"La suppression de la propriété privée... suppose, enfin, un processus universel d’appropriation qui repose nécessairement sur l’union universelle du prolétariat : elle suppose « une union obligatoirement universelle à son tour, de par le caractère du prolétariat lui-même » et une « révolution qui (...) développera le caractère universel du prolétariat ».
Marx (L'idéologie allemande)

«Devant le déchaînement du mal, les hommes, ne sachant que devenir,
cessèrent de respecter la loi divine ou humaine. »

Thucydide

mardi 4 décembre 2018

QUI SONT LES LACHES QUI APPELLENT AU CASSE-PIPE A PARIS SAMEDI ?


Contre la stratégie des épiciers poujadistes

« Bien que «la haine soit susceptible de provoquer le désordre, de mettre à bas une organisation sociale, de plonger un pays dans une période de révolution sanglante […], elle ne produit rien».
Georges Sorel

« L’ordre public est devenu très dur en France depuis un certain temps", convient un ancien haut responsable du ministère de l’Intérieur ».

«Cette collision dont parle Marx, se manifeste par des bouleversementséconomiques, comme les crises, les guerres impérialistes et les convulsions sociales. Tous les penseurs marxistes ont insisté sur le fait que pour qu'on puisse parler d'une période révolutionnaire, « il ne suffit pas que les ouvriers ne veuillent plus, il faut encore que les capitalistes ne puissent plus continuer comme auparavant ». Marc Chirik (Comprendre mai, 1969)1

La guerre des classes c'est aussi parfois deux armées qui se font face où se passer de stratégie et d'intelligence des enjeux peut mener l'une à sa perte. L'armée des gilets jaunes est bien sûr une armée mexicaine avec une noria de chefaillons petits bourgeois incapables et ergoteurs, vendeurs de salades « populaires » et qui, depuis le début font croire aux prolétaires qu'ils appartiennent à la même « couche moyenne » qu'eux. Quand des généraux d'une armée proposent un moratoire, il y a toujours des sous-officiers imbéciles qui crient « pas question ! Fonçons dans le tas ! ». Les généraux de la macronie ont certes proposé un cessez-le-feu avec des broquilles qui ne sont qu'une nouvelle entourloupe et ils restent menaçants pour toute nouvelle grande casse à Paris. Ils ont renforcé le nombre de leurs soudards et promis une prime. Leurs snipers seront à nouveau sur les toits. L'armée des gilets jaunes se la pète inconsciemment si elle pense emporter la mise avec des gens de tout bord sous uniforme jaune. Ses stratèges les moins stupides auraient tout intérêt à lire Sun Tzu : 

« la guerre consiste fondamentalement en la recherche d’un avantage comparatif, et il s’agit moins d’anéantir l’adversaire que de lui faire perdre l’envie de se battre. Ce deuxième point implique de faire un usage de la force qui soit justement proportionné à la nature de l’objectif politique poursuivi. Il est fondamental, chez Sun Tzu, de s’économiser, de ruser, de déstabiliser, et de ne laisser au choc que le rôle de coup de grâce assené à un ennemi désemparé ».

Des zozos invisibles avec un intitulé "Acte 4 Paris Insurrection !" appellent à un blocage des raffineries et des ports dès mardi, et à une manifestation à Paris samedi pour "continuer le combat" en l'absence de "réponse satisfaisante de la part du président et du Premier ministre". Le lieu de ce rassemblement, initié par le compte "gilets jaunes officiels", ne serait communiqué qu'au "dernier moment". Ce lundi matin, 2500 personnes avaient annoncé leur participation, et 14 000 se disaient intéressées.Mais l'événement qui agrège le plus de personnes sur les réseaux sociaux reste un appel à manifester "pacifiquement" dans un cortège au départ de la place de la Bastille à 14h.

En réalité sous cet œcuménisme et la phrase anarchiste « Acte 4 insurrection », il y a surtout d'irresponsables petits entrepreneurs à la Barnaba et Chalençon qui, pour avoir brillé sur les plateaux de TV, se préparent un avenir en « députation » comme de vulgaires Poujade. Ces gens sont à vomir parce que, alors qu'ils ne s'exposeront pas eux, ils envoient au casse-pipe de nombreux jeunes prolétaires et de plus énormément de jeunes lycéens qui vont se faire matraquer durement en croyant « faire leur mai 68 ». Il pourrait y avoir des morts vu la haine accumulée des deux côtés samedi dernier à la revoyure des vidéos des bagarres de rue, tant de la part des manifestants dont les leurs ont été salement condamnés par la justice de classe que de la part des CRS souvent exposés dangereusement et sans pouvoir répondre2. Si un organisme, réellement représentatif de l'armée des gilets jaunes avait existé il aurait dit stop comme je le dis : « laissons les troupes se reposer et ravaler leur rancoeur... mais peut-être aussi faut-il changer de stratégie ? Bloquer ça va un moment ce n'est pas ce qui va débloquer le SMIC, cela seule une grève «généralisée » des prolétaires sans commandement syndical peut l'assumer, ce qui est le cadet des soucis des petits bourgeois sous masque encore « apolitique » et ceux du RN comme de FI. Le mouvement n'est pas condamné à rester sous l'emprise des bobos provinciaux. Saura-t-il s'assumer pour ce qu'il est dans le fond : une révolte des couches paupérisées de la classe ouvrière mais qui se laissent encore embarquer derrière des actions circulaires et violentes de petits bourgeois arrivistes ? Qu'il y ait des morts ou pas, je le répète comme pour l'acte III, ce genre de manif ne sert à rien en l'état actuel des choses si le mouvement ne se donne pas les moyens de « réfléchir » à ses buts réels. Je me permets de livrer aussi cette habile réflexion de Sun Tzu à ceux qui me liront et qui iront ou pas place de la Bastille où on leur fera croire que c'est possible de refaire 1789 :
« « Toute campagne guerrière doit être réglée sur le semblant ; feignez le désordre, ne manquez jamais d’offrir un appât à l’ennemi pour le leurrer, simulez l’infériorité pour encourager son arrogance, sachez attiser son courroux pour mieux le plonger dans la confusion : sa convoitise le lancera sur vous pour s’y briser. »


L'emblématique des gilets jaunes va-t-elle grandir ou pâlir ?

