Leurs petits poings levés pour se foutre de la gueule.... |
Le grand chef réformiste qui est « mis en examen » au
Tribunal de Riom en 1942, est magistrat de formation, ce qui peut
être un avantage en politique, même pour les chefs
révolutionnaires1.
On l'a dit courageux dans sa défense, il ne risquait pas grand chose
face à ses anciens condisciples de la fac de droit. Il a certes été
déporté à Buchenwald mais logé à l'extérieur du camp, plutôt
confortablement comme c'était la règle pour les personnages
d'importance et les officiers supérieurs français prisonniers. Léon
Blum fût très estimé par la haute bourgeoisie, par ses pairs, par
Roosevelt, Wilson, et même Hitler et De Gaulle. L'homme a une
stature indéniable, très cultivé, brillant orateur autant
qu'écrivain de talent, il est probablement le prototype dans
l'excellence du meilleur homme d'Etat de l'histoire de la « gauche
bourgeoise », pas phraseur comme Jaurès, mais homme d'Etat
national sans état d'âme (ce que Jaurès n'eût pas le temps
d'être). Ses discours sont des miracles de réformisme pervers ;
ils peuvent sembler même marxistes à première oreille pour
l'écouteur naïf, mais ils glissent toujours à l'aide d'une
évocation misérabiliste du passé sur un mépris complet pour la
classe ouvrière ; lorsqu'il déforme Marx c'est à pisser de
rire. Il a un côté curé onctueux qui bénit l'auditoire mais tient
ses gardes mobiles prêts à tirer. Lorsque la bourgeoisie française
l'appelle « au secours » au début de 1936, elle sait
qu'il est non seulement un bon pompier social mais qu'elle peut
compter sur son chauvinisme. Il a un vrai passif anti-prolétarien.
Il a été chef de cabinet du salopard de ministre socialo Marcel
Sembat pendant « l'Union sacrée » sanglante. C'est son
ENA d'époque, expérience qu'il peaufine en 1916 au Conseil d'Etat.
Ce belliciste convaincu fera parler de lui au moment de la scission
du Congrès de Tours, prouvant par sa dénonciation de
l'Internationale communiste qu'il était bien un produit du
chauvinisme français et que ce réformisme national conduisait tout
droit au camp bourgeois désormais.(il existe un think tank "cercle Léon Blum" de nos jours avec Finkielkraut...)
Ma découverte en librairie2
de l'ouvrage de 1945 de Blum « L'histoire jugera » est
presque un miracle. Le livre est introuvable. Aucun résumé sérieux
ni extraits valables ne figurent sur le web. Il
...de la classe ouvrière. |
La référence à ce fameux procès de Riom, à résonance mondiale à l'époque de l'Occupation, était patente à la fin des années 1970 dans le milieu maximaliste. Nous organisions dans RI des journées d'étude thématiques. Lors d'une journée à Versailles, sur le thème de la montée à la Deuxième Guerre mondiale, une série d'exposés avaient été préparés, avec d'autres camarades j'avais été chargé d'examiner les scissions ou raccommodages entre minorités et fractions dans l'avant-guerre, Camoin avait dûment préparé un exposé sur le groupe de Chazé Union Communiste, et un jeune camarade de la section de Rouen ou Lille, je ne sais plus, avait fourni un exposé sur la crise à la veille de la guerre, avec toute une partie dédiée à expliquer comment l'antifascisme du Front populaire avait préparé les ouvriers à se soumettre à la nouvelle guerre, notamment avec des citations (de seconde main) de l'incroyable procès fait à Léon Blum, qui ne le méritait pas du tout en effet si je puis dire du côté bourgeois. L'exposé avait été brillant, épatant même Marc Chirik pour sa capacité à se servir des « confessions » de monsieur Blum. Vous imaginez mon plaisir près de quarante années après de dénicher l'intégrale !3 Un livre que personne n'oserait publier aujourd'hui tellement il est subversif concernant le mode de gouvernement des dominants. J'imagine qu'il figure en bonne place à Sciences-Po et à l'ENA. Je vous en livre les bonnes feuilles concernant surtout la façon dont la « gauche socialiste au gouvernement » a embobiné la classe ouvrière avec l'aide des syndicats et du parti stalinien. Manque de pot les discours et le zèle belliciste de Blum n'auront pas évité la plus grande débâcle de l'histoire, il n'y aura – si je puis dire - que 200 000 soldats tués (pas des millions comme en 1914) mais nombre énorme quand même qui explique plus la débâche que la lâcheté des français comme le clame la doxa anglo-saxonne.
Vous verrez brièvement (grâce aux « aveux » de Blum)
comment l'antifascisme a été le carburant de cette nouvelle
soumission à la reprise de la guerre mondiale, les 40 heures et les
congés payés les chocolats de l'entracte ; vous verrez aussi
une démonstration parfaite de l'origine des nationalisations par le
brillant Léon Blum, qui lève le voile de cette supercherie mieux
que nos meilleures plumes de la « gauche communiste », et
plus à fond sur l'hypocrisie de ces nationalisations; et qui culbute de fait toutes les larves du trotskisme qui soutiennent encore et toujours cette mystification nationale en la faisant passer pour "revendication ouvrière".
