Contre
la stratégie des épiciers poujadistes
« Bien
que «la
haine soit susceptible de provoquer le désordre, de mettre à bas
une organisation sociale, de plonger un pays dans une période
de révolution sanglante […], elle ne produit rien».
Georges
Sorel
« L’ordre
public est devenu très dur en France depuis un certain temps",
convient un ancien haut responsable du ministère de l’Intérieur ».
«Cette
collision dont parle Marx, se manifeste par des
bouleversementséconomiques, comme les crises, les guerres
impérialistes et les convulsions sociales. Tous les penseurs
marxistes ont insisté sur le fait que pour qu'on puisse parler d'une
période révolutionnaire, « il ne suffit pas que les ouvriers
ne veuillent plus, il faut encore que les capitalistes ne puissent
plus continuer comme auparavant ». Marc Chirik (Comprendre mai,
1969)1
La
guerre des classes c'est aussi parfois deux armées qui se font face
où se passer de stratégie et d'intelligence des enjeux peut mener
l'une à sa perte. L'armée des gilets jaunes est bien sûr une armée
mexicaine avec une noria de chefaillons petits bourgeois incapables
et ergoteurs, vendeurs de salades « populaires » et qui,
depuis le début font croire aux prolétaires qu'ils appartiennent à
la même « couche moyenne » qu'eux. Quand des généraux
d'une armée proposent un moratoire, il y a toujours des
sous-officiers imbéciles qui crient « pas question !
Fonçons dans le tas ! ». Les généraux de la macronie
ont certes proposé un cessez-le-feu avec des broquilles qui ne sont
qu'une nouvelle entourloupe et ils restent menaçants pour toute
nouvelle grande casse à Paris. Ils ont renforcé le nombre de leurs
soudards et promis une prime. Leurs snipers seront à nouveau sur les
toits. L'armée des gilets jaunes se la pète inconsciemment si elle
pense emporter la mise avec des gens de tout bord sous uniforme
jaune. Ses stratèges les moins stupides auraient tout intérêt à
lire Sun Tzu :
« la guerre consiste fondamentalement en la recherche d’un avantage comparatif, et il s’agit moins d’anéantir l’adversaire que de lui faire perdre l’envie de se battre. Ce deuxième point implique de faire un usage de la force qui soit justement proportionné à la nature de l’objectif politique poursuivi. Il est fondamental, chez Sun Tzu, de s’économiser, de ruser, de déstabiliser, et de ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce assené à un ennemi désemparé ».
« la guerre consiste fondamentalement en la recherche d’un avantage comparatif, et il s’agit moins d’anéantir l’adversaire que de lui faire perdre l’envie de se battre. Ce deuxième point implique de faire un usage de la force qui soit justement proportionné à la nature de l’objectif politique poursuivi. Il est fondamental, chez Sun Tzu, de s’économiser, de ruser, de déstabiliser, et de ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce assené à un ennemi désemparé ».
Des zozos invisibles avec un intitulé "Acte
4 Paris Insurrection !"
appellent à un blocage des raffineries et des ports dès mardi, et à une
manifestation à Paris samedi pour "continuer le combat" en
l'absence de "réponse satisfaisante de la part du président et
du Premier ministre". Le lieu de ce rassemblement, initié par
le compte "gilets jaunes officiels", ne serait communiqué
qu'au "dernier moment". Ce lundi matin, 2500 personnes
avaient annoncé leur participation, et 14 000 se disaient
intéressées.Mais l'événement qui agrège le plus de personnes sur
les réseaux sociaux reste un appel
à manifester "pacifiquement"
dans
un cortège au départ de la place de la Bastille à 14h.
En
réalité sous cet œcuménisme et la phrase anarchiste « Acte
4 insurrection », il y a surtout d'irresponsables petits
entrepreneurs à la Barnaba et Chalençon qui, pour avoir brillé sur
les plateaux de TV, se préparent un avenir en « députation »
comme de vulgaires Poujade. Ces gens sont à vomir parce que, alors
qu'ils ne s'exposeront pas eux, ils envoient au casse-pipe de
nombreux jeunes prolétaires et de plus énormément de jeunes
lycéens qui vont se faire matraquer durement en croyant « faire
leur mai 68 ». Il pourrait y avoir des morts vu la haine
accumulée des deux côtés samedi dernier à la revoyure des vidéos
des bagarres de rue, tant de la part des manifestants dont les leurs
ont été salement condamnés par la justice de classe que de la part
des CRS souvent exposés dangereusement et sans pouvoir répondre2.
Si un organisme, réellement représentatif de l'armée des gilets
jaunes avait existé il aurait dit stop comme je le dis :
« laissons les troupes se reposer et ravaler leur rancoeur...
mais peut-être aussi faut-il changer de stratégie ? Bloquer ça
va un moment ce n'est pas ce qui va débloquer le SMIC, cela seule
une grève «généralisée » des prolétaires sans
commandement syndical peut l'assumer, ce qui est le cadet des soucis
des petits bourgeois sous masque encore « apolitique » et
ceux du RN comme de FI. Le mouvement n'est pas condamné à rester
sous l'emprise des bobos provinciaux. Saura-t-il s'assumer pour ce
qu'il est dans le fond : une révolte des couches paupérisées
de la classe ouvrière mais qui se laissent encore embarquer derrière
des actions circulaires et violentes de petits bourgeois arrivistes ?
Qu'il y ait des morts ou pas, je le répète comme pour l'acte III,
ce genre de manif ne sert à rien en l'état actuel des choses si le
mouvement ne se donne pas les moyens de « réfléchir » à
ses buts réels. Je me permets de livrer aussi cette habile réflexion
de Sun Tzu à ceux qui me liront et qui iront ou pas place de la
Bastille où on leur fera croire que c'est possible de refaire 1789 :
« « Toute
campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ;
feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à
l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager
son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans
la confusion : sa convoitise le lancera sur vous pour s’y
briser. »
L'emblématique
des gilets jaunes va-t-elle grandir ou pâlir ?
Jusqu'ici
les menaces gouvernementales alternaient avec les manœuvres de
couloir. La confusion s'ajoutait à la forfanterie. Le patelin
ministre de l'intérieur lisait hier pratiquement toutes ses réponses
déjà écrites au milieu d'une commission parlementaire où les
politiciens de tout bord se bousculaient pour flatter la police à
qui mieux mieux. Le ton du ministre restait volontairement monocorde
sans élever jamais le ton. Il victimisait l'Etat confronté à ce
méprisable « mouvement incapable de se structurer » où
« l'Etat se retrouve seul à gérer ». Le ton
paternaliste et monocorde était volontaire pour mieux voiler
l'affolement de l'élite devant une situation d'une dangerosité
supérieure à celle de mai 68. Ce ne sont pas simplement les
figurines CRS, cibles habituelles des simplistes gauchistes, qui ont
été visées mais les lieux de l'Etat. Même si l'Elysée est mieux
préservé que la prunelle des yeux de Brigitte, en plusieurs
endroits en France ce sont des préfectures qui ont été incendiées,
sans oublier les gros affrontements à la Réunion. Du jamais vu
depuis l'avant-guerre. Certes mais il y a aussi la présence au sein
des gilets jaunes d'un étrange terrorisme.
