Ce
texte sans titre a été mis en circulation par plusieurs camarades
de la « gauche italienne » historique, complètement
étrangère au stalino-gauchisme italien, et par notre ami Xavier. L'importance et la qualité de
ce texte n'échapperont qu'aux imbéciles, outre d'être d'une
finesse d'analyse marxiste indéniable, il fait tomber par terre le
black out des médias qui laissent supposer que le prolétariat
international resterait spectateur. Rien n'est plus faux, les
événements de Paris et des provinces sont vécus dans leur chair par les prolétaires
du monde entier et les noyaux des véritables communistes
débarbouillés de tout stalinisme et de toute utopie. Merci tout
plein à ces camarades italiens. On se sent moins seul désormais sur
les réseaux sociaux et dans la vie nous les maximalistes en France.
Une analyse
de Mario Gangarossa.
«
Imaginer la révolution comme un affrontement ordonné entre les
phalanges organisées du prolétariat et les forces de la répression
au service de la bourgeoisie est au plus loin de la réalité que l’on
puisse l’imaginer. Il n’existe pas de processus linéaire qui
aurait comme inéluctable débouché, prévu et désiré, la
palingénésie sociale. Infinis sont les carrefours, les choix à
faire, les décisions à prendre, et ce sont des choix que des
millions de femmes et d’hommes font poussés par la nécessité,
parfois par hasard, presque toujours inconscients du résultat que
leur action produira. Les « théoriciens » (au bénéfice de leur
capacité à distinguer entre science et fausse conscience) sont un
pas en avant par rapport au mouvement réel parce qu’il ont fait
trésor de la praxis , des expériences, de l’histoire du passé
mais risquent l’impuissance et l’incompétence s’ils ne
réussissent pas à s’engager dans la vive expérience quotidienne,
à interagir avec la pratique quotidienne, à faire les comptes «
avec celui qui passe les couverts ».
Il
n’y a aucune possibilité que, dans une société basée sur
l’hégémonie économique politique et culturelle de la
bourgeoisie, la classe antagoniste puisse acquérir (dans sa
majorité) la conscience du rôle et des tâches que l’histoire, la
science et la connaissance des communistes imposent. Les idées
dominantes restent les idées de la classe dominante. Dans le cadre
des expériences possibles, à l’intérieur des rapports sociaux
bourgeois, le maximum que l’on puisse atteindre c’est une
conscience « syndicale » revendicative, trade-unioniste,
réformiste, quand bien même sous une forme rebelle et même
violente. Et les groupes et partis qui naissent sur ce terrain et qui
en assument la direction ne peuvent être que marqués par les mêmes
limites et les mêmes erreurs. Ce n’est pas une question liée aux
opportunismes individuels et aux « trahisons » qui ne sont pas les
causes mais les effets de la matérialité de l’affrontement
social qui - dans cette phase - est limité , dévoyé vers des
objectifs partiels ou souvent mystifiants, laissé à la spontanéité
produite par les individus et les expériences individuelles
partielles.
Discuter
si un mouvement serait « révolutionnaire » ou s’il est « plus
ou moins révolutionnaire » , d’un autre côté cela signifie
seulement de ne pas avoir compris (ou de ne pas reconnaître ) que le
caractère , la conscience, l’ossature idéologique qui donne
substance à toute révolte sociale c’est une avant-garde
consciente et organisée capable de le guider au-delà et parfois
contre les limites intrinsèques qui sont inhérentes aux luttes et
rébellions populaires.
Les
révoltes spontanées sont le signe que les contradictions existent
et sont irrémédiables à l’intérieur du système économique et
politique existant, elles sont un effet de la crise, la riposte
immédiate à une situation de malaise. Mais quand nous parlons de
spontanéité, nous devons toujours avoir clairement en tête que,
qui se rebelle spontanément a des racines bien implantées dans sa
propre classe et porte derrière lui tout entière sa propre histoire
personnelle et l’histoire collective de sa part sociale,
l’expérience des années qu’il a vécues (souvent bien) , son
rôle dans le mécanisme économique qui gouverne la vie de chacun
d’entre nous. Victimes des mêmes erreurs et des mêmes illusions
qui traversent, comme un courant diffus, tous les acteurs de la
représentation qui à l’intérieur de l’affrontement
capital-travail voit le continuel choc de multiples intérêts
opposés.