Jusqu'ici les menaces gouvernementales alternaient avec les manœuvres de couloir. La confusion s'ajoutait à la forfanterie. Le patelin ministre de l'intérieur lisait hier pratiquement toutes ses réponses déjà écrites au milieu d'une commission parlementaire où les politiciens de tout bord se bousculaient pour flatter la police à qui mieux mieux. Le ton du ministre restait volontairement monocorde sans élever jamais le ton. Il victimisait l'Etat confronté à ce méprisable « mouvement incapable de se structurer » où « l'Etat se retrouve seul à gérer ». Le ton paternaliste et monocorde était volontaire pour mieux voiler l'affolement de l'élite devant une situation d'une dangerosité supérieure à celle de mai 68. Ce ne sont pas simplement les figurines CRS, cibles habituelles des simplistes gauchistes, qui ont été visées mais les lieux de l'Etat. Même si l'Elysée est mieux préservé que la prunelle des yeux de Brigitte, en plusieurs endroits en France ce sont des préfectures qui ont été incendiées, sans oublier les gros affrontements à la Réunion. Du jamais vu depuis l'avant-guerre. Certes mais il y a aussi la présence au sein des gilets jaunes d'un étrange terrorisme.

Pas un mot, pas de dénonciation sur ces menaces de mort contre les gilets jaunes les plus pacifistes, certes plus ou moins élus ? Comme si cela était normal... Parce que les députés ont eu leurs résidences secondaires surveillées et taguées elles aussi par des sans-culottes en cagoule? Etrange aussi ces bobos commerçants qui se sont autoproclamés leaders ; ont-ils autorité pour « faire la loi » sur un mouvement qui les dépasse dans sa détermination ainsi que les journalistes  éberlués? Quand chaque nouvelle « ouverture » ou prétendue « écoute » du gouvernement jette de l'huile sur le feu dans une spirale infernale dont nul ne connait l'aboutissement ?

Le patelin ministre policier, qui est capable de mentir comme il respire, nous avait bien égrené un échantillon de ceux qui ont été arrêtés ou il n'apparait nulle vérification de ses bobards sur une mythique droite ultra qui aurait conduit l'émeute ou même l'aurait organisée. « Au tribunal peu de casseurs mais des gilets jaunes hébétés » (titre du Figaro). Surtout des prolétaires disposant d'un salaire, pas forcément des plus bas. Plusieurs routiers ; ceux-ci ne sont certes pas la quintessence ni le meilleur de la classe ouvrière, mais il est normal qu'ils se soient trouvés au premier plan avec la question du gazole ; c'est d'abord une remise en cause pour eux d'un outil de travail. Leur boulot est plutôt de type individuel et leur syndicat tout trouvé est le web, meilleur canal de l'individualisme. On a fait circuler des images de violences des CRS : choquantes et du genre acharnement à six ou sept contre un homme à terre ; il y a eu de nombreux blessés au visage ou aux jambes par des grenades spéciales que les troupes de soudards jettent sans discernement sur les manifestants... Les pleurnicheries de tous les députés, en transes nationales, pour « nos » pauvres CRS, sont honteuses et lâches. Ils font mine par après de déplorer le gouffre entre la population et les élus, mais la tête en sang des manifestants ne les touche pas plus que les bourgeois dans leurs ghettos de riches, sauf la Porsche cramée parce que Valentin avait oublié de la garer au sous-sol.

La violence en soi de nombreux manifestants n'est pas un critère indiscutable de légitimité3. Des pillards se sont fait tabasser particulièrement, quoique je ne trouve pas normal qu'on s'acharne à plusieurs casqués sur un pillard à terre. Il est plus grave selon moi que nombre de manifestants en province comme à Paris aient été tabassés aussi lâchement et que Messieurs le ministre et ses confrères députés n'aient pas eu un mot de courtoisie pour des gens qui utilisaient seulement « le droit sacré de manifester » (dixit Castaner)4.

Le danger qui guette au moment présent les gilets jaunes, mais pour le moyen terme, est évidemment la dernière roue de secours de la bourgeoisie en cas de crise aggravée et de morts samedi prochain : les meneurs auto-désignés petits patrons et commerçants, que les ouvriers si présents sur les barrages ont eu le tort de laisser téléguider le mouvement dans les formes les plus anti-ouvrières : brutalités de certains barrages, absence d'AG décisionnelle, interdiction de discuter politique, actions moutonnières, menaces de mort. Ils postulent à prendre la place du pouvoir avec leur revendication facho et creuse de « pouvoir au peuple». Les couches petites bourgeoises sont en général dans les préliminaires des révolutions et des protestations « populaires » par leur impulsivité et réactivité à la douleur de perte de leur statut social « très moyen ». Hélas, intellectuellement, les petits entrepreneurs locaux qui drivaient des bandes dispersées n'ont eu aucun mal à dominer des routiers, des retraités modestes et des infirmières. Ce n'est pas obligatoire de continuer à se laisser berner par ces cadors de « couche moyenne » finalement étrangers à la classe ouvrière ! Et aux méthodes plus que douteuses ! Sans oublier de noter la complaisance du pouvoir à leur égard. Ces gens ne valent pas mieux que le lumpen qui vient briser les vitrines.

LE POUVOIR NE CROIT PLUS CALMER LE JEU PAR LA SIMPLE REPRESSION MAIS IL EN USERA ENCORE

Néanmoins, il faut reconnaître que, avec ses deux pièges en « fanzone » pour les deux dernières grandes casses à Paris et une police qui « n'entre pas au contact » systématiquement, le pouvoir a limité les dégâts humains ; même s'il y a de nombreux estropiés, il n'y a pas de morts. Tuer en masse comme la gendarmerie se le permettait au XIXe siècle entraînait illico de vraies insurrections pas genre carnaval black bloc ou tarnaciens en goguette.
Depuis dimanche pourtant l'heure était au sermon pieusement républicain après « la guerre civile » qui avait tant ravagé les beaux quartiers. Tous les journalistes avaient le doigt sur la couture du pantalon et l'ordre était de dénoncer « en continu » les « déprédations » et d'exhiber les images de la grande casse dans les quartiers bourgeois et surtout pointer sur la « profanation » infligée au portique hypocrite de 14-18. Pauvres journalistes qui se plaignent de recevoir des coups de pieds au cul ! L'audience de leurs chaînes chutait depuis dimanche puisque le grand sermonneur n'avait plus le jus pour sermonner après son escapade ratée avenue Kléber. Du coup la convocation du sous-fifre Castaner devant une commission parlementaire eu plus l'air d'un tribunal populaire demandant des comptes à un ministre « incapable ». Aïe ! encore une image de perdue pour le pouvoir dans la bataille des images !
Le pouvoir s'enfonce mais ne se rend pas. Pire, si le mouvement s'amplifie il n'y aura pas assez de flics pour l'endiguer (mais ce n'est pas vrai) ; il n'y aurait plus assez de bombes acrymos, toutes les réserves du territoire français auraient été épuisées en une journée pour la seule émeute parisienne !5 Franchement il y a de quoi être en émoi pour l'ordre sociel et baiser les pieds de nos soudards. Une évidence que les flics, un jour, ne seront plus assez nombreux pour « tenir » ou « tabasser » la population entière que le jour où on sera en grève généralisée et pas sous le commandement du petit commerçant du coin activiste et histrion! Et c'est pas demain la veille que « la police sera avec nous ».

Cependant, comme on n'est pas sous Pétain ou Hitler, aucune manifestation ne peut être interdite ! Les premiers appeurés, les flics en uniforme ou en habit de black bloc, ne cessent de récriminer auprès de leurs supérieurs en demandant le renfort de leurs potes militaires : « Le maintien de l’ordre à la papa? C’est terminé", tonne David Le Bars, patron du syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN-Unsa). "Nous ne sommes plus dans des manifestations classiques mais dans un phénomène de guérilla urbaine". Les piliers du maintien de l’ordre à la française consistent à éviter la confrontation, à mettre à distance les manifestants et graduer les moyens de ripostes (eux ils appliquent Sun Tzu). Les syndicats policiers appellent à un changement de "paradigme" ». Les commissaires de police ont certainement un langage plus riche que les routiers gilets jaunes mais ils sont obligés d'obéir à leurs maîtres et ne peuvent pas empêcher ni manifestation ni émeutes en claquant des doigts. C'est tout bête, pour interdire une manifestation encore faut-il qu’elle ait été déclarée en préfecture. Donc il suffit de ne pas la déclarer, ce qui a été compris par la plupart des gilets jaunes ou sans !
De même qu'on nous fait subir à la TV des « spécialistes des mouvements sociaux » ou des « élaborateurs de revendications syndicales », il faut parfois tendre l'oreille à des spécialistes « de la sécurité intérieure » et qui disent parfois d'intéressantes choses : « La grande force de ce mouvement paradoxalement, c’est qu’ils sont rétifs à toute forme d’organisation, il n'y a pas d'interlocuteur classique. Les autorités préfectorales et le ministère de l’Intérieur sont complètement désarçonnés. Les outils de régulation habituelle fonctionnent toujours sur l’existence d’organisations pré-identifiées. Or là on ne sait pas trop ce qu’ils ont prévu de faire ».

Interdire une manifestation suppose également de pouvoir faire respecter l’interdiction. "Il faut être en mesure de pouvoir la faire appliquer, puisqu’on a des gens déterminés qui viendront de toutes les façons", a souligné le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, Laurent Nuñez. En juillet 2014, une manifestation pro-palestinienne interdite par la préfecture avait dégénéré dans le nord de la capitale. L'Etat d'urgence serait trop assimilé à la lutte antiterroriste et le gouvernement perdrait encore un point dans la bataille des images et des recettes pour gagner « l'opinion publique ». Le pouvoir « prévient » pourtant, avec Jacline Mouraud (qui se fait menacer et traîner dans la boue, nos sans culottes vont-ils la tondre s'ils parviennent à accrocher la tête de Macron aux grilles de l'Elysée?), et par la voix de personnalités bienveillantes, qu'il « déconseille » cette manifestation. Castaner n'allait pas appeler à soutenir cette manifestation, mais en la "déconseillant", il motive encore plus tous ceux qui vont foncer à nouveau tête baissée y voyant "le grand soir", quoique avec des lendemains douloureux et judiciaires; par ailleurs, en tant que premier flic de France bourgeoise il ne cache pas que s'il faut tirer dans le tas pour sauver le meubles, il l'assumera dans une situation inédite ou pas mais où le pouvoir compte à la fois sur les CRS et sur les  syndicats FO et CGT.
Cellule de crise, annonce de prochaines mesures « fortes »... en réalité, alors que les dégâts des émeutes sont très élevés, mais ne posent pas problème aux caisses vides de l'Etat qui s'est engagé à payer (pour ces pauvres victimes du 16 ème et une prime aux CRS tabasseurs) alors que cela lui arracherait la gueule d'augmenter sérieusement le SMIC. C'est encore le bazar partout en France, blocages qui se poursuivent, raffineries bloquées (mais pas pour longtemps la CGT s'en occupe) et pénuries d'essence dans plusieurs villes... les baratineurs du gouvernement et leurs bandes de crétins députés ne pourront pas tenir trois mois, les industriels et les banquiers commencent à piaffer d'impatience. La cour de récré devrait avoir une fin avec tous les milliards perdus à cause des blocages !

La question de la violence de classe sera abordée par après et on tentera d'éclaircir ces étranges menaces de mort contre des délégués des gilets jaunes non reconnus, pour examiner d'où elles peuvent provenir et l'expliquerai pourquoi ce type de chantage est complètement étranger à la « violence prolétarienne ». Classiquement dans le mouvement ouvrier révolutionnaire, lorsque l'on parle de délégués élus et révocables, on n'imagine même pas qu'il faille les menacer de mort s'ils ne défendent plus ce pour quoi ils ont été élus ; bon ceux qui trahissent, en période révolution par collusion avec la police, ils passent à la casserole ; si telle était la règle actuellement la plupart des prétendus officiels des gilets jaunes passeraient au peloton d'exécution...
L'insistance mise par les médias vendus sur ces méthodes terroristes vise à atténuer une autre raison plus fondamentale, le mouvement a compris qu'il n'y avait aucun délégué à envoyer à un gouvernement disons quelque peu facho :
"Nous n’irons pas puisque les ministres ont défini qu’ils ne changeraient pas leur cap", affirme Cédric Guémy. "On ira rencontrer [le Premier ministre] quand il sera prêt véritablement à négocier, et non pas seulement à nous faire une leçon de méthodologie", estime lui aussi Benjamin Cauchy, interrogé par franceinfo. Cette figure des "gilets jaunes" en Occitanie "ne souhaite pas être instrumentalisé et être des marionnettes d’une communication politique sans issue". "Depuis ce matin, les députés de LREM expliquent en long, en large et en travers que le gouvernement ne changera pas de cap. En ce sens, il n’est aucunement utile de nous y rendre".
Ce jour est un mardi noir pour la macronie qui plastronnait ne pas vouloir changer de cap mais veut bien concéder un moratoire pour un « apaisement de la plèbe.