Pas
un mot, pas de dénonciation sur ces menaces de mort contre les
gilets jaunes les plus pacifistes, certes plus ou moins élus ?
Comme si cela était normal... Parce que les députés ont eu leurs
résidences secondaires surveillées et taguées elles aussi par des
sans-culottes en cagoule? Etrange aussi ces bobos commerçants qui se
sont autoproclamés leaders ; ont-ils autorité pour « faire
la loi » sur un mouvement qui les dépasse dans sa
détermination ainsi que les journalistes éberlués? Quand
chaque nouvelle « ouverture » ou prétendue « écoute »
du gouvernement jette de l'huile sur le feu dans une spirale
infernale dont nul ne connait l'aboutissement ?
Le
patelin ministre policier, qui est capable de mentir comme il
respire, nous avait bien égrené un échantillon de ceux qui ont été
arrêtés ou il n'apparait nulle vérification de ses bobards sur une
mythique droite ultra qui aurait conduit l'émeute ou même l'aurait
organisée. « Au tribunal peu de casseurs mais des gilets
jaunes hébétés » (titre du Figaro). Surtout des prolétaires
disposant d'un salaire, pas forcément des plus bas. Plusieurs
routiers ; ceux-ci ne sont certes pas la quintessence ni le
meilleur de la classe ouvrière, mais il est normal qu'ils se soient
trouvés au premier plan avec la question du gazole ; c'est
d'abord une remise en cause pour eux d'un outil de travail. Leur
boulot est plutôt de type individuel et leur syndicat tout trouvé
est le web, meilleur canal de l'individualisme. On a fait circuler
des images de violences des CRS : choquantes et du genre
acharnement à six ou sept contre un homme à terre ; il y a eu
de nombreux blessés au visage ou aux jambes par des grenades
spéciales que les troupes de soudards jettent sans discernement sur
les manifestants... Les pleurnicheries de tous les députés, en
transes nationales, pour « nos » pauvres CRS, sont
honteuses et lâches. Ils font mine par après de déplorer le
gouffre entre la population et les élus, mais la tête en sang des
manifestants ne les touche pas plus que les bourgeois dans leurs
ghettos de riches, sauf la Porsche cramée parce que Valentin avait
oublié de la garer au sous-sol.
La violence en soi de nombreux manifestants n'est pas un critère indiscutable de légitimité3. Des pillards se sont fait tabasser particulièrement, quoique je ne trouve pas normal qu'on s'acharne à plusieurs casqués sur un pillard à terre. Il est plus grave selon moi que nombre de manifestants en province comme à Paris aient été tabassés aussi lâchement et que Messieurs le ministre et ses confrères députés n'aient pas eu un mot de courtoisie pour des gens qui utilisaient seulement « le droit sacré de manifester » (dixit Castaner)4.
Le
danger qui guette au moment présent les gilets jaunes, mais pour le
moyen terme, est évidemment la dernière roue de secours de la
bourgeoisie en cas de crise aggravée et de morts samedi prochain :
les meneurs auto-désignés petits patrons et commerçants, que les
ouvriers si présents sur les barrages ont eu le tort de laisser
téléguider le mouvement dans les formes les plus anti-ouvrières :
brutalités de certains barrages, absence d'AG décisionnelle,
interdiction de discuter politique, actions moutonnières, menaces de
mort. Ils postulent à prendre la place du pouvoir avec leur
revendication facho et creuse de « pouvoir au peuple». Les
couches petites bourgeoises sont en général dans les préliminaires
des révolutions et des protestations « populaires » par
leur impulsivité et réactivité à la douleur de perte de leur
statut social « très moyen ». Hélas,
intellectuellement, les petits entrepreneurs locaux qui drivaient des
bandes dispersées n'ont eu aucun mal à dominer des routiers, des
retraités modestes et des infirmières. Ce n'est pas obligatoire de
continuer à se laisser berner par ces cadors de « couche
moyenne » finalement étrangers à la classe ouvrière !
Et aux méthodes plus que douteuses ! Sans oublier de noter la
complaisance du pouvoir à leur égard. Ces gens ne valent pas mieux
que le lumpen qui vient briser les vitrines.
LE
POUVOIR NE CROIT PLUS CALMER LE JEU PAR LA SIMPLE REPRESSION MAIS IL
EN USERA ENCORE
Néanmoins,
il faut reconnaître que, avec ses deux pièges en « fanzone »
pour les deux dernières grandes casses à Paris et une police qui
« n'entre pas au contact » systématiquement, le pouvoir
a limité les dégâts humains ; même s'il y a de nombreux
estropiés, il n'y a pas de morts. Tuer en masse comme la gendarmerie
se le permettait au XIXe siècle entraînait illico de vraies
insurrections pas genre carnaval black bloc ou tarnaciens en
goguette.
Depuis
dimanche pourtant l'heure était au sermon pieusement républicain
après « la guerre civile » qui avait tant ravagé les
beaux quartiers. Tous les journalistes avaient le doigt sur la
couture du pantalon et l'ordre était de dénoncer « en
continu » les « déprédations » et d'exhiber les
images de la grande casse dans les quartiers bourgeois et surtout
pointer sur la « profanation » infligée au portique
hypocrite de 14-18. Pauvres journalistes qui se plaignent de recevoir
des coups de pieds au cul ! L'audience de leurs chaînes chutait
depuis dimanche puisque le grand sermonneur n'avait plus le jus pour
sermonner après son escapade ratée avenue Kléber. Du coup la
convocation du sous-fifre Castaner devant une commission
parlementaire eu plus l'air d'un tribunal populaire demandant des
comptes à un ministre « incapable ». Aïe ! encore
une image de perdue pour le pouvoir dans la bataille des images !
Le
pouvoir s'enfonce mais ne se rend pas. Pire, si le mouvement
s'amplifie il n'y aura pas assez de flics pour l'endiguer (mais ce
n'est pas vrai) ; il n'y aurait plus assez de bombes acrymos,
toutes les réserves du territoire français auraient été épuisées
en une journée pour la seule émeute parisienne !5
Franchement il y a de quoi être en émoi pour l'ordre sociel et
baiser les pieds de nos soudards. Une évidence que les flics, un
jour, ne seront plus assez nombreux pour « tenir » ou
« tabasser » la population entière que le jour où on
sera en grève généralisée et pas sous le commandement du petit
commerçant du coin activiste et histrion! Et c'est pas demain la
veille que « la police sera avec nous ».