L’histoire
des révolutions passées (et des révoltes, des rébellions qui
n’ont pas eu l’honneur, dans le jugement posthume, d’être
transcendées en mouvements révolutionnaires) c’est une histoire
de confusions, de désordres, de défaites ou victoires partielles ou
souvent provisoires. Les partis qui représentent les classes ou
groupes en luttes, de petits groupes compacts croissent et deviennent
direction politique révolutionnaire pas avant une fatidique heure
suprême mais dans le cours de la lutte. Une lutte dans laquelle qui
y participe n’a jamais a priori ni certitude ni garantie de succès.
Après…
quand un nouvel ordre nait des cendres des journées qui renversent
le cours naturel de l’Histoire, seulement après, arrivent les «
relevés de notes » et se comprend vraiment qui a vaincu, qui a
perdu, qui même en ayant perdu a renforcé ses positions et acquis
une connaissance supérieure et qui en revanche, bien qu’ayant
vaincu, a abandonné des places-fortes désormais sans influence
quant aux réels intérêts de l’ennemi.
Dans
les années où, dans l’occident capitaliste, le développement
d’après guerre permettait l’avancée pacifique des classes
subordonnées, les grandes organisations social-démocrates (dans
toutes leurs déclinaisons) représentaient un point d’agrégation
et de référence pour qui sentait le besoin de lutter, la conscience
spontanée coïncidait avec la direction politique réformiste. Les
partis de masse et les organisations syndicales étaient l’instrument
pour les conquêtes partielles qui donnaient le sens d’un continuel
et inarrêtable développement pacifique mais en même temps aussi
d’une soupape capable d’atténuer les tensions les plus
destructrices, d’un frein aux pulsions révolutionnaires, un
remblai au « terrorisme » et à la rébellion.
Les «
révolutionnaires » firent de l’entrisme dans les partis de gauche
et travaillèrent au sein des syndicats « réactionnaires », dans
l’illusion qu’il suffisait de changer la direction politique d’un
mouvement, déjà en soi organisé sur le terrain de la consciente recherche du compromis social, pour en changer le signe et le
transformer en une force capable de rompre les équilibres que,
patiemment, le capital avait édifié dans les années d’hégémonie
indiscutée et sans contraste.
Les
classes intermédiaires étaient attirées par la force de la gauche
aussi parce qu’elle était une gauche « alliée et amicale » qui
en reconnaissait le rôle et en garantissait le bien-être. Les
conflits étaient œcuméniquement recomposés et transformés en
inoffensifs affrontements parlementaires. Quand le mécanisme du
consensus se rompit, les armées ouvrières organisées par le
réformisme descendirent dans la rue par millions pour réaffirmer le
pacte entre les classes et la coexistence pacifique garantie par la
démocratie.
L’écroulement
du réformisme advenu , non par une victoire de la critique des
révolutionnaires, mais par son intrinsèque faiblesse, la fin de la
société du « bien-être » diffus qui avait accompagné les
années de la cogestion démocratique, l’écroulement de l’illusion
de pouvoir cogérer le capital sans mettre en discussion sa propriété
n’ont pas amené à une majeure conscience ni à une majeure
connaissance. Berlinguer a été remplacé par Bertinotti. Les «
révolutionnaires » n’ont rien trouvé de mieux que de languir
pour un retour au passé « héroïque » dans lequel la mare magnum
d’une « gauche » responsable et grande du statu quo aurait pu
continuer à nager en se vantant dans les révolutions passées et
futures et surtout dans celles éloignées de leur propre arrière-
cour.
Mais
l’écroulement d’une hégémonie politique, soit même une
hégémonie qui aille en sens contraire de la direction prévue par
nous, ne crée pas le vide du tableau noir propre sur lequel ils
serait possible d’écrire seulement des solutions correctes à la
preuve de la baguette de la maîtresse. Le vide politique laisse un
champ ouvert aux errements de n’importe quelle classe sociale en
souffrance qui chercherait mais qui trouverait toujours de nouveaux
« capitaines » prompts à en chevaucher les aspirations. Il laisse
aussi un espace aux révoltes spontanées qui, par leur nature
hétérogène et interclassiste, peuvent servir à accentuer la crise
du Capital ou bien, paradoxalement, à le renforcer.
Nous,
nous ne savons pas et nous ne pouvons savoir comment cela finira. La
théorie nous indique l’objectif et la direction mais le parcours à
suivre, les innombrables virages et impasses que nous pourrions
suivre, nous devons le découvrir dans le cours de notre pratique
politique.