LA DANSE DES VAUTOURS ET DES EPICIERS Poujadistes

On se souciait déjà d'un déclin du mouvement « interclassiste » chez les bobos ultra-gauches canal historique. Pour les retraités soixantehuitards il faut savoir attendre la révolution pure. Les récupérateurs sont notoirement nombreux en général dans tout mouvement social ; on lira avec profit le communiqué de Priscilla Ludosky pour appréhender comment ils procèdent et l''hônnêteté des premiers alerteurs désormais ignorés des médias manipulateurs6. Il y a indiscutablement quelques fachos assez prêts à chapeauter le mouvement pour se faire reconnaître comme interlocuteurs par le pouvoir, mais c'est très marginal pour complexer cette dynamique encore incroyable qui booste ces gilets de fer mais très faibles en politique et en stratégie. Il ya aussi des bêbêtes comme Zemmour qui accusent l'extrême gauche d'avoir déjà récupéré (parce qu'on ressent plus une tonalité de classe qui se décante des scories petites bourgeoises), mais c'est encore fabuler car ce n'est pas non plus l'extrême gauche « réformiste radicale » et lèche-cul des syndicats, qui tient les rênes :

« Il y a chez les gilets jaunes des professionnels du renversement de pouvoir, qui n’ont aucune intention de négocier et qui ne veulent que semer le chaos. L’extrême-gauche est en train de phagocyter le mouvement. Il n’y a qu’à voir l’appel du rassemblement du 8 décembre, à Paris, où le mot d’ordre est désormais l’insurrection. Il est où, l’esprit pacifique du 17 novembre ? Elle était où, La Marseillaise à 21 heures dans Toulouse, dimanche, au niveau de la place Jeanne d’Arc ? ».

Imaginant conduire le mouvement, un autre réac, présumé porte-parole de gilets jaunes du Vaucluse, le petit commerçant Chalençon, demande la nomination d'un général à la place du Premier ministre – c'est une blague de provocation car le Général de Villiers est celui qui a été viré par Macron ! Mais pour qui il se prend ce petit com ? De plus de plus en plus invité sur les plateaux comme Barnaba, aspirant député poujadiste. Plus débilitant, bien que dénoncé par nombre de jeunes internautes, sur les réseaux bordéliques il y a effectivement aussi une présence politique de l'extrême droite antisémite avec des délires sur le pacte de Marrakech. Sur le terrain, en quelques endroits les sbires CGT sont venus éteindre les blocages en en prenant la tête7, ce que nous craignions mais qui a plus encore renforcé la méfiance des bloqueurs. Mais les bandits de la CGT ont certainement scellé un pacte secret avec le pouvoir, comme elle l'a fait à la SNCF, en s'engageant à bloquer les raffineries à la place des gilets jaunes... pour mieux les débloquer (ce qui est le cas pour une ce soir). Les pompiers sociaux FO et CGT appellent les routiers à une grève sans fin (sic) dimanche ce soir, ce qui est une habile manière de poser la couverture sur l'incendie, pas du tout pour donner un sens prolétarien au mouvement ni en vue d'une fumeuse grève générale que vont hurler les bovins du NPA et leurs confrères en trotskisme suiviste; et Zemmour pourra continuer à assurer que l'extrême gauche a repris le mouvement à son compte, avec son rôle traditionnel d'éteignoir.

Le pouvoir n'aura pas besoin d'un général, ni des fachos ni de tous les scélérats de la CGT, ni d'une instrumentalisation des gauchistes pour temporiser puisque le premier ministre vient de prétexter une reculade temporaire après avoir « écouté » l'ancien monde politicien, pour mettre fin à la crise – en réalité sous la pression du patronat - c'est à dire officialiser l'annonce d'un moratoire sur la hausse de la taxe sur les carburants, c'est-à-dire leur suspension, entourloupe provisoire qui ne peut passer car trop tardive avec deux ou trois autres mesurettes. Ce qui ne devrait pas suffire à calmer le mouvement mais tout au moins à le diviser et faire passer les futures bagarres de rue pour obstination d'irresponsables auprès de l'opinion.
Tout m'incline à penser que cette reculade tardive aura le même effet que la réouverture de la Sorbonne par Pompidou : aucun. On pourra toujours chercher un modus vivendi entre la démission de Macron et la revalorisation du SMIC...

Après avoir décliné l'invitation à Matignon, Jean-François Barnaba, petit chef «gilet jaune» venu de l'Indre, assure sur France Inter ce matin travailler à une liste de candidats pour les élections européennes prévues à la fin mai ; ce petit patron est régulièrement invité sur les chaînes parce qu'il parle bien et se prend pour un éclaireur espérant une promotion politique après coup, c'est aussi le cas de Chalençon un autre vieux arriviste qui fait l'objet d'insultes justifiées sur les réseaux. Après les djeuns en casquette, on fait défiler de vieux entrepreneurs politiciens au nez et à la barbe de l'ensemble des gilets, seront-ils menacés ceux-là aussi ?

Toute l'armada médiatique tire à boulets rouges pour déstabiliser le mouvement de révolte et culpabiliser sur une (fort souhaitée en catimini) troisième casse parisienne. On continue à diaboliser et on continuera. L'arguement de la récupération par l'ultra droite sera-il avancé vendredi soir ? Un sondage vient affirmer que la crise des gilets jaunes a surtout profité au RN. Les écologistes bourgeois appellent déjà, sans rire, les gilets jaunes à marcher derrière eux dimanche.Les médias bourgeoise et « l'ancien monde » vont mettre le paquet d'ici à samedi prochain pour faire semblant de vouloir endiguer une nouvelle et plus saignante « insurrection ». La situation peut changer d'heure en heure. Ce n'est pas forcément mal barré pour l'équipe gouvernementale qui semble peiner d'obstacles en obstacles infranchissables.
Rien n'est gagné non plus pour l'équipée à Macron après l'annonce de ces mesurettes quand le mot « réforme » signifie clairement désormais pour nous tous « attaque » ; la bourgeoisie misera-t-elle à moyen terme sur la mainmise confirmée de gilets jaunes petits bourgeois qui ont instillés les méthodes anti-démocratiques et terroristes au mouvement jusqu'à présent ?

UNE VIOLENCE justifiée mais laquelle ?

