
Lucien
Laugier au P.C.Int. d’Italie Marseille le 12 mars 1956
(copies aux groupes de Paris et de Belgique)
Chers camarades,
Voici nos réponses à votre dernière lettre qui, cette
fois-ci, vous satisferons, nous l’espérons et clorons le « débat ».
1.
Le retard dans le
travail que vous avez constaté ne nous est pas imputable mais découle de
difficultés que vous connaissez bien. D’ailleurs les stencils des deux
premières « journées » ont été, à ce jour, acheminés et les autres
suivront sous peu.
2.
Nous avons
toujours accepté l’intégralité du matériel du parti et nous trouvons superflu
de spécifier notre accord formel sur tel ou tel texte que vous jugez devoir
publier, de même que de donner notre engagement formel à le diffuser et le
défendre. Nous répétons que, dans la mesure de nos possibilités matérielles et
financières nous sommes à votre disposition pour effectuer les traductions et
faire frapper les stencils. Ceci doit être clair et cette question considérée
comme liquidée.
3.
Nous n’avons
jamais songé à exclure qui que ce soit et nous pensons comme vous que tout camarade
qui se déplace fait automatiquement partie du groupe local. Mais il doit, non
moins automatiquement en respecter les élémentaires règles de travail et
d’organisations de principe et de discipline mais sont la conséquence (que nous
avions tout fait pour éviter) de tout un système vicié de conceptions du
travail et des rapports qui reste à entièrement réformer. En attendant que cela
soit fait nous ne saurions voir s’instaurer dans le groupe de Marseille les
méthodes et procédés que nous condamnons chez les autres et admettre que les
polémiques que vous avez condamnées de groupe à groupe en fassent leur lieu
d’élection. La mesure que nous avons prise, objectivement et sans passion, n’a
pas d’autre but que de l’éviter. Soyez-en persuadés, de même que de notre
volonté pour régler tous les différents. Notre décision constitue un pis-aller
mais elle est parfaitement compatible avec la continuation du travail, par un
partage rationnel de la tâche de traduction, et nous permet de sauvegarder le
bon climat interne du groupe auquel nous sommes très attaché. Vous ne sauriez
nous faire grief de cette préoccupation.
Salutations fraternelles, pour le groupe :
Lucien.
BORDIGA A
LUCIEN LAUGIER Naples le 29 juillet 1956
Cher Lucien,
D’accord sur ta lettre :en effet l’erreur a été
de trop décentraliser. La prochaine
fois il convient de faire tout le travail au même endroit. Les autres groupes
qui voudront contribuer le feront bourgeoisement par de l’argent.
Je suis content que les rapports avec Suzanne soient
« normalisés ». Il en était temps.
Ne revenons plus sur l’origine des fautes
dactylographiques. Christian sera prié de passer ses demi-journées auprès d’une
dactylo, peut-être, moins intéressante et plus attentive.
Vous allez recevoir de Milan la circulaire sur la
réunion à Cosenza, le 8 et 9 septembre, qui regarde la technique, e le travail
sur le théme choisi. J’espère qu’un de vous sera là-bas, et surtout que vous
enverrez du matériel utile.
A’bien nous voir, et salutations générales
Amadeo
LETTRE DE
BORDIGA du 10 décembre 1956
Caro compagno,
La pressima riunione di studio si terrà a Ravenna il
19-20gennaie 1957, in base aé un programma organizzative che sarà illustrate in
successiva circolare. Essa avràcome tema la stesse trattate a Consenza e
sviluppate in base ai dati statistici che ci saranne nel frattempo pervenuti, e
il cui seguito occuperàaltre riunieni : « L’Economia capitalista in
Occidente e il corso storico del sue svelgimento ». Frattante, rifacendoci
alla circolare che precedette la riunione di Cosneza, invitiamo i compagni e i
gruppi che seno in grade di farle di collaborare al lavaro di ricerca, invi andeci dati statistici sul tipe di
quelli magistralmente sviluppati nel nr.21 di « Programma » sulle
Produzione Mondiale di acoisie. Interessane dati relativi a periodi e cicli,
possibilmente lunghi, e relativi sia alla produzione nella dinamica del sue
sviluppe, sia al cosiddette reddite nazionale e alla sua distribuzione, al
commercie estere, alle alternanze di perdiodi du Sviluppe et di perdiodi di
crisi, agli investimenti e reinvestimenti ecc., possibilmente risalende alle
prime fasi steriche dell’economia capitalistica. E’inutile riciamarvi all’’estrema
urgenza di quest’opera di collaborazione :il tempo, infatti, stringe.
Alla riunione saranne dedicate allcune ere anche a
problemi organizzativi, resi piu acuti dagli ultimi avvemimenti internazionali.
Cpgliamo l’occasione per sollecitare versamenti in
conte giornali e Dialogati, et per avvertirvi che il giornale uscità ancera due
volte in dicembre, contraiamente al solite, cicé il 14 e il 21 ; é uno
sforza gravese quelle che affrontisme, ma esse é richieste dall’accavallardi di
avecnimenti du grande portata di fronte si quali non possiame non prendere
chiaramonte e ripetutamente posizione. Ma é una ragione di piu perché i gruppi
ci siutiné.
Fraterni saluti
Amadeo
LETTRE DE
BORDIGA A SUZANNE ET DANIEL Napoli 23
agosto 1957
(trop long en italien et au-dessus de mes forces)
LETTRE DE
CAMATTE A BORDIGA Marseille 28 décembre 1956
Cher camarade,
Comme je te l’avais dit cet été à Naples, nous serions
très heureux d’avoir la traduction de l’article sur Einstein que tu devais
superviser. C’est pourquoi je viens te demander si tu as eu le temps de le
faire, et dans ce cas de nous envoyer l’article. Ou bien, si tu n’as pas pu, si
on peut le publier tout de même dans le Travail de Groupe. Je te demande cela
car cet article nous est réclamé par des camarades qui ne lisent pas l’italien
et aussi par des sympathisants qui sont dans le même cas. Notre Groupe contient
nombre d’étudiants qui s’intéressent d’une manière immédiat à ces questions
théoriques – car c’est leur métier. Le problème justement est de les porter sur
un plan politique – mais de plus je pense, j’en avais discuté avec toi en 55 à
Naples, qu’il faille leur exposer la théorie marxiste de la connaissance
humaine, et en particulier la façon dont nous examinons les questions
scientifiques. C’est pourquoi justement ce serait bien si tu pouvais donner des
compléments, ne serait-ce que sous forme de points à développer.
Toujours sur ce plan théorique, je compte traduire à
plus ou moins brève échéance « sorda ad alti messagi la civilità dei
quiz ». Pourrons-nous le publier aussi, je t’enverrai d’ailleurs une copie
avant.
Puisque je te parle de traduction, je t’indique que le
Groupe va publier celle des articles contre « Socialisme ou
Barbarie ». Car nous pensons qu’il s’y trouve les bases pour l’étude du
mouvement ouvrier français, et de plus l’explication de diverses déviations
soit contemporaines soit anciennes, les premières n’étant que des redites,
souvent stupides, des secondes.
J’ai suivi le conseil que tu me donnais à Naples l’été
dernier d’étudier la formation des divers partis ouvriers français et ceci en
liaison avec le développement de la société bourgeoise, donc faire en quelque
sorte l’historique, la genèse du capitalisme français en en développant les
particularités qui ont pu jouer un rôle sur le mouvement ouvrier… Peux-tu à ce
propos me dire comment je dois orienter mes recherches et même m’indiquer les
livres sur ces questions (pour l’histoire du mouvement français nous avons
acheté le premier tome de la Correspondance Engels-Lafargue).
J’espère que tu pourras me répondre, soit dans le
journal, soit d’une autre manière, et que je ne te dérange pas trop dans ton
travail.
Salutations fraternelles,ainsi qu’à tous les
camarades,
Jacques Camatte.
LETTRE DE SUZANNE VOUTE A PICCINO
Aurillac , jeudi 19 novembre (année illisible)
Cher Piccino,
Comme sans doute tu le sais, j’ai été opérée en août,
suis restée presqu’un mois au lit et me voilà maintenant en convalescence dans
ma famille, d’où je retournerai maintenant dans quinze jours à Paris. Je ne
puis rien encore dire des résultats de l’opération, il faut pour cella
attendre : la région opérée restants très sensible, voire douloureuse,
pendant au moins six mois, m’a-t-on dit. J’avais beaucoup maigri et ne reprend
que lentement, mais j’espère bien que pour le 1er novembre tout sera
remis en place et que je pourrai rentrer.
J’ai reçu ces jours-ci de Bruno Zecchini, qui avait
été en Belgique, un petit texte, résumé des discussions Bordiga/Ottorino sur la
question syndicale, que Otto lui avait donné pour moi et que j’ai retapé. Tu
sais que Otto est allé à Naples cet été, avec – dit Bruno – la tête pleine
d’idées nouvelles sur l’accumulation du capital, et en tous cas décidé à
déterminer Bordiga… à écrire les chapitres qu’il considérait nécessaire
d’ajouter au Capital de Marx. Je t’envoie ce résumé qui me semble avoir été
rédigé par Bordiga – puisque Otto y est pris à partie – car il donne une idée
de ses opinions bien que fort bref. Mais Otto attend, parait-il, de Naples des
textes plus détaillés sur les questions soulevées aussi ne vous emballez pas à
Marseille pour cette discussion avant qu’ils ne soient arrivés. A Paris nous attendons
ceux-ci pour la commencer, à supposer sur le besoin s’en fasse sentir.
Mon opinion sur ce papier, c’est qu’Amédée y a raison
sur certains points, mais qu’il n’aborde pas le point crucial, c'est-à-dire les
perspectives de développement révolutionnaire en régime de capitalisme
totalitaire – et pour cette raison, ne démontre rien sur la question syndicale
elle-même. Les points justes, à mon avis, sont :
1°) que le prolétariat n’agit pas – pas plus qu’aucune
classe de l’histoire – poussé par des idées, mais par des besoins.
2°) qu’en conséquence l’action du parti ne peut se
limiter à une critique et à une propagande d’idées.
3°) qu’il n’existe pas de limite historique aux
possibilités de la bourgeoisie d’augmenter les salaires, le capital variable
pouvant croître en même temps que l’accumulation du capital constant (mais de
façon absolue et non relative comme Marx le faisait observer) sous la pression
toutefois de la lutte revendicative (cf. point I de « pour discuter
Ottorino »).
La petite histoire du syndicat
(« catéchisme ») est très bien mais elle aboutit pratiquement à
conclure :
1°) que l’action du parti de classe au sein du
syndicat étatisé moderne est impossible ouvertement, et douteuse de façon
cachée ;
2°) qu’il se pourrait bien, en conséquence, que le
rapport parti/classe se présentât sous des formes nouvelles (cf. le dernier
point de « pour discuter Ottorino ») – ce qui n’est pas autrement
précisé.
On reste donc dans l’ignorance des perspectives
concernant « Le développement des revendications en lutte politique
révolutionnaire » et « l’élargissement de l’organisation de la lutte
ouvrière jusqu’à la révolution politique » dans les conditions du
capitalisme totalitaire.
Il est surprenant, au premier abord, que B. (Bordiga)
d’une part admette que le parti de classe ne puisse rien faire dans le syndicat
étatisé – et que d’autre part il reproche à Ottorino de penser qu’un
« parti révolutionnaire ne peut plus avoir de tâches syndicales ». Il
suppose que cela s’explique par le fait que B. considère que le processus
d’étatisation n’est pas achevé partout :
c’est en effet l’opinion contraire qu’il relève en premier dans la
« thèse décidée d’Ottorino », sans doute pas par hasard, mais parce
que la discussion aurait au contraire porté sur ce point. Par ailleurs, quand
il demande – in « difficultés » historiques à Otto s’il observe un
changement de situation consécutif à la 2ème guerre, c’est avec la
perspective claire qu’il devrait répondre : non et que la tactique de
21-22 – juste à l’époque en matière syndicale – le reste aujourd’hui.
Mais, même en admettant cette nuance sur le degré de
« totalitarisme » de notre société actuelle, la question resterait
posée de l’action syndicale du parti lorsque le totalitarisme sera achevé, ou
bien dans le pays où il l’est déjà : Russie – « démocraties
populaires » par exemple.
Bordiga croit-il que dans ces conditions peut se
vérifier la « situation classique de tournant » qu’il définit dans la
note de la p.2 ? Et pourtant, c’est sur une telle perspective seulement
que peut se justifier le maintien des anciennes thèses concernant les tâches
syndicales du parti.
Dans ces conditions, admettre comme B. contre Otto
(Damen) que l’étatisation du syndicat par la classe dominante répond à des
raisons politiques de classe et non à une impossibilité d’augmenter désormais
les salaires, conduit à reconnaître que les grèves gardent le contenu
économique qu’elles ont toujours eu – et qui est limité, on le sait : mais
cela ne suffit certes pas à prouver qu’avec le syndicat étatisé subsiste la
possibilité d’un développement de l’action revendicative à la lutte politique,
ou que dans ce syndicat existe « le champ pour une mobilisation
révolutionnaire des masses » (pt 5 du « catéchisme ») ce qui, en
dernier lieu, est pourtant la seule chose qui nous intéresse.
Cette constatation – qui me semble indubitable si l’on
considère tant les réalisations de l’hitlérisme, que du stalinisme et du
travaillisme, on ne saurait dire qu’elles ont été = 0, même du point de vue
limité des améliorations immédiates – conduit à reconnaître et la possibilité
d’un réformisme dans la période actuelle – et le caractère nécessairement
étatique de ce réformisme – autrefois plus ou moins dans l’opposition.
Certainement c’est là plus conforme à la réalité que les affirmations sans
nuance d’Ottorino (qui ici se rencontre avec Chaulieu) mais cela ne nous mène à
rien sur la question posée par Ottorino et rappelée dans les premières lignes
du texte.
