« Mourir n’est rien. Il faut vaincre » Clémenceau 1917
Stéphane Bern a encore frappé hier soir sur une « chaîne nationale »
consacrant la maintenance de la propaganda bourgeoise inexpugnable. Clemenceau
est certes un personnage hors du commun. C’est le prince du radical-socialisme
et le roi du centrisme politique bourgeois à la fin du XIXe siècle. Il est en
effet au début un bourgeois progressiste. Plutôt du côté de la Commune de 1871
dont il tente de tempérer la violence vengeresse, il échoue dans ses efforts pour négocier avec
Versailles. Cela lui vaudra l’inimitié
des deux bords et l’aile droite de la bourgeoisie ne lui pardonnera jamais
cette sympathie pour la Commune ni son soutien au capitaine Dreyfus en lui
refusant la nomination comme Premier inaugurateur de chrysanthèmes (la fonction
présidentielle à l’époque) après pourtant de bons et loyaux service à la
défense de la patrie en guerre ; le « père la victoire »,
farouche antibolchevique, avait été bombardé en urgence premier ministre en
1917 et avait pesé contre l’ignominie et incompétence des généraux
bouchers pour unifier le commandement militaire, en donnant des « coups de
pied au cul des Pétain et Cie ». S. Bern s’est contenté de copier un
scénario sur le résumé de Wikipédia, exaltant Clémenceau de bout en bout,
excepté pour ses frasques sexuelles (800 amantes) et sa dureté pour la femme
qui l’avait trompé.
Rien n’est explicite dans la version propagandiste superficielle :
comment comprendre que ce docteur qui fût l’ami de Blanqui, le défenseur des
ouvriers en grève, le courageux défenseur de Dreyfus, bascule dans les rangs de
la bourgeoisie décadente dans la période où la classe ouvrière redevient plus menaçante
qu’en1871, en devenant le premier flic « briseur de grèves » puis en
infibulant un chauvinisme invariable pendant les années de la montée vers la guerre mondiale, je
devrais dire la descente ? Il refuse de participer aux débuts de l’Union
sacrée voyant bien les gaspillages d’un milieu politique minable et l’impéritie
des militaires. Il ne la glorifie que lorsqu’on le place, au moment le plus
dangereux pour la consensualité militaire en 1917, en tête du gouvernement de
guerre. L’unification des forces armées sous la houlette de Foch permet en
effet de remporter une victoire (provisoire) face à l’Allemagne, mais l’hagiographie
se fout des conséquences effroyables à court terme de l’armistice. Papy la
victoire est martelé dans l’imagerie populaire. Avec son galure diocésain
Clémenceau aura été faire le mariole dans les tranchées et faire la bise aux
pioupious, mais jamais n’empêcha les conseils de guerre d’assouvir leur sale
besogne. Bien que non récompensé par la place honorifique de porteur de
chrysanthèmes, Clémenceau doit rester une idole nationale, conférait à sa
statue au bas des Champs-Elysées face à De Gaulle, c’est en tout cas ce que le
petit télégraphiste Bern veut insuffler à la jeunesse ignorante. Or Clemenceau
est l’exemple type du renégat. Politique progressiste, sainement anticlérical, anticolonialiste
tant qu’il ne fût pas nommé ministre, ouvert à la perspective d’un socialisme
pacifique, il ne s’était jamais élevé à la compréhension véritable de la
dynamique des révolutions ; sa remarque sur la révolution française comme « un
bloc », traduit bien les dangers de la rigidité théorique. Non aucune
révolution n’est un bloc. Engoncé dans une vision nationale c’est tout
naturellement que le moustachu coureur de jupons (à la manière des bourgeois,
aimant le bordel de luxe) a endossé l’Union sacrée et la simple correction qu’il
a apporté à l’autoritarisme cruel des généraux de merde (on a bien fait de
fusiller Thomas et Lecomte pendant la Commune, comme on aurait dû aussi
fusiller ce salaud de Nivelle) fût d’aller serrer la paluche devant caméra un
jour de calme dans les tranchées, les encourageant à continuer de se faire
massacrer « pour sauver la patrie » ! Clémenceau représente la
tradition des hommes le splus intelligents de la bourgeoisie : il sait
flatter le soldat qui va à la mort pour la patrie en 14-18, comme il bataille
pour la journée de huit heures en 1919, car il sait que si l’Etat ne fait pas
cette concession… la révolution internationale généralisée est aux portes. L’adoption
tardive de la journée des huit heures est en ce sens une mesure CONTRE la
classe ouvrière. L’observation de la carrière politique de Clémenceau est très
intéressante pour une étude des capacités d’adaptation de la bourgeoisie dans
le conflit des classes ; ce travail reste à faire, la plupart des
historiens sont passés à côté et ce qui passe à la télé ne vaut rien. A cette
aune, l’analyse historique des moyens de mystification, on jugera un jour
combien est méprisable la trajectoire de la gauche au pouvoir en France, de
Hollande à Mélenchon et aux petits roquets écolo-bobos.