Tout le monde a pris pour argent comptant les menaces de mort dont ont été victimes des délégués gilets jaunes, représentatifs ou pas du flou du mouvement et de son absence de crédibilité démocratique. J'ai même été étonné que le gouvernement n'en fasse qu'un cheval de bataille secondaire, comme s'il voulait ménager ce terrorisme petit bourgeois des épiciers arrogants qui votent pour lui en général ou le RN. Et qui sont contents que tant de jeunes ouvriers aillent au casse-pipe dans un combat inégal et finalement stérile contre les clampins CRS, et qui poussent toujours en arrière-plan à aller au casse-pipe samedi espérant ensuite poser aux « intermédiaires », ce qu'ils sont en effet dans la vie sociale mais généralement du côté du bâton des riches.

Georges Sorel exprimait parfois les choses de manière plus intellectuelles que Lénine sur la question de la violence, même s'il ne possédait pas sa rigueur théorique marxiste 8. Sorel faisait une distinction entre violence prolétarienne et violence d'Etat. La violence de l'Etat est la violence de « la minorité qui gouverne » et a pour conséquence la violence prolétarienne qui « tend à la destruction de cet ordre ». Mais ces deux violences ont une différence de nature qui est liée à la place que les deux classes occupent dans le mode de production. C’est à cause de cette opposition de classes que Sorel estime que les «socialistes parlementaires, qui sont des enfants de la bourgeoisie et qui ne savent rien en dehors de l'idéologie de l'État, sont tout désorientés quand ils sont en présence de la violence prolétarienne». Sorel se moquait des parlementaires socialistes de l'époque, et qui l'étaient encore au sens réformiste, quand, de nos jours les Le Guen, Hamon et Cie ne sont que des représentants bourgeois qui soutiennent totalement la police et font partie des policiers de la pensée multiculturaliste de l'internationalisme bourgeois. Sorel ne justifie pas la violence en général ni la violence en soi, il la considère comme un recours, et au milieu d'autres moyens parmi lesquels évidemment la grève et la manifestation pacifique.

C'est le syndicalisme révolutionnaire qui théorisait la violence ou sa menace comme déclencheur de la grève générale éternellement mythique et même mystique, deux types d'action - qui ne sont pas révolutionnaires comme Engels et Rosa Luxemburg l'ont démontré - qui vont s'effondrer au cours des années 1920-1930 avec la mainmise sur le mouvement syndical par les partis communistes. Stalinisés, les partis communistes deviennent des interlocuteurs qui peu à peu régentent des actions désordonnées et plutôt « primitives » et utopiques du mouvement ouvrier. Les grèves perdent l'aspect insurrectionnel qu'elles revêtaient souvent à la fin du XIX ème siècle mais dans une période de montée à la guerre où ces mêmes partis communistes sont devenus des facteurs d'ordre et de soumission du prolétariat.
Après guerre le syndicalisme est complètement intégré à l'Etat dans les années de reconstruction et de « redistribution sociale ». Les partis staliniens défendent encore une idée grossière de la violence dans l'esprit de la résistance nationale contre un unique ennemi disparu, le fascisme, mais exigent la soumission au pacifisme national dans la reconstruction. Or : « Reconnaître la lutte de classe c'est accepter d'emblée la violence comme un de ses éléments fondamentaux et inhérents à elle »9.
Il y a une violence révolutionnaire inévitable face à la violence bourgeoise : « Face à cette violence de plus en plus sanglante et meurtrière des classes exploiteuses, les classes exploitées et opprimées ne peuvent opposer que leur propre violence si elles veulent se libérer (…) La violence de la classe exploiteuse, inhérente à son être ne peut être arrêtée qu'en la brisant par la violence révolutionnaire des classes opprimées, mais encore assure cette victoire à moindre frais de souffrance et de durée. N'est pas révolutionnaire celui qui émet le moindre doute, la moindre hésitation à ce sujet »10. Marc Chirik sort des généralités sur la violence et prend soin de délimiter dans le temps la violence de classe. Il est encore plus précis mais plus critique concernant la violence des couches petites bourgeoises. Il y consacre de longs développement dont nous pouvosn extraire le plus significatif où il ne méprise ni l'époque des jacqueries ni l'appoint que les couches petites bourgeoises modernes peuvent représenter pour le prolétariat contrairement à ses pauvres épigones du CCI qui auraient dû le relire :

« S'il est arrivé parfois le long de l'histoire des explosions de colère et de violence de la part de ces classes, ces explosions restaient sporadiques et ne sont jamais allées au-delà de jacqueries et révoltes car aucune autre perspective ne s'ouvrait à elles sinon d'être écrasées. Dans le capitalisme ces classes perdent complètement leur indépendance et ne servent que de masse de manœuvre et d'appui aux affrontements que se livrent les différentes fractions de la classe dominante tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières nationales. Dans les moments de crise révolutionnaire et dans certaines circonstances favorables, le mécontentement profond d'une partie de ces classes pourrait servir de force d'appoint à la lutte du prolétariat »11.

« Ce qui les caractérise fondamentalement c'est : l'individualisme, l'impatience, le septicisme, la démoralisation et leurs actions qui relèvent plus du suicide spectaculaire que d'un but à atteindre. Ayant perdu « leur passé », n'ayant aucun avenir devant eux, ils vivent un présent de révolte et la révolte exaspérée contre la misère de ce présnet ressenti dans l'immédiat et comme un immédiat. Même s'ils sont en contact avec la classe ouvrière et son devenir historique ils parviennent à s'inspirer de façon généralement déformée de ses idéaux, cela dépasse rarement le niveau de la fantaisie et du rêve. Leur véritable vision de la réalité reste le champ réduit et borné de la contingence. L'expression politique de ce courant prend des formes extrêmement variées qui va de la stricte action individuelle aux différentes formations de sectes fermées, de conspiration, de complot, de préparation de « coup d'Etat » minoritaire, d'actions exemplaires et, à l'extrême, le terrorisme »12. Il faut donc distinguer en quoi la violence prolétarienne se distingue de la terreur et du terrorisme des autres classes :

« Le prolétariat au contraire développe des sentiments tout nouveaux : de solidarité, de vie collective, de fraternité, de « tous pour un et un pour tous », d'une libre association de producteurs, d'une production et d'une consommation socialisées. Et si l'existence des classes exploiteuses est de : « plonger toute la société dans un état de terreur sans fin », le prolétariat, lui, fait appel à l'initiative et à la créativité des masses et leur sort dans leurs propres mains »13.

En 68, l'idée d'insurrection n'existe que chez les bobos quand la masse ouvrière ne considère cela que comme du romantisme.