Blum est malin et n'attaque jamais de front le parti stalinien, il
ne rappelle pas que ce croupion payé par Moscou (cela il le glisse
tout de même pour le secteur de l'armement) a participé au coup de
poignard mondial contre le prolétariat avec le pacte
germano-stalinien, et il est même trouble avec son emphase sur le
petit Jean-Pierre Timbaud, sans notifier que ce dernier est surtout
victime de la politique terroriste échevelée des staliniens pour
faire oublier leur compromission initiale avec l'ami « opportuniste »
nazi. Sa défense est intelligente, précise, inattaquable du point
de vue de base bourgeois, anticipatrice face au règne de Pétain le
bref, il sait qu'il y aura un après-nazisme, un après-pétainisme,
il sait faire les nuances, ménager les anciens alliés de sa faction
gouvernementale. Il ridiculise ses juges et Hitler. Les petits juges
de Riom avaient pour tâche, aux ordres de Vichy, de lui faire porter
la responsabilité de la défaite de mai 40 en ayant empêché le
réarmement de la France par la mise en place de réformes sociales.
Blum démontre avec brio que le réarmement n'a jamais aussi intense
que sous le Front populaire, au contraire des gouvernements l'ayant
précédé, dont un qui eût pour ministre de la Guerre le maréchal
Pétain... Hitler fut exaspéré par le coup de boomerang et déclara
le 15 mars 1942 : « Ce que nous attendions de Riom, c'est
une prise de position sur la responsabilité du fait même de la
guerre ! » L'Etat impérialiste allemand fit alors alors
pression sur Vichy pour mettre un terme au procès qui finissait par
ridiculiser complètement ses cire-pompes vichystes. Le pauvre Mussolini a
déclaré en secouant son pompon : "Ce procès est une
farce typique de la démocratie"; ou farce typique des larbins pétainistes? Le 14 avril 1942, après
vingt-quatre audiences, le procès est suspendu pour un « supplément
d'information », comme le concluent en général les juges quand ils sont ridiculisés. L'affaire est définitivement clôturée le 21
mai 1943. Mais l'ensemble des médias bourgeois actuels (antifas de
salon) se gardent bien de rappeler les états de service de monsieur
Blum, qui n'a pas démérité de la patrie sanglante et du
nationalisme français. Et sans reproduire les extraits si
révélateurs que vous allez avoir la chance de découvrir.
lire ici :
AUDIENCE DU 20 FEVRIER 1942
… Qu'on n'allègue pas que cette date de juin 1936, cette date
fatidique, corresponde à une période dangereuse des relations
franco-allemandes (…) On cherche à faire rejaillir sur le Front
Populaire, sur la politique ouvrière et sociale qu'il a pratiquée,
et, à travers lui, sur les institutions démocratiques, la
responsabilité de la défaite militaire (…). Je montrerai ce qu'a
été son œuvre (du FP) dans l'ordre de la paix intérieure, dans
l'ordre de la paix internationale, dans l'ordre de la préparation
matérielle, morale, politique de la défense du pays. (…) Car le
Front Populaire n'a pas été autre chose qu'un réflexe de défense
instinctive ! D'une part contre les périls qui menaçaient la
République et dont l'agitation des ligues para-militaires et
l'émeute du 6 février avaient été un signe frappant. D'autre
part, contre la prolongation de la crise économique qui accablait
les masses ouvrières, les populations paysannes, la classe moyenne
du pays, et qui se traduisait par le marasme des affaires, par la
baisse continue des prix agricoles et des salaires, par le chômage,
par la misère. Les promoteurs du Front Populaire en tant que
mouvement politique – ses parrains – vous serez peut-être
surpris de l'apprendre ont été M. Doriot et M. Gaston Bergery (…)
Adressez-vous d'autre part aux champions de la parité-or à tout
prix et de la déflation à outrance. Ce sont les coupables de cette
misère, de cette souffrance, de cette révolte des classes
laborieuses dont les élections de mai 1936 ont été l'expression,
l'expansion. (…) … nous ne pouvions plus choisir, nous, qu'entre
la politique que nous avions pratiquée et la guerre civile. La
guerre civile n'était assurément pas le plus sûr moyen d'accélérer
les fabrications et ce n'était probablement pas non plus le meilleur
moyen d'éviter la guerre étrangère. (…) ce procès est une
entreprise politique... vous êtes des juges politiques ».
AUDIENCE DU 10 MARS 1942
(…) durant ce court gouvernement. J'ai fait autre chose. J'ai
déposé un grand projet fiscal, financier et monétaire, voté par
la Chambre et rejeté par le Sénat, ce qui a déterminé ma chute.
C'est un projet qui vise à tendre toutes les forces de la nation
vers le réarmement, et qui fait cet effort de réarmement intensif
la condition même, l'élément même d'un démarrage industriel et
économique définitif. Il sort résolument de l'économie libérale :
il se place sur le plan d'une économie de guerre.
(…) Et j'ai eu aussi le sentiment de cette circonstance
particulièrement grave : le rétablissement du service de deux
ans en Allemagne, était saisi avec un certain empressement comme
l'opportunité qui permettrait d'obtenir enfin le vote, longtemps
attendu, des crédits nécessaires pour la Défense nationale.
Qu'ai-je répondu à Daladier lorsqu'il est venu me tenir ce
langage ? Quand M. le maréchal Pétain s'est présenté devant
la Commission de l'Armée du Sénat en mars 1934, et qu'on lui a
demandé : « Etes-vous d'avis de rétablir le service de
deux ans ? » dont il était probablement partisan à cette
époque, il a répondu : « Oui, mais l'état de l'opinion
publique ne le permettrait pas ».
(…) J'en reviens maintenant aux circonstances dans lesquelles ont
été votées, non seulement la loi de quarante heures, mais les
autres lois sociales. Je l'ai déjç dit à la Cour ; cette loi
de quarante heures fait partie d'un ensemble politique. Cette
politique je n'ai pas eu à la choisir, elle m'a été imposée dans
les circonstances où j'ai pris le gouvernement, par une nécessité
de droit, et par une nécessité de fait, ayant véritablement le
caractère d'un cas de force majeure ».