Cependant,
comme on n'est pas sous Pétain ou Hitler, aucune manifestation ne
peut être interdite ! Les premiers appeurés, les flics en
uniforme ou en habit de black bloc, ne cessent de récriminer auprès
de leurs supérieurs en demandant le renfort de leurs potes
militaires : « Le
maintien de l’ordre à la papa? C’est terminé", tonne David
Le Bars, patron du syndicat des commissaires de la police nationale
(SCPN-Unsa). "Nous ne sommes plus dans des manifestations
classiques mais dans un phénomène de guérilla urbaine". Les
piliers du maintien de l’ordre à la française consistent à
éviter la confrontation, à mettre à distance les manifestants et
graduer les moyens de ripostes (eux ils appliquent Sun Tzu). Les
syndicats policiers appellent à un changement de "paradigme" ».
Les commissaires de police ont certainement un langage plus riche que
les routiers gilets jaunes mais ils sont obligés d'obéir à leurs
maîtres et ne peuvent pas empêcher ni manifestation ni émeutes en
claquant des doigts. C'est tout bête, pour interdire une
manifestation encore faut-il qu’elle ait été déclarée en
préfecture. Donc il suffit de ne pas la déclarer, ce qui a été
compris par la plupart des gilets jaunes ou sans !
De
même qu'on nous fait subir à la TV des « spécialistes des
mouvements sociaux » ou des « élaborateurs de
revendications syndicales », il faut parfois tendre l'oreille à
des spécialistes « de la sécurité intérieure » et qui
disent parfois d'intéressantes choses : « La
grande force de ce mouvement paradoxalement, c’est qu’ils sont
rétifs à toute forme d’organisation, il n'y a pas d'interlocuteur
classique. Les autorités préfectorales et le ministère de
l’Intérieur sont complètement
désarçonnés.
Les outils de régulation habituelle fonctionnent toujours sur
l’existence d’organisations pré-identifiées. Or là on ne sait
pas trop ce qu’ils ont prévu de faire ».
Interdire
une manifestation suppose également de pouvoir faire respecter
l’interdiction. "Il faut être en mesure de pouvoir la
faire appliquer, puisqu’on a des gens déterminés qui viendront de
toutes les façons", a souligné le secrétaire d’Etat à
l’Intérieur, Laurent Nuñez. En juillet 2014, une manifestation
pro-palestinienne interdite par la préfecture avait dégénéré
dans le nord de la capitale. L'Etat d'urgence serait trop assimilé à
la lutte antiterroriste et le gouvernement perdrait encore un point
dans la bataille des images et des recettes pour gagner « l'opinion
publique ». Le pouvoir « prévient » pourtant, avec
Jacline Mouraud (qui se fait menacer et traîner dans la boue, nos
sans culottes vont-ils la tondre s'ils parviennent à accrocher la
tête de Macron aux grilles de l'Elysée?), et par la voix de
personnalités bienveillantes, qu'il « déconseille »
cette manifestation. Castaner n'allait pas appeler à soutenir cette manifestation, mais en la "déconseillant", il motive encore plus tous ceux qui vont foncer à nouveau tête baissée y voyant "le grand soir", quoique avec des lendemains douloureux et judiciaires; par ailleurs, en tant que premier flic de France bourgeoise il ne cache
pas que s'il faut tirer dans le tas pour sauver le meubles, il
l'assumera dans une situation inédite ou pas mais où le pouvoir compte à la fois sur
les CRS et sur les syndicats FO et CGT.
Cellule
de crise, annonce de prochaines mesures « fortes »... en
réalité, alors que les dégâts des émeutes sont très élevés,
mais ne posent pas problème aux caisses vides de l'Etat qui s'est
engagé à payer (pour ces pauvres victimes du 16 ème et une prime
aux CRS tabasseurs) alors que cela lui arracherait la gueule
d'augmenter sérieusement le SMIC. C'est encore le bazar partout en
France, blocages qui se poursuivent, raffineries bloquées (mais pas pour longtemps la CGT s'en occupe) et
pénuries d'essence dans plusieurs villes... les baratineurs du
gouvernement et leurs bandes de crétins députés ne pourront pas
tenir trois mois, les industriels et les banquiers commencent à
piaffer d'impatience. La cour de récré devrait avoir une fin avec
tous les milliards perdus à cause des blocages !
La
question de la violence de classe sera abordée par après et on
tentera d'éclaircir ces étranges menaces de mort contre des
délégués des gilets jaunes non reconnus, pour examiner d'où elles
peuvent provenir et l'expliquerai pourquoi ce type de chantage est
complètement étranger à la « violence prolétarienne ».
Classiquement dans le mouvement ouvrier révolutionnaire, lorsque
l'on parle de délégués élus et révocables, on n'imagine même
pas qu'il faille les menacer de mort s'ils ne défendent plus ce pour
quoi ils ont été élus ; bon ceux qui trahissent, en période
révolution par collusion avec la police, ils passent à la
casserole ; si telle était la règle actuellement la plupart
des prétendus officiels des gilets jaunes passeraient au peloton
d'exécution...
L'insistance mise
par les médias vendus sur ces méthodes terroristes vise à atténuer
une autre raison plus fondamentale, le mouvement a compris qu'il n'y
avait aucun délégué à envoyer à un gouvernement disons quelque
peu facho :
"Nous
n’irons pas puisque les ministres ont défini qu’ils ne
changeraient pas leur cap", affirme Cédric
Guémy. "On
ira rencontrer [le
Premier ministre]
quand
il sera prêt véritablement à négocier, et non pas seulement à
nous faire une leçon de méthodologie",
estime lui aussi Benjamin
Cauchy,
interrogé par franceinfo. Cette figure des "gilets
jaunes" en Occitanie "ne
souhaite pas être instrumentalisé et être des marionnettes d’une
communication politique sans issue". "Depuis ce matin, les
députés de LREM expliquent en long, en large et en travers que le
gouvernement ne changera pas de cap. En ce sens, il n’est
aucunement utile de nous y rendre".
Ce
jour est un mardi noir pour la macronie qui plastronnait ne pas
vouloir changer de cap mais veut bien concéder un moratoire pour un
« apaisement de la plèbe.
LA
DANSE DES VAUTOURS ET DES EPICIERS Poujadistes
On
se souciait déjà d'un déclin du mouvement « interclassiste »
chez les bobos ultra-gauches canal historique. Pour les retraités
soixantehuitards il faut savoir attendre la révolution pure. Les
récupérateurs sont notoirement nombreux en général dans tout
mouvement social ; on lira avec profit le communiqué de
Priscilla Ludosky pour appréhender comment ils procèdent et
l''hônnêteté des premiers alerteurs désormais ignorés des médias
manipulateurs6.