DE L'USAGE DE LA MENACE DANS LE MOUVEMENT OUVRIER

Observons rétroactivement de plus près la violence exprimée dans les luttes de la classe ouvrière encore au début du XX ème siècle. Par exemple la grève de Draveil-Villeneuve-Saint-George en 1908. En lutte depuis des mois, les ouvriers de la sablière n’hésitent pas à utiliser la violence lors des chasses aux «renards», du nom donné aux ouvriers briseurs de grèves que le patronat paye pour remplacer temporairement les grévistes. Lorsqu'il y a des menaces au sein de la classe ouvrière au sein d'une lutte c'est que ça se passe mal, qu'il y a un recul ou une fausse orientation, on ne menace pas de mort un collègue qui ne veut pas faire grève, mais il peut être mis en quarantaine.
Bien que se méfiant «des masses déchaînées, souvent inconscientes», comme les décrit Gustave Hervé dans La Guerre Sociale, les socialistes –qui ont pour objectif à l’époque (mais seulement à l'époque) de détruire le capitalisme– soutiennent les manifestations. De son côté, Georges Clemenceau, président du Conseil, ministre de l’Intérieur et leader des radicaux, entend comme Emmanuel Macron, défendre «l'ordre légal pour les réformes contre la révolution». Il fait alors arrêter trente-et-un dirigeants de la CGT. Une crise qui débouche sur l’assassinat par la police de deux grévistes le 2 juin. Cette tragédie ne calme cependant pas les ardeurs du mouvement ouvrier, qui poursuit durant des années ses manifestations violentes, avec le soutien critique des socialistes et la désapprobation de la gauche républicaine14.
A l'époque du 1er mai 1919, Danielle Tartakowsky constate une violence qui reprend des formes du passé, comme mai 68 avait repris la forme anachronique des barricades :

« La violence ainsi comprise n'est qu'une des formes de l'action directe dont ils se réclamaient avant guerre. Certains veulent y voir l'occasion d'une fraternisation avec l'armée et d'autres le moyen d'enclencher le processus pouvant conduire au "grand soir". Les objectifs qu'ils lui assignent répondent de ce qu'ils refusent les interdictions dont leurs rassemblements font l'objet en assumant la probable violence qui découle de leur maintien. "On forcera les barrages" déclarent certains dirigeants de la région parisienne à la veille du premier mai 1919. Et d'autres : "Les bourgeois ont peur, le gouvernement tremble ; quant aux flics, ils savent depuis la manifestation Jaurès comment les cheminots se défendent si on veut les empêcher de manifester pour la justice et pour le droit. Tous avec des bannières syndicales ! Si on veut nous barrer la route, nous cognerons !" . Les métallurgistes de l'Isère promettent pareillement, en décembre, d'être calmes "si la police ne les tracasse pas" mais se refusent à répondre à d'éventuels incidents dans le cas contraire : "c'est moi qui porterait le drapeau, déclare leur secrétaire. Si la police enlève l'étoffe, ils n'enlèveront pas la hampe". Un jeune délégué qui assiste pour la première fois à la CE de l'union des syndicats de la Seine affirme encore, nonobstant les récentes leçons du premier mai, qu'il sortira le 21 juillet dans la rue avec un revolver et que si on vient le provoquer, il saura s'en servir", etc....
Seulement la violence qui, de fait, s'exprime à Paris les premier mai 1919 et 1920 ou lors des grèves de Brest et de Vienne en particulier prend exclusivement pour cible ces agents de l'appareil d'Etat que sont les forces de l'ordre et évite toute autre incarnation, (fût-elle symbolique) plus centrale15. La SFIO qui appelait à manifester "contre le verdict et pour honorer Jaurès" après l'acquittement de Villain avait organisé, en dépit de l'ordre des facteurs énoncés, un cortège identitaire qui ne prenait aucunement pour cible le Palais de justice ; les libertaires qui investissent ce cortège ne tentent à aucun moment d'en détourner le cours ; la manifestation parisienne du premier mai 1919 n'essaie pas davantage de forcer les barrages protégeant les édifices publics et s'éloigne, au contraire, d'eux, la journée durant, pour élever dans l'Est parisien des barricades qui ne répondent à aucun autre impératif stratégique que l'occupation de la rue. "C'est dommage qu'on n'ait pas eu d'armes car les soldats ne nous auraient pas empêché de passer" déclarent, de leur côté, les dockers de Brest en juin 1919 mais leur objectif ne parait déterminé que par l'interdiction qui leur est faite de l'atteindre et la rue dont ils se réclament ne mène nulle part et du moins pas au Palais d'Hiver. Et seul un dirigeant syndicaliste de Bordeaux pour qui l'action révolutionnaire consiste "à descendre dans la rue avec des revolvers, des fusils, des mitrailleuses en renversant ce gouvernement de bandits" parait conférer alors à la rue (et à la violence, tenue pour synonyme) une fonction stratégique. Sous l'espèce, notons le pourtant, d'une simple définition. Ajoutons que la violence que subit alors le mouvement ouvrier ne constitue aucunement le levier escompté pour entraîner les masses dans des voies plus radicales. La riposte à la mort de deux manifestants le premier mai 1919 à Paris puis de trois autres le premier mai suivant en apporte la preuve. Le principe d'une grève générale, envisagée un temps en 1919 est abandonné et les obsèques dont l'Union des syndicats de la Seine est le maître d'oeuvre s'inscrivent pleinement dans la conception socialiste qui ne veut voir en ces morts que ces "grands convertisseurs" invoqués en d'autres temps par George Clémenceau. Ils ne s'accompagnent en mai 1919 d'aucun mouvement de sympathie en province et se déroulent l'année suivante dans une totale discrétion. La violence dont les syndicalistes révolutionnaires se réclament ne prétend donc qu'exceptionnellement à une finalité autre que l'affirmation d'une identité de classe et demeure inscrite à plus d'un titre dans une perspective sorélienne. Elle n'enclenche en aucune manière le cycle provocation/répression/mobilisation escompté par d'aucuns et produit bien au contraire un effet d'autant plus démobilisateur que le "retour à la normale" est partout à l'ordre du jour.
La violence perd même dès 1920 toute centralité dans la réflexion de ceux qui l'avaient jusqu'alors revendiquée et disparaît simultanément de la scène parisienne où son exercice a toujours une portée ou une intention plus stratégique qu'ailleurs. Les manifestations qui rythment traditionnellement les longs mouvements de grèves demeurent par contre, en province, la fréquente occasion d'une violence verbale qui s'exerce à l'encontre du patronat en revêtant d'abord et avant tout une dimension carnavalesque quand il ne s’agit pas d'une violence parfois moins symbolique qui s'en prend aux jaunes et/ou aux usines refusant de fermer leurs portes. Ces manifestations qui doivent à leur dimension traditionnelle de jouir d'une tolérance plus forte que les démonstrations politiques sont donc l'occasion d'une violence au quotidien dont les manifestants sont cette fois les évidents initiateurs mais dont les effets sont rarement dramatiques. Les organisations syndicales responsables qui le plus souvent sont adhérentes à la CGTU les tiennent, du reste, pour un épiphénomène coutumier dont on ne saurait s'émouvoir. Les maires ou plus souvent les préfets qui ne peuvent tolérer très longtemps ces atteintes à la liberté du travail, interdisent pourtant le plus souvent après quelques semaines ce qu'ils toléraient en début de grève et mobilisent des forces susceptibles de faire respecter les interdits en enclenchant alors presque toujours le processus qui conduit à l'émergence d'affrontements violents avec les forces de l'ordre. C'est ce qui se produit en 1922 lors de la grève des métallurgistes du Havre où les manifestations qui succèdent aux manifestations changent brutalement de caractère après que le maire ait été démis de ses pouvoirs de police et que tous les rassemblements, fût-ce en lieu clos, se soient vus interdire. Des barricades se dressent et de violents affrontements se produisent au cours desquels quatre ouvriers trouvent la mort le 26 août. Le gouvernement et les grands organes de presse soutiennent la thèse d'une agression préalable des militants ouvriers qui aurait mis les forces de l'ordre en situation de légitime défense et les aurait contraint à tirer. Ils prennent argument de ces barricades qui resurgissent quand on les croyait remisées au magasin des accessoires pour dénoncer le péril politique que ferait courir la manifestation en agitant le spectre de la Commune. Les syndicats unitaires qui sont depuis l'origine à la tête du mouvement ne reprennent pas en compte cette comparaison qui, sous leur plume, deviendrait pourtant positive et permettrait d'inscrire la grève dans une tradition de hauts faits. La Vie Ouvrière ne confère à ces barricades incriminées d'autre fonction que défensive. L'Humanité récuse quant à elle la thèse gouvernementale en prenant appui sur la sociologie des victimes pour imputer aux forces de l'ordre la pleine et entière responsabilité des événements inscrit la grève du Havre dans la litanie déjà longue de la violence subie. Et c'est en invoquant pareillement Fourmies que Georges Laffont interpelle alors le gouvernement sur ces événements »16.

