"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mercredi 8 septembre 2010

LA XENOPHOBIE EN MILIEU OUVRIER : UNE EXAGERATION QUI A LA VIE DURE



Critique et extrapolations à partir du livre de Gérard Noiriel : Le massacre des Italiens
(Aigues-Mortes, 17 août 1893) Ed Fayard 2010


Le 17 août 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes où la récolte du sel rassemblait des centaines de travailleurs français et italiens, s’est déroulé une émeute opposant « trimards » français et ouvriers immigrés italiens. Au moins 8 italiens ont été tués et des dizaines d’autres blesses. En dépit des preuves accablantes réunies contre les saisonniers autochtones, les assassins furent tous acquittés. Directeur d’études à l’EHESS (école des hautes études sociales) et membre de la commission gouvernementale antiraciste, Noiriel a étudié de près le déroulement du drame, l’expliquant comme conséquence des mutations politiques et économiques de la fin du XIXe siècle. Selon lui, les discours officiels sur la fierté d’être français ont incité les laissés-pour-compte de la République à s’acharner contre ces étrangers ; le patronat, les militaires, les journalistes, les juges et les politiciens sont parvenus à échapper à leurs propres responsabilités. L’analyse est assez réductrice et conforte les ignorances sur les causes réelles et la théorie gauchiste bobo d’un racisme éternel intrinsèque aux classes pauvres. Noiriel en rajoute une couche, en refaisant l’histoire de la fin du XIXe siècle mais à la lumière de ce qu’il voit en ce début du XXIe siècle. C’est une sorte d’histoire à l’envers qui, sous couvert d’érudition du passé, jette la confusion et tente de ressourcer les idées humanistes, intemporelles et hypocrites de la bourgeoisie ; il n’est donc pas étonnant qu’il soit publié chez Fayard, en tant que membre d’une commission gouvernementale. A propos des Italiens tués lors des affrontements sanglants de ce 17 aout 1893, Noiriel parle explicitement de « victimes de l'identité nationale », avec une allusion plus qu'évidente à ce qui se passe de nos jours. En faisant un parallèle avec la situation actuelle, il conteste bien la thèse du livre du bourgeois souverainiste Max Gallo auteur de « Fiers d'être Français ! » ; ce derrnier se sert de la tragédie d'Aigues-Mortes de façon instrumentale chauvine. Il prétend opposer les Italiens d'antan, qu'il considère comme un modèle d'intégration, aux peuples de banlieue et leurs émeutes, dont il ne faut pas nier la « dimension ethnique », qui risquent de provoquer la « balkanisation de la France ». Noiriel lui oppose un article du site gauchiste Bellaciao qui s'intitule « Mohammed s'appelait alors Giovanni », comme exemple de tentative de « susciter un réflexe de solidarité avec [les immigrés] d'aujourd'hui » en rappelant les souffrances de ceux d'hier.
L’ouvrage de Noiriel « Le creuset français », paru en 1988, passe pour la première histoire générale de l'immigration en France. Critiqué lors de sa sortie, l’ouvrage, qui a intronisé Noiriel comme sociologue présentable et récupérable, décrivait la construction juridique et administrative de l'immigré, en particulier que l'apparition des termes « immigration » et « immigré » coïncide avec les débuts de la Troisième République. Noiriel n’innovait pas, le mouvement révolutionnaire a toujours souligné que l'immigration est intimement liée à l'industrialisation des pays développés, en permettant au patronat de s'en servir comme variable d'ajustement face aux résistances de la paysannerie ; et que les prolétaires n’ont pas de patrie.

XENOPHOBIE OUVRIERE ?