(…) Des témoins oculaires vous l'ont dit. M.Albert Sarraut l'a
dit. M. Frossard l'a dit. La panique, la terreur étaient générales.
Je n'étais pas sans rapport moi-même avec les représentants du
grand patronat, et je me souviens de ce qu'était leur état d'esprit
à cette époque. Je me souviens de ce qu'on me disait ou me faisait
dire par des amis communs. « Alors quoi ? C'est la
Révolution ? Alors quoi ? Qu'est-ce qu'on va nous
prendre ? Qu'est-ce qu'on va nous laisser ? ». Les
ouvriers occupaient les usines. Et peut-être, ce qui contribuait le
plus à la terreur, c'était cette espèce de tranquillité, cette
espèce de majesté calme avec laquelle ils s'étaient installés
autour des machines, les surveillant, les entretenant, sans sortir au
dehors, sans aucune espèce de signe de violence extérieure. Je suis
arrivé à l'Elysée avec mes collaborateurs vers 7 heures du soir.
(…) M. Albert Lebrun m'a demandé de rester près de lui et m'a dit
ceci : « La situation est terrible. Quand comptez-vous
vous présenter devant les Chambres ? (…) M. Lebrun me
répondit alors : « Les ouvriers ont confiance en vous.
(…) vous allez leur promettre le vote immédiat des lois qu'ils
réclament, alors, je vous en prie, dès demain, adressez-vous à eux
par la voix de la radio (…) M. Lambert-Ribot avec qui j'avais
toujours entretenu des relations amicales, m'a fait toucher par deux
amis communs, par deux intermédiaires différents, afin que, le plus
tôt possible, sans perdre une minute, je m'efforce d'établir un
contrat entre les organisations patronales suprêmes, comme le Comité
des Forges et la Confédération générale de la Production, et
d'autre part, la Confédération générale du Travail. Sans nul
doute, j'aurais tenté moi-même ce qu'on a appelé l'accord
Matignon. Mais je dois à la vérité de dire que l'initiative
première est venue du grand patronat.
A ce moment, mes engagements vis à vis de la classe ouvrière
étaient déjà pris. J'avais parlé à la Radio. Tout le monde
savait que j'allais faire voter par la Chambre la loi de quarante
heures. Personne
n'y faisait objection, ni résistance. Tout le monde
considérait cela comme une chose naturelle, nécessaire, inévitable
dans les circonstances où l'on se trouvait. On ne demandait qu'une
chose aux Chambres : aller vite, voter vite, afin de liquider
cette situation redoutable, cette situation que j'ai qualifiée non
pas de révolutionnaire, mais de quasi-révolutionnaire, et qui
l'était en effet.
Les usines étaient occupées. Est-ce qu'on avait demandé à mon
prédécesseur, est-ce qu'on me demandait à moi de les faire évacuer
par la force ? Je vous le répète, on m'a demandé à moi de
provoquer une reprise de contact – car il y avait déjà eu un
essai sous le gouvernement précédent – avec les organisations
corporatives, les organisations centrales et la classe ouvrière pour
arriver à un accord. On n'a même pas, comme on l'a fait plus tard,
à partir d'octobre, et de novembre, posé comme condition sine qua
non, à l'ouverture des conversations entre ouvriers et patrons,
l'évacuation préalable des usines. (…) personne n'a jamais
demandé qu'on fît usage de la force. Les patrons – M. Sarraut a
rappelé leur langage – non seulement ne lui ont pas demandé d'en
faire usage, mais ils l'ont adjuré de n'en pas faire usage. Ils lui
ont dit : « Dans l'état présent des choses, cela ne
pourrait qu'aboutir à un conflit sanglant. Or, nous ne voulons pas
reprendre le travail dans des usines ensanglantées, avec des
ouvriers dressés contre nous. Nous ne voulons pas non plus courir le
risque de la destruction d'un outillage nécessaire à la production
nationale ». (…)
La contre-partie, c'était l'évacuation des usines. Dès ce jour-là,
les représentants de la C.G.T. Ont dit aux représentants du grand
patronat qui étaient à Matignon (…) : « Nous nous
engageons à faire tout ce que nous pourrons et nous le ferons. Mais
nous vous en avertissons tout de suite. Nous ne sommes pas sûrs
d'aboutir. Quand on a affaire à un mouvement comme celui-là, il
faut lui laisser le temps de s'étaler . Et puis, c'est
maintenant que vous allez peut-être regretter d'avoir
systématiquement profité des années de déflation et de chômage
pour exclure de vos usines tous les militants syndicalistes. Ils n'y
sont plus. Ils ne sont plus là pour exercer sur leurs camarades
l'autorité qui serait nécessaire pour faire exécuter nos ordres ».
Et je vois encore M. Richemont qui était assis à ma gauche, baisser
la tête en disant : » C'est vrai, nous avons eu tort ».
(…) dans le monde patronal, on me considérait, on m'attendait, on
m'espérait comme un sauveur. (…) Mais qu'est-ce que cela donnait
pour l'armement de la France, la guerre civile ? Et même les
bagarres ouvrières sanglantes se prolongeant durant des semaines, et
entraînant des incendies, des bris de machines, qu'est-ce que cela
donnait pour l'exécution des programmes d'armement ?
(…) sur la foi de ma parole, sur la foi des engagements pris vis à
vis d'eux et du Parlement républicain, petit à petit, le mouvement
s'était apaisé. Il n'y a aucun doute qu'à partir de Matignon la
décrudescence ait commencé. Il y avait un millions de grévistes à
ce moment-là, et trois semaines après 100.000. A la fin de juillet,
on pouvait considérer que le mouvement était terminé ».
SUR LES QUARANTE HEURES...
« Le réquisitoire affirme que, selon moi, la loi
de 40 heures n'aurait pas diminué le rendement de la production
française et il ajoute que je peux pas avoir prononcé une pareille
affirmation de bonne foi... C'est bien cela l'expression ? Je
n'admets pas ce jugement (…) A première vue, cela a l'air d'une
contradiction de dire qu'on diminue le temps de travail et que
cependant le rendement industriel ne diminue pas. C'est pourtant
toute l'histoire de l'industrie en France, en Europe, et dans le
monde entier. Depuis plus d'un siècle, toute l'histoire de
l'industrie, c'est la diminution continue du temps de travail
associée à l'élévation constante de la production, de même que
la diminution continue des prix de revient associée à l'élévation
continue des salaires. Cela peut sembler un double paradoxe à
première vue. Et cependant depuis qu'il y a une grande industrie
dans le monde, ces deux phénomènes contradictoires en apparence et
qui ont couvert le ministère public de stupéfaction, se sont
produits simultanément, parallèlement, et peut-être, mon Dieu !
En y réfléchissant, sont-ils fonction même l'un de l'autre !
Il y a eu une époque, au temps de l'enquête Villermé,
au temps des premières lois industrielles en Angleterre, où des
enfants de dix ans travaillaient douze heures dans les mines et les
filatures. A ce moment, quand on a voulu appliquer les premières
lois de protection légale du travail, qui fixaient un maximum légal
des heures de travail (ce qui était, paraît-il, attentatoire à la
liberté du patron, et même, par un comble d'hypocrisie, à la
liberté de l'ouvrier, qui était, disons-le, bien libre de
travailler davantage si cela lui convenait).... ils ont dit : »Faites
attention, si vous réduisez le travail des enfants dans les mines et
les filatures, la production nationale va diminuer ». (…)
Dans ma pensée, la loi de quarante heures devait servir
à résorber le chômage au même titre que d'autres mesures. Mais, à
mes yeux, elle avait un autre sens ; elle avait une portée
beaucoup plus profonde. Nous sortions d'une crise universelle que
tout le monde a qualifiée de crise de surproduction. Surproduire ?
Produire trop ? Trop relativement à quoi ? Certainement
pas relativement aux besoins de l'humanité, mais trop par rapport à
la possibilité de consommation, c'est à dire à la faculté
d'achat. Et nous sommes arrivés, en effet, à un point, à un état
de l'histoire du monde où , par suite du progrès continu de
l'industrie et de la technique, par suite aussi d'un mauvais système
de répartition des richesses, l'appareil universel de production
crée plus de richesses qu'il n'est capable d'en répartir, et que la
masses des consommateurs n'est capable d'en absorber. De là ces
phénomènes en apparence incompréhensibles, ces destructions de
richesses pour lesquelles il existe des besoins ! Quand on brûle
des sacs de café ou de blé, ce ne sont pas les besoins qui
manquent, mais bien la faculté d'achat qui fait défaut. Le progrès
de la civilisation et de la technique, c'est bien pourtant une
propriété collective de l'humanité, c'est l'héritage de tout ce
que la civilisation nous a légué depuis les premiers tâtonnements
de la race humaine. Et nous vivons dans un régime tel que ce qui
devrait être le bien commun de l'humanité, ce qui, par conséquent,
devrait se répartir, s'étaler en bienfaits, en profits, sur tous
les hommes, se traduit au contraire par des profits démesurés pour
Le nouveau salut nationaliste. |
Eh bien ! La loi de quarante heures avait, et elle
a encore à mes yeux, cette importance toute puissante qu'elle
représentait, dans le progrès de la civilisation, cette attribution
aux travailleurs du petit dividende. Elle représentait des arrhes,
un premier profit que les travailleurs pouvaient toucher, qu'ils
pouvaient percevoir comme leur part légitime dans un mouvement de la
civilisation et du progrès qui appartient à tous les hommes.
AUDIENCE DU 11 MARS 1942
SUR LES CONGES PAYES ET LES NATIONALISATIONS...
« Mais il y a une loi sur laquelle je suis obligé
d'insister... C'est la loi sur les congés payés. Cette loi,
combinée avec la création d'un sous-secrétariat d'Etat aux loisirs
et aux sports, était la base des charges imaginées contre moi. On
me reproche d'avoir fait perdre le goût du travail aux ouvriers
français, et d'avoir encouragé chez eux ce que des personnages
officiels ont appelé l'esprit de jouissance et de facilité (…) On
s'est rendu compte que le loisir n'était pas de la paresse, que le
loisir est le repos après le travail, et aussi comme une
réconciliation avec la vie naturelle dont il est trop souvent séparé
et frustré... j'y pense avec beaucoup d'émotion. Je ne suis pas
sortit souvent de mon cabinet ministériel pendant la durée de mon
ministère, mais chaque fois que j'en suis sorti, que j'ai traversé
la grande banlieue parisienne et que j'ai vu les routes couvertes de
théories de « tacots », de motos, de tandems, avec ces
couples ouvriers vêtus de pull-overs assortis et qui montraient que
l'idée de loisir réveillait chez eux une espèce de coquetterie
naturelle et simple, j'avais le sentiment d'avoir, malgré tout,
apporté une embellie, une éclaircie dans des vies difficiles,
obscures. On ne les avait pas seulement arrachés au cabaret, on ne
leur avait pas seulement donné plus de facilités pour la vie de
famille, mais on leur avait ouvert une perspective d'avenir, on avait
créé chez eux un espoir ».
« J'en viens maintenant aux nationalisations. Ce
mot de nationalisation semble avoir, par moments, une vertu
horrifique. Dans beaucoup d'esprits, la nationalisation se confond
avec la socialisation, avec la collectivisation et, par conséquent,
avec la spoliation ! Je voudrais d'abord vous dire, que
l'idée de nationalisation n'est pas une idée socialiste. L'origine
des nationalisations est dans les doctrines du socialisme réformiste
qu'incarnait un homme comme M. Millerand, au temps du programme de
Saint-Mandé. Elle est surtout dans les anciens programmes du parti
radical, à l'époque de Camille Pelletan. Des nationalisations , on
en a fait à propos de beaucoup d'objets, pour des raisons purement
fiscales. Le tabac est une nationalisation. On aurait dû en faire
pour capter à son origine, à la source, toute catégorie de
richesses qui commençait à se créer, qui aurait pu être captée
au profit de la collectivité au lieu de devenir une source de
profits particuliers. (…) On nationalise lorsqu'on se trouve en
présence d'un monopole de fait comme pour la raffinerie de sucre ou
de pétrole, ou bien quand on est devant une industrie-clef dont
toutes les autres dépendent, comme le crédit. Mais pour les
fabrications de guerre, on ne se trouve en présence de rien de
pareil. L'industrie de guerre a été de toute éternité une
industrie d'Etat, une industrie secrète. On commence à voir
apparaître la fabrication privée d'armes au moment où on fabrique
des canons en acier. C'est à ce moment que des industries comme
Krupp en Allemagne, Schneider en France, du fait qu'ils possèdent
seuls les moyens techniques pour traiter les grandes masses d'acier,
se mettent à fabriquer des canons.
Quels sont les mobiles qui ont fait inscrire la
nationalisation des industries de guerre dans le programme du Front
Populaire et ensuite dans le programme ministériel ? Le
mouvement s'est formé en France, pendant la guerre de 1914 à 1918
et il est impossible que vous n'en ayez pas gardé le souvenir. Un
mouvement public irrésistible contre le profit privé, contre l'idée
du bénéfice privé s'est constitué pendant la guerre. (…) On a
préféré le système de l'industrie privée en pensant que, pour
les patrons, l'appât du profit, et pour les ouvriers la perspective
de hauts salaires, amèneraient une production plus intense. Mais
pendant la guerre, la protestation s'est élevée à maintes
reprises. Des projets de lois tendant à la réquisition générale
des industries de guerre ont obtenu à la Chambre des minorités sans
cesse croissantes et peu à peu ce sentiment de gêne vis à vis du
profit démesuré et illicite... Puis le scandale des profiteurs de
guerre et des nouveaux riches aidant, il a pris la forme d'un
sentiment public irrésistible.
(…) Il fut un moment où l'on a voulu faire de ce
procès le procès du bellicisme. Mais l'industrie privée et le
commerce privé sont des industries bellicistes par excellence.
Rappelez-vous l'enquête de Nye aux Etats-Unis. Rappelez-vous le mot
de Briand à Genève : « C'est dans le même acier que
sont taillés le canons et les plumes de ceux qui essaient de
déclencher la guerre, en Europe et dans le monde ». Les
conséquences du commerce privé des armes, nécessairement lié à
l'industrie des armes, on les avait déjà aperçues pendant la
guerre de 1914. La Bulgarie était notre ennemie. Les canons bulgares
étaient, si je ne m'abuse pas, des canons français. Nous avons
vendu à l'Italie, avant cette guerre, du matériel, notamment du
matériel Brandt. L'idée que les soldats français puissent être
atteints par un matériel fabriqué en France, et dont nos ennemis
usent contre eux, est une idée qui a une résonance profonde dans le
pays. Souvent – ce n'était pas la cas de l'Italie, mais de la
Bulgarie – ces armes fournies par des industriels français étaient
payées sur le produit d'emprunts émis et placés en France. Comment
tout cela n'aurait-il pas créé un mouvement en faveur de l'idée de
la nationalisation de l'industrie et du commerce privé des armes ?
Voilà pourquoi la nationalisation, avant les élections
de 1936, et du fait même du réarmement, avait provoqué un
mouvement d'opinion si intense. Ce n'est pas une question dont je me
sois beaucoup occupé. Je n'étais pas le spécialiste de cette
question dans le parti socialiste. (…) J'ai d'ailleurs toujours
pensé que dans des programmes de coalition entre le parti socialiste
et d'autres partis, il fallait introduire des nationalisations, mais
je pensais à des nationalisations d'un autre genre, surtout à la
nationalisation des chemins de fer, d'une part, et des assurances
d'autre part, c'est à dire de deux monopoles privés. Mais enfin,
c'est dans ces conditions que la nationalisation a été inscrite au
programme du Front populaire. Pour le ministre de la Défense
nationale, cela représentait un intérêt d'un autre ordre, et il
vous a dit lequel, l'intérêt de faciliter l'armement de la
nation ».
«(...) Croyez-vous qu'il y ait là l'effet d'une
pression communiste ? Les communistes étaient tout à fait
indifférents aux questions de nationalisation. Ils l'étaient à tel
point que quand on a débattu entre partis le programme du Front
populaire, les délégués communistes étaient hostiles aux
nationalisations. Vous pourriez trouver dans le journal que je
dirigeais une polémique sur ce sujet avec un député communiste :
Jacques Duclos. Croyez-vous qu'ils s'intéressaient particulièrement
à la nationalisation des industries de guerre ? ».