Les luttes d'usine des premières années de l'an 2000 ont été présentées comme une résurgence d'un syndicalisme révolutionnaire disparu, de violences résurgences de pratiques caduques, or c'est faux. Les conflits liés aux restructurations industrielles menées dans le textile, la sidérurgie et la chimie auraient exprimé une violence primitive: Daewo (1999) à Metaleurop (2002-2003) Goodyear (2008-2009), Caterpillar (2009) et New Fabbris (2009), sont présentés comme des luttes « désespérées », comme le mouvement des gilets jaunes qui est présenté, par tous les médias de l'Etat, soit comme désespérant soit de « couches périphériques à l'abandon ». A part l'exaltation de cas limités par les bobos gauchistes ou de syndicalistes fort en gueule, sur la période 2002-2004, des modalités d’action telles que les « occupations avec séquestration » ou « les menaces de destruction de biens ou de dommages à l’environnement » ont été relativement marginales.


La petite bourgeoisie professe le culte de la violence lorsqu'elle est touchée par la crise. Sa haine n'a plus de bornes. Le meurtre lui semble la meilleure méthode pour la « vengeance ». La stratégie du blocage si elle devient une fin en elle-même c'est bien parce qu'elle est le seul mode d'action de l'épicier. Elle s'apparente finalement au sabotage du syndicalisme révolutionnaire caduque, avec diverses « opérations coup de poing » propres aux camarillas syndicales sectaires, qui sont légitimées comme « préparation à la grève générale » par les groupes gauchistes, qui ont toutefois raté le coche avec les gilets en restant complices (écologiquement) avec le gouvernement.
La violence occasionelle ou ponctuelle est plus la traduction d'un sentiment d'impuissance à finalement mobiliser des ouvriers devenus fatalistes et restant enfermés dans l'impasse corporatiste. D'où le déclin de la confiance dans les syndicats particulièrement dans le cadre des corporations privées face aux charivaris des actions « coup de bois » devant un amas de pneus brûlant et enfumant leurs amis écologistes. Les représentants syndicaux désolidarisés des « salauds » des fédérations n'étaient capables que de « radicaliser » dans des actions anarchistes stériles : pollution de la Meuse, explosion de cuves d'acide. Xavier Vigna a très bien montré ces radicalisations somme toute limitées et sans avenir ni solution à court terme pour les licenciés.
C'est un fait que le choix des méthodes d'action influe directement sur la possibilité de généraliser la lutte ou pas. Le fait d'assumer de façon plus large sur le territoire qu'au niveau local ou régional dans le cas des grèves dures qu'on vient d'évoquer, des pratiques illégales ou des formes de violence symbolique (blocage des routes, etc.) a développé la popularité des gilets jaunes. Ils sortaient du ronron syndical inoffensif et posaient une vieille demande du mouvement ouvrier, la fraternisation de toutes les basses couches de la société. On finit cependant par tourner en rond et se bercer de la rengaine fallacieuse « ça va péter », et ça ne pètera pas dans les limites actuelles.
Les pratiques de blocage ne peuvent rester une fin en soi pour « faire plier le gouvernement », qui a déjà d'ailleurs plié en partie, quoique superficiellement, mais pas pour toute la population. Gaffe. Le gouvernement lui lit Sun Tzu. Or se contenter d'envoyer à un nouveau casse-pipe les gilets jaunes si c'est bien la méthode lâche des petits chefs substitutionnistes est un crime, même en faisant croire que les flics pourraient être débordés et ne disposeraient pus du stock nécessaires de lacrymos. S'ils sont vraiment débordés ils ont demandé à pouvoir tirer ! Qui va prétendre jouer au petit bolechevique qui va s'emparer du palais d'hiver de l'Elysée ? Les Eric et Priscilla, Jacline Mouriaud et Maxime la casquette à l'envers, les pourris Barnaba et Chalençon ?
Une nouvelle violence désordonnée peut aussi complètement décrédibiliser le mouvement que toutes les magouilles politicardes et syndicales réunies. Quelles solutions ?
Il ne faut pas se mentir. Le mouvement est disparate, sans colonne vertébrale ? Véritable poulpe il peut être pénétré par n'importe quel parti politique ou engeance syndicale s'il n'est pas capable de grandir en organisme. Mais comme constiuer un organisme, une organsation et sur quels critères quand cela circule en tous sens, où Pierre peut-être là au barrage un jour mais Paul le remplacer le lendemain ? La grève elle, lorsqu'elle n'est pas le jouet des syndicats, peut se doter d'une organisation sur la base d'une AG quotidienne des grévistes, mais aux rond-points avec la boulangère et le petit mitron, le patron des camionneurs et une poignée de retraités, comment s'organiser, sur quelles bases ? Franchement je ne vois pas. Sauf à se relier à l'esprit de clocher. C'est pourquoi, même si je n'ai pas choqué (et que ma proposition n'a pas été mise aux voix par les magouilleurs petits bourgeois qui tenaient la salle) je maintiens que c'est la qualité sociologique de la majorité (ouvrière) qui me permettait de proposer l'élection d'un « Conseil ouvrier » et pas une vue de l'esprit. Diverses inventions se sont succédé, dont une représentation régionale, une bêtise, n'importe quel parti pourrait la phagocyter. Incapable d'inventer de nouvelles formes pour sa lutte, le mouvement risque à brève échéance de décliner, s'avérant incapable de se prendre en charge, laissant certaines de ses composantes se marginaliser dans le mythe de la violence salvatrice quand les autres se démoraliseront. Maintenir la flamme du gilet inconnu c'est en appeler au contrôle des orientations les plus décisives et pour cela exiger des AG non contrôlés par les petits bourgeois et les petits patrons. Le mouvement ne peut pas non plus se laisser défigurer par la fausse « radicalité » des bobos de campagne, des déclassés et des marginaux, et leur chantage à la violence « révolutionnaire ». La violence n'est pas révolutionnaire. Elle est le plus souvent de notre part une défense ou un moyen temporaire. Le petit bourgeois pousse-au-crime qui, par son individualisme exacerbé, professe une horreur apparente de la politique (comme réflexion) refuse toute identité sociale pour ne parler que de ses besoins personnels.
Des formes d'action supérieures : Assemblées Générales de rue et par retransmission télévisée (à la façon de Pujadas mais sans Pujadas)17, coordination directe des lieux de lutte par chaînes de télévision contrôlées par les travailleurs et non via les dédales du web, puisqu'on a posé la nécessité de la fin de négociations secrètes avec les envoyés gouvernementaux. On a quand même l'impression que ce mouvement a moins d'imagination que celui de 68.