J’attend donc les documents complémentaires promis,
pensant d’ailleurs qu’ils ne combleront pas substantiellement la lacune, car
c’est la perspective du bouleversement du rapport de forces actuel qui nous
manque et, je crois, de façon inévitable, parce que nous ne faisons qu’entrer
dans une phase nouvelle de l’évolution sociale et du mouvement ouvrier.
Daniel, en m’écrivant, m’a dit que tu voudrais voir
ton fils aller à Paris. Il dit qu’il lui cherchera du travail, mais que tous
les camarades devront s’y mettre pour avoir une chance de résultats. Par
ailleurs, il disait qu’il ne se sentait guère de force à le guider alors que
c’est toute une ambiance sociale qui fait pression sur un jeune garçon comme
ton fils pour lui imprimer son comportement. C’est évident qu’il ne faut pas
attendre de miracles, mais ce qui pourra être fait, je suis sûre que les
camarades feront tout leur possible pour y arriver.
Si tu as un moment, envoie-moi un mot pour me donner
de tes nouvelles, personnelles et politiques. Je vais écrire tout de suite à
Lucien, qui a envoyé une lettre à Paris à laquelle je suis chargée de répondre.
J’aurais aussi bien pu le faire dans celle-ci, mais tu connais sa
susceptibilité et je m’exécute. J’ai préféré t’envoyer le résumé de la
discussion de nos deux groupes directement, car ainsi tu pourras décider
toi-même s’il vous faut le discuter tout de suite ou attendre des textes plus
précis et substantiels.
Je te salue amicalement en te souhaitant « le
core megliori ». Bonjour à Tasca, qui j’espère va lire
Suzanne
Mon adresse : S.Voute, Lycée E.Duclaux, Aurillac
(Cantal)
[1]
La renonciation au combat de Camatte a tout de celle du traître, mais ne
sommes-nous pas tous devenus des traîtres après avoir quitté ou fui l’orga ?.
Qu’espère-t-il désormais ? Nul ne sait. Il y a quelques années, il avait
écrit ceci à un mien ami : « J’ai reçu le livre de Jean-Louis Roche,
Précis de communisation, Ed du pavé, et je t’en remercie,. Je suis allé visiter
le site internet et ainsi, j’ai appris que Pierre Hempel est un pseudonyme. J’avoue
que je ne comprends pas ce que vise, ce que signifie : 1.Le prolétaire
universel, 2. Comment se manifeste-t-il ? 3. Comment la révolution à venir
« s’actualisera » à partir de vécus actuels. Je sens quelqu’un de
facétieux, à qui on le fait pas, d’une grande violence verbale, d’un mépris
mais qui a une certaine amplitude et affirme des choses intéressantes. Ainsi,
en ce qui concerne l’anti-travail, l’anti-consommation, tous slogans
terriblement superficiels de gens qui se sont « sauvés » dans l’autonomisation.
Je dois dire que j’ai à maintes reprises ri de façon quasi voluptueuse à la
suite de certaines de ses formules même si je ne partageais pas la charge qu’elles
véhiculaient. Sa thèse explicative de ce qu’il considère les divagations de
ceux dont il s’occupe c’est la déception. Ainsi il dit que je suis un déçu de
la révolution. Je n’ai eu aucune déception, mais des difficultés à opérer en
constatant la fin du procès révolution, et la nécessité de quitter ce monde. Je
n’ai pas connu la déception même si j’ai accusé le coup de me retrouver qu’avec
un nombre réduit de camarades, parce que je sentais qu’il y avait le possible d’une
autre dynamique que je pense avoir trouvé et avoir contribué à mettre en
branle. Il me charge énormément quand il dit « il figure l’archétype de l’intellectuel
inconstant et sans conviction de fond, dégoûté de la vie urbaine ». En
outre il essaye de me faire endosser la communisation ! Mais je m’ouvre à
son dire afin de percevoir son propre cheminement ».
Gilles Dauvé me félicite pour sa part pour mes deux ouvrages « La réaction
fasciste » et « L’ombre du nazisme sur le siècle », dans un
courrier de novembre 1999 : « Je viens de finir « La Réaction
fasciste » et renonce bien sûr à t’expliquer en quoi je ne suis pas
anarchiste, moderniste, petit-bourgeois, etc. Un point de fait cependant.
Contrairement à Pierre Guillaume et à la Guerre Sociale, je n’ai jamais défendu
Faurrisson ni soutenu l’inexistence des chambres à gaz. Moi-même et ceux qui
ont fait ensuite La banquise, avons d’ailleurs rompu avec Pierre G. et la G.S.
à ce sujet. Pendant que j’y suis, ajoutons que « Le fichisme ne passera
pas » vaut autocritique de ma défense en 96 (une participation au recueil
alors publié par Reflex). Cela dit je trouve ton livre intéressant et bienvenu.
Cordialement, Gilles.
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