Noiriel veut vendre sa camelote avec une idée passe-partout, typique de l’élite bourgeoise, qui ne voit les prolétaires que comme de perpétuels crétins : « En effet, cette affaire (d’Aigues-Mortes) figure aujourd’hui dans toutes les histoires de l’immigration comme l’exemple le plus sanglant de la xénophobie ouvrière » (p. 71). Noiriel met évidemment xénophobie sur le même plan que le concept large et confus de racisme, qui permet de diaboliser en général les classes inférieures. En réalité, loin d’être des rixes racistes ou xénophobes, les quelques 80 rixes qui ont lieu en France de 1870 à 1890 (y inclus les « Vêpres marseillaises » du 17 juin 1881) ne concernent pas une lutte pour « l’identité nationale » mais, très prosaïquement pour « défendre son boulot », et ces rixes se confondent souvent même avec la lutte contre les « jaunes » ce que n’examine pas monsieur le sociologue gouvernemental. Le « massacre des Italiens » du 17 août 1893 est largement extrapolé par le sociologue à sensation (éditoriale et financière, toutes les médiathèques de gauche ont acheté son livre…) est fort simplement résumé au plus près de la vérité dans l’annexe 1, le rapport du procureur général de Nîmes Léon Nadal. Personne n’est blanc. Les ouvriers piémontais plus costauds que les « trimards français » cassent les cadences ; ce sont eux les premiers provocateurs quand l’un d’eux jette son pantalon sale dans la cuve à eau potable des ouvriers autochtones, déclenchant la bagarre meurtière. Noiriel hausse au rang d’un prétendu combat politique nationaliste un fait divers, certes émeutier et sanglant, mais dont il fait usage au même titre que les médias de l’époque mais… aujourd’hui, et contre une classe ouvrière, supposée traditionnellement arriérée et chauvine. Il place ce fait divers sur le même plan que les représailles un an plus tard contre des Italiens en France suite à l’assassinat par Caserio du président Sadi Carnot, mais il n’explique ni les éléments et groupements qui ont exercé ces représailles, comme il ne s’étend pas sur les dits « ouvriers massacreurs » d’Aigues-Mortes. En vérité, la chasse à l’italien dans les rues d’Aigues-Mortes est encouragée par les petits patrons et ces fameux « trimards » qui ne sont pas des ouvriers évolués. Peut-on même les qualifier de prolétaires ? Ils sont pour la plupart vagabonds, SDF apaches, saisonniers sans foi ni loi. Ils sont bagarreurs et violents. La classe ouvrière est encore en train de se « moderniser » dans les années 1880 mais compte une majorité d’anciens ruraux, illettrés et instables. Elle n’est pas encore cette classe de masse qu’elle va devenir subitement au début du XXe siècle, délaissant les vieux fantasmes jacobins et sanguinaires. Les éléments massacreurs d’Aigues-Mortes sont plus proches du lumpen que de cette classe ouvrière industrielle qui n’aura plus le culte de l’émeute, et ne se rangera plus derrière les petits boutiquiers terroristes pour qui l’appel au meurtre est le pic de la révolte. Noiriel ne nous dit quasiment rien des réactions de la IIe Internationale qui pourtant, face à ce drame, rappela la fraternité fondamentale entre ouvriers.
Le seul élément moderne que nous retiendrons du drame d’Aigues-Mortes est qu’il a lieu en pleine crise économique, en tout cas d’une grave crise du « bassin d’emploi » des salins du Midi. Et cela nous apparaît comme une explication bien plus moderne, et utile à la compréhension de nos problèmes… modernes, apparemment insolubles comme le sel.

L’IMMIGRATION N’EST PAS SOLUBLE DANS LA NATION

Contrairement à Noiriel, des auteurs anglo-saxons plus sérieux ne se sont pas limités aux bornes de leur pays. Eric Hobsbawm a fait remarquer que « le milieu du XIXème siècle marque le début des plus grandes migrations de l'histoire de l'humanité », avec pour commencer le flux énorme d'immigrants européens aux Etats-Unis et, dans une mesure moindre, en Amérique du Sud, Australie et Afrique du Sud. Le résultat le plus spectaculaire est celui des USA, la proverbiale « nation d’immigrants », sa classe ouvrière étant formée des vagues successives d'immigration. Il y a de nombreux autres cas, qui vont des travailleurs immigrés irlandais dans l'Angleterre victorienne à l’utilisation massive de travailleurs agricoles polonais par les propriétaires fonciers prussiens de la fin du XIXème siècle. Le recours au travail immigré s'est imposé comme un des traits structurels du capitalisme avancé dans la deuxième moitié du XXème siècle. Dès le début des années 70 il y avait près de 11 millions d’immigrés dans l'Europe Occidentale, venus d'Europe du Sud ou des anciennes colonies durant le boom des années 50 et 60. Et même pendant les années 70 et 80, marquées par la crise, les USA ont continué à attirer une vaste immigration nouvelle d'Amérique Latine et d'Extrême-Orient. Les capitalistes emploient des travailleurs immigrés à cause des bénéfices économiques qu’ils leur apportent : ils contribuent à la flexibilité de l'offre de travail, acceptent naturellement des emplois dans des travaux sales et mal payés. Mais, bien au-delà, l'existence d'une classe ouvrière composée d'indigènes et d’immigrés (ou, dans le cas des Etats-Unis, de représentants de vagues plus ou moins récentes d'immigration) rend possible la division de cette classe selon des démarcations raciales, surtout si les origines nationales correspondent, ne serait-ce que partiellement, aux différentes situations dans la division technique du travail (par exemple, entre ouvriers qualifiés et OS).
Marx comprenait la façon dont les divisions raciales et ou religieuses entre travailleurs indigènes et immigrés pouvaient affaiblir la classe ouvrière, comme il l’a montré dans sa célèbre lettre à Meyer et Vogt du 9 avril 1870. Marx tentait d'y expliquer pourquoi la lutte des Irlandais pour l’autodétermination était une question vitale pour la classe ouvrière britannique :

« Enfin, l'essentiel. Tous les centres industriels et commerciaux d'Angleterre ont maintenant une classe ouvrière scindée en deux camps ennemis : prolétaires anglais et prolétaires irlandais. L'ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie. Il se sent à son égard membre d'une nation dominante, et devient, de ce fait, un instrument de ses aristocrates et capitalistes contre l'Irlande, et consolide ainsi son pouvoir sur lui-même. Des préjugés religieux, sociaux et nationaux le dressent contre l'ouvrier irlandais. Il se conduit envers lui à peu près comme les blancs pauvres envers les niggers dans les anciens Etats esclavagistes de l'Union américaine. L'Irlandais lui rend largement la monnaie de sa pièce. Il voit en lui le complice et l'instrument aveugle de la domination anglaise en Irlande. Cet antagonisme est entretenu artificiellement et attisé par la presse, les sermons, les revues humoristiques, bref, par tous les moyens dont disposent les classes au pouvoir. Cet antagonisme constitue le secret de l'impuissance de la classe ouvrière anglaise, en dépit de sa bonne organisation. C'est aussi le secret de la puissance persistante de la classe capitaliste, qui s'en rend parfaitement compte ».

Dans ce passage remarquable, Marx ébauche une explication matérialiste de la xénophobie dans le capitalisme moderne. Nous pouvons y trouver trois conditions fondamentales de l'existence du « rejet de l’autre »:
1) La concurrence économique entre les travailleurs (« l’ouvrier anglais ordinaire déteste l'ouvrier irlandais comme un concurrent qui abaisse son niveau de vie »). Il y a un schéma particulier de l'accumulation du capital qui implique une distribution spécifique du travail, représentée sur le marché du travail par des taux de salaires différents. Dans les périodes de restructuration du capital, alors que le travail se trouve déqualifié, les capitalistes remplacent les travailleurs qualifiés en place par une main d’œuvre meilleur marché et moins qualifiée. Si les deux groupes de travailleurs ont des origines nationales/religieuses différentes, et par voie de conséquence sans doute des langues et des modes de vie différents, il existe un potentiel de rejet irrationnel dans les deux entités de prolétaires. C’est une situation qui s’est souvent répétée dans l'histoire de la classe ouvrière américaine sous forme de divisions raciales, alors qu’au fond elles ne peuvent être que des tentatives bornées des travailleurs qualifiés pour défendre leurs positions dans le cadre national limité. Dans toute une série d'occasions, au cours du XIXème siècle, des travailleurs noirs américains furent délogés des niches de qualification qu’ils étaient parvenus à occuper à la place de travailleurs blancs - par exemple, par des immigrants irlandais sans qualification dans la période qui a précédé la Guerre de Sécession.
2) L'attrait de l'idéologie du rejet (non pas du racisme) pour les travailleurs autochtones (pas spécialement blancs de peau) (« le travailleur anglais ordinaire... se sent un membre de la nation dominante »). Le simple fait de la concurrence économique entre différents groupes de travailleurs n'est pas suffisant pour expliquer le développement de la xénophobie. Pourquoi la xénophobie opère-elle une telle séduction sur les travailleurs autochtones ? Les gauchistes hurlent contre l’assimilation de la délinquance à l’immigration et confortent ainsi la xénophobie, en premier lieu, en niant une part de la réalité subie par des prolétaires maghrébins français de souche eux aussi. D’autre part dans le cas de la France, c’est un fait que les derniers arrivés (les italiens avant guerre, les maghrébins de nos jours) étant les plus pauvres et les plus ostracisés dans le marché du travail, ce n’est même plus la deuxième génération mais la troisième génération qui se laisse tenter par les petits trafics illégaux et qui dégage le plus d’éléments violents, qu’on peut assimiler aux lumpens plus qu’aux « trimards » d’Aigues-Mortes en 1893.
Les commentaires angéliques du milieu ex-ultra gauche genre CCI esquivent le fond du problème en faisant de la simple surenchère humanitaire par rapport aux gauchistes, et de peur de paraître faire des concessions aux fractions d’extrême droite ; ce n’est pas très courageux. La théorie (marxiste) d’une unité de la classe ouvrière ne marche plus dans les conditions actuelles de domination des communautarismes et l’étalage des colifichets religieux. La division est soigneusement entretenue et vient de loin. La fraction de gauche de la bourgeoisie française porte une lourde responsabilité dans l’établissement de cet éclatement social : depuis sa prise du pouvoir au début des années 1980 elle a laissé se généraliser le voile ; on se souvient des terribles images de 1983 où les ouvriers des usines de Poissy ou d’Aulnay sous bois, se balançaient à la figure des boulons …
On creusera plus loin la question de l'obtention de salles de prière dans les usines, qui n’étaient pas l'objet principal des grèves dures comme à Talbot Poissy en 1982. Lors d'une grève chez Renault en 1983, Pierre Mauroy déclara : « Les principales difficultés qui demeurent sont posées par des travailleurs immigrés […] agités par des groupes religieux et politiques qui se déterminent en fonction de critères ayant peu à voir avec les réalités sociales françaises ». En charge de la gestion de l’Etat bourgeois, alors qu’elle venait de promettre électoralement de raser gratis, la gauche au pouvoir ne pouvait que miser sur la division des ouvriers entre français et immigrés, tout comme d'assimiler les grévistes immigrés à des intégristes en puissance.