(…) « Les Soviets avaient demandé au Creusot de
grosses pièces de marine. On s'occupait beaucoup à ce moment-là de
la constitution d'une marine soviétique » (...)« M. de
Saint-Sauveur a donc dit à M. Potiemkine : « C'est vrai,
nous avons mis beaucoup de mauvaise volonté à vous livrer ces
pièces, mais jouons cartes sur table. Si vous le voulez, non
seulement nous vous livrerons ce matériel très vite, mais nous
exécuterons pour vous tous les autres matériels que vous nous
demanderez, et nous travaillerons pour vous comme nous le faisions
pour la Russie tzariste. Mais, en échange, il faut que vous nous
rendiez un petit service. La loi de nationalisation est votée, mais
elle n'est pas encore appliquée. On discute encore, au ministère de
la Guerre, sur les établissements qui y seront compris. Nous
pourrions probablement nous arranger pour que dans les services
techniques du ministère de la Guerre, on n'insistât pas pour la
nationalisation du Creusot. Le Creusot échappera à la
nationalisation pour peu que vous vouliez bien dire un mot à ce
sujet à m. Blum ». Une influence politique s'est ainsi exercée
pour que le Creusot échappât à la nationalisation, et cette
influence politique était une démarche d'un des administrateurs du
Creusot auprès de l'Ambassade des Soviets à Paris.
- le Président. - … qui a continué la démarche auprès de vous ?M. Léon Blum. - M. Potiemkine a écouté sans mot dire, puis il a répondu que la seule chose qu'il pût faire était de me transmettre purement et simplement cette conversation. Mais je ne peux pas croire qu'il l'aurait fait si le parti communiste en France, qui n'était pas sans liaison avec l'Ambassade soviétique, avait eu vis à vis de la nationalisation des industries de guerre une position bien ardente. »
SUR LA PAIX ET LA GUERRE...
« Il
n'y a pas un peuple en ce moment, même parmi ceux des régimes
totalitaires, qu'on puisse entraîner ou maintenir dans la guerre si
on ne lui donne pas l'assurance qu'on a tout fait pour préserver la
paix. Même les dictateurs s'adressant à leurs peuples sont obligés
de tenir ce langage et de dire : « Nous n'avons pas voulu
cela, la guerre nous a été imposée, nous avons fait tout au monde
pour la prévenir ». Et nous, gouvernement républicain, nous,
ministres républicains dans un pays d'opinion alors libre et de
suffrage universel, nous y étions tenus encore davantage.
Nous
avons ainsi rallié toute l'opinion française et tout le parlement
autour des demandes de crédits massifs qui se sont succédé entre
1936 et la guerre, et qui n'ont jamais rencontré l'ombre d'une
difficulté dans l'opinion et dans les Chambres. (…) Croyez-moi,
c'est moi qui ai raison dans ce débat. Il y avait pour moi deux
tâches à réaliser : armer le pays et ne pas renoncer à
l'armer tant que la sécurité collective ne serait pas un fait
tangible, certain. Mais aussi prouver au peuple qu'on ne renonce à
aucune expérience, à aucune tentative qui ait la moindre chance
d'être réalisée. C'est la politique nécessaire qu'il convient de
suivre pour gagner et viriliser l'esprit public.
(…) Je
suis, paraît-il aujourd'hui, un belliciste. J'ai été autrefois, un
pacifiste en ce sens que j'ai consacré des années d'efforts et
d'études à rechercher le moyen de prévenir la guerre et
d'organiser en Europe la sécurité collective (…) alors les hommes
qu'on qualifiait injurieusement de pacifistes bêlants, se sont rendu
compte que si la paix reposait toujours sur la sécurité collective,
la sécurité collective, elle, ne pouvait plus reposer que sur la
force des armes. Les pacifistes sont
devenus de soi-disant bellicistes sans avoir changé. C'est
pour cela que, comme chef de gouvernement, j'ai fait ce que j'ai
fait. Mais jamais je n'ai renoncé à l'espoir du désarmement,
jamais je ne l'ai laissé se prescrire.
Et si, en
septembre 1936, je me suis engagé dans une négociation directe et
personnelle avec un représentant du chancelier Hitler, c'est parce
qu'un des articles essentiels de la conversation qui s'engageait
entre nous était l'accession de l'Allemagne à uen négociation sur
la limitation générale des armements, et sur leur contrôle.
Le
représentant du chancelier Hitler était le Dr. Schacht. Il est venu
me voir à Matignon, pour une conversation directe, en passant
par-dessus les intermédiaires officiels, au nom du chef du Reich.
J'aurais peut-être pu dire, si j'avais été l'homme qu'on dépeint :
« je suis marxiste, je suis juif, je n'entre pas en
conversation avec un Etat où l'on a extirpé toutes les
organisations socialistes, où l'on persécute les Juifs ». Si
j'avais dit cela, j'aurais trahi les devoirs de ma charge. Mais je
lui ai dit : « Je suis marxiste, je suis juif, et c'est
pour cela que j'ai le désir plus vif encore de voir aboutir la
conversation qui s'engage entre nous maintenant ». Il m'a
répondu : « Monsieur, cela ne vous fait que plus
d'honneur ». Je ne lui demandais pas ce témoignage, mais j'en
tire avantage de montrer que, lorsqu'il s'agit de questions de
désarmement, que ce fût à Genève, à Paris ou ailleurs, je n'ai
eu en vue que les intérêts de notre pays. En même temps, je
réalisais des plans d'armement massif à un point tel que personne
ne l'avait fait encore. Dans un cas comme dans l'autre, j'ai rempli
les devoirs de ma charge, mon devoir de chef de gouvernement. J'ai
rempli mon devoir de français ».
LEON BLUM a-t-il été mou avec les
grévistes et fait prendre des risques à la bourgeoisie ?
- le Président – Le troisième élément relevé contre vous par l'acte d'accusation, c'est d'avoir par votre faiblesse devant l'agitation révolutionnaire, spécialement en tolérant des occupations et neutralisations d'usines, amené une diminution considérable de la production : le tout évidemment en ce qui concerne les produits utiles à la Défense nationale ».
(…) Le ressentiment qu'aurait laissé
dans la classe ouvrière, même vaincue, une politique de sanctions
impitoyables et de répression n'aurait pas été moins grave, je
suppose.
Il ne suffit pas de dire à un homme :
vous avez trahi les devoirs de votre charge ; il faut lui dire
quels étaient ces devoirs. J'espère qu'on me le dira. J'espère
qu'il existe dans l'esprit de la Cour ou du parquet une sorte de code
des devoirs d'un homme politique. Quand vous jugez un meurtrier,
c'est tout simple, vous avez l'article du code. Il a tué. Le code
dit : on ne doit pas tuer. Il n'y a pas
de code écrit pour les hommes politiques, les ministres, les anciens
ministres. Il faut que vous en établissiez
un dans votre esprit avant de l'appliquer. Il ne suffit pas de dire à
moi ou à l'un de ceux qui sont sur ces bancs : vous avez trahi
les devoirs de votre charge. Il faudra me dire auquel de ces devoirs
j'ai manqué. Il faudra définir mon devoir (.. .) Non, je ne me
suis pas trompé. Mon devoir était clair, impérieux. Il était
d'épargner à la France, à la suite de la guerre civile, la guerre
étrangère, de ne pas provoquer entre patrons et ouvriers ce que les
ouvriers redoutaient alors le plus, cette espèce de division morale
qui est plus grave et plus pernicieuse que tout, dans un pays et dans
une démocratie. Mon devoir était de ne pas provoquer de semblables
convulsions civiles. En tout cas, que j'aie eu tort ou raison, mon
parti était pris : je n'aurais pas moi, employé la force ;
je n'aurais pas fait marcher d'abord la garde mobile et ensuite
l'armée, dont ce n'était pas la mission. Je n'aurais pas fait cela.
Si je n'avais pas pu, par la persuasion et la conciliation entre
ouvriers et patrons, ramener ce que j'ai appelé l'ordre civique,
l'ordre républicain, j'aurais renoncé à mon mandat et peut-être à
ma vie d'homme politique. Un souvenir est resté pour moi plus cruel
que tous les autres : c'est celui du soir de Clichy (…) Vous
me parliez, hier, M. le Président, des patrons qui, de leur cabinet,
venaient téléphoner au commissariat de police pour qu'on les
protège. Ceux-là ne voyaient la situation que de leur point de vue
personnel, local. Les organisations patronales qui voyaient, elles,
la situation dans son ensemble, qui savaient ce qui existait partout
et à quel degré, n'ont rien demandé de pareil.
Plus tard la situation n'a plus eu que ce
caractère.
On pouvait faire respecter la loi sans
courir de pareils risques. La hiérarchie des devoirs, à partir de
ce moment-là, a changé. Nous n'avons pas hésité. Nous
avons fait respecter le droit de propriété . Par
exemple, au commencement d'octobre, une grève de restaurateurs et
d'hôteliers a éclaté juste au moment du salon de l'automobile.
Nous avons fait évacuer les restaurants par la police. J'ai trouvé
tout à fait par hasard une note à ce sujet ces jours derniers. Le
soir du jour de cette opération, qui s'est faite avec un plein
succès, le journal le Temps me
reprochait d'avoir fait procéder à cette évacuation trop
doucement. Le résultat avait été obtenu ; les grévistes
avaient été mis hors des locaux qu'ils occupaient ; le droit
de propriété était respecté. (…) Nous avons fait la même
opération le mois suivant, en novembre, dans les grèves de la
chocolaterie (…) Nous avons recommencé dans le Nord à propos des
neutralisations. Une fois le principe de l'arbitrage accepté par les
patrons, nous avons fait évacuer les usines. (…) C'est
par la conciliation, c'est par l'accord, c'est par l'entente que j'ai
essayé de régler toutes les difficultés de cette « explosion
sociale », qui était venue frapper au visage mon gouvernement
dès son arrivée.
(…) A
aucun moment, je n'ai cédé. Il est possible qu'il n'ait pas désiré
que mon gouvernement se prolongeât, qu'il ne m'ait pas toujours
servi, si je puis dire, sans arrière-pensée, mais j'étais
convaincu, et je suis encore convaincu, qu'il est impossible de
défendre en France les libertés républicaines en excluant de cet
effort les masses ouvrières et la fraction de l'élite ouvrière
encore groupée autour de la conception communiste. Et
je pensais surtout que c'était un immense résultat et un immense
service rendu que d'avoir ramené ces masses et cette élite à
l'amour et au sentiment du devoir envers la Patrie.
(…) Je
n'oublie pas que, dans la zone occupée, le Parti communiste fournit
pour sa part, sa très large part, d'otages et de victimes. J'ai lu
l'autre jour dans une liste d'otages donnée par un journal, le nom
du petit Timbaud. J'ai très bien connu le petit Timbaud :
c'était un secrétaire de l'Union des Syndicats métallurgistes de
la région parisienne. Il était à la conversation du 15 mars. Je
l'ai vu souvent, j'ai été bien souvent en bataille avec lui.
Seulement, il a été fusillé et il est mort en chantant cette
Marseillaise que, malgré tout, nous avions réappris aux ouvriers à
chanter, peut-être pas la Marseillaise officielle, peut-être pas la
Marseillaise des cortèges officiels et des quais de gare, mais la
Marseillaise de Rouget de L'Isle et des volontaires de l'An II, la
Marseillaise du groupe de Rude, la Marseillaise de Hugo « ailée
et volant dans les balles ». C'est comme cela qu'est mort le
petit Timbaud et que sont morts beaucoup d'autres ».
(…) Le 6
février, le gouvernement avait empêché l'émeute de renverser de
renverser à main armée les institutions républicaines. Il avait
accompli son devoir strict. (…) les hommes qui ont exploité avec
férocité contre le gouvernement de ce temps le malaise profond de
l'opinion, cette horreur du sang répandu qui est au fond, je le
répète, de la sensibilité française, ces mêmes hommes étaient
précisément ceux qui avaient préparé l'émeute par leurs
provocations. Et ce sont encore ceux qui me reprochent le plus
âprement aujourd'hui d'avoir, par faiblesse et par complaisance,
ménagé le sang des ouvriers, le sang du peuple. Comme s'il y avait
deux espèces de sang en France : le sang bourgeois, et quand,
par malheur, on le répand, on est un criminel, on est un
« fusilleur », on est un « galopin sanglant »
et le sang ouvrier, et celui-là quand on l'épargne, on est un
politicien débile, misérable, qui pervertit le pays par sa
faiblesse et qui a trahi son devoir.
(…) Le
gouvernement peut user de la force lorsque l'essence du régime est
mise en cause, lorsqu'un intérêt vital de la patrie est menacé,
mais alors seulement. Dans
les troubles auxquels on pense et où l'on m'accuse d'avoir été si
criminellement débile, ni l'essence du régime, ni l'intérêt vital
du pays n'étaient menacés. Son intérêt aurait bien autrement
souffert d'une conduite contraire. Ce qui était menacé, je le
répète, c'était certaines formes du respect dû à la propriété
et à l'autorité patronales.
Messieurs,
je vous assure que je suis bien là au cœur de la question ;
j'y ai bien réfléchi. Le fond de la question est bien là, car si
l'on recherche les causes de cette émotion, de cette « grande
peur » de juin 1936, on se rend compte que ce qui effrayait le
plus peut-être les représentants intelligents et prévoyants de la
bourgeoisie, c'était
la modération même de ce mouvement. C'était le respect même de
l'ordre physique, de l'ordre matériel à l'intérieur des usines. Je
vous l'ai dit : les ouvriers étaient installés autour des
machines, tranquilles, disciplinés, montant la garde, entretenant le
matériel, désignant les corvées pour cet entretien. Ils étaient
là aussi comme des gardiens, c'est à dire comme des surveillants,
et aussi, dans un certain sens, comme des copropriétaires. Le sens
de leur travail, on le sentait bien quand on réfléchissait du côté
patronal, c'est que, dans leur conviction, quelque chose de leur
travail s'était incorporé à ces machines qu'ils avaient si
longtemps maniées.(...) Et cette idée, il ne faut pas vous imaginer
qu'elle était toxique, qu'elle faisait courir dans les veines de la
classe ouvrière ce poison mortel dont les effets se feraient sentir
après tant d'années. Si vous envisagez des sentiments de ce genre
avec gravité et sans prévention, vous vous rendrez compte, au
contraire, qu'ils ne peuvent que coopérer à un sentiment d'unité
entre les différentes classes qui composent la nation.
(…) Karl
Marx a dit que le prolétaire n'a pas de patrie, et en cela il était
d'accord avec toutes les législations anciennes, car en Grèce ou à
Rome, le prolétaire n'était pas soldat, pour la raison qu'il
n'avait pas de bien à défendre. Mais Jaurès a dit que si le
prolétaire n'avait pas de patrie, le progrès républicain, peu à
peu, lui en faisait une, et que c'est
à mesure qu'on crée peu à peu pour les ouvriers une co-propriété
de la patrie qu'on leur enseigne à défendre cette patrie.
Cette
espèce d'accord unanime qu'on a trouvé en France au moment de la
mobilisation était un peu la conséquence de tout cela, et par
conséquent, était un peu notre œuvre. Rappelez-vous les incidents
qui ont précédé la guerre de 1914, cette guerre que la République,
ce régime républicain tant honni, tant décrié, a pourtant
gagnée ; rappelez-vous le syndicalisme révolutionnaire ;
rappelez-vous l'hervéisme, rappelez-vous les mutineries de 1913 ;
rappelez-vous l'avant-veille de la mobilisation l'assassinat de
Jaurès ; rappelez-vous quelle angoisse on pouvait éprouver
alors sur ce que serait l'attitude de la masse des ouvriers vis à
vis de l'ordre de mobilisation. Vous n'aviez rien de pareil tant que
ce sont les influences nationales qui ont joué, vous n'avez trouvé
aucune exception à cette unanimité ».
1Marc
Ferro, après avoir remarqué que de nombreux chefs révolutionnaires
de Robespierre à Lénine, étaient avocats, explique cela comme une
qualité supérieure par rapport aux politiciens moyens, cette
profession est plus au courant des vrais problèmes du peuple ou du
prolétariat.
2Que
Patrick de la librairie Le point du jour, rue Gay-Lussac, soit ici
remercié, dans son capharnaüm on trouve tant de pépites.
3Mes
archives contenant ces journées d'étude ont été dérobées dans
ma maison de campagne j'imagine par des policiers qui avaient besoin
d'approfondir leur culture pauvre et limitée des sources d'analyse
du mouvement révolutionnaire moderne.
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