Il y a indiscutablement quelques fachos assez prêts à chapeauter le
mouvement pour se faire reconnaître comme interlocuteurs par le
pouvoir, mais c'est très marginal pour complexer cette dynamique
encore incroyable qui booste ces gilets de fer mais très faibles en
politique et en stratégie. Il ya aussi des bêbêtes comme Zemmour
qui accusent l'extrême gauche d'avoir déjà récupéré (parce
qu'on ressent plus une tonalité de classe qui se décante des
scories petites bourgeoises), mais c'est encore fabuler car ce n'est
pas non plus l'extrême gauche « réformiste radicale »
et lèche-cul des syndicats, qui tient les rênes :
« Il
y a chez les gilets jaunes des professionnels du renversement de
pouvoir, qui n’ont aucune intention de négocier et qui ne veulent
que semer le chaos. L’extrême-gauche
est en train de phagocyter le mouvement.
Il
n’y a qu’à voir l’appel du rassemblement du 8 décembre, à
Paris, où le mot d’ordre est désormais l’insurrection.
Il est où, l’esprit pacifique du 17 novembre ? Elle était où, La
Marseillaise à 21 heures dans Toulouse, dimanche, au niveau de la
place Jeanne d’Arc ? ».
Imaginant
conduire le mouvement, un autre réac, présumé porte-parole de
gilets jaunes du Vaucluse, le petit commerçant Chalençon, demande
la nomination d'un général à la place du Premier ministre –
c'est une blague de provocation car le Général de Villiers est
celui qui a été viré par Macron ! Mais pour qui il se prend
ce petit com ? De plus de plus en plus invité sur les plateaux
comme Barnaba, aspirant député poujadiste. Plus débilitant, bien
que dénoncé par nombre de jeunes internautes, sur les réseaux
bordéliques il y a effectivement aussi une présence politique de
l'extrême droite antisémite avec des délires sur le pacte de
Marrakech. Sur le terrain, en quelques endroits les sbires CGT sont
venus éteindre les blocages en en prenant la tête7,
ce que nous craignions mais qui a plus encore renforcé la méfiance
des bloqueurs. Mais les bandits de la CGT ont certainement scellé un
pacte secret avec le pouvoir, comme elle l'a fait à la SNCF, en
s'engageant à bloquer les raffineries à la place des gilets
jaunes... pour mieux les débloquer (ce qui est le cas pour une ce
soir). Les pompiers sociaux FO et CGT appellent les routiers à une grève sans fin (sic) dimanche ce soir, ce qui est une habile manière de poser la couverture sur l'incendie, pas du tout pour donner un sens prolétarien au mouvement ni en vue d'une fumeuse grève générale que vont hurler les bovins du NPA et leurs confrères en trotskisme suiviste; et Zemmour pourra continuer à assurer que l'extrême gauche a repris le mouvement à son compte, avec son rôle traditionnel d'éteignoir.
Le
pouvoir n'aura pas besoin d'un général, ni des fachos ni de tous
les scélérats de la CGT, ni d'une instrumentalisation des
gauchistes pour temporiser puisque le premier ministre vient de
prétexter une reculade temporaire après avoir « écouté »
l'ancien monde politicien, pour mettre fin à la crise – en réalité
sous la pression du patronat - c'est
à dire officialiser l'annonce d'un moratoire sur la hausse de
la taxe sur les carburants, c'est-à-dire leur suspension,
entourloupe provisoire qui ne peut passer car trop tardive avec deux
ou trois autres mesurettes. Ce qui ne devrait pas suffire à calmer
le mouvement mais tout au moins à le diviser et faire passer les
futures bagarres de rue pour obstination d'irresponsables auprès de
l'opinion.
Tout
m'incline à penser que cette reculade tardive aura le même effet
que la réouverture de la Sorbonne par Pompidou : aucun. On
pourra toujours chercher un modus vivendi entre la démission de
Macron et la revalorisation du SMIC...
Après
avoir décliné l'invitation à Matignon, Jean-François Barnaba,
petit chef «gilet jaune» venu de l'Indre, assure sur France Inter
ce matin travailler à une liste de candidats pour les élections
européennes prévues à la fin mai ; ce petit patron est
régulièrement invité sur les chaînes parce qu'il parle bien et se
prend pour un éclaireur espérant une promotion politique après
coup, c'est aussi le cas de Chalençon un autre vieux arriviste qui
fait l'objet d'insultes justifiées sur les réseaux.
Après les djeuns en casquette, on fait défiler de vieux
entrepreneurs politiciens au nez et à la barbe de l'ensemble des
gilets, seront-ils menacés ceux-là aussi ?
Toute
l'armada médiatique tire à boulets rouges pour déstabiliser le
mouvement de révolte et culpabiliser sur une (fort souhaitée en
catimini) troisième casse parisienne. On continue à diaboliser et
on continuera. L'arguement de la récupération par l'ultra droite
sera-il avancé vendredi soir ? Un sondage vient affirmer que la
crise des gilets jaunes a surtout profité au RN. Les écologistes
bourgeois appellent déjà, sans rire, les gilets jaunes à marcher
derrière eux dimanche.Les médias bourgeoise et « l'ancien
monde » vont mettre le paquet d'ici à samedi prochain pour
faire semblant de vouloir endiguer une nouvelle et plus saignante
« insurrection ». La situation peut changer d'heure en
heure. Ce n'est pas forcément mal barré pour l'équipe
gouvernementale qui semble peiner d'obstacles en obstacles
infranchissables.
Rien
n'est gagné non plus pour l'équipée à Macron après l'annonce de
ces mesurettes quand le mot « réforme » signifie
clairement désormais pour nous tous « attaque » ;
la bourgeoisie misera-t-elle à moyen terme sur la mainmise confirmée
de gilets jaunes petits bourgeois qui ont instillés les méthodes
anti-démocratiques et terroristes au mouvement jusqu'à présent ?
UNE
VIOLENCE justifiée mais laquelle ?
Tout
le monde a pris pour argent comptant les menaces de mort dont ont été
victimes des délégués gilets jaunes, représentatifs ou pas du
flou du mouvement et de son absence de crédibilité démocratique.
J'ai même été étonné que le gouvernement n'en fasse qu'un cheval
de bataille secondaire, comme s'il voulait ménager ce terrorisme
petit bourgeois des épiciers arrogants qui votent pour lui en
général ou le RN. Et qui sont contents que tant de jeunes ouvriers
aillent au casse-pipe dans un combat inégal et finalement stérile
contre les clampins CRS, et qui poussent toujours en arrière-plan à
aller au casse-pipe samedi espérant ensuite poser aux
« intermédiaires », ce qu'ils sont en effet dans la vie
sociale mais généralement du côté du bâton des riches.