Mais
nous devons aussi essayer d’être clairs sur cela aussi avant tout
avec nous-mêmes et avec le rôle que nous imaginions pouvoir
assumer. La pratique politique ne signifiera pas se mettre à la tête
(souvent à la queue) des révoltes des strates sociales en
décomposition destinées à disparaître même au travers de furieux
sursauts. Agiter leurs propres mots d’ordre, imaginer que la
direction d’un mouvement soit. Décidée seulement et exclusivement
de la détermination des chefs et non de la réelle nature sociale
des combattants.
La
question de la direction (et des objectifs futurs) des révoltes et
des rebellions sui explosent à un rythme désormais croissant en
occident un temps privilégié, ce n’est pas une question que pourrait
résoudre un groupe autant de « gauche » qui puisse porter de
l’extérieur une conscience qui s'affronterait à la sensibilité
et à la conscience spontanée des révoltés. C’est une question
qui englobe le rôle des classes et leur capacité de pouvoir
s’homogénéiser à l’occasion. Je comprends ce qui rend tout
plus complexe et difficile, mais la question ne réside pas dans la
mobilisation des classes intermédiaires ou des secteurs plus
désagrégés (et pour cela plus combatifs) mais dans la capacité de
mobilisation du prolétariat, dans sa possibilité de devenir point
d’attraction et d’agrégation pour tous ceux qui ressentent cette
société comme injuste. Si nous voulions le dire avec des paroles
plus claires, la question pour les communistes ne réside pas dans la
direction des révoltes populaires mais dans l’influence et dans la
direction du prolétariat qui est l’unique classe capable de
transformer une ou cent révoltes en révolutions.
La
petite-bourgeoisie qui forme l’ossature des classes intermédiaires
est dans la tourmente mais, par sa propre nature, ne lutte pas pour
changer les rapports entre les classes et elle combat pas pour
abattre le système fondé sur l’exploitation. Elle lutte pour
continuer à tirer son « morceau de viande » de la survaleur
produite dans la société.
De
classe amortie, de toujours barrière dans l’affrontement entre
capital et travail, elle revendique le « juste prix » pour son rôle
en un moment où le capital pense pouvoir se passer de ses services
ou bien n’a pas les ressources pour s’en garantir la confiance.
La «
révolution » petite-bourgeoise ne regarde pas le futur mais le
passé. Elle ne pose pas la question de la fin de l’exploitation
mais celle de la redistribution plus « honnête » des fruits de
cette exploitation. La prise de conscience du rôle du prolétariat
auquel ces strates sociales sont destinées peut advenir seulement en
présence d’une activité politique autonome retrouvée de la
classe ouvrière. La petite-bourgeoisie peut devenir révolutionnaire
seulement à la suite de la révolution prolétarienne. Et
aujourd’hui c’est le positionnement sur le terrain de la lutte de
classe de couches toujours plus amples d’ouvriers qui est l’unique
chose qui puisse garantir la transformation en réserve de la
révolution des « révoltés » que la société en crise produit.
La
question n’est pas de savoir ce que feront et ce que deviendront
les gilets jaunes. La question est de savoir ce que fera la la classe
ouvrière : comment évolueront les prolétaires ; comment les
communistes réussiront à en influencer les choix. Et c’est une
question vitale pour le labeur en lutte contre le capital, vital
aussi par rapport ses intérêts immédiats parce que la route d’une
alliance renouvelée entre la bourgeoisie et les groupes que la crise
désagrège n’est pas une possibilité éloignée et la résolution
des conflits sur la base de solutions anti ouvrières n’est jamais
à exclure a priori. De même qu’il ne faut pas exclure une
redistribution de la richesse destinée à retrouver le consensus
perdu, mise en prospective ou pratiquée, sur le dos non du profit
mais des ouvriers actifs, des ouvriers pensionnés, de la nouvelle
classe ouvrière composée de précaires et d’immigrés soumis au
chantage qui finiraient par payer le coût que le retour à « la
normale » du fonctionnement du système capitaliste (y compris les
dépenses nécessaires à garantir la « sécurité » de la
propriété) comporte.
Le
prolétariat ne peut rester à regarder par la fenêtre et déléguer
à d’autres l’honneur de ses propres batailles Il risque d’y
perdre son honneur et de soutenir les coûts des « solutions » aux
contradictions internes du front bourgeois.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire