par Jean Cotereau
(Cahiers mensuels Spartacus n°17, mai 1947)
Il fût un temps où les Cahiers Spartacus n'étaient pas cornaqués par un lâche quarteron d'épiciers à idéologie stalino-anarchiste bcbg pour clientèle bobo.
"...Le fascisme a été la
réaction violente du capitalisme contre la menace marxiste, après
la Révolution de Russie. Tendant à diviniser l'Etat il était une
religion. L'Eglise ne pouvait que le condamner dans ses dogmes. Mais
le cléricalisme lui aussi était une réaction contre l'idéologie
marxiste. Une haine commune rapprochait les deux mystiques adverses
sans parler d'un goût commun de l'autorité.
Contre le communisme
italien qui battait ses portes, le Vatican voyait se dresser
« l'ancien marxiste anticlérical qu'était Mussoloni ».
D'ailleurs le Duce s'était converti avec ostentation. Un premier
contact entre lui et le cardinal Gasparri aboutissait au sacrifice
par le Pape de son « parti populaire » et au renflouement
par l'autre partie de la banque romaine, très chère au Vatican. Les
accords de Latran lièrent « indissolublement » à l'acte
diplomatique, qui concédait au Saint Père, outre un Etat
symbolique, une coquette indemnité de 750 millions de lires, comme
« condition absolue » un concordat qui, de l'aveu même
de Pie XI (Lettre au cardinal Gasparri, 30/6/29) faisait de l'Italie
un « Etat fasciste » certes mais « catholique »,
où le blasphème était un délit, l'enseignement religieux
obligatoire dans les écoles et la religion catholique « la
seule religion de l'Etat ». Aussi « l'italinissime
pontife » salua-t-il dans l'assassin de Matteoti « un
homme que la providence lui avait fait rencontrer ». Malgré
bien des querelles ultérieures, Pie XII soutiendra, jusque dans
l'affaire des sanctions, l'Italie catholique contre l'Ethiopie
schismatique, attestant sa sympathie croissante pour un Duce souvent
odieux, mais en fin de compte précieux.
On fait état aujourd'hui
des persécutions antireligieuses en Allemagne. Nous ne les nions
pas ; nous en plaignons les victimes et en détestons les
exécuteurs. Mais puique l'Eglise parle sans cesse d'expiation,
n'a-t-elle pas été punie elle aussi – et cruellement – de sa
politique opportuniste du début ? Nous lisons dans la brochure
du catholique Kurt Turmer, « Hitler contre le pape » :
p.22 « Sans l'aide d'un gentilhomme catholique, M.Frantz Von
Papen, Hitler ne serait jamais devenu chef du gouvernement » et
(p.34). « Dans un pays très catholique... un des principaux
leaders catholiques me disait en 1933 : « Hitler est
contre les juifs, les francs-maçons et les bolchevistes ; cela
suffit pour me le rendre sympathique ». Ce Monsieur... a depuis
changé d'opinion. Mais l'état d'esprit qu'il manifestait est
toujours assez répandu... grâce au fallacieux dilemme : Hitler
ou Moscou, Hitler a réussi en Allemagne (entr'autres choses) à
gagner le concours ou la complicité de certains milieux
catholiques ». La Croix confirme (9/8/33) « Le fascisme
et le racisme sont... tout ce que vous voudrez d'irritant et de
funeste. On a peine à croire qu'ils représentent le régime de
l'avenir, sinon dans une vague préfiguration (!). Mais, tels quels,
ils exterminent et abolissent le marxisme, sans que celui-ci soit
capable d'opposer la moindre résistance... Et, détail auquel on ne
saurait trop s'arrêter (malgré leurs excès) ils traitent,
composent s'accommodent avec la religion catholique ».
D'ailleurs, à peine
arrivé au pouvoir, Hitler déclare au Reichstag qu'en raison du cas
qu'il fait du christianisme comme fondement de la vie morale du
peuple allemand, il entend développer « les relations amicales
avec le Saint Siège » sans retirer sa condamnation doctrinale
antérieure de « l'épiscopat allemand » dans une
déclaration du 28/3/33, croit pouvoir « céder à l'espoir
confiant que les interdictions et avertissements généraux ne sont
plus à considérer comme nécessaires ». Le 27/7/33 la Croix
salue le concordat allemand du 20 juillet comme « le plus grand
événement religieux depuis la réforme » et se réjouit de ce
que le nouveau régime scolaire allemand comporte « l'exclusion
complète du laïcisme dans l'école ». Le très clérical
M.Pernod remarque dans les débats (24/7/33) « qu'un régime
presqu'unanimement réprouvé vient de trouver à Rome, auprès de
la plus haute puissance spirituelle de l'univers, un appui moral que
beaucoup d'autres régimes et moins contestables pourraient à bon
droit lui envier » et que « pour obtenir à Rome le
résultat qu'ils cherchaient, les négociateurs allemands ont fait
valoir la lutte entreprise par le troisième Reich contre le
bolchevisme et l'athéisme ». Au début de l'Encyclique Mit
Brennender Sorge » le pape embarrassé, devait rappeler qu'il
ne refusait « à personne, pourvu qu'on ne le repoussa^t pas,
la main de l'Eglise mère ». A personne, même au pire
criminel, pourvu qu'il serve ses intérêts. L'Eglise qui avait
applaudi aux persécutions contre les marxistes, les républicains,
les francs-maçons, n'a commencé à protester que lorsqu'à propos
des jeunesses en particulier, le totalitarisme nazi se heurte à son
totalitarisme. Elle n'a absolument aucun titre à se présenter
auprès des démocraties comme une championne de la liberté, alors
qu'elle n'a fait que défendre sa mystique contre une autre, sa
tyrannie contre une autre.
Après les documents
d'origine catholique, que nous venons de citer, il sera commode de
traiter de faux sous prétexte que ces documents ont été publiés
par Franc Tireur ou par des journaux communistes : le télégramme
(lu au procès de Nuremberg par l'avocat de Frick) « envoyé au
haut commandement par le cardinal archevêque de Cologne, félicitant
Hitler pour la remilitarisation de la Rhénanie », le passage
suivant, cité à la même occasion, d'une déclaration des prélats
autrichiens au moment de l'Anschluss. « Nous sommes persuadés
que le danger du bolchevisme a été écarté grâce à l'activité
du mouvement national-socialiste », enfin, cette déclaration
des évêques allemands réunis à Fulda en août 36 :
« L'Eglise catholique s'associe au national-socialisme pour
lutter contre le bolchevisme mondial. Elle implore la bénédiction
du ciel pour l'oeuvre du Fuhrer. Elle déclare mettre ses forces
spirituelles au service de la communauté nationale ». Au
total, l'hérésie nazie dûment condamnée, ou s'accommoda du régime
tant bien que mal, quitte à balancer ensuite entre la condamnation
des persécuteurs antichrétiens et la bénédiction d'une Wehrmacht
opportunément dressée contre d'autres persécuteurs.
L'Eglise soutient ou
combat une dictature suivant que celle-ci s'exerce à son profit ou
contre elle. Elle a appuyé les fascismes cléricaux de Dollfuss, de
Salazar, de Franco. Béni à plusieurs reprises et tout récemment
encore par le souverain Pontife et des évêques du monde entier,
dans une lettre à l'antéchrist allemand, le Caudillo ne s'en
déclarait pas moins lié à lui « d'une manière
indissoluble », et au moment de sa mort, faisant décerner par
sa presse « la palme du martyre » à ce « fils de
l'Eglise catholique », tombé comme « un chevalier »
(Temps Présent, 22/6/45).
Revenons à notre pays.
L'Eglise, quoiqu'elle prétende aujourd'hui, n'avait pas tellement
condamné le fascisme que de nombreux cléricaux français n'aient pu
se rallier à lui. « La nécessité se fait jour, écrivait
Jean Guiraud dans la Croix (22/7/34), d'un Etat fort et sachant
imposer à tous les sacrifices exigés dans l'intérêt général ».
Or, les ligues factieuses
d'avant-guerre, nationalistes ou antisémitiques, s'étaient
reconstituées sous d'autres noms et avec une puissance accrue. Elles
avaient recruté – et pour les mêmes raisons – les mêmes
éléments sociaux : anciens combattants et jeunes bourgeois,
que les légions des fascismes italien et allemand. Elles ne
pouvaient que comporter une masse de cléricaux, formés dans les
jésuitières à l'école de Barrès, Psichari, Maurras, Bergson,
tous avides de dresser contre un marxisme ennemi de leurs intérêts
de classe, les deux idéologies : catholicisme et fascisme qui
s'avéraient conciliables et seules capables de le conjurer. Le nom
de clérico-fascistes leur convient parfaitement.
Le « Croix de Feu »
Ch.Vallin parlait de remettre la France en « état de grâce » ;
La Roque déplorait « l'éclipse de tout esprit social conforme
à la civilisation chrétienne » (La France sauvée par le
P.S.F.) et en 36/2, Jean Renaud organisait une expédition punitive
contre l'école sans Dieu de Morsang sur Orge. Bucard invoquait « les
grands évêques et les saint prêtres », stigmatisait les
« lois d'exception contre les religieux et les bonnes sœurs,
et s'écriait : « Pour vaincre le communisme, que les
chrétiens commencent à appliquer la religion en rendant le Christ
au peuple ».
Vaincre le communisme :
comme l'a reconnu le R.P. P.Fessard (Epoque 16/8/46), c'est bien la
peur de celui-ci qui avait rejeté vers le fascisme les anciens
partis nationaux. Certes il y eût : des « libres
penseurs » comme Déat pour évoluer vers l'hitlérisme ;
des cléricaux antipapistes comme les excommuniés de l'A.F. ;
des catholiques antifascistes comme Marc Sangnier et Francisque Gay ;
des hommes « d'action catholique », étrangers à toute
politique non strictement confessionnelle. Il n'en reste pas moins
que toute l'aile droite de l'armée cléricale française, gagnée
par le fascisme latin, a formé, sinon la totalité, du moins la
majorité, de ces ligues factieuses dont le but, à peine caché,
était de renverser la République.
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