Georges
Sorel exprimait parfois les choses de manière plus intellectuelles
que Lénine sur la question de la violence, même s'il ne possédait
pas sa rigueur théorique marxiste 8.
Sorel faisait une distinction entre violence prolétarienne et
violence d'Etat. La violence de l'Etat est la violence de « la
minorité qui gouverne » et a pour conséquence la violence
prolétarienne qui « tend à la destruction de cet ordre ».
Mais ces deux violences ont une différence de nature qui est liée à
la place que les deux classes occupent dans le mode de production.
C’est
à cause de cette opposition de classes que Sorel estime que les
«socialistes
parlementaires, qui sont des enfants de la bourgeoisie et qui ne
savent rien en dehors de l'idéologie de l'État, sont tout
désorientés quand ils sont en présence de la violence
prolétarienne».
Sorel se moquait des parlementaires socialistes de l'époque, et qui
l'étaient encore au sens réformiste, quand, de nos jours les Le
Guen, Hamon et Cie ne sont que des représentants bourgeois qui
soutiennent totalement la police et font partie des policiers de la
pensée multiculturaliste de l'internationalisme bourgeois. Sorel ne
justifie pas la violence en général ni la violence en soi, il la
considère comme un recours, et au milieu d'autres moyens parmi
lesquels évidemment la grève et la manifestation pacifique.
C'est
le syndicalisme révolutionnaire qui théorisait la violence ou sa
menace comme déclencheur de la grève générale éternellement
mythique et même mystique, deux types d'action - qui ne sont pas
révolutionnaires comme Engels et Rosa Luxemburg l'ont démontré -
qui vont s'effondrer au cours des années 1920-1930 avec la mainmise
sur le mouvement syndical par les partis communistes. Stalinisés,
les partis communistes deviennent des interlocuteurs qui peu à peu
régentent des actions désordonnées et plutôt « primitives »
et utopiques du mouvement ouvrier. Les grèves perdent l'aspect
insurrectionnel qu'elles revêtaient souvent à la fin du XIX ème
siècle mais dans une période de montée à la guerre où ces mêmes
partis communistes sont devenus des facteurs d'ordre et de soumission
du prolétariat.
Après
guerre le syndicalisme est complètement intégré à l'Etat dans les
années de reconstruction et de « redistribution sociale ».
Les partis staliniens défendent encore une idée grossière de la
violence dans l'esprit de la résistance nationale contre un unique
ennemi disparu, le fascisme, mais exigent la soumission au pacifisme
national dans la reconstruction. Or : « Reconnaître la
lutte de classe c'est accepter d'emblée la violence comme un de ses
éléments fondamentaux et inhérents à elle »9.
Il
y a une violence révolutionnaire inévitable face à la violence
bourgeoise : « Face à cette violence de plus en plus
sanglante et meurtrière des classes exploiteuses, les classes
exploitées et opprimées ne peuvent opposer que leur propre violence
si elles veulent se libérer (…) La violence de la classe
exploiteuse, inhérente à son être ne peut être arrêtée qu'en la
brisant par la violence révolutionnaire des classes opprimées, mais
encore assure cette victoire à moindre frais de souffrance et de
durée. N'est pas révolutionnaire celui qui émet le moindre doute,
la moindre hésitation à ce sujet »10.
Marc Chirik sort des généralités sur la violence et prend soin de
délimiter dans le temps la violence de classe. Il est encore plus
précis mais plus critique concernant la violence des couches petites
bourgeoises. Il y consacre de longs développement dont nous pouvosn
extraire le plus significatif où il ne méprise ni l'époque des
jacqueries ni l'appoint que les couches petites bourgeoises modernes
peuvent représenter pour le prolétariat contrairement à ses
pauvres épigones du CCI qui auraient dû le relire :
« S'il
est arrivé parfois le long de l'histoire des explosions de colère
et de violence de la part de ces classes, ces explosions restaient
sporadiques et ne sont jamais allées au-delà de jacqueries et
révoltes car aucune autre perspective ne s'ouvrait à elles sinon
d'être écrasées. Dans le capitalisme ces classes perdent
complètement leur indépendance et ne servent que de masse de
manœuvre et d'appui aux affrontements que se livrent les différentes
fractions de la classe dominante tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur des frontières nationales. Dans les moments de crise
révolutionnaire et dans certaines circonstances favorables, le
mécontentement
profond d'une partie de ces classes pourrait servir de force
d'appoint à la lutte du prolétariat »11.
« Ce
qui les caractérise fondamentalement c'est : l'individualisme,
l'impatience, le septicisme, la démoralisation et leurs actions qui
relèvent plus du suicide spectaculaire que d'un but à atteindre.
Ayant perdu « leur passé », n'ayant aucun avenir devant
eux, ils vivent un présent de révolte et la révolte exaspérée
contre la misère de ce présnet ressenti dans l'immédiat et comme
un immédiat. Même s'ils sont en contact avec la classe ouvrière et
son devenir historique ils parviennent à s'inspirer de façon
généralement déformée de ses idéaux, cela dépasse rarement le
niveau de la fantaisie et du rêve. Leur véritable vision de la
réalité reste le champ réduit et borné de la contingence.
L'expression politique de ce courant prend des formes extrêmement
variées qui va de la stricte action individuelle aux différentes
formations de sectes fermées, de conspiration, de complot, de
préparation de « coup d'Etat » minoritaire, d'actions
exemplaires et, à l'extrême, le terrorisme »12.
Il faut donc distinguer en quoi la violence prolétarienne se
distingue de la terreur et du terrorisme des autres classes :
« Le
prolétariat au contraire développe des sentiments tout nouveaux :
de solidarité, de vie collective, de fraternité, de « tous
pour un et un pour tous », d'une libre association de
producteurs, d'une production et d'une consommation socialisées. Et
si l'existence des classes exploiteuses est de : « plonger
toute la société dans un état de terreur sans fin », le
prolétariat, lui, fait appel à l'initiative et à la créativité
des masses et leur sort dans leurs propres mains »13.
En
68, l'idée d'insurrection n'existe que chez les bobos quand la masse
ouvrière ne considère cela que comme du romantisme.
DE
L'USAGE DE LA MENACE DANS LE MOUVEMENT OUVRIER
Observons
rétroactivement de plus près la violence exprimée dans les luttes
de la classe ouvrière encore au début du XX ème siècle. Par
exemple la grève de Draveil-Villeneuve-Saint-George en 1908.
En lutte depuis des mois, les ouvriers de la sablière n’hésitent
pas à utiliser la violence lors des chasses aux «renards»,
du nom donné aux ouvriers briseurs de grèves que le patronat paye
pour remplacer temporairement les grévistes. Lorsqu'il y a des menaces au sein de la classe ouvrière au sein d'une lutte c'est que ça se passe mal, qu'il y a un recul ou une fausse orientation, on ne menace pas de mort un collègue qui ne veut pas faire grève, mais il peut être mis en quarantaine.
Bien que se méfiant «des masses déchaînées, souvent inconscientes», comme les décrit Gustave Hervé dans La Guerre Sociale, les socialistes –qui ont pour objectif à l’époque (mais seulement à l'époque) de détruire le capitalisme– soutiennent les manifestations. De son côté, Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de l’Intérieur et leader des radicaux, entend comme Emmanuel Macron, défendre «l'ordre légal pour les réformes contre la révolution». Il fait alors arrêter trente-et-un dirigeants de la CGT. Une crise qui débouche sur l’assassinat par la police de deux grévistes le 2 juin. Cette tragédie ne calme cependant pas les ardeurs du mouvement ouvrier, qui poursuit durant des années ses manifestations violentes, avec le soutien critique des socialistes et la désapprobation de la gauche républicaine14.
Bien que se méfiant «des masses déchaînées, souvent inconscientes», comme les décrit Gustave Hervé dans La Guerre Sociale, les socialistes –qui ont pour objectif à l’époque (mais seulement à l'époque) de détruire le capitalisme– soutiennent les manifestations. De son côté, Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de l’Intérieur et leader des radicaux, entend comme Emmanuel Macron, défendre «l'ordre légal pour les réformes contre la révolution». Il fait alors arrêter trente-et-un dirigeants de la CGT. Une crise qui débouche sur l’assassinat par la police de deux grévistes le 2 juin. Cette tragédie ne calme cependant pas les ardeurs du mouvement ouvrier, qui poursuit durant des années ses manifestations violentes, avec le soutien critique des socialistes et la désapprobation de la gauche républicaine14.
A
l'époque du 1er mai 1919, Danielle Tartakowsky constate une violence
qui reprend des formes du passé, comme mai 68 avait repris la forme
anachronique des barricades :
« La
violence ainsi comprise n'est qu'une des formes de l'action directe
dont ils se réclamaient avant guerre. Certains veulent y voir
l'occasion d'une fraternisation avec l'armée et d'autres le moyen
d'enclencher le processus pouvant conduire au "grand soir".
Les objectifs qu'ils lui assignent répondent de ce qu'ils
refusent les interdictions dont leurs rassemblements font l'objet en
assumant la probable violence qui découle de leur maintien. "On
forcera les barrages"
déclarent certains dirigeants de la région parisienne à la veille
du premier mai 1919. Et d'autres : "Les
bourgeois ont peur, le gouvernement tremble ; quant aux flics,
ils savent depuis la manifestation Jaurès comment les cheminots se
défendent si on veut les empêcher de manifester pour la justice et
pour le droit.
Tous avec des bannières syndicales ! Si
on veut nous barrer la route, nous cognerons !"
. Les métallurgistes de l'Isère promettent pareillement, en
décembre, d'être calmes "si la police ne les tracasse pas"
mais se refusent à répondre à d'éventuels incidents dans le cas
contraire : "c'est moi qui porterait le drapeau, déclare
leur secrétaire. Si la police enlève l'étoffe, ils n'enlèveront
pas la hampe". Un jeune délégué qui assiste pour la première
fois à la CE de l'union des syndicats de la Seine affirme encore,
nonobstant les récentes leçons du premier mai, qu'il sortira le 21
juillet
dans la rue avec un revolver et que si on vient le provoquer, il
saura s'en servir", etc....
Seulement
la violence qui, de fait, s'exprime à Paris les premier mai 1919 et
1920 ou lors des grèves de Brest et de Vienne en particulier
prend
exclusivement pour cible ces agents de l'appareil d'Etat que sont les
forces de l'ordre et évite toute autre incarnation, (fût-elle
symbolique) plus centrale15.
La SFIO qui appelait à manifester "contre le verdict et pour
honorer Jaurès" après l'acquittement de Villain avait
organisé, en dépit de l'ordre des facteurs énoncés, un cortège
identitaire qui ne prenait aucunement pour cible le Palais de
justice ; les libertaires qui investissent ce cortège ne
tentent à aucun moment d'en détourner le cours ; la
manifestation parisienne du premier mai 1919 n'essaie pas davantage
de forcer les barrages protégeant les édifices publics et
s'éloigne, au contraire, d'eux, la journée durant, pour élever
dans l'Est parisien des barricades qui ne répondent à aucun autre
impératif stratégique que l'occupation de la rue. "C'est
dommage qu'on n'ait pas eu d'armes car les soldats ne nous auraient
pas empêché de passer" déclarent, de leur côté, les dockers
de Brest en juin 1919
mais leur objectif ne parait déterminé que par l'interdiction qui
leur est faite de l'atteindre et la rue dont ils se réclament ne
mène nulle part et du moins pas au Palais d'Hiver. Et seul un
dirigeant syndicaliste de Bordeaux pour qui l'action révolutionnaire
consiste "à descendre dans la rue avec des revolvers, des
fusils, des mitrailleuses en renversant ce gouvernement de bandits"
parait conférer alors à la rue (et à la violence, tenue pour
synonyme) une fonction stratégique. Sous l'espèce, notons le
pourtant, d'une simple définition. Ajoutons
que la violence que subit alors le mouvement ouvrier ne constitue
aucunement le levier escompté pour entraîner les masses dans des
voies plus radicales.
La riposte à la mort de deux manifestants le premier mai 1919 à
Paris puis de trois autres le premier mai suivant en apporte la
preuve. Le
principe d'une grève générale, envisagée un temps en 1919 est
abandonné et
les obsèques dont l'Union des syndicats de la Seine est le maître
d'oeuvre s'inscrivent pleinement dans la conception socialiste qui ne
veut voir en ces morts que ces "grands convertisseurs"
invoqués en d'autres temps par George Clémenceau. Ils ne
s'accompagnent en mai 1919 d'aucun mouvement de sympathie en province
et se déroulent l'année suivante dans une totale discrétion.
La violence dont les syndicalistes révolutionnaires se réclament ne
prétend donc qu'exceptionnellement à une finalité autre que
l'affirmation d'une identité de classe et demeure inscrite à plus
d'un titre dans une perspective sorélienne.
Elle
n'enclenche en aucune manière le cycle
provocation/répression/mobilisation escompté par d'aucuns et
produit bien au contraire un effet d'autant plus démobilisateur que
le "retour à la normale" est partout à l'ordre du jour.
La
violence perd même dès 1920 toute centralité dans la réflexion de
ceux qui l'avaient jusqu'alors revendiquée et disparaît
simultanément de la scène parisienne où son exercice a toujours
une portée ou une intention plus stratégique qu'ailleurs.
Les manifestations qui rythment traditionnellement les longs
mouvements de grèves demeurent par contre, en province, la fréquente
occasion d'une violence verbale qui s'exerce à l'encontre du
patronat en revêtant d'abord et avant tout une dimension
carnavalesque
quand
il ne s’agit pas d'une violence parfois moins symbolique qui s'en
prend aux jaunes et/ou aux usines refusant de fermer leurs portes.