TOUTES LES FRACTIONS BOURGEOISES ONT FAVORISE LA RENAISSANCE DE LA XENOPHOBIE

La fraction de droite accuse la fraction de gauche en France de laxisme par rapport à l’actuelle « islamisation » et « halalisation » de la France. Propos d’estrade. Les choses sont plus compliquées, et on ne peut même pas dire que les politiciens soient vraiment responsables de la déstructuration de la société – ou du moins de cette espèce de bariolage communautaristo-religieux qui s’est progressivement implanté – car la société capitaliste obéit avant tout à des exigences économiques et sociales ; députés et ministres bourgeois ne contrôlent pas grand-chose même quand ils pensent tenir la barre. La droite actuellement au pouvoir reproche à la gauche d’avoir favorisé par son laxisme l’intégrisme de rue, le foulard, la viande halal… C’est en partie vrai. L'apparition de "foulards" à Creil, en 1989, étrangement semblables au voile iranien imposé en Iran depuis la révolution islamique de 1979, avait déclenché un grand débat national. Le ministre de l'Education nationale d'alors, Lionel Jospin, avait renoncé à légiférer, laissant chaque chef d'établissement régler "à sa sauce" la question. S'en tenant à un recours au Conseil d'Etat, il jugeait le "foulard islamique" compatible avec la laïcité : "son interdiction ne serait justifiée que par le risque d'une menace pour l'ordre dans l'établissement ou pour le fonctionnement normal du service de l'enseignant". Lors de la séance à l'assemblée nationale le 3 novembre 1989, Lionel Jospin (soutenu par Jack Lang, alors ministre de la Culture), est vivement critiqué par « l'opposition libérale et le Parti communiste, mais aussi par plusieurs députés socialistes » parce qu'il ne respecte pas le principe de laïcité ; les enseignants du collège de Creil demandaient à Lionel Jospin de venir dans l'établissement pour expliquer ses directives ; La Voix de l'Islam, une association ultra-musulmane (dite « islamiste »), avait appelé à une manifestation pour le port du voile à l'école, mais l'avait annulé pour organiser « un débat sur les droits et les devoirs des musulmans en France » le 11 novembre 1989. Le 4 novembre 1989, ce sera au tour de Danielle Mitterrand de se prononcer pour le respect des traditions et accepter les filles voilées à l'école. Danielle Mitterrand sera accusée par Marie-Claire Mendès-France de faire le lit de la « charia musulmane ». De son côté, Julien Dray (PS) prônait l'acceptation des filles voilées qui, ainsi, « évolueront d'elles-mêmes » tout en soulevant la problématique d'intégration de la population d'origine étrangère, avec ce double langage typique des contestataires de l’appareil. Ce sera sous Jacques Chirac, pour marquer sa faible différence dans sa continuité gouvernementale après la gauche, que le port du voile, progressant inexorablement, donnera lieu à la loi sur "l'interdiction des signes ostensibles religieux à l'école" sera votée... en 2004, après les travaux approfondis de la Commission Stasi. Les Verts et les gauchistes apportèrent leur soutien aux « voilées » ; il faut toujours un bouffon dans les rangs de la gauche caviar pour laisser penser que tout est tolérable… pour les pauvres et les aliénés.
Indépendamment de ce charivari entre compétiteurs bourgeois, dans un contexte de discriminations multiples (recherche d'emploi, de logement, entrée en discothèque, contrôle de police au faciès etc), une partie de la population d'origine immigrée se réfugie dans la religion, ce qui explique un certain retour de l'islamisme. Comme au niveau international, cela s'explique aussi par l’effondrement il y a vingt ans du faux communisme « soviétique ». En tout cas, au nom de la « tolérance républicaine », et de leur laxisme électoraliste.
Ces petits chantages ou accusations entre amis des fractions de droite et de gauche ne sont que le reflet de la politique de la bourgeoisie au niveau mondial. Depuis une dizaine d'année, une véritable vague d'islamophobie a été attisée par les gouvernements des pays impérialistes. La véritable raison idéologique pour cela a été de justifier l'intervention impérialiste au Moyen Orient (guerres et invasion de l'Irak et de l'Afghanistan, occupation israélienne de la Palestine) ainsi que la « guerre au terrorisme » sous couvert d'une prétendue menace islamiste. Toute la civilisation occidentale serait ainsi en danger à cause de la montée de l'islamisme dans ces pays ainsi que au sein des communautés immigrées (théorie du « choc de civilisation »). Comme au temps du colonialisme, cette théorie a pour but de masquer la bagarre planétaire entre grandes puissances sous le drapeau de la lutte pour l’antiracisme, la démocratie et le droit des femmes.

L’USINE STADE SUPREME DE L’INTEGRATION

Revenons au cœur du problème qui se situe… dans la lutte (désormais) opaque des classes. Ami de la gauche caviar et antiraciste, Noiriel ne peut pas être utile à la réflexion sociale et politique pour comprendre à la racine la DESINTEGRATION sociale. Il ne le peut certainement pas en mettant sur le même plan immigrés italiens et arabes, non pas seulement parce que ce serait une histoire de religions (les italiens étant intégrable comme chrétiens… ce qui ne les a pas empêchés d’être assassinés par d’autres chrétiens mais français à Aigues-Mortes) – mais parce qu’il s’agit de deux époques différentes : la fin du XXe siècle est encore une phase de révolution industrielle et les émeutes même ouvrières sont encore marquées par la phase artisanale de la société ; à la fin du XXe siècle déjà la société est marquée par une désindustrialisation intensive, et on parle couramment depuis l’an 2000 de « destructions d’emplois ».
Penchons-nous, pour mieux comprendre et la différence de période et la fin des possibilités d’intégration, sur un moment de l’histoire, à la veille d’ailleurs de la fin des deux grands blocs issus de la Seconde Guerre mondiale, sur des événements très particuliers au début des années 1980 en France. Et concernant des salles de prière en usine où, en principe le religieux n’a pas sa place, ni le politique au demeurant.

LA FIDELISATION PIEGE A CONS

Dans la période qui suit mai 1968, moment pas du tout ludique de remise en cause surtout du « travail à la chaîne », la bourgeoisie a beau jeu d’invoquer la « participation », un encadrement plus humain, et relâcher les rênes, les ouvriers français urbains ne se précipitent plus vers les usines. Les campagnes du côté de Flins et Sandouville voient de moins en moins s’approcher des « forteresses ouvrières » les fils de paysans. Il faut mener une autre politique, au moins aussi importante : la fidélisation des ouvriers immigrés qui, eux, poussés par les privations hors des anciennes colonies, sont instables. On leur interdit depuis le début des sixties de venir en famille et ce sera Giscard qui, en 1974, permettra enfin le « regroupement familial », non par souci d’humanité mais pour fixer une main d’œuvre intéressante. Cependant comme les ouvriers français soixantehuitards, les prolétaires immigrés ressentent cruellement la robotisation et la déshumanisation de l’usinisme ; ils seront d’ailleurs le fer de lance de la lutte contre la robotisation à peine dix ans plus tard avec en face d’eux la gauche bourgeoise au gouvernement. Le prolétaire immigré a besoin de pain mais, comme tout être humain, il a aussi besoin « d’âme », ou d’esprit, ou d’identité. Quand la droite bourgeoise accuse la gauche d’avoir favorisé par ses laxismes la montée de l’intégrisme, elle oublie de rappeler qu’elle était au pouvoir lorsque ses patrons ont négocié avec les imams les premières salles de prière pour « fidéliser » ces prolétaires coupés de leurs racines et voués à cette vie morne « métro-café de l’usine-usine-dodo dans un meublé », qui tendaient à s’enfuir régulièrement. Ainsi, en 1979, est tolérée avec bienveillance la création de l’Association Islamique de Billancourt, qui obtient même des locaux municipaux pour ses réunions. Peu après, succédant à la droite patronale bienveillante, les technocrates de la gauche au pouvoir se rendent compte à leur tour que l’entreprise doit rester le lieu essentiel d’intégration, moyennant des concessions religieuses pour tenir les nouveaux principaux forçats d’un usinisme de plus en plus rejeté (*).