NOTES


1Ce texte publié dans la première revue nommée « Révolution internationale » mit en rogne Guy Debord qui en fait une critique superficielle dans le dernier numéro de l'internationale situationniste ; Marc se moque excellement de la bande de littérateurs situs. Encore une citation lumineuse propre à indisposer nos bobos d'aujourd'hui : « « Dans ces conditions, la crise apparaît dès ses premières manifestations pour ce qu'elle est. Dès ses premiers symptômes, elle verra surgir dan tous les pays, des réactions de plus en plus violentes des masses ». (ibid)
« Là où pour les situationnistes le problème de la révolution se pose en termes « d'entraîner », ne serait-ce que par des actions exemplaires, il se pose pour nous en terme d'un mouvement spontané des masses du prolétariat, amenées forcément à se soulever contre un système économique en désarroi et en déclin, qui ne leur offre plus désormais que la misère croissante et la destruction, en plus de l'exploitation ». (le même)
2Patrice Ribeiro, de Synergie-Officiers, ne dit pas autre chose : « Le risque est trop important et il est dans les deux sens, car un policier ou un gendarme lynché peut un jour sortir son arme et tirer, s'il sent sa vie en danger », déclare-t-il au quotidien. Et d'ajouter : « Le président doit savoir pourquoi nous sommes en partie désarmés face aux casseurs. Il faut pouvoir lui parler sans passer par le filtre de Beauvau. »
3Le penseur marxiste probablement le plus important et ignoré de la fin du XX e siècle, Marc Chirik, a fort bien, à la suite de Sorel, mais plus profondément, montré les limites de la violence, même dans la période révolutionnaire dont « la violence est l'outil le moins important de cette transformation (révolutionnaire) » (cf. Sur l'Etat du prolétariat, MC et le CCI tome II, p. 105), textes rassemblés par Pierre Hempel, consultables à la Bibliothèque nationale et à l'institut d'Amsterdam)..
5En une seule journée à Paris, la police a tiré des volumes parfois plus importants que sur toute une année en France. Selon les bilans consultés par Libération, pour les seules compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les compagnies de sécurisation et d’intervention de la préfecture de police (CSI), ont été comptabilisés plus de 8 000 grenades lacrymogènes, 1 193 tirs au lanceur de balles en caoutchouc, 1 040 grenades de désencerclement et 339 grenades GLI-F4, munition composée notamment d’une charge explosive de 25 grammes de TNT.

7Le blocage du dépôt de Grand Quevilly, près de Rouen, débuté à 3h du matin par la CGT et des "gilets jaunes", a été levé "dans le calme à 16h30", selon la préfecture, et celui de Fos-sur-Mer (Bouches du Rhône), débloqué à la mi-journée. Ce dernier point d'action était critiqué jusqu'au sein du mouvement des "gilets jaunes". "L'opération est pilotée en dehors de nous", a déclaré à l'AFP Chantal, une des coordinatrices du mouvement en région Alpes-Côte-d'Azur.


8Je pense qu'il a d'ailleurs fortement influencé le maître à penser du CCI, Marc Chirik, qui m'avait fait découvrir Sorel et conseillé de le lire.
9Marc Chirik : Terreur, terrorisme et violence de classe , 1980. Texte extraordinaire que j'ai compilé dans ses œuvres (presque) complètes et que vous pouvez lire sur le site du CCI.
10Ibid.
11Ibid.
12Ibid.
13Ibid.

14Manifestations ouvrières et théories de la violence : 1919-1934

15Sic comme les activistes gauchistes et black bloc de nos jours.
16Manifestations ouvrières et théorie de la violence : 1919-1934.
17C'était un de nos rêves avec feu Jean-Pierre Hébert en 1968, des Conseils ouvriers reliés entre eux par les canaux de télévision (à mon avis c'est une idée qui devait venir de nos aînés de S ou B).

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