L’émission pipole de merde de Bern participe de l’immense campagne
préparatoire au « bourrage de crâne » de l’an prochain visant à perpétuer
la gloire si posthume de 1.700.000 morts pour le Capital français, avec cette
apport indéniablement putain du PS à la réintégration des mutins fusillés dans
le « cimetière commun ». Depuis leur tombe ou leur terrain vague,
ceux-là ne risquent pas de contester l’ignominie récupératrice qui prévaut sur
les décombres de l’histoire amassées par la bourgeoisie infatuée et dont la
prostate cause de gros soucis. Puisse le cancer prolétarien l’emporter dès cet
anniversaire honteux, ce sera notre vrai hommage aux mutins qu’ils veulent
massacrer une seconde fois !
Heureusement, pour calmer ma colère ce latin, je tombe sur « L’HISTOIRE
PAR L’IMAGE » destiné aux profs et élèves. HOMMAGE au dessinateur
Grandjouan. Super.
EXTRAITS
L’histoire
revisitée
Les
dix vignettes dessinées par Grandjouan composent un calendrier décennal qui
frappe autant par l’effet de répétition que par les différences. Chaque image
de la série comporte deux personnages, opposant systématiquement le peuple (le
soldat) et ses dirigeants (Poincaré, Albert Thomas, Clemenceau). De 1914 à
1917, le combattant figure au-dessus du dirigeant ; les années suivantes,
après les mutineries de 1917, il lui est au contraire explicitement soumis par
la contrainte. Poincaré symbolise trois fois cette oppression, grimé en
président de la République (1914), en capitaliste (1915), en « planqué de
l’arrière » (1917). Clemenceau, avec sa barbiche blanche, lui ressemble
physiquement, comme pour dévoiler le mensonge de la démocratie « bourgeoise ». Les mains de Clemenceau touchent le
combattant à différents endroits, surtout le dos (lâcheté) et le cou
(domination), et jouent avec le fusil entre 1919 et 1921. Quant au
personnage du soldat, il est tour à tour confiant, combattant, hagard, percé de
balles, au bord de la tombe, menaçant, désemparé, invalide, miséreux, et
envahisseur malgré lui. Le jeu des attitudes, l’emploi de la couleur rouge et
de la décoloration, les changements de coiffe (calot, casque, bandages, képi,
feutre mou) rendent particulièrement impressionnante cette histoire du peuple
sur le front militaire et politique.
Pédagogie de masse, pédagogie de
classe
Les titres des vignettes et les
courts bouts-rimés qui les commentent ne laissent aucun doute au lecteur :
les communistes dénoncent férocement la « Grande Duperie bourgeoise »
qu’a été la guerre impérialiste. À chaque fois, les deux vers scandent la ritournelle
trompeuse de la « bourgeoisie » dénoncée ici par Grandjouan. Le jeu
de mains de Poincaré est remarquable, tant il symbolise les illusions déçues
des combattants : le Président indique deux directions au début de la
guerre (le front et l’arrière), il fait ensuite offrande de munitions et enfin
répand les rumeurs (au lieu de tendre une main secourable). Seule l’année 1919
rompt avec cette tromperie généralisée. Le soldat menaçant dressé au-dessus de
Clemenceau symbolise un peuple qui ne désarme pas en dépit de la démobilisation
et qui finit par obtenir l’une des principales revendications ouvrières :
la journée de huit heures de travail. Mais le jeu de dupes reprend ensuite de
plus belle : la paix sociale est imposée, les Réparations dissimulent la
reprise de l’exploitation économique. En 1923, à la veille des élections et
après l’invasion de la Ruhr, Poincaré est rejoint par le socialiste Blum et le
radical Herriot. Pour Grandjouan, la classe ouvrière n’a donc qu’un seul
recours – le parti communiste, pour lequel il dessine d’ailleurs six autres
affiches, dont une reprenant le fameux couteau entre les dents (« Ah, ton
couteau pour nous délivrer ! »). La lutte continue. Les masses sont
appelées aux urnes pour renverser le cours de l’histoire.
Auteur : Alexandre SUMPF
Du
militantisme radical au communisme
La
IIIe République ancre les pratiques démocratiques en France
mais est loin de satisfaire les plus radicaux qui appellent de leurs vœux une
république sociale. Les affaires politico-financières qui émaillent la fin du
XIXe siècle, comme le scandale de Panama
en 1893, favorisent le rejet d’un système auquel tous les partis politiques
apportent toutefois leur caution par la participation aux élections, à une
époque qui voit l’affiche triompher en ville comme moyen de communication. Farouche
libertaire, le dessinateur Jules Grandjouan (1875-1968) met son talent au
service du Comité révolutionnaire
antiparlementaire à l’occasion des élections législatives de 1910. Le
combat que mène ce comité, qui a édité La Guerre sociale de Gustave
Hervé, socialiste révolutionnaire et antimilitariste, le porte aussi sur le
front de l’unité syndicale et de la lutte de classes, dans une France qui a
connu les grandes grèves de guerre (1917, 1918) et de 1919. L’obtention des
huit heures journalières de travail confirme les syndicalistes de la nouvelle
C.G.T.U. dans le choix d’un positionnement radical. Ils s’appuient sur la
Section française de l’Internationale communiste née en décembre 1920, à
laquelle Grandjouan adhère.
La
moindre occasion est saisie pour défendre la cause du travailleur
internationaliste contre le bourgeois impérialiste. Décidée par Poincaré pour
obtenir en nature une partie des réparations exigées de l’Allemagne vaincue,
l’occupation de la Ruhr par l’armée française, en janvier 1923, déclenche ainsi
une violente campagne de la part des communistes.
Analyse des images
Antiparlementaire, unitaire et internationaliste
La composition de l’affiche « Le vol des
Quinz’mill’ » imite habilement les images d’époque vantant les attractions
populaires et fait en particulier appel au goût récent du public pour les
exploits aéronautiques. Au centre de l’image, un dirigeable doré nommé
« Palais-Bourbeux », en référence au Palais-Bourbon où siègent les
députés, symbolise l’Assemblée nationale. Le titre de l’affiche joue sur le
double sens du mot « vol ». Dans la nacelle du dirigeable, les
députés sortants s’accrochent à leur pactole : 41 francs par jour,
presque 15 000 francs par an. Ils sont survolés, du point de vue du
salaire, par le président de la République Armand Fallières, souriant et
rubicond, et le président du Conseil Alexandre Millerand. Sur terre se presse
la masse des prétendants à la prébende que constitue, selon Grandjouan, une
place de député ; en frac noir, signe d’élégance mais aussi de richesse, ils
tendent des bras fortement allongés, signe de leur cupidité.