En 1982-1983, la gauche au pouvoir aggrave la crise malgré elle et doit y faire face, alors qu’elle aurait dû rester dans l’opposition. Les trois premières années du gouvernement Mauroy sont une catastrophe, le chômage bondit à des hauteurs inégalées. Nous les maximalistes révolutionnaires nous combattons généreusement contre les licenciements et toujours angéliquement pour l’unité de tous les ouvriers français et immigrés. Pourtant la perception est différente à l’intérieur des usines de PSA et de Renault où les ouvriers immigrés sont de plus en plus majoritaires. Frappés en première ligne par les licenciements, ils refusent de quitter cette putain d’usine qui est leur « lieu de vie », et en plus ils considèrent que leur licenciement est un « acte raciste ». La presse bourgeoise se fait l’écho en 1982 d’un « Printemps de la dignité » à Talbot-Poissy et à Citroën-Aulnay (Renault ce sera en 85) mais sous le signe de « L’intégrisme musulman » ; les professionnels de l’intox mettent au premier plan une intox de première : la revendication de salles de prière intra-muros dans l’usine, chose propre à choquer le français lambda bien logé, qui a son Eglise et sa famille à la campagne. En vérité, les ouvriers – qui vont se canarder salement à coups de boulons contre les énergumènes du syndicat maison - avaient alors débrayé pour plus de liberté syndicale, une augmentation des salaires, et davantage de dignité (sous-entendu éliminer les méthodes terroristes des fachos de la CFT). Les salles de prière n’étaient pas une des revendications principales du mouvement, mais elles se sont greffées au mouvement, réclamées par des responsables syndicaux de la CGT après le 29e jour non travaillé. La gauche légalisa une situation de fait, sous prétexte d’humaniser la vie de merde du travailleur expatrié, qui, comme il n’y avait pas de salle aménagée (il était interdit de faire la prière à l’usine), priait de toute façon à son heure au bord des lignes de montage et c’était très dangereux. Depuis trente ans, la gestion de l’islam en entreprise est devenue un réflexe chez PSA. Pendant la période du ramadan, les pauses déjeuners sont adaptées aux horaires de la rupture du jeûne. Les musulmans pratiquants ont droit à cinq minutes de plus pour manger, les non-musulmans en profitent pour fumer une cigarette ou boire un café. Des sandwiches hallal cohabitent avec ceux au saucisson sec dans les distributeurs.
En 1986, une partie des ouvriers algériens refuseront de continuer à aller à la mosquée de l’usine, estimant légitime de disposer d’une vraie mosquée à l’extérieur du lieu de travail. Ce choix n’est pas un choix vraiment décidé mais accompagne les licenciements. Perdre son travail en usine signifie perdre quelque part aussi son identité de musulman puisque c’était le lieu où était effectuée la prière. La fermeture de Renault-Billancourt accélère le désarroi des ouvriers musulmans. Alors que certains avaient déjà eu tendance à délaisser les règles religieuses au contact des ouvriers français, le fait de se retrouver au chômage va les pousser à compenser par un refuge plus grand encore dans l’islam. La CGT utilise sans gêne cette religion et ses imams-ouvriers comme vecteur de ses grèves. Parallèlement, les différents Etats d’Afrique du Nord, dont les revenus des ouvriers sont une manne appréciable, les relient à leur pays d’origine par l’entremise de leurs propres imams. Et ce maintien d’un esprit national, qui n’est pas pour déplaire aux patrons de Renault et PSA, passe par les bons offices du syndicalisme qui recrute de plus en plus des permanents arabophiles. On peut même parler d’une espèce de militant « syndicalo-religieux » (j’avais pris la parole devant l’usine d’Aulnay sous bois, une fois, à côté d’un zèbre de cette espèce, filmé par FR3 SVP !).
Il faut le noter, la reconnaissance de l’islam dans l’usine a précédé sa reconnaissance et intronisation au niveau de l’ensemble de la société. Répétons-le, pas par souci de tolérance ni de respect des religions quelles qu’elles soient, mais pour « fixer » dans le bagne usiniste les prolétaires migrants. Jusqu’à présent pourtant, bien que facteur de division parmi les ouvriers des usines classiques, l’islam reste une religion conçue différemment selon les uns et les autres. Majoritairement l’intégrisme dur n’est pas plus accepté que la politique en général. L’intégrisme radical (de type fasciste) est perçu comme totalitaire ou extrémiste par la plupart des ouvriers. Contrairement à la réputation qu’on lui fait d’être grégaire, l’islam reste affaire de l’individu face à soi-même : « On ne peut pas forcer un gars à faire le ramadan ou la prière » (tunisien, 51 ans, 21 ans d’ancienneté, non-syndiqué, imam du département 49 ; cf. Revue européenne de Migrations internationales n°3, 1991 : « Les travailleurs musulmans à Boulogne-Billancourt, Le repli » par Xavier Bougard et Philippe Dialo).
Un constat pour clore aujourd’hui ce message-blog : La société capitaliste décadente ne peut plus réaliser l’intégration « sédentaire », c’est sa crise systémique inexorable qui freine puis empêche toute intégration, même la nôtre à nous pauvres autochtones frappés autant par le chômage, la peur du lendemain, la maladie et la vieillesse que nos frères de classe immigrés. Ni Sarkozy ni le Coran ne représentent notre avenir.


(*) En 2009, on trouve cet article dans Les Echos : « C'est l'une des questions les plus sensibles dont ont à connaître certaines entreprises : la prière, souvent perçue par les autres collaborateurs comme un signe de radicalité. Les pratiques se font discrètes, excepté chez les constructeurs automobiles, sans doute parce que le secteur fut l'un des premiers à faire appel à une population immigrée. Ainsi, une salle de prière existe à l'intérieur même de l'usine de Flins. « Elle est souvent utilisée le vendredi par les équipes du matin. Cela leur évite de se rendre à la mosquée, observe-t-on chez Renault. A un moment, il y avait même un imam salarié de l'usine ! » Certes, les entreprises ne sont nullement tenues de fournir ces espaces de recueillement. Mais « on autorise bien les fumeurs à s'absenter quelques minutes, alors pourquoi ne pas laisser quelques instants à ceux qui veulent s'isoler pour prier, si cela ne gêne pas le service », observe Philippe Hagmann, responsable de la vie au travail et de la diversité chez EDF.

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