Ces manifestations qui doivent à leur dimension traditionnelle de
jouir d'une tolérance plus forte que les démonstrations politiques
sont donc l'occasion d'une violence au quotidien dont les
manifestants sont cette fois les évidents initiateurs mais dont les
effets sont rarement dramatiques. Les organisations syndicales
responsables qui le plus souvent sont adhérentes à la CGTU les
tiennent, du reste, pour un épiphénomène coutumier dont on ne
saurait s'émouvoir. Les
maires ou plus souvent les préfets qui ne peuvent tolérer très
longtemps ces atteintes à la liberté du travail, interdisent
pourtant le plus souvent après quelques semaines ce qu'ils
toléraient en début de grève et mobilisent des forces susceptibles
de faire respecter les interdits en enclenchant alors presque
toujours le processus qui conduit à l'émergence d'affrontements
violents avec les forces de l'ordre.
C'est ce qui se produit en 1922 lors de la grève des métallurgistes
du Havre où les manifestations qui succèdent aux manifestations
changent brutalement de caractère après que le maire ait été
démis de ses pouvoirs de police et que tous les rassemblements,
fût-ce en lieu clos, se soient vus interdire. Des barricades se
dressent et de violents affrontements se produisent au cours desquels
quatre ouvriers trouvent la mort le 26 août. Le gouvernement et les
grands organes de presse soutiennent la thèse d'une agression
préalable des militants ouvriers qui aurait mis les forces de
l'ordre en situation de légitime défense et les aurait contraint à
tirer. Ils
prennent argument de ces barricades qui resurgissent quand on les
croyait remisées au magasin des accessoires pour dénoncer le péril
politique que ferait courir la manifestation en agitant le spectre de
la Commune.
Les syndicats unitaires qui sont depuis l'origine à la tête du
mouvement ne reprennent pas en compte cette comparaison qui, sous
leur plume, deviendrait pourtant positive et permettrait d'inscrire
la grève dans une tradition de hauts faits. La
Vie Ouvrière ne confère à ces barricades incriminées d'autre
fonction que défensive. L'Humanité récuse quant à elle la thèse
gouvernementale en prenant appui sur la sociologie des victimes pour
imputer aux forces de l'ordre la pleine et entière responsabilité
des événements inscrit la grève du Havre dans la litanie déjà
longue de la violence subie.
Et c'est en invoquant pareillement Fourmies que Georges Laffont
interpelle alors le gouvernement sur ces événements »16.
Les
luttes d'usine des premières années de l'an 2000 ont été
présentées comme une résurgence d'un syndicalisme révolutionnaire
disparu, de violences résurgences de pratiques caduques, or c'est
faux. Les
conflits liés aux restructurations industrielles menées dans le
textile, la sidérurgie et la chimie auraient exprimé une violence
primitive: Daewo (1999) à Metaleurop (2002-2003) Goodyear
(2008-2009), Caterpillar (2009) et New Fabbris (2009), sont présentés
comme des luttes « désespérées », comme le mouvement
des gilets jaunes qui est présenté, par tous les médias de l'Etat,
soit comme désespérant soit de « couches périphériques à
l'abandon ». A part l'exaltation de cas limités par les bobos
gauchistes ou de syndicalistes fort en gueule, sur
la période 2002-2004, des modalités d’action telles que les
« occupations avec séquestration » ou « les
menaces de destruction de biens ou de dommages à l’environnement »
ont été relativement marginales.
La
petite bourgeoisie professe le culte de la violence lorsqu'elle est
touchée par la crise. Sa haine n'a plus de bornes. Le meurtre lui
semble la meilleure méthode pour la « vengeance ». La
stratégie du blocage si elle devient une fin en elle-même c'est
bien parce qu'elle est le seul mode d'action de l'épicier. Elle
s'apparente finalement au sabotage du syndicalisme révolutionnaire
caduque, avec diverses « opérations coup de poing »
propres aux camarillas syndicales sectaires, qui sont légitimées
comme « préparation à la grève générale » par les
groupes gauchistes, qui ont toutefois raté le coche avec les gilets
en restant complices (écologiquement) avec le gouvernement.
La
violence occasionelle ou ponctuelle est plus la traduction d'un
sentiment d'impuissance à finalement mobiliser des ouvriers devenus
fatalistes et restant enfermés dans l'impasse corporatiste. D'où le
déclin de la confiance dans les syndicats particulièrement dans le
cadre des corporations privées face aux charivaris des actions
« coup de bois » devant un amas de pneus brûlant et
enfumant leurs amis écologistes. Les représentants syndicaux
désolidarisés des « salauds » des fédérations
n'étaient capables que de « radicaliser » dans des
actions anarchistes stériles : pollution de la Meuse, explosion
de cuves d'acide. Xavier Vigna a très bien montré ces
radicalisations somme toute limitées et sans avenir ni solution à
court terme pour les licenciés.
C'est
un fait que le choix des méthodes d'action influe directement sur la
possibilité de généraliser la lutte ou pas. Le fait d'assumer de
façon plus large sur le territoire qu'au niveau local ou régional
dans le cas des grèves dures qu'on vient d'évoquer, des pratiques
illégales ou des formes de violence symbolique (blocage des routes,
etc.) a développé la popularité des gilets jaunes. Ils sortaient
du ronron syndical inoffensif et posaient une vieille demande du
mouvement ouvrier, la fraternisation de toutes les basses couches de
la société. On finit cependant par tourner en rond et se bercer de
la rengaine fallacieuse « ça va péter », et ça ne
pètera pas dans les limites actuelles.
Les
pratiques de blocage ne peuvent rester une fin en soi pour « faire
plier le gouvernement », qui a déjà d'ailleurs plié en
partie, quoique superficiellement, mais pas pour toute la population.
Gaffe. Le gouvernement lui lit Sun Tzu. Or se contenter d'envoyer à
un nouveau casse-pipe les gilets jaunes si c'est bien la méthode
lâche des petits chefs substitutionnistes est un crime, même en
faisant croire que les flics pourraient être débordés et ne
disposeraient pus du stock nécessaires de lacrymos. S'ils sont
vraiment débordés ils ont demandé à pouvoir tirer ! Qui va
prétendre jouer au petit bolechevique qui va s'emparer du palais
d'hiver de l'Elysée ? Les Eric et Priscilla, Jacline Mouriaud
et Maxime la casquette à l'envers, les pourris Barnaba et
Chalençon ?
Une
nouvelle violence désordonnée peut aussi complètement
décrédibiliser le mouvement que toutes les magouilles politicardes
et syndicales réunies. Quelles solutions ?
Il
ne faut pas se mentir. Le mouvement est disparate, sans colonne
vertébrale ? Véritable poulpe il peut être pénétré par
n'importe quel parti politique ou engeance syndicale s'il n'est pas
capable de grandir en organisme. Mais comme constiuer un organisme,
une organsation et sur quels critères quand cela circule en tous
sens, où Pierre peut-être là au barrage un jour mais Paul le
remplacer le lendemain ? La grève elle, lorsqu'elle n'est pas
le jouet des syndicats, peut se doter d'une organisation sur la base
d'une AG quotidienne des grévistes, mais aux rond-points avec la
boulangère et le petit mitron, le patron des camionneurs et une
poignée de retraités, comment s'organiser, sur quelles bases ?
Franchement je ne vois pas. Sauf à se relier à l'esprit de clocher.
C'est pourquoi, même si je n'ai pas choqué (et que ma proposition
n'a pas été mise aux voix par les magouilleurs petits bourgeois qui
tenaient la salle) je maintiens que c'est la qualité sociologique de
la majorité (ouvrière) qui me permettait de proposer l'élection
d'un « Conseil ouvrier » et pas une vue de l'esprit.
Diverses inventions se sont succédé, dont une représentation
régionale, une bêtise, n'importe quel parti pourrait la phagocyter.
Incapable d'inventer de nouvelles formes pour sa lutte, le mouvement
risque à brève échéance de décliner, s'avérant incapable de se
prendre en charge, laissant certaines de ses composantes se
marginaliser dans le mythe de la violence salvatrice quand les autres
se démoraliseront. Maintenir la flamme du gilet inconnu c'est en
appeler au contrôle des orientations les plus décisives et pour
cela exiger des AG non contrôlés par les petits bourgeois et les
petits patrons. Le mouvement ne peut pas non plus se laisser
défigurer par la fausse « radicalité » des bobos de
campagne, des déclassés et des marginaux, et leur chantage à la
violence « révolutionnaire ». La violence n'est pas
révolutionnaire. Elle est le plus souvent de notre part une défense
ou un moyen temporaire. Le petit bourgeois pousse-au-crime qui, par
son individualisme exacerbé, professe une horreur apparente de la
politique (comme réflexion) refuse toute identité sociale pour ne
parler que de ses besoins personnels.
Des
formes d'action supérieures : Assemblées Générales de rue et
par retransmission télévisée (à la façon de Pujadas mais sans
Pujadas)17,
coordination directe des lieux de lutte par chaînes de télévision
contrôlées par les travailleurs et non via les dédales du web,
puisqu'on a posé la nécessité de la fin de négociations secrètes
avec les envoyés gouvernementaux. On a quand même l'impression que
ce mouvement a moins d'imagination que celui de 68.
NOTES
1Ce
texte publié dans la première revue nommée « Révolution
internationale » mit en rogne Guy Debord qui en fait une
critique superficielle dans le dernier numéro de l'internationale
situationniste ; Marc se moque excellement de la bande de
littérateurs situs. Encore une citation lumineuse propre à
indisposer nos bobos d'aujourd'hui : « « Dans
ces conditions, la crise apparaît dès ses premières
manifestations pour ce qu'elle est. Dès ses premiers symptômes,
elle verra surgir dan tous les pays, des réactions de plus en plus
violentes des masses ». (ibid)
« Là
où pour les situationnistes le problème de la révolution se pose
en termes « d'entraîner », ne serait-ce que par des
actions exemplaires, il se pose pour nous en terme d'un mouvement
spontané des masses du prolétariat, amenées forcément à se
soulever contre un système économique en désarroi et en déclin,
qui ne leur offre plus désormais que la misère croissante et la
destruction, en plus de l'exploitation ». (le même)
2Patrice
Ribeiro, de Synergie-Officiers, ne dit pas autre chose : «
Le risque est trop important et il est dans les deux sens, car un
policier ou un gendarme lynché peut un jour sortir son arme et
tirer, s'il sent sa vie en danger »,
déclare-t-il au quotidien. Et d'ajouter : « Le
président doit savoir pourquoi nous sommes en partie désarmés
face aux casseurs. Il faut pouvoir lui parler sans passer par le
filtre de Beauvau. »
3Le
penseur marxiste probablement le plus important et ignoré de la fin
du XX e siècle, Marc Chirik, a fort bien, à la suite de Sorel,
mais plus profondément, montré les limites de la violence, même
dans la période révolutionnaire dont « la violence est
l'outil le moins important de cette transformation
(révolutionnaire) » (cf. Sur l'Etat du prolétariat, MC et le
CCI tome II, p. 105), textes rassemblés par Pierre Hempel,
consultables à la Bibliothèque nationale et à l'institut
d'Amsterdam)..
4http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/12/03/01016-20181203ARTFIG00303-au-tribunal-peu-de-casseurs-mais-des-gilets-jaunes-hebetes.php
5En
une seule journée à Paris, la police a tiré des volumes parfois
plus importants que sur toute une année en France. Selon les bilans
consultés par Libération,
pour les seules compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les
compagnies de sécurisation et d’intervention de la préfecture de
police (CSI), ont été comptabilisés plus de 8 000 grenades
lacrymogènes, 1 193 tirs au lanceur de balles en caoutchouc,
1 040 grenades de désencerclement et 339 grenades GLI-F4,
munition composée notamment d’une charge explosive de 25 grammes
de TNT.
7Le
blocage du dépôt de Grand Quevilly, près de Rouen, débuté à 3h
du matin par la CGT et des "gilets jaunes", a été levé
"dans
le calme à 16h30",
selon la préfecture, et celui de Fos-sur-Mer (Bouches du Rhône),
débloqué à la mi-journée. Ce
dernier point d'action était critiqué jusqu'au sein du mouvement
des "gilets jaunes". "L'opération
est pilotée en dehors de nous",
a déclaré à l'AFP Chantal, une des coordinatrices du mouvement en
région Alpes-Côte-d'Azur.
8Je
pense qu'il a d'ailleurs fortement influencé le maître à penser
du CCI, Marc Chirik, qui m'avait fait découvrir Sorel et conseillé
de le lire.
9Marc
Chirik : Terreur, terrorisme et violence de classe , 1980.
Texte extraordinaire que j'ai compilé dans ses œuvres (presque)
complètes et que vous pouvez lire sur le site du CCI.
10Ibid.
11Ibid.
12Ibid.
13Ibid.
14Manifestations ouvrières et théories de la violence : 1919-1934
15Sic
comme les activistes gauchistes et black bloc de nos jours.
16Manifestations
ouvrières et théorie de la violence : 1919-1934.
17C'était
un de nos rêves avec feu Jean-Pierre Hébert en 1968, des Conseils
ouvriers reliés entre eux par les canaux de télévision (à mon
avis c'est une idée qui devait venir de nos aînés de S ou B).
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