« Unité de front », composée après la
Première Guerre mondiale, fait la promotion de la nouvelle organisation
syndicale issue de la scission de la C.G.T. Par la représentation de la Bastille,
Grandjouan revendique l’identité révolutionnaire de la C.G.T.U. Le récit se
développe en trois étapes disposées verticalement. Du haut de la
« Bastille capitaliste », cigare vissé aux lèvres, des profiteurs
narguent depuis le chemin de ronde des manifestants munis d’écriteaux indiquant
partis et syndicats de gauche. Puis, à l’appel de la C.G.T.U., tous abandonnent
leur identité particulière pour unir leurs efforts comme ils lient les hampes.
Dans un dernier temps, ce faisceau se transforme en bélier qui enfonce la porte
de la citadelle. L’effort collectif des personnages désormais unis dans
l’action provoque la reddition capitaliste, exprimée par un drapeau blanc, qui
contraste par sa modestie et son unicité avec les onze drapeaux – neuf rouges
et deux noirs – de la première séquence.
L’affiche « Victimes de la même Ruhrie » a été éditée par la C.G.T.U. que soutient Grandjouan. La composition horizontale fait converger au centre de l’image le sommet d’un tas de charbon, richesse de la Ruhr, et la pointe du « V » que les puits de mine de cette région très industrialisée découpent dans le ciel. Au premier plan, trois personnages se dévisagent : à gauche, un mineur allemand forcé de travailler sous la menace d’une baïonnette brandie à bout de fusil par le soldat français debout au centre. À droite, le mineur français auquel s’adresse son camarade allemand ne se distingue de lui que par sa passivité. Le crayonnage plus appuyé pour le mineur allemand, plié par l’effort (il s’aide du genou), le rapproche du noir du charbon qu’il exploite et à travers lequel on l’exploite. Le soldat, reconnaissable à son inimitable casque, est au contraire figé en statue, ses équipements sont finement détaillés. Le mineur de droite se tient dans une étrange position d’attente ou de doute, sa silhouette apparaît comme découpée dans le décor.
L’affiche « Victimes de la même Ruhrie » a été éditée par la C.G.T.U. que soutient Grandjouan. La composition horizontale fait converger au centre de l’image le sommet d’un tas de charbon, richesse de la Ruhr, et la pointe du « V » que les puits de mine de cette région très industrialisée découpent dans le ciel. Au premier plan, trois personnages se dévisagent : à gauche, un mineur allemand forcé de travailler sous la menace d’une baïonnette brandie à bout de fusil par le soldat français debout au centre. À droite, le mineur français auquel s’adresse son camarade allemand ne se distingue de lui que par sa passivité. Le crayonnage plus appuyé pour le mineur allemand, plié par l’effort (il s’aide du genou), le rapproche du noir du charbon qu’il exploite et à travers lequel on l’exploite. Le soldat, reconnaissable à son inimitable casque, est au contraire figé en statue, ses équipements sont finement détaillés. Le mineur de droite se tient dans une étrange position d’attente ou de doute, sa silhouette apparaît comme découpée dans le décor.
Interprétation
Jeux de mots et jeux de miroirs
La constance de l’engagement de Grandjouan réside dans
la croyance en la possibilité d’une révolution sociale qui mettrait à bas un
régime dévoué aux intérêts de la bourgeoisie. S’il fait figurer Alexandre
Millerand en robe d’avocat, c’est que ce dernier, après avoir participé en 1898
à un gouvernement « bourgeois », s’était compromis en plaidant la
cause du liquidateur Duez dans l’affaire du « milliard des
congrégations ».
À l’occasion des élections de 1910, Grandjouan appelle
à ne pas voter, structure un Comité révolutionnaire antiparlementaire au sein
duquel il occupe les plus hautes fonctions, dessine deux affiches (avec la
mention « vu par le candidat ») et donne des conférences.
Dans ses affiches, il use volontiers du jeu de mots qui dénonce et fait mouche : l’ambivalence du mot « vol » permet de détourner une affiche aéronautique, le Palais-Bourbon devient un marécage fangeux, l’occupation de la Ruhr relève de la « rouerie ».
Dans ses affiches, il use volontiers du jeu de mots qui dénonce et fait mouche : l’ambivalence du mot « vol » permet de détourner une affiche aéronautique, le Palais-Bourbon devient un marécage fangeux, l’occupation de la Ruhr relève de la « rouerie ».
Cet art du trait se retrouve dans sa manière de
dessiner, assez sèche, qui tient dans l’épaisseur du coup de crayon plus que
dans le jeu des couleurs : les ouvriers au travail sont denses, les
bourgeois sont sans consistance, tout en apparences, baudruches gonflées de
profit, mais parasites esclaves de l’argent. Ces compositions en miroir et ce
jeu constant sur les représentations des deux principales « classes »
signent la manière de Grandjouan. Le tout jeune parti communiste attire à lui
nombre de militants anarchistes ou antimilitaristes, qui s’en détourneront
toutefois assez vite.
Auteur : Alexandre SUMPF
Bibliographie
- Jean-Jacques BECKER et Serge BERSTEIN, Victoires et frustrations, 1914-1929, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 1990.
- Jean-Jacques BECKER et Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France, tome II, « XXe siècle, à l’épreuve de l’histoire », Paris, La Découverte, 2004.
- Fabienne DUMONT, Marie-Hélène JOUZEAU et Joël MORIS (dir.), catalogue de l’exposition Jules Grandjouan. Créateur de l’affiche politique en France, Chaumont, les Silos, Maison du livre et de l’affiche, 14 septembre-17 novembre 2001, Paris, musée d’Histoire contemporaine, printemps 2002, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 2003, Paris, Somogy, 2001.
© ADAGP, © Bibliothèque de documentation
internationale contemporaine / Musée d'histoire contemporaine
Titre : Public, apprends que chaque semaine les
accidents de travail tuent trois des nôtres et en blessent quinze.
Un syndicalisme révolutionnaire
Depuis la création de la Confédération générale du
travail en 1895, le syndicalisme révolutionnaire se renforce en France :
les grèves de secteur se multiplient, la répression étatique se fait également
de plus en plus sévère, y compris quand d’anciens radicaux (Georges Clemenceau)
ou des socialistes (Alexandre Millerand) accèdent aux responsabilités. Lors du
congrès d’Amiens, en 1906, les syndicalistes décident donc de conserver leur
autonomie par rapport au tout nouveau parti socialiste (S.F.I.O.), fondé en
1905, et de mener la lutte par leurs propres moyens, parmi lesquels la grève
générale. Témoin de cette radicalisation, la Fédération des mécaniciens et
chauffeurs, réformiste, se rapproche des positions du Syndicat national des
cheminots. À l’automne 1910, les deux syndicats exigent du gouvernement
l’instauration d’un salaire minimum journalier de cinq francs et lancent la
« grève de la thune » (le mot « thune » désigne une pièce
de cinq francs).
Jules Grandjouan (1875-1968), déjà fameux pour ses caricatures radicales et anticléricales publiées dans L’Assiette au beurre, proche des milieux libertaires et futur membre du parti communiste, soutient vigoureusement le mouvement et produit non moins de trois affiches.
Jules Grandjouan (1875-1968), déjà fameux pour ses caricatures radicales et anticléricales publiées dans L’Assiette au beurre, proche des milieux libertaires et futur membre du parti communiste, soutient vigoureusement le mouvement et produit non moins de trois affiches.
Analyse des images
Ces trois affiches opposent constamment les profiteurs
et dirigeants, gros et gras, aux travailleurs exténués risquant leur vie pour
un salaire de misère. Dans « Cheminots, syndiquez-vous », que
Grandjouan a réalisée pour le Syndicat national des chemins de fer, la gare de
la Sainte-Touche sépare nettement le monde en deux : de rares individus en
sortent, à gauche, baudruches jaunes gonflées d’or sous le haut-de-forme du
capitaliste. Par l’autre porte de cette gare de triage des salaires s’écoule un
flot compact de cheminots visiblement usés par le travail. Pauvrement vêtus,
ils avancent d’un pas lourd vers la misère à laquelle les nantis les condamnent
et qu’incarne la famille du premier plan à droite. Invitant à la lutte contre
un système injuste, l’affiche comporte aussi un texte qui oppose en chiasme
« risquer » et « avoir ».
« Public… », tout en couleurs cette fois, s’adresse aux usagers du chemin de fer. La composition privilégie le dessin au centre, où s’accumule l’information visuelle, et inscrit le message dans les bandeaux supérieur et inférieur où il se détache en lettres capitales rouges. Le thème des accidents du travail, chiffrés par le texte, est illustré par le groupe de cheminots qui évacuent un de leurs camarades sur une civière. L’écrasante masse noire de la locomotive renforce le ton funèbre de la scène. À gauche, deux élégants bourgeois avec haut-de-forme et habits clairs sourient d’un air entendu et finaud. Ils sont désignés du doigt par l’ouvrier placé exactement au centre de la composition, et par les regards de plusieurs personnages de ce côté de l’image. « Dans les chemins de fer » reprend des éléments des deux autres affiches : la litanie des métiers et des salaires de la première, la locomotive et les bourgeois de la deuxième. La hiérarchie apparaît de façon allégorique dans l’espace de la représentation puisque les dirigeants des réseaux se trouvent au-dessus de leurs employés, restés sur un quai de gare : les uns, assis, se reposent et engraissent ; les autres sont debout et travaillent. Mais la pensée révolutionnaire du dessinateur s’exprime aussi dans l’attitude des cheminots, qui semblent prêts à prendre le train d’assaut, et dans un texte qui joue sur le mot « rouler ». Sur le drapeau rouge du chef de gare sont inscrites les initiales du syndicat (S.N.T.C.F., pour Syndicat national des travailleurs des chemins de fer). Dans le cadre rouge en bas à droite figure un appel à une réunion à la Bourse du travail.
« Public… », tout en couleurs cette fois, s’adresse aux usagers du chemin de fer. La composition privilégie le dessin au centre, où s’accumule l’information visuelle, et inscrit le message dans les bandeaux supérieur et inférieur où il se détache en lettres capitales rouges. Le thème des accidents du travail, chiffrés par le texte, est illustré par le groupe de cheminots qui évacuent un de leurs camarades sur une civière. L’écrasante masse noire de la locomotive renforce le ton funèbre de la scène. À gauche, deux élégants bourgeois avec haut-de-forme et habits clairs sourient d’un air entendu et finaud. Ils sont désignés du doigt par l’ouvrier placé exactement au centre de la composition, et par les regards de plusieurs personnages de ce côté de l’image. « Dans les chemins de fer » reprend des éléments des deux autres affiches : la litanie des métiers et des salaires de la première, la locomotive et les bourgeois de la deuxième. La hiérarchie apparaît de façon allégorique dans l’espace de la représentation puisque les dirigeants des réseaux se trouvent au-dessus de leurs employés, restés sur un quai de gare : les uns, assis, se reposent et engraissent ; les autres sont debout et travaillent. Mais la pensée révolutionnaire du dessinateur s’exprime aussi dans l’attitude des cheminots, qui semblent prêts à prendre le train d’assaut, et dans un texte qui joue sur le mot « rouler ». Sur le drapeau rouge du chef de gare sont inscrites les initiales du syndicat (S.N.T.C.F., pour Syndicat national des travailleurs des chemins de fer). Dans le cadre rouge en bas à droite figure un appel à une réunion à la Bourse du travail.
Interprétation
Mobilisation et communication syndicale
La société industrielle, capitaliste, est présentée
par Grandjouan sous un double visage : modernité des métiers et hiérarchie
des salaires, dignité du producteur et indécence du profiteur. L’image du
banquier bedonnant de Daumier ou des gros chez le Zola du Ventre de Paris
sert ici la cause de la lutte de classes : la direction des réseaux
accapare les richesses qu’elle ne produit pas, dévore le travail et engraisse,
domine de façon illégitime le peuple.
La grève des cheminots de 1910, orchestrée par le Syndicat national des chemins de fer et mise en images par Grandjouan, entend mobiliser la solidarité des travailleurs, mais en appelle aussi au « public », c’est-à-dire à l’opinion que l’on cherche à sensibiliser et même à émouvoir. Cependant, en dépit de son ampleur et de sa durée, la grève échoue et débouche sur une très importante répression (38 000 révocations). Il faut attendre un an pour que, dans une atmosphère moins tendue, mais lourde du souvenir de 1910, des réformes soient conduites, en particulier sur le réseau d’État. Le salaire journalier de cinq francs y est accordé, un statut réglemente désormais les carrières, depuis le recrutement et l’avancement jusqu’aux congés et aux assurances maladie et accident. La campagne d’opinion des anarcho-syndicalistes, portée par le talent de caricaturiste de Grandjouan, a contribué en partie à cette évolution.
La grève des cheminots de 1910, orchestrée par le Syndicat national des chemins de fer et mise en images par Grandjouan, entend mobiliser la solidarité des travailleurs, mais en appelle aussi au « public », c’est-à-dire à l’opinion que l’on cherche à sensibiliser et même à émouvoir. Cependant, en dépit de son ampleur et de sa durée, la grève échoue et débouche sur une très importante répression (38 000 révocations). Il faut attendre un an pour que, dans une atmosphère moins tendue, mais lourde du souvenir de 1910, des réformes soient conduites, en particulier sur le réseau d’État. Le salaire journalier de cinq francs y est accordé, un statut réglemente désormais les carrières, depuis le recrutement et l’avancement jusqu’aux congés et aux assurances maladie et accident. La campagne d’opinion des anarcho-syndicalistes, portée par le talent de caricaturiste de Grandjouan, a contribué en partie à cette évolution.
Auteur : Alexandre SUMPF
Bibliographie
- Christian CHEVANDIER, Cheminots en grève ou la Construction d’une identité, Paris, Maisonneuve et Larose, 2002.
- Pierre VINCENT et André NATRRITSENS, « La grève des cheminots d’octobre 1910 », in Les Cahiers d’histoire sociale de l’Institut C.G.T., n° 115, septembre 2010, p. 6-11.
- Fabienne DUMONT, Marie-Hélène JOUZEAU et Joël MORIS (dir.), catalogue de l’exposition Jules Grandjouan. Créateur de l’affiche politique en France, Chaumont, les Silos, Maison du livre et de l’affiche, 14 septembre-17 novembre 2001, Paris, musée d’Histoire contemporaine, printemps 2002, Nantes, musée du Château des ducs de Bretagne, 2003, Paris, Somogy, 2001.
Auteur : Jules
GRANDJOUAN (1875-1968) Lieu de Conservation :
Musée
d'histoire contemporaine / BDIC (Paris) ; site webContact copyright : ADAGP, 11, rue Berryer. 75008
Paris. Tél: 33+01-43-59-09-78 - Email : adagp@adagp.fr -Site web : www.adagp.fr
/ Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, 6 Allée de
l'Université, 92001 Nanterre Cedex, Tél.:33-(0)1.40.97.79.00 / Fax :
33-(0)1.40.97.79.40 